Autopsie d’une cover #2 : Dead of Winter
Je suis devant ma ludothèque et mon oeil balaie les covers en attendant de savoir laquelle sera ma prochaine victime de dissection… Dead of Winter, au départ, ne retient pas trop mon attention. Elle a quelque chose, c’est sûr, mais c’est pas le gros coup de foudre. Pourtant, je m’approche, et là… Je la regarde vraiment.
En fait, je sais de quoi je vais parler.
Walking Dead of Winter ?
Tout d’abord, comment ne pas penser à Walking Dead (la BD) quand on regarde cette galerie de protagonistes ? J’ai presque l’impression de voir le personnage de Michonne (qui aurait tourné zombie) en bas à droite.
Michonne avant et après la morsure fatale, non ? En tout cas ses pupilles blanches sont flippantes.
D’ailleurs comment ne pas penser à Walking Dead quand on pense à Dead of Winter ? Je ne connais pas les inspirations de Isaac Vega & Jon Gilmour mais maintenant que j’y songe, cela me paraît évident. Dans l’un comme l’autre, le héros est une communauté qui doit survivre dans un monde post-apo envahi de morts qui marchent… Mais, ces morts-là ne servent qu’à mettre la pression, à sortir les humains de leurs zone de confort et à les pousser dans leurs retranchements. C’est ce qui se passe au coeur même de la communauté – les relations et les trahisons entre les hommes – qui retient l’attention et maintient le souffle court. La communauté sert bien sûr à incarner l’humanité toute entière : il suffit de regarder la diversité des physionomies (âge, origine, sexe, on a un joli panel). En tout cas, le style graphique et la composition de l’ensemble façon trombinoscope (mettant bien sûr l’accent sur le groupe) rappellent le trait de Tony Moore, et inspiration consciente ou non, la filiation est là.
Une communauté qui ne va pas… fort fort
Regardons ces paires d’yeux. Regardons ces expressions (surprise, qui-vive, inquiétude, méfiance, détermination… On a 15 personnages et autant d’émotions), observons ces regards en biais, ces appréhensions, ces tensions qui semblent se tirer comme des fils entre eux…
Des fils… Une autre image me frappe soudain : celle d’une toile d’araignée. Au centre, le « prédateur » incarné par le titre tâché de sang, tandis que tout autour s’articulent les protagonistes, comme pris au piège, voire aspirés par ce centre, ce nuisible. Dead of Winter est basé sur ce contexte là. Nos personnages sont englués dans une colonie, sorte de huis-clos dangereux où il faut survivre coûte que coûte, mais tels des insectes collés aux fibres arachnides, chacun est empêtré dans ses problématiques. Pourtant, le compte à rebours menaçant est là, au centre (de nos préoccupations et de la cover) et il faudra agir vite, bouger, suivre ces fils qui nous relient aux autres et trouver une issue ensemble. Les fils sont donc à la fois ce qui nous relient, notre seule échappatoire, tout en étant notre piège, notre ruine. On aimerait faire cause commune, mais l’illustration de Fernanda Suarez est explicite : chacun regarde dans sa direction, et chacun est dans sa case.
D’ailleurs, si vous voulez savoir comment tout ça va finir, observez les compositions des faciès de nos protagonistes sur la cover, pris au piège de cette toile froide et sanglante : ils sont déjà découpés, déchiquetés. Condamnés.
Un mot sur le sang : discrètement craché en gouttelettes fines, il insinue une mort violente (je ne suis pas spécialiste dans les taches de sang et projections sanguines mais quand même). Il tache même le visage de certains protagonistes, qui, à notre œil, apparaissent ainsi comme blessés. On n’a pas commencé la partie qu’on a déjà pris cher ! Notons que c’est assez rare d’avoir du sang sur une cover. C’est assez trash, faut dire, et ça permet de cibler son public au passage. En même temps, ça sous-entend qu’il y aura des morts, oui mais qu’il ne s’agit pas d’un jeu de baston frontale : ces fines gouttes nous disent que c’est plus vicieux, plus malsain que ça.
Quant au givre dur (présent dans les lettres massives du titre lui-même surgissant du néant noir), il suggère une mort lente. Le froid, c’est quand même plus dangereux que le printemps surtout dans un monde post-apo. On a donc notre décor, on sait que l’hiver sera rude comme dans un épisode de Game of Thrones.
Bref, givre et sang : nos héros sont mal barrés car les menaces sont à la fois internes et externes, chaudes et froides, viscérales et atmosphériques.
