1001 îles – Fabrique-moi une oasis !
Certain(e)s d’entre vous ont peut-être connu Le Petit Prince : Fabrique-moi une planète, un jeu d’Antoine Bauza et de Bruno Cathala, paru chez Ludonautes en 2013 (et dont voici notre Test). Neuf ans plus tard, les mêmes auteurs et éditeur nous proposent une réédition, ou plutôt une nouvelle version de ce jeu de placement de tuiles et de collection, entièrement revisitée et relookée.
Dans 1001 îles, vous êtes les enfants de Simbad le marin et vous donnez le défi d’explorer les 1001 îles et de retrouver les trésors de votre père. Celui ou celle qui fera le plus rêver ses frères et sœurs sera déclaré(e) vainqueur. Pour un aperçu rapide du jeu, allez voir notre Ludochrono.
L’édition, aïe aïe aïe…
Avant d’aller plus loin, commençons tout de suite par les choses qui fâchent. L’édition est pour moi l’unique et gros point négatif du jeu. Cela a été un frein pour parvenir à convaincre mes partenaires de jouer avec moi, simplement à cause de l’aspect visuel. Cela dit, j’ai joué avec des ados qui ont montré beaucoup moins de réticences de ce côté-là.
Côté qualité du matériel, c’est du bas de gamme. À l’instar des jeux de plateaux des années 80, les points de liaison entre les tuiles et le punchboard persistent après le dépunchage et laisseront de vilains picots tout autour d’elles. De petits morceaux s’arrachent même parfois, oh joie. Le rendu une fois les tuiles extraites est « cracra ». On est bons pour sortir la lime à ongles. Il me semblait que l’on ne voyait plus cela de nos jours.
Côté direction artistique, pas mieux. J’essaye de trouver une raison qui pourrait expliquer certains choix. Mais la touche simpliste, voire naïve, ne me parait pas convaincante. On connaît Marie Cardouat pour son grand talent d’illustratrice que je ne remettrais nullement en question (la preuve sur son blog).
Je ne suis d’ordinaire pas très regardant sur le matériel et porte largement plus d’intérêt sur les mécaniques et le thème, mais j’avoue avoir réfléchi à deux fois avant d’avoir cherché à découvrir 1001 îles. La suite de cet article vous montrera que je n’ai malgré tout pas été déçu. Saint Exupéry nous dit bien que l’essentiel est invisible pour les yeux, mais quand même : le visible, ça compte !
Cela dit, notons que les règles sont concises et parfaitement écrites, sans aucune ambiguïté.
Petits coups vaches entre amis
Le principe du jeu en quelques mots : chaque joueur devra constituer son plateau de jeu en y déposant tour à tour une tuile, jusqu’à un total de 16 : 4 tuiles Contrat et 12 tuiles Ile. Le gagnant sera le joueur marquant le plus de points. Les contrats exigeront la présence en quantité forte (palmiers, singes…) ou maîtrisée (lampes, serpents) de certains motifs présents sur les tuiles Ile.
Les joueurs joueront à tour de rôle. Chaque tour de jeu commence par un « draft ouvert » : le joueur choisit une des quatre piles et révèle autant de tuiles de la pile qu’il y a de joueurs. Il en choisit une, puis désigne le prochain joueur qui pourra faire son choix entre les tuiles restantes. Ce dernier fera de même puis désignera un successeur et ainsi de suite… Jusqu’au dernier qui n’aura d’autre choix que de prendre la tuile que les autres lui auront laissée. Pour compensation, celui ou celle-ci jouera en premier lors du prochain tour. On remarque vite que le jeu est aussi drôle que coquin. Laisser la tuile pourrie au dernier joueur, c’est vieux comme le monde, mais toujours aussi fun.
L’analyse des plateaux adverses sera donc primordiale mais bénéficiera d’une bonne lisibilité, pas de prise de tête. Vous ne pourrez donc que difficilement jouer dans votre coin, sans interaction. Il faudra forcément mettre des bâtons dans les roues de vos adversaires, les empêcher d’accéder aux tuiles qu’ils convoitent, sinon le jeu perd son sens.
Il y aura par ailleurs un peu de complicité avec vos adversaires jouant juste derrière vous. S’ils lisent bien le message laissé par vos tuiles, ils comprendront à qui laisser votre cadeau moisi.
Oui, car les points ne sont pas simplement cumulatifs. Certains contrats vous demanderont d’avoir le moins de motifs possible d’un certain type (contrat serpents), ou alors le nombre exact de motifs (contrat lampes). Pire, les lampes magiques ont un effet spécial. En cumuler plus de deux vous fera perdre deux de vos tuiles. On essayera donc parfois de forcer un joueur ayant déjà posé deux lampes à en saisir une troisième, notamment par le machiavélique stratagème cité ci-dessus !
Outre la simplicité, le jeu bénéficie d’une bonne lisibilité et d’une grande fluidité.
La variante à deux joueurs
Je distingue le jeu à deux joueurs dans cet article, car les mécaniques et sensations diffèrent très significativement. Si vous comptez acheter 1001 îles pour jouer à deux, sachez qu’il ne s’agit pas tout à fait du même jeu, mais d’une adaptation du jeu classique. Je vous explique pourquoi.
