Black Angel : Venant de nulle part surgit l’ange noir
Black Angel est une co-création de Sébastien Dujardin, Xavier Georges et Alain Orban, les auteurs de Troyes, l’opus qui a lancé la fameuse maison d’édition Pearl Games en 2011. Un éditeur qui détonne souvent par ses choix éditoriaux et artistiques. Personnellement je suis souvent conquis par le parti pris visuel de leurs jeux. Black Angel est quant à lui illustré par Ian O’Toole, l’un des illustrateurs qui a le plus la cote ces derniers temps.
Nous avons eu la chance d’essayer Black Angel il y a deux ans sur le salon du festival de Cannes dans une version prototype bien avancée (d’ailleurs, un retour avait été publié suite au BGF 2017). Il nous avait fait un sacré effet. Un jeu exigeant (on dit expert) avec une mécanique originale d’expulsion des cartes. Le gameplay offrait un écosystème qui avait un impact sur le jeu des joueurs. Bref, on était bien aguichés.
Entre temps, l’auteur a lancé sur orbite un autre titre, plus épuré, pour ainsi dire familial+, avec cette même mécanique d’expulsion. Solenia était né. Attention, on peut être tenté de rapprocher les deux opus, ils ont quelques gènes en commun au départ. Mais au final hormis la mécanique d’expulsion des cartes, les deux titres n’ont rien à voir. Il fallait que ça soit dit.
Deux ans après nous voilà avec la boîte dans les mains. Tous à bord du Black Angel, à la recherche de notre terre promise..!
Cap sur Spes
Toute ressemblance avec la réalité est purement fortuite bien entendu. L’humanité fuit notre planète bleue. Guerres, épidémies, surexploitation ? Celle-ci est devenue inhabitable. Le Black Angel est piloté par une IA et cherche une nouvelle planète. Dans un éclair de lucidité, avant de disparaître, les nations ont placé à l’intérieur de ce vaisseau tout le matériel génétique pour donner une dernière chance à l’humanité. Cap sur une planète jumelle de la terre : Spes.
Devenez une IA
Chaque joueur incarne une de ces IA, pas si intelligente que ça manifestement puisqu’elles veulent toutes être celle qui aura la plus grosse (intelligence) !
Vous allez explorer l’espace, découvrir de nouvelles technologies et réparer les avaries d’une entité extraterrestre qui nous veut du mal : les ravageurs.
Le jeu se scinde en deux plateaux centraux. L’un d’eux représente le cosmos et est composé de bandelettes comme dans Solenia, le Black Angel trônant en son milieu.
L’autre plateau représente l’intérieur du vaisseau et ses modules où nous allons interagir.
Quand nous ne pouvons (/ne voulons) plus agir dans le vaisseau, nous réinitialisons notre programme et c’est ainsi que le Black Angel avance : nous enlevons alors une bandelette que nous plaçons à son extrémité, et on a la sensation d’avancer… jusqu’à la terre promise.
Dernier élément : chaque joueur possède aussi son plateau de technologie, mais nous en reparlerons plus tard car il a aussi son gameplay particulier.
Mettons les mains dans le moteur du Black Angel
Notre vaisseau commun est composé de plusieurs modules que l’on active avec nos dés.
Nous avons des dés de couleur (vert, jaune, bleu) qui sont de valeur 1, 2, 3 ou même zéro. Plus la valeur est importante et plus l’action sera forte. On va les poser sur une des 6 zones du vaisseau pour réaliser les actions.
À chaque tour on devra soit jouer un dé présent dans notre zone ; soit réinitialiser pour récupérer ses dés.
Zoom sur les actions
Nos dés sont placés dans les modules du vaisseau, pour principalement envoyer nos navettes dans l’espace avec un petit robot IA, pour l’activer plus tard, ou bien pour s’occuper de la gestion du vaisseau, dans l’intérêt du bien collectif : détruire les ravageurs ou réparer les avaries du Black Angel mais aussi pour apprendre de nouvelles technologies.
Les cartes missions sont placées dans le sillage du Black Angel pour bénéficier de leurs bonus quand elles seront expulsées, ou bien au contraire plus en avant, pour envoyer un de nos vaisseaux pour les activer. C’est ici que l’on va planifier notre jeu, mais aussi nous adapter aux actions des autres. Car rien ne nous empêche d’aller envoyer un de nos vaisseaux sur la carte d’un autre joueur, dans le but de bénéficier du bonus. Parfois ça lui offrira un avantage si on active une de ses cartes (tout n’est pas perdu).