En tout cas, les yeux de ces protagonistes nous racontent déjà le coeur du jeu : un jeu « de survie psychologique coopératif ou semi coopératif » (coopératif ou semi coopératif : on ne sait pas trop, vous êtes prévenus). Mais « psychologique », sérieux ! C’est pas tous les jours qu’un jeu se définit comme ça tout de même. Cela méritait bien un zoom sur les yeux, miroir de l’âme. Miroir ? Vous avez dit miroir ? Ouh la oui…
Dead of Winter : jeu de miroirs
Dans toute œuvre narrative, le personnage est le miroir romanesque sur lequel vous vous projetez. Quand la personnification du héros se concrétise via un véritable miroir, comme ici, on nage en pleine mise en abyme. C’est déjà quasiment du méta-jeu. Sans oublier que depuis le mythe de Narcisse jusqu’aux poètes symbolistes, la figure thématique du miroir a toujours poussé les hommes à réfléchir (passez-moi l’expression). Aujourd’hui, le miroir – et notamment le miroir brisé, comme ici – est une allégorie devenue classique au cinéma, permettant aux cinéastes d’aborder les thèmes du mensonge, de la duplicité, de l’altérité, du simulacre, et tous les reflets d’un inconscient perturbé. Ah, ça tombe bien. Les personnages que vous incarnerez ne sont psychiquement pas très francs du collier. Et puis disons-le, jouer plusieurs personnages, n’est-ce pas déjà un gameplay carrément schizophrène ?
En tout cas, permettez, mais là, vous êtes pas beau à voir. Tantôt apeuré, aux aguets, ou pris au piège, voire zombifié, voilà les héros qui vous attendent, voilà aussi les états par lesquels vous passerez pendant une partie.
Cette division et cette multiplicité donnent beaucoup d’indices sur l’expérience de jeu. Seriez-vous un peu torturé par des aspirations contradictoires ? Oui, bon, au moins, vous ne serez pas surpris en découvrant les objectifs secrets totalement égoïstes ou autres pulsions de sabotage que vous devrez jouer. Chacun tente de tirer la couverture à soi, si j’ose dire.
Bref, avoir une cover qui vous tend un miroir, c’est pas si courant, cela vous intègre au jeu et vous en dit déjà long sur l’ambiance ainsi que le genre d’expérience qui vous attend.
De vous au cœur du jeu, par ce miroir (« Through the Looking-Glass »), vous voilà plongé malgré vous dans une métaphore complète.
Mon âme, hélas ! maison d’ébène où s’est fendu, sans bruit, un soir, le grand miroir de mon espoir. (E. Verhaeren)
Allez, tout petit florilège, pour le plaisir…
À la croisée des chemins
Le petit sous-titre au nom du jeu (« a Crossroads game » couleur sang, what else ? En plus c’est assorti au logo éditorial) vient faire écho aux multiples sillons du miroir qui dessinent autant de chemins, de lignes s’étirant, se brisant, piquetant, jalonnant les visages. À la fois brisures de miroir, cristaux de givre, fils de l’araignée et fils du destin, ces stries nous indiquent que les vies en jeu vont connaître des parcours tragiques : en tout cas, toutes les routes mènent au titre… qui sonnent comme un très mauvais présage. DEAD. Of. Winter. Heu, dites, d’ailleurs, c’est les morts-vivants les « Dead » dont on parle là, hein ? À moins que… En fait, on nous le dit clairement : vos personnages vont mourir. Ne vous y attachez pas.
Et je repose mon scalpel
Finalement il y en avait à dire sur cette cover de la très talentueuse Fernanda Suarez. La composition globale, à la fois miroir et toile, donne des indices frappants sur l’atmosphère et le genre de situations qu’on va devoir affronter en tant que joueur. Ces héros à la Walking dead sont tous dans le même guêpier, proies du titre, et ils sont physiquement reliés par ce péril qu’ils doivent affronter. Malheureusement, ça ne sera pas si simple : on voit clairement les divisions, les cassures, la dislocation, les peurs, le sang : leurs présences ne les rassurent pas les uns les autres, mais agissent comme une multitude d’autres menaces potentielles. Il n’y a pas d’absolution dans Dead of Winter. Le joueur est livré à lui-même, dans un gameplay de traîtrise schizophrène et égoïste, et comme dans les tragédies grecques, la mort est au bout du chemin. Rares sont les parties où vous ne perdrez pas au moins un de vos personnages. Vous profiterez au mieux de leur capacité jusqu’à ce qu’ils tombent. Oui, c’est glauque, mais vous serez obligés de vous y faire, de vous détacher, comme ils le font déjà entre eux. La cover vous prévient : le véritable héros c’est le groupe (le votre, et plus largement, la colonie). On sait que vous allez passer par tout un panel d’émotions, on sait que les croisées des chemins vous poseront des dilemmes tragiques, mais ce qui se joue ici dépasse l’individu. On parle de survie, mais de survie de l’espèce. Après tout, les zombies, c’est un peu le jeu de la sélection naturelle. Comme Dead of Winter : un jeu cruel.
