Carnet d’auteurs : Rêvelune

Christophe Raimbault (Colt express, Redwood, Star Clicker…) et Frédéric Dorne (fondateur de JdR Editions) sont de bons amis qui travaillent actuellement ensemble sur un jeu de rôles narrativiste. Mais bien avant ce projet de JDR dont il est encore trop tôt pour parler, ils sont les auteurs de Rêvelune, un coop de narration familial illustré par Anne Heidsieck, édité par Blam! (la maison des Cartaventura) qui débarque en boutique en ce moment. L’objectif du jeu est de faire vivre un moment partagé qui libérera l’imaginaire des joueurs même ceux moins à l’aise avec ce genre d’exercices.

 


Ce carnet d’auteurs
va vous permettre de plonger dans l’histoire de cette création, depuis leur rencontre, les premières idées, jusqu’aux playtests, les apports de Blam, et finalement l’aboutissement du projet, trois ans plus tard. Quelles étaient les intentions, les différentes versions, les défis mécaniques propres à un jeu narratif, comment fut l’accueil des joueurs… Ils vont vous raconter tout ça. 

Bon voyage en leur compagnie ! 

NB : Pour découvrir le mécanisme du jeu final en détails, regardez la vidéorègle ici.

 

La rencontre

« Tout a commencé par notre rencontre, un dimanche matin de 2019, alors que nous nous rendions tous les deux au salon Octogônes pour le dernier jour de la convention. Comme nous portions tous les deux un élégant bracelet exposant, nous avons naturellement engagé la conversation. On se connaissait sans se connaître. Frédéric avait bien entendu joué à Colt Express, Christophe avait joué à Tiny. La conversation a continué sur les stands et l’idée de travailler ensemble est venue très naturellement, comme une évidence. Si nous avons beaucoup de choses en commun, nous sommes aussi complémentaires, Christophe est plutôt à l’aise avec les mécanismes de jeu, Frédéric avec la narration. Avec le recul, il était évident que nous allions nous engager dans un jeu narratif. Même si cela ne nous est pas apparu tout de suite et que le premier jet de Rêvelune était plus proche d’un jeu de plateau. C’est avec les moutures successives, les tâtonnements, que l’on est arrivé à la version actuelle.

 

Le projet

Le jeu a évolué au rythme d’une réunion par semaine, pendant presque deux ans. Nous nous sommes imposés naturellement ce rythme, en premier lieu car on aime beaucoup papoter ensemble. Les séances ressemblent d’ailleurs plus à des discussions enflammées et du brainstorming permanent qu’à des réunions de travail entre collègues !

Pierre après pierre, les éléments se sont assemblés. Et les pierres de fondation de Rêvelune, ce sont avant tout les collections de jeux de l’un et de l’autre. Quitte à créer, autant se hisser sur les épaules des géants. Fort de nos expériences de joueurs, réussies ou ratées – toute expérience de jeu peut nous aider à créer – nous tirons nos conclusions. C’est d’ailleurs un constat des jeux narratifs existants qui nous a amené à travailler sur un concept permettant de raconter une histoire improvisée, mais cohérente. Et d’aller un peu plus loin car il nous a fallu trouver un moyen d’aider les joueurs timides à prendre la parole tout comme de canaliser les joueurs à l’imagination et à la verve (trop) débridée.

Pour prendre en compte tous ces besoins, nous avons exploré différentes formes de jeu.

 

Les versions

Nous sommes passés par de nombreuses versions, et c’est en partie du fait de Christophe qui a l’habitude de tout casser dès qu’il a une nouvelle idée. Ce processus de création itératif, et à première vue déstructuré, a de quoi décourager n’importe quel co-auteur un tant soit peu cartésien. Heureusement que Frédéric a su prendre son mal en patience et lui faire confiance en usant allègrement dans sa réserve de lâcher-prise !

Durant toutes ces versions, nous n’avons jamais perdu de vue le fil conducteur : nous voulions aider des joueurs à raconter une histoire. Car, en ce qui nous concerne, raconter des histoires, on adore ça, mais force est de constater que cet exercice terrifie de nombreux joueurs. Pensent-ils ne pas avoir de créativité ? N’osent-ils pas parler devant d’autres personnes de peur d’être jugés ? Ont-ils peur du syndrôme de la page blanche ? Autant de problématiques que nous avons dû prendre en compte lors de notre développement.

Passons sur les trois premières versions du jeu assez proches d’un jeu de plateau onirique pour arriver directement à la première mouture narrative de notre prototype.

Version 4 (Mai 2021) : le jeu de rôle pour les nuls

L’objectif était au départ d’accompagner les meneurs de jeu qui n’avaient encore jamais endossé ce rôle. Cette version 4 est donc très proche d’un JDR. La narration se situait déjà dans les rêves. Le système se basait sur un lancer de dés spéciaux de différentes couleurs en fonction des caractéristiques des joueurs. On faisait avancer une petite pince à linge sur le paravent pour indiquer où en était l’histoire.

