Clichés criminels : Roman(noir)-photo

Après la vague des jeux d’enquête, voici que se pointe Clichés criminels de Pierre Voye et David Simiand chez Blue Cocker. Pas d’interrogatoire, pas de nouveaux indices à découvrir : tout est dans l’enveloppe. Photos de la scène de crime et documents en rapport avec l’affaire. On est plus dans la veine d’un Les Flammes d’Adlerstein (notre just played) que d’un Détective, Suspects ou Guilty, tous trois plus exploratoires. Trois affaires crapuleuses nous attendent dans cet opus, confiées par la commissaire Stobbart.

Chaque affaire propose un volume de photos et de documents qui vous nous faire vivre une petite heure d’enquête. Les deux auteurs ont déjà exploré ensemble d’autres genres ludiques, avec deux titres à leur actif commun : le 4x en temps réel avec Time of Empires et l’enchère-collection en temps réel (encore) avec Buurn. 

 

Autant vous prévenir tout de suite : ces enquêtes sont destinées à un public adulte. Les photos peuvent être sanglantes, certaines scènes et affaires sont sordides. 

 

Le dossier de papier kraft

Dès l’ouverture de l’enveloppe et après avoir pris connaissance du contexte, nous allons en priorité nous jeter sur les photos, qui sont plus attractives que les documents photocopiés, et en bien plus grand nombre ; ne sommes-nous pas tous un peu voyeurs ? Puis après exploration des photos, nous allons lire les autres éléments fournis, intégrer ce début d’histoire et de contexte, puis retourner aux photos avec un autre regard, et c’est ce qui va faire de ce Clichés criminels un jeu d’enquête qui se démarque un peu : une bonne imbrication entre les photos et les documents.

Les photos sont d’ailleurs assez bien pensées pour nous livrer des éléments sans nous noyer sous des détails sans importance pour l’enquête. L’une des enquêtes est d’ailleurs presque entièrement faite de photos, une affaire qui se démêle exclusivement dans les rapports entre les protagonistes et la chronologie.

Une enquête sans autopsie, juste un rapport préliminaire qui ne s’encombre pas de jargon ni de détails, ici on se passera de la police scientifique. Ce que nous cherchons c’est le mobile pour trouver le coupable.

 

 

L’image comme langage

La plupart des jeux d’enquête mettent en valeur le texte comme principale source d’informations. Le texte est une information que l’esprit a besoin de transformer en sens, tandis que l’image ou la musique sont immédiatement ingérés. Sauf que. Dans le texte d’une enquête, les personnages interrogés peuvent mentir, omettre, transformer, trahir. Les auteurs peuvent aussi, comme les dramaturges qu’ils sont, sélectionner les informations qui “suffiront” à inculper l’un ou l’autre, à douter, peuvent présenter des informations qui seront de fausses pistes… Le texte est un tissu troué, mensonger, inexact, et le regard de l’enquêteur doit faire sens de l’absence (comme le dirait Benoît Leblanc de À couteaux tirés, on se rend compte que le trou du donut a lui-même un trou en son centre).

Mais dans Clichés criminels, l’image est sélectionnée, formatée, chargée de sens ; elle porte en elle ce bruit de la dramaturgie, et demande qu’on l’interprète pour dévoiler son sens et son utilité.

 

Stobbart doute de vous

Une fois que nous pensons avoir compris, nous nous rendons sur l’application dédiée du jeu pour discuter avec la commissaire et répondre à ses questions. Pour nous aider à faire la part des choses, la commissaire nous aide en nous proposant des réponses et nous fait des remarques.

 

L’intégration de l’application est agréable ici : Stobbart nous pose des questions successives, nous propose un QCM avec beaucoup de réponses, répond  à nos affirmations et nous guide, tout en nous faisant des petites remarques sur nos compétences déductives parfois désobligeantes. Ces interjections peuvent être prises pour du feedback pour mettre le doute aux joueurs, alors qu’il n’en est rien ; elles sont plutôt là pour “rajouter de la vie”, mais viennent parasiter la propreté de la résolution en entachant d’opprobre les joueurs même s’ils réussissent. Contre-productif : le jeu retire aux joueurs la satisfaction pleine d’avoir réalisé une bonne déduction pour retarder le moment de gratification avec l’épilogue, mais en plus pour un bénéfice très mineur puisqu’on est déjà en train de conclure et qu’il ne reste pour ainsi dire plus de gameplay. Si l’on s’éloigne trop des pistes évidentes, on sera parfois remis sur le bon chemin.