Premièrement, le draft n’est plus ouvert. À son tour, le joueur pioche secrètement trois tuiles de la pile, puis en garde une qu’il place sur son plateau. Enfin, il propose les deux restantes à son voisin de gauche : une face visible et l’autre face cachée. Tout le sel du jeu est là. Comment faire tourner en bourrique mon adversaire ? Vais-je lui montrer la meilleure tuile des deux restantes ou bien lui montrer la moins bonne ? La façon de réfléchir n’est plus la même.
De fait, le jeu à deux sera plutôt basé sur l’espièglerie. On cherchera à berner son adversaire, jouer avec sa tentation de retourner la tuile cachée, plutôt qu’en faire un souffre douleur. Le jeu à deux apporte cet effet « surprise », absent du jeu à trois ou plus, mais dans l’ensemble, il perd son identité première. Pour moi, 1001 îles est plus divertissant et exploite son plein potentiel à troiss ou quatre joueurs. À cinq, il sera un tantinet trop long, car on attend chacun son tour.
L’évolution depuis Le Petit Prince
Pour ceux qui ont connu la précédente version du jeu, voici les points essentiellement mécaniques qui ont été modifiés avec cette nouvelle édition (pour un peu plus de détails, voir la page éditeur) :
- Les points apportés par les tuiles et les objectifs (tuiles Rêve) ont été révisés.
- La pénalité apportée par la pose de trois lampes a été amoindrie (deux tuiles retournées au lieu de trois anciennement avec les baobabs).
- De nouveaux types d’objectifs ont été ajoutés, diversifiant le gameplay :
- Objectifs en ligne ou en colonne : plus on a de gemmes différentes sur une ligne ou colonne, plus on gagne de points.
- Un objectif commun à tous les joueurs : le couplage Oiseau Rokh + Œuf rapportant 7 points par couple (c’est beaucoup !).
- La lecture du plateau de jeu sensiblement améliorée, avec les objectifs à gauche. Auparavant, ils étaient disséminés aux angles pour donner aux tuiles une forme de planète. Je vote pour cette nouvelle approche plus lisible !
En résumé, sur le plan des mécaniques et des sensations, le jeu a été bonifié. Personnellement, je porte une attention toute particulière aux jeux réédités plusieurs fois avec une révision ou un ajustement à ces occasions. Une première version n’est pas forcément la meilleure, et lorsqu’un auteur décide de retoucher la mécanique de son œuvre, c’est qu’il a de bonnes raisons de le faire. En général le résultat est plaisant, le produit affiné avec le temps à la manière d’un bon vin.
C’est apparemment une démarche récurrente chez Bruno Cathala, avec par exemple Cléopâtre et la Société des Architectes (je vous en parlais dans ce Just Played), Jamaica (voir le Just Played d’El Gringo), ou encore Sobek 2 Joueurs, inspiré d’une précédente version multijoueur (voir le Just Played d’Atom). Dans tous les cas cités, les versions mises à jour ou revisitées ont été visiblement bien accueillies par le public. En tant qu’amateur de belles mécaniques rodées, je ne fais pas exception. Je me réjouis du succès de ces jeux peaufinés, sublimés, et je salue le travail accompli !
En résumé
À l’approche et à l’ouverture de la boîte, tout laissait penser que 1001 îles ne ferait pas long feu sur mon étagère : un jeu qui a la jaunisse, des couleurs et un style graphique qui ne me reviennent pas, une édition plutôt bâclée, il faut l’avouer. Si l’on fait fi de cela, on découvre un jeu de collection bien ficelé, simple mais pas simpliste, avec une interaction forte.
À trois joueurs et plus, le jeu est aussi méchant qu’amusant. Laisser la tuile moisie au dernier joueur a un goût machiavélique, qui prête volontiers à la douce vengeance. Sauf si la personne est susceptible, elle se laissera prendre au jeu. Quelle que soit la configuration, un public jeune aussi bien qu’adulte pourra y adhérer et jouer à armes égales.
La variante à deux joueurs propose un jeu différent. Il n’est plus méchant mais simplement taquin. On laisse son adversaire choisir entre une tuile visible et l’autre cachée. L’idée apporte toujours son lot de coups espiègles et de petites surprises, mais on s’amusera sans doute moins qu’à trois ou quatre joueurs, la configuration idéale à mon avis. À cinq, la partie sera quelque peu longuette.
Enfin, 1001 îles a été révisé, bonifié par ses auteurs depuis sa première version, ce qui n’est pas une moindre chose. Seul le thème des 1001 nuits, bien que sympathique, n’est à mon sens pas adapté à l’esprit chafouin émanant des parties.
En une phrase : 1001 îles est un petit élixir dont la substance est de bien bonne qualité, maintenant serez-vous séduit(e)s par la bouteille ? je vous en laisse juges !
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Starfan 08/12/2022
Bonsoir,je n’ai pas eu ce problème de tuiles mal dépunchées avec ma boite. Et je trouve le jeu très lisible et plutôt joli. C’est clairement un jeu à sortir à partir de 3 joueurs car c’est très méchant avec une belle interaction.
Groule 09/12/2022
Curieux, je ne suis pas le seul à qui s’est arrivé. Mais merci de ton retour !
(et oui le style est une affaire de goût)