 

 

Version 6.1 (Septembre 2021) : 

Voulant être beaucoup plus accessibles, nous nous sommes réorientés vers un jeu comportant moins de matériel et une durée de partie plus courte. Nous avions alors une boîte semi-transparente dans laquelle les joueurs lançaient les dés. Seul le rêveur ne voyait pas le résultat. Les dés indiquaient comment la narration avançait (ou reculait) en fonction de deux objectifs différents. Le rêveur devait donc deviner sur un tableau à double entrée comment le curseur évoluait.

Cette version a tout changé. Nous avions enfin trouvé ce qui allait faire le sel de Rêvelune : tous les joueurs racontent le rêve d’un seul joueur. Cette position de rêveur permet de créer une “safe place” pour un joueur qui n’aurait pas forcément envie de raconter mais de participer tout de même de façon différente à une expérience narrative.

Les nouveaux objectifs narratifs apportaient un objectif commun pour tous les joueurs, donnant de la structure au récit.

 

 

Version 6.3 (Octobre 2021)

Un mois plus tard, il n’y a plus qu’un seul objectif et on est proche de la version finale. Il n’y a pas encore la dernière phase du jeu, ni les cartes inspiration avec 4 entrées, ni les cartes emprise… Il y a encore du boulot !

 

Versions 7 et 8

Nous amenons au Festival des Jeux de Cannes la version 7.3. Pendant les trois jours, nous la faisons tester à de nombreux éditeurs, tous intrigués…

Le rendez-vous avec Simon de Blam! est pour nous une évidence : ses premiers retours sont pertinents. Il a compris notre projet et sait voir comment orienter le développement du jeu pour l’amener à Rêvelune.

De plus, l’univers assez onirique de la gamme des jeux Blam! nous semble cohérent et en adéquation avec notre jeu. Le développement avec Simon a été fluide et passionnant même s’il a demandé beaucoup de travail afin de rendre le jeu accessible au plus grand public.

 

Les défis mécaniques

Le principal défi des jeux narratifs est leur apparente simplicité. Ça ne semble pas bien sorcier de pousser à raconter une histoire qui tient debout à quelques joueurs en tirant des cartes au hasard. Et pourtant…

Si on joue avec des joueurs qui sont des baratineurs et qui aiment s’écouter raconter n’importe quoi (comme la plupart des rôlistes), tous les jeux narratifs fonctionneront avec eux, même si les règles ne tiennent pas debout, d’ailleurs. Le joueur de JDR à l’habitude de bidouiller ses propres règles : après tout, pour beaucoup, seule l’histoire compte !

Quand on s’adresse à un public non averti, c’est une toute autre paire de manches. 

 

Raconter ensemble

L’objectif de notre jeu est de raconter une histoire mémorable et passionnante, et nous avons très vite opté pour une mécanique coopérative. Ce choix soulève plusieurs difficultés et contraintes. Ainsi, à rechercher un objectif personnel (par exemple un gain de points de victoire), un joueur va bien souvent mettre la qualité de l’histoire au second plan. Ensuite, pour conserver la cohérence du récit global, il est indispensable d’intégrer la poursuite d’un objectif commun comme fil rouge tout au long du jeu (exemple : le rêveur doit réussir à libérer les gentils esprits captifs au fond du rêve). Enfin, il faut prévoir un garde-fou narratif pour conserver une logique d’histoire. C’est pourquoi nous avons prévu deux cartes de contrainte narrative qui demandent de faire avancer l’histoire vers la résolution de l’objectif commun. Ainsi, même si les joueurs font des digressions, régulièrement ils doivent revenir à l’intrigue principale.

 

Le choix de l’univers

Depuis le début du développement, nous avons opté pour un univers onirique. C’est fascinant de raconter un rêve, tout est possible et ce n’est pas très grave si tout n’est pas cohérent. Et c’est tellement libérateur de pouvoir raconter tout ce qui nous passe par la tête ! Une licorne qui sort soudainement d’un buisson rose : aucun problème…

Ainsi le conteur débutant peut se détendre et abaisser inconsciemment ses contraintes de perfection qui souvent l’empêchent de se lancer dans les jeux narratifs. Dompter la petite voix critique intérieure est vraiment nécessaire dans un processus créatif ; avec Rêvelune, cette barrière est levée.

Mais un rêve peut partir dans tous les sens avec des dinosaures, des extraterrestres et des saucisses tueuses… c’est bien vite n’importe quoi. C’est là que Simon de Blam! nous a guidé en proposant de nous concentrer sur un univers onirique féerique et bienveillant un peu dans la veine des univers de Ghibli. Le travail du thème s’est effectué sur tous les éléments du jeu : les cartes inspiration, objectif, départ et même les cartes contrainte, avec notamment celle qui invite à raconter quelque chose de “trop mignon” ce tour-ci.