Nous suivons ainsi le cheminement, répondant à  chacune de ses questions, confirmant notre choix malgré ses doutes incessants, et suivons l’arborescence qui nous conduit jusqu’à avoir exposé le coupable et le mobile.

L’histoire nous sera enfin racontée par une voix de journaliste BFM surjouée, assez drôle à écouter dans un premier temps, irritante au bout d’un moment.

Nous ne sommes pas jugés, pas notés, pas pénalisés. Et vous savez quoi, ça ne me plaît pas tant, cette liberté de pouvoir me tromper. Après tout on est en train de mettre en inculpation une personne, et on aurait droit à de l’à-peu-près ! D’autres titres, comme Intime Conviction, avaient déjà eu cette approche mais avec plus de radicalité : ce jeu de tribunal vous mettant dans la peau d’un jury ne vous donnait aucun détail des faits, préférant laisser les joueurs avec leur (intime) conviction, et c’est tout. Dans Clichés Criminels, on a les faits, on se rend compte des erreurs potentielles, mais le titre se défausse de ses responsabilités de nous faire gagner ou perdre tout en nous mettant face à la vérité.

J’aime mieux qu’on me propose une enquête plus exigeante, des détails révélateurs à exploiter si je sais les voir. Ce type d’enquête a pour le moins la qualité d’être accessible, sans aucune règle, sans jargon inutile, sans frustration car on aura le guidage vers la solution.

 

 

L’épisode du samedi soir : 52 minutes

La durée d’une enquête est satisfaisante au vu de la matière fournie et de l’histoire à démêler. Si le format est contenu, c’est un peu au détriment de la profondeur de l’histoire. Il n’aurait pas manqué grand-chose pour donner plus de corps à certains personnages importants dans chacune des enquêtes, sans pour autant faire basculer l’enquête dans un démêlage trop simple, mais juste pour travailler autour de personnes crédibles, sensibles, humaines. Les mobiles sont compréhensibles mais la mise en pratique du meurtre, voire du criminel peut paraître peu crédible. Il faut dire que certains clichés sont redondants les uns avec les autres, ou apportent des informations faibles, ou amenant à une résolution un peu artificielle.

Un conseil si vous jouez : n’allez pas chercher midi à quatorze heures : les scénarios sont plus terre à terre qu’autre chose. Ce n’est pas négatif en soi, notez : cela a l’élégance de la simplicité, même si parfois, certaines actions ou données froissent la cohérence narrative. On se prend les pieds dans le tapis dès que les intentions des personnages ou que la séquence des événements deviennent un peu trop complexes. 

Dans certains scénarios, la résolution se fait plus pas défaut, non pas qu’on ait réussi à identifier à l’aide d’éléments tangibles ou de preuves une culpabilité, mais puisque ce ne sont pas les autres, il ne peut en rester qu’un.

Clichés criminels est agréable de par sa matière bien pensée, de par son absence apparente de structure. Les enquêtes se résolvent dans un temps assez contenu, mais elles peuvent paraître un peu légères quand on a déjà pas mal exploré le thème ludique de l’enquête. Avec, cependant, quelques ruptures de la suspension d’incrédulité et quelques errements dans la conclusion qui, sans ruiner le plaisir de l’enquête, affaiblissent un peu l’expérience. En revanche, ce titre est idéal  pour la découverte du genre (et un public averti).

Article coécrit par Natosaurus et Umberling

 

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4 Commentaires

  1. morlockbob il y a 26 jours
    Répondre

    GAG avait proposé il y a quelques années dans le même genre Instacrimes : munford…. un peu léger

    si vous aimez les photos…

    • Umberling il y a 25 jours
      Répondre

      Détesté Instacrimes : les enquêtes m’ont semblé de piètre qualité.

  2. Natosaurus il y a 25 jours
    Répondre

    Instacrime et ses photos aux poses tellement improbables ! C’est vrai que cette promesse de faire un Shelock Q system avec juste des photos étaient alléchant, mais bien raté.

  3. Morlockbob il y a 19 jours
    Répondre

    Je trouve bien aimable, c est quand même tiré par les cheveux et plutôt bancal.

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