Carnegie : Construisez votre empire
Carnegie de Xavier Georges chez Quined Games a été lancé sur kickstarter en 2021. Nous en parlions dans cette news. Il est livré en ce moment, après un petit retard dont on commence à avoir l’habitude. Il sortira en boutique en juin, distribué par Pixie Games.
Andrew Carnegie
Je m’auto cite : “Andrew Carnegie était un homme d’affaires écossais qui a fait fortune dans l’industrie de l’acier aux États-Unis. L’homme le plus riche du monde à son époque ! Une parfaite incarnation du fameux rêve américain. L’histoire nous le présente comme un philanthrope qui au cours de sa vie a donné de l’argent à différentes fondations.”
Xavier Georges, l’auteur du jeu, nous explique qu’il s’est intéressé à l’homme et à l’image qu’il a voulu laisser à la postérité, il est bien conscient que le personnage est controversé et on ne peut pas lui faire ce mauvais procès. Néanmoins, le jeu de société étant une œuvre culturelle, je trouve toujours intéressant de faire un pas de côté et de remettre les choses en perspective.
Millionnaire philanthrope c’est un peu antinomique comme concept, et comme toujours la réalité est un peu nuancée. Il aurait donné 350 millions de dollars à diverses fondations, plusieurs bibliothèques portent son nom, des musées, des salles de spectacles. Pour le côté peu reluisant, il était très puritain et pensait le monde selon la théorie du Darwinisme social, c’est à dire en gros qu’il y a une sélection naturelle qui élimine les moins aptes à la survie, ce qui est bien pratique quand on veut conserver un ordre établi et non un partage des richesses (toute ressemblance avec notre époque …). C’est cette idéologie qui a permis de justifier le colonialisme, l’eugénisme et autres joyeusetés en -isme, mais je vais éviter le point godwin :).
L’”inventeur“ de la sélection naturelle, ne l’a jamais théorisée pour l’être humain, il pensait au contraire que la sociabilité et l’empathie ont été prépondérantes dans l’évolution de l’être humain.
D’une certaine façon, je remercie l’auteur pour son jeu qui m’a donné envie de découvrir le personnage et ses multiples facettes.
Le travail de Ian O’Toole sur la cover de la boite du jeu est incroyable, en une seule illustration il nous dit tout ce que représente Carnegie et ce que nous allons réaliser en jeu. Nous voyons le vieil industriel qui signe des papiers sur un bureau qui est à la fois, une bibliothèque et un rail de chemin de fer, sur le côté gauche, des usines, son sceau à la cire appliqué sur la boite du jeu, et tout cela dans un style Art nouveau. Chapeau bas à l’artiste.
Ne pas mourir riche
Nous incarnons des investisseurs qui vont durant vingt tours de jeu, construire leur empire financier, développer leur société, investir et installer leurs entreprises dans les États Unis d’Amérique et surtout dépenser tout leur argent en différentes donations afin de marquer des points de victoire, l’argent ne rapportant rien à la fin de la partie. Une des devises d’Andrew Carnegie étant : « Tout homme qui meurt riche meurt déshonoré ».
Ma petite entreprise
Les joueurs débutent avec leur entreprise symbolisée par leur plateau, ainsi qu’un petit pécule et quelques employés qu’ils vont pouvoir placer dans les différents départements de leur entreprise.
Ceux-ci sont organisés en quatre structures, nous avons les ressources humaines qui vont nous permettre de déplacer les employés dans les entreprises, la direction qui nous permet la production de ressources ou la construction de nouveaux départements dans notre société, la construction qui va nous permettre de nous installer dans les différentes villes des États Unis, et enfin la R&D ou Recherche et Développement qui nous permet de préparer de nouveaux projets ou d’évoluer sur les réseaux de transports dans les quatre zones du plateau (Est, Ouest, Sud et MidWest).