Enfin, pour contraster avec le côté onirique, nous avons créé les cartes emprise, conséquences d’un tour de jeu raté, qui exigent d’intégrer un élément de la réalité du rêveur (son chien, sa belle-mère, son ex…). Et cela marche vraiment bien !

 

Éviter la page blanche

Stimuler la créativité n’est pas si évident, il a fallu trouver le juste degré de contrainte. Et ça nous a demandé un sacré paquet de parties !

Si un joueur n’a aucune obligation, il va beaucoup plus souvent souffrir du syndrome de la page blanche et ne pas savoir quoi dire. La créativité naît plus facilement de la contrainte ! Utiliser une expression ou une image inspirante, c’est s’aider d’un élément qui va stimuler une zone cérébrale différente de celle qui s’active à la simple évocation du problème initial : dans Rêvelune, raconter la suite de l’histoire.

Mais il arrive qu’un mot n’inspire pas et la contrainte devient alors trop forte : le joueur peut se retrouver bloqué…Pour remédier à cela, nous avons choisi de proposer au joueur d’intégrer un mot parmi quatre qui sont de nature différente : un objet, un personnage, un lieu et un événement. On trouve toujours quelque chose à dire.

Nous avons décidé d’aller plus loin. En plus du mot inspirant, chaque joueur se soumet à une contrainte narrative supplémentaire sur la façon de continuer à raconter l’histoire : une description, une surprise, une trouvaille… 

C’est cette carte que doit “deviner” le rêveur parmi tout un pool de cartes qui change à chaque partie et vient renouveler le plaisir de jeu. Ainsi le joueur voit son intervention rendue la plus facile et la plus spontanée possible. Au final s’il a le mot porte et la contrainte obstacle, il peut simplement dire : “Tu te retrouves face à une porte fermée à clé” pour continuer l’histoire.

 

Les joueurs que nous devons accompagner le plus sont ceux qui pensent dur comme fer qu’ils ne sont pas créatifs. Tout le monde est créatif, il existe plein de types de créativité différents et c’est principalement une question d’habitude. Avec Rêvelune, on a tout fait pour débloquer même les plus timides !

 

Débuter et finir l’histoire

La première intervention du jeu est la plus intimidante, elle fait souvent peur. Il faut un joueur courageux qui va ouvrir le bal sous les regards de tous les autres. Et prendre le risque de se mettre en difficulté face aux critiques de ses partenaires. 

Afin d’aider cette première intervention, nous avons choisi d’intégrer une illustration qui permet de définir le cadre initial : le joueur peut facilement se lancer et poser le début du rêve. On utilise volontairement le terme “se lancer” car il n’y a pas de tour de jeu imposé : rien de pire que le fait d’attendre son tour avec anxiété, on a préféré laisser raconter le joueur qui se sent inspiré.

Finir le jeu est une autre histoire. Pendant longtemps on s’approchait de la fin sans jamais la raconter et les joueurs étaient frustrés. Grâce à un twist mécanique de Cédric Lefebvre à qui Christophe fait tester la plupart de ces prototypes, on peut maintenant raconter la fin de l’histoire qui peut être drôle, triste ou même romantique si vous le souhaitez.

 

La rencontre avec les joueurs

Durant tout le processus de développement avec Blam!, le jeu est testé auprès de très nombreux publics et en particulier auprès de personnes n’ayant pas l’habitude des jeux de type narratif.

Force est de constater que le jeu fonctionne systématiquement s’il est bien accompagné. Et c’est ça toute la difficulté, on ne peut pas livrer un animateur dans chaque boîte de jeu. Il nous a fallu encore une fois reprendre notre copie pour rendre l’expérience la plus fluide possible avec les conseils de Simon de Blam!.

 

Nous constatons aussi que des joueurs qui pensent ne pas aimer ce genre de jeu, s’ils acceptent de prendre le rôle du rêveur lors de leur première partie, ont souvent envie de rejouer pour s’essayer au rôle de narrateur.

Les derniers tests de Blam! provoquant une expérience de jeu intense et mémorable, ils ont décidé de franchir le pas de l’édition : Rêvelune était prêt.

 

 

Alchimie

Rêvelune est une lente fusion de nos manières de créer des jeux, une alchimie qui a pris du temps. C’est joindre nos forces et travailler en coopération qui a permis de trouver un levier, un artifice, bref un jeu qui marche vraiment bien pour plonger les joueurs dans notre petit bout de réalité ludique, de partager notre vision du jeu, de communiquer un petit bout de nos rêves. »

 

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