Technologique
Nous avons aussi un plateau devant nous qui représente nos connaissances. En effet nous allons y placer nos tuiles de technologies. Au début de notre tour, on peut poser une de nos cartes en abscisse ou ordonnée sur notre plateau, ce qui nous permettra d’activer toutes les tuiles de la même couleur de la carte, pour gagner des navettes, des ressources (robots ou cristaux ou des déplacements), ou tout simplement des points de victoire. On ne pourra plus placer de cartes sur cet emplacement tant que l’on n’aura pas réinitialisé.
Mais ce n’est pas tout. Ce plateau est aussi un joli pourvoyeur de points. Quand on récupère des tuiles technologiques, elles entrent par un des côtés du plateau et poussent les autres tuiles. Certaines d’entre elles donneront des points en fin de partie selon une condition que l’on s’évertuera à fructifier. Cela apporte des dilemmes puisque nous ne pourrons plus activer les tuiles qui sont sorties de notre plateau. Le bon côté des choses, c’est que c’est nous qui construisons notre moteur de points de victoire !
Écosystème galactique
Quand on pose une carte sur le plateau espace où évolue le Black Angel, cela attire des ravageurs. Concrètement, on va piocher autant de cartes ravageurs que de symboles adjacents à la carte mission que l’on vient de poser.
Les cartes ravageurs sont tirées au hasard et chacune d’elles va endommager un des secteurs du vaisseau. On place alors un petit cube rouge sur la section et la carte ravageur nous indique un malus qui impactera tous les joueurs voulant faire cette action. Par exemple, si je souhaite poser une carte jaune avec mon dé jaune de valeur 3, je dois d’abord défausser une carte (sinon je perds un point de victoire). Mais en plus, s’il y a deux cubes dégâts sur une même zone, cela réduit la valeur de mon dé de un. Déjà que la vie est compliquée …
Ceci étant, c’est aussi ce qui valorise nos actions de maintenance dans le vaisseau. Détruire des ravageurs nous permet de prendre les cartes idoines que l’on pourra utiliser sur notre plateau personnel comme un joker. Récupérer des débris nous permet d’activer nos tuiles (en y plaçant le débris) et plus tard de le récupérer pour retourner un dé sur sa face opposée.
Si je ne peux ou ne veux jouer un dé, je réinitialise. Ceci a pour effet de reprendre mes dés que je relance et place dans mon secteur. Je peux éventuellement en réserver un. Car oui, l’interaction se situe là, comme dans Troyes, on peut acheter les dés des autres joueurs et on ne pourra pas en modifier la valeur.
L’action de réinitialisation a pour autre effet de faire déplacer le vaisseau. Dans ce cas, on enlève la première bande qui compose le plateau, on la retourne et on la place à l’autre bout. C’est le timer du jeu : au bout d’un certain nombre d’avancées la partie se termine.
Les cartes qui sont placées sur la bande que l’on vient d’enlever sont expulsées et du même coup activées. Elles offrent des points de victoire et/ou des ressources aux joueurs qui ont placé un vaisseau dessus, à nous de bien gérer cet élément.
Réminiscence du passé…
Beaucoup tentent de comparer Black Angel à Solenia qui lui est postérieur à cause de cette mécanique de bandelettes et d’expulsion, mais il faut aller chercher la paternité de Black Angel dans le premier jeu des auteurs : Troyes.
Dans Troyes, nous devions réaliser des actions avec nos dés ouvriers. Comme avec le Black Angel les dés étaient de 3 types (jaune, blanc et rouge). La principale innovation venait du fait que l’on pouvait voler un dé (on dit acheter ^^) à un adversaire ce qui offrait une interaction intéressante bien qu’un peu frustrante. Le but était de participer à l’essor de la cité médiévale ainsi qu’à la construction de la cathédrale. Mais à chaque début de tour, des événements surviennent : Invasions, sécheresses, épidémies qu’il faudra gérer en fin de tour.
Vol des dés, événements, et cet écosystème : voilà où se situe la parenté. Mais bien sûr les deux opus ont aussi leurs différences. Dans Troyes chaque joueur commence avec un personnage secret qui offre des points à tous en fin de partie si la condition est atteinte. Petit twist délicieux, car on essaie de cacher son objectif tout en tentant de deviner ceux des autres pour grappiller quelques points. Si la boite est à mon goût un peu quelconque, j’adore le plateau qui représente les quartiers de la ville de Troyes protégés par les fortifications.
Retour en Hyperespace
Mais revenons à bord du Black Angel. Voilà un jeu exigeant qu’il ne faut pas placer entre toutes les mains. En effet, la composante de ces trois plateaux (Cosmos, intérieur du vaisseau et notre plateau technologie) nous perturbe assez vite sur la première partie et on peut se sentir un peu… “Lost in space”.
Le thème s’efface assez rapidement malheureusement, malgré ce magnifique vaisseau. On a du mal à savoir ce que l’on fait, les actions sont assez abstraites, ce qui ne favorise pas vraiment la compréhension. De plus l’iconographie est très abondante, et pas toujours claire.