Évidemment, tout est interconnecté, ainsi pour construire des logements, des commerces, des industries, j’aurai besoin de cubes de ressources. L’argent sera nécessaire pour former les employés, sans recherche et développement je ne pourrai pas construire etc …
La mécanique d’actions est proche de Puerto Rico : sur quatre lignes d’actions qui représentent nos quatre types de départements, à son tour le joueur actif va décider quelle action il souhaite réaliser. D’abord, cela va activer un “événement”, c’est à dire la région indiquée, et tous les joueurs qui ont des employés qui ont été envoyés en mission dans cette région vont pouvoir les récupérer, ce qui va leur offrir un avantage en fonction de l’avancée sur la piste de transport de la région, ainsi que des bonus débloqués sur son plateau (argent et ressources).
Enfin il va pouvoir activer dans son entreprise tous les départements du type sélectionné, cela dans l’ordre de son choix. Une fois cela réalisé, les autres joueurs pourront faire de même dans leur entreprise. En dernier point, les joueurs peuvent activer des employés dans leur structure en payant leur coût, ils pourront être utilisés plus tard.
Oui, Carnegie est un jeu avec très peu de temps morts puisque la plupart des actions se jouent en quasi simultanéité. Si “l’événement” indique une donation au lieu de gagner un revenu on pourra dépenser notre argent dans une des donations, elles aussi organisées en quatre groupes : éducation, droits à la personne, aide sociale et santé. Si la première coûte 5$, la suivante coûtera 10 $ puis 15$ etc. Par conséquent les joueurs vont anticiper et surtout avoir de plus en plus d’argent, qu’ils seront tentés de dépenser pour former des employés.
La main d’œuvre
Le nerf de la guerre, ce sont nos employés qu’il nous faudra envoyer en mission pour gagner ressources, argent, et construire les différents projets. Mais c’est surtout en les récupérant que l’on pourra produire nos revenus. Il est crucial de gérer ce va et vient, les envoyer en mission nous offre des ressources, ou des constructions, les récupérer aussi, mais il faut rapidement les affecter dans les bons départements pour les envoyer à nouveau en mission. Le point névralgique du jeu c’est son timing : on l’a vu, à son tour on choisit une des quatre actions qui active une des régions, ensuite c’est le joueur suivant qui détermine l’action que l’on va tous réaliser, jusqu’à la fin du jeu.
Il faut donc bien lire les quatre lignes d’actions, afin d’anticiper ce que l’on va faire, dans quelle région on va s’installer etc. Mais il est également nécessaire de surveiller le jeu des adversaires, pour profiter de leurs actions : s’ils n’ont plus de projet industriel prêt à la construction, il y a de fortes chances qu’ils fassent de la R & D, il sera donc habile de former nos employés dans ce type de département pour les envoyer en mission.
Attention aussi de penser au retour des employés, si vous envoyez un employé en mission dans une région qui ne sera pas activée de suite, il faudra patienter avant de le récupérer. D’une certaine façon, cela m’a fait penser à Barrage et son système de ressources que l’on place dans notre roue et qui revient quand celle ci à fait un tour complet. Notre entreprise peut être développée en y ajoutant de nouveaux départements, certains produisant plus de ressources, d’autres de l’argent, plus de points de R et D etc. Certains donnent des points de victoire.
L’interaction est centrale au jeu, si vous restez le nez bloqué sur votre plateau vous êtes mort (façon de parler hein), non seulement il faut anticiper les actions et les choix des autres, mais il faut aussi réfléchir où l’on place ses projets de construction, car il y a une forte concurrence, sachant qu’en fin de partie il y aura des points de victoire en fonction du nombre de grandes villes reliées, le placement est stratégique pour soi et bloquant pour les concurrents.
De même la table des donations va être le théâtre d’âpres compétitions : premier arrivé, premier servi ! Dommage, vous venez de perdre 12 points, tout cela parce qu’un adversaire a choisi délibérément de vous couper l’herbe sous le pied, il gagnera que 6 points, mais le delta lui est favorable.
Construire son empire requiert plusieurs compétences et donc plusieurs moyens de marquer des points de victoire, certains emplacements sur le plateau rapportent des points, relier les grandes villes peut rapporter de 9 à 36 points si on a développé les pistes de transports, les départements dans notre entreprise rapportent eux aussi des points.
La classe industrielle
L’édition est très propre, les règles très bien écrites, et j’en profite pour dire que cela reste un jeu “expert” selon le terme consacré, mais qu’elles ne sont pas compliquées. L’iconographie et l’ergonomie sont parfaites, tout est rappelé sur le plateau, le travail de Ian o’Toole est incroyable. L’édition kickstarter est magnifique, chaque set de joueurs est rangé dans son set gametrayz avec son argent, ses cubes, ses meeples etc. On évite la sur-édition qui dessert le jeu, tout rentre dans une boîte de taille normale comme celle de Barrage par exemple.
Resté à quai
Carnegie est un jeu sans hasard, tout est connu dès le départ, les donations sont toujours les mêmes. Ce qui va changer, ce sont surtout les tuiles Départements que l’on peut ajouter à nos entreprises, vu que certaines ne seront pas disponibles. Également les lignes d’actions qui vont impliquer un ordre d’actions différent.
Il arrive aussi que l’on rentre dans une spirale négative qui nous donne envie de retourner la table, en effet pas d’argent, pas d’employé formé, pas d’employé formé, pas de projet, et quand c’est comme ça, il ne vous reste plus qu’à essayer de surnager au mieux, mais c’est sans compter sur les actions des autres joueurs qui vont vous enfoncer la tête sous l’eau, plus ou moins malgré eux. Là encore ça me fait penser à Barrage ou Brass, où de mauvais choix dès le départ peuvent être rédhibitoires. Mais c’est aussi la marque des grands jeux, quand l’expérience va faire la différence, quand la courbe de progression est importante et vous donne envie de rejouer.
La version kickstarter et la version boutique différent, il y a plus de contenus plus de tuiles Départements, on peut modifier les donations aussi qui vont changer le jeu, mais en surface, en réalité ce n’est pas cela qui modifie profondément l’expérience du jeu, c’est plus votre maîtrise, votre compréhension du jeu.
Il existe même une version “Un nouveau départ” où l’on débute avec un pécule de 50 $ que l’on va dépenser au début de la partie sur son petit carnet pour avoir plus de cubes, plus d’ouvriers, et même une enchère pour la première place. Cela ne va pas changer fondamentalement le jeu déjà bien riche. Fait rare, cette extension (comprenant les trois modules) peut être trouvée en boutique pour une dizaine d’euros.
Carnegie est très calculatoire, souvent il vous manquera un cube ou un dollar que vous avez dépensé le tour d’avant sans trop y réfléchir, pour ne pas “perdre une action”. On ne peut vraiment pas jouer en dilettante, il faut avoir l’œil sur tout. Une amie est passée complètement au travers de la partie, elle avait l’impression de jouer en évitant l’erreur fatale, plutôt qu’en développant son jeu, elle avait aussi la sensation d’être tout le temps à contretemps des autres joueurs, elle a trouvé aussi le jeu un peu scripté sur cette première partie. (Ce n’est pas une débutante, sur une autre session de jeu elle nous a mis une énorme pile sur Imperial Steam).
À deux et trois joueurs, à la mise en place, nous déposons des jetons de construction d’un joueur neutre sur les villes ainsi que des donations, grâce au deck issu du mode solo. Cela offre une belle tension et une concurrence forte, comme s’il y avait quatre joueurs à la table. Comme il n’y a pas d’autre maintenance durant la partie, ces configurations sont très efficientes, particulièrement à deux joueurs, où les parties sont rapides tout en restant très tendues.
Sélection naturelle
Carnegie (le jeu) parait bien adapté pour survivre à la sélection (naturelle) des joueurs qui doivent choisir dans une offre pléthorique où la compétition est rude. Si vous aimez découvrir les jeux et papillonner vers d’autres titres cela risque d’être un peu aride, surtout si vous jouez avec des joueurs habitués qui ne vous feront aucun cadeau.