Le plateau individuel qui nous permet de placer nos tuiles technologies comporte une mécanique bien pensée, mais là encore c’est très abstrait et peu thématique. On ne voit pas vraiment en quoi ce sont des technologies. Autre élément inélégant : nos dés peuvent être modifiés avec des débris. On ne valorise que peu des dés de valeur 1, il vaut mieux faire des 3, même si on risque de nous les piquer. Finalement le mieux reste un dé 1 que l’on retourne sur sa valeur 3 quand on l’utilise.
L’écosystème du jeu s’avère vraiment intéressant, il nous évite de jouer avec un plan en tête qu’il ne nous reste plus qu’à dérouler. Au lieu de cela, il va falloir s’occuper des avaries du Black Angel. Malheureusement souvent cela pénalise l’expérience de jeu : si on n’y prend pas garde, on oublie un élément qui peut fausser la partie et cette forte maintenance demande une organisation très stricte qui nous sort du jeu.
Il existe aussi un aspect frustrant quand le hasard perturbe votre jeu : l’action que souhaitiez réaliser va être beaucoup moins intéressante que prévue. J’ai eu des joueurs à ma table qui ont assez mal vécu l’expérience et on a beau leur démontrer qu’en réalité tout le monde le subit de façon plus ou moins égale, c’est le sentiment d’injustice qui va prédominer. On ne peut pas se battre contre un sentiment, même avec des faits.
Si j’ai énuméré les éléments qui nous ont dérangé, ne croyez pas pour autant que je n’ai pas apprécié mes parties. Black Angel est tout sauf lisse. Il demande à être apprivoisé pour accepter toutes ses aspérités.
Du caractère
Commençons par le plus évident, sa plastique. Je me répète, comme chaque jeu Pearl Games, Black Angel a son identité visuelle assumée et tranchée.
Ici elle est portée par Ian O’Toole et d’ailleurs comme souvent avec cet illustrateur, c’est magnifique, mais pas toujours lisible malheureusement. Les robots, les extra-terrestres tout cela respire la science fiction des années 70 et ce n’est pas pour me déplaire. Le matériel est de très bonne qualité, mention spéciale à cette figurine du Black Angel que l’on prend plaisir à voir évoluer et nous aide à nous immerger dans cet univers. Nos vaisseaux paraissent ridicules à côté.
Concernant le jeu, et surtout sa mécanique il vous faudra plus d’une partie pour comprendre les tenants et aboutissants. Il faut essayer de maîtriser le tempo du jeu, sentir quand le vaisseau va avancer. Optimiser ses actions en les combinant au mieux sur son propre plateau. Anticiper, planifier, mais s’adapter au jeu des adversaires, particulièrement quand ils créent une opportunité et s’y engouffrer.
Le timing est important, les combos aussi. J’ai une préférence pour les règles avancées qui complexifient un peu plus un jeu qui ne manque pas d’épaisseur, mais qui ajoutent aussi un peu plus de contrôle et de combinatoire. Un vrai un côté jouissif quand on domine la bête. Chaque session que nous avons réalisée nous a permis d’essayer de nouvelles stratégies, et l’on s’aperçoit que la bête démontre une réelle profondeur.
On peut marquer des points grâce à son plateau technologie, en activant des cartes pour produire des ressources que l’on transformera en PV avec une autre mission, en plaçant des cartes que l’on va expulser. 6 sessions plus tard, nous avons essayé des stratégies diverses à chaque fois avec des résultats différents. C’est très tendu, il nous manque souvent un vaisseau, ou un robot, à moins que ça ne soit la valeur du dé qui ne convient pas. Certes, nettoyer le Black Angel donne l’impression que l’on travaille pour les autres, mais avec les bonnes tuiles de technologies on peut aussi les valoriser.
Dans la version avancée, les tuiles technologies sont placées sur leur recto et nous donnent des bonus quand on les active, nous permettant de réserver un dé, retourner un dé sur sa face 3, etc.
Black Angel est un jeu que nous avons beaucoup apprécié après plusieurs parties. Certes son thème est un peu transparent, mais il offre une mécanique forte, un peu indigeste au premier abord, mais qui mérite de persister. Bref, un jeu expert clivant qui demande de l’investissement. Certes il ne va pas plaire à tout le monde (une telle chose existe ?), mais possède un certain charme, du caractère, des aspérités, du relief. Les auteurs avaient annoncé travailler sur une version « campagne » du jeu avec des scénarios, peut-être une version coopérative aussi… Sébastien Dujardin nous en parlait dans cette interview. Espérons que cela reste d’actualité, le titre le vaut bien.
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