Carnegie n’est pas un jeu taillé pour tout le monde, en revanche, si comme moi vous aimez jouer et rejouer à un jeu, le poncer avec votre groupe, alors vous découvrirez un excellent jeu qui ne se dévoile pas à la première partie. Une mécanique de sélection d’action intéressante, ainsi que la construction de son entreprise et de la gestion de nos employés. L’interaction est centrale et le moindre faux pas se paye cash, mais en contrepartie il possède une belle courbe de progression où l’expérience est mise en avant, et c’est peut être le principal.
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frédéric ochsenbein 03/06/2022
Gros coup de coeur sur ce jeu (confirmer par 6 parties jouées en 2 semaines) ^^. Les règles ne sont pas compliquées en soit, facilement expliquées (et en plus le manuel du jeu est un modèle du genre, chapeau bas pour sa rédaction). Simple mais pas simpliste, on est sur du jeu bien expert, sans hasard. Gros point positif aussi pour la tempo du jeu : ca tourne vite, ca tourne bien, pas le temps de s’ennuyer. J’adore également l’interaction du jeu, omniprésente, juste avec le dosage qu’il faut pour que ce soit tendu mais jamais rédhibitoire (faut savoir accepter qu’on peut perdre un paquet de points, mais aussi en faire perdre aux autres Niark Niark) : placement des bâtiments, achats des départements, donations, choix des actions, on est constamment en interaction avec les autres joueurs. Et quel travail d’édition : le matériel est magnifique, les icônes lisibles, le système de réglettes est du pur génie car ce point de jeu aurait pu être très « usine à gaz » alors qu’avec les réglettes c’est limpide. On sent que l’éditeur n’a rien laissé au hasard, chaque aspect a été pensé et travaillé, un modèle du genre. Autre point positif, le jeu tourne parfaitement à 2, 3 ou 4. A 4 on sera surtout dans l’optilisation de son action et l’anticipation de ce que vont jouer les autres (c’est la config que j’aime le moins, un peu plus « chaotique », à 4 le jeu est seulement génial ^^). Fait plus rare sur les jeux de ce gabarit j’ai adoré y jouer à 2 : on se retrouve dans un véritable bras de fer, dynamique et réfléchi. Enfin j’ai raté cette pépite sur Kickstarter et là encore un gros merci à l’éditeur : la version boutique + l’extension propose tout le contenu de la boîte DELUXE. Seul le matériel est un brin en dessous (pas de jeton premier joueur métal, pas de rack de rangement pour les tuiles bâtiments, les jetons ne sont pas gravés,…). Bref une édition boutique légèrement moins belle mais d’excellente qualité tout de même et surtout sans « perte » d’une partie du gameplay.
Cormyr 12/07/2022
Gros coup de cœur aussi par ici. Un jeu de gestion tendu avec pas mal d’interaction. Il est indispensable de surveiller les autres joueurs et ne pas faire attention à ce que pourrait faire les autres peut être fatale. Un jeu de développement et un jeu de réseau avec de l’interaction : du très bon.
Nous ne trouvons pas le jeu scripté (remarque d’une joueuse cité par l’article). Toutes les parties sont vraiment différentes et différentes stratégies sont possibles et dépendront du choix/possibilité de prendre tel ou tel département. La seule chose qui se répète c’est le mouvement initial de ses employés dans ses département. Peu de variation, et on finit toujours sur la même. Faudra qu’on essaie la variante « Un nouveau départ ». Pour le reste, si vous avez toujours tendance à jouer de la même manière, c’est à vous de tenter différentes approches. Pour l’avoir fait, ça change le jeu et elle semble toute valable (pas encore assez de parties pour être totalement affirmatif sur ce point).
Félicitation à l’auteur qui, si il ne fait pas beaucoup parler de lui, produit d’excellents jeu (Carson City, Troyes, …)