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Zuton 26/04/2015
Superbe et intéressante nouvelle « autopsie » ! Bravo !
Y’en avait à dire sur cette cover qui reflète déjà l’atmosphère du jeu !
A noter que la cover du jeu s’étend jusqu’aux 4 bords de la boîte contenant les mains menaçantes verdâtres des zombies, formant une même et seule illustration comme on peut le voir en 2D par ce lien. NB : je fais le savant alors que je viens juste de le découvrir en parcourant le site de l’illustratrice Fernanda Suarez dont les talents graphiques sont impressionnants ! La preuve, aller visiter son site qui regorge de belles illustrations avec un très bon rendu. Elle a travaillé sur un autre projet ludique récent et prometteur : Ashes – Rise of the Phoenixborn, un jeu de cartes / dés de Isaac Vega dans un univers fantastique/magicien qui est en pré-commande chez PlaidHat Games : la fiche du jeu ici., et la news ici. Des nouvelles fraiches comme une VF concernant ce jeu qui fait terriblement envie ?
Pour en revenir à la cover de Dead of Winter, il est vrai que les regards apeurés des héros sont plutôt flippants ! Le seul personnage qui dénote un peu en étant légèrement hors sujet serait peut-être la blonde à lunettes en haut à droite (la bibliothécaire à confirmer, je ne possède pas le jeu) : elle me semble un peu trop sûr d’elle avec sa moue satisfaite et tranquille. Ou bien aimerait-elle les morsures des zombies ? Se sentirait-elle invulnérable dans sa bibliothèque ?
En tout cas, l’article est motivant pour tenter une nouvelle aventure de ce jeu, même si j’avais été déçu pas l’aspect narratif mis en avant (cartes type « la chemin des croisées ») et finalement pas assez présent car applicable seulement selon certaines conditions comme la présence en jeu de personnages spécifiques !
Shanouillette 26/04/2015
Merci ! Oui Fernanda est une artiste de talent et malheureusement pas de nouvelles pour la vf de Ashes ! Concernant la bibliothécaire, pour moi, elle est sûre d’elle parce que genre elle prépare un sale coup tordu pour se sortir de là ! C’est une juste remarque pour les bords, je n’ai pas poussé l’autopsie aux côtés mais c’est sur que l’effet est saisissant !
Alstar 26/04/2015
Encore un excellent article sur les covers ! bravo !! J’attends déjà avec impatience le #3…
l’image en 2D fouinée par Zuton est bluffante et ajoute un vrai plus à l’aspect horde en passe de tous les tuer… La situation est critique et ça se sent vraiment !
Quant à l’inspiration venue de Walking Dead, c’est une telle évidence pour moi qui suis fan de la BD que ça en devient paradoxalement le point faible du jeu : genre j’ai tout pompé mais je l’assume pas vraiment. Ce jeu aurait dû s’appeler Walking Dead, tout simplement, puisqu’il en a le thème, la trame, la psychologie, l’univers, les monstres, les armes… Absolument tout EST Walking Dead dans Dead of Winter.
Ça n’en reste pas moins un très bon jeu.
atom 27/04/2015
Et voila elle a récidivé, super boulot, vraiment intéressant, dans une vie passée j’ai fait de la com et j’aimais bien l’analyse publicitaire; la on voit que tu maitrises ton sujet, c’est passionnant mais que sera le suivant y’en a tellement a vrai dire. Je ne vais plus ragarder mes boites comme avant désormais.
Merci a Zuton j’avais pas fait attention a l’image en entier, en même temps comme ça ça va mais s’ils avaient mis ça sur la cover ça aurait fait un peu trop chargé je trouve.
@Alstar, si tu ne l’a pas lu tu devrais te pencher sur WWZ de Max Brooks (évite le film) je pense que tu devrais aimer, pareil pour « guide de survie en territoire zombie » du même auteur.
Ton com m’a donné envie de jouer au jeu, prochaine fois peut être a l’asso (avec toi peut être ^^). Le jeu me fait envie l’univers me fait envie, c’est juste la flopée de dés qui me refroidit (normal c’est l’hiver)
s’ils avaient choisi de prendre le nom de Walking Dead je crois que ça leur aurait couté cher , et qu’ils n’auraient pas forcément été libre de faire ce qu’ils souhaitaient.
Shanouillette 27/04/2015
Merci pour vos commentaires ! ! 😀
Oui la licence WD doit couter son prix et puis vu les jeux qui sont déjà sortis sous ce nom, c’était peut-être pas évident de faire son WD et sortir du lot.
nono781 27/04/2015
A quand l’autopsie de la cover de Concordia ??!!! ça risque d’être drôle !
atom 27/04/2015
haha, c’était ce que je pensais ce matin en regardant mes boites de jeux, ça peut faire un bon gage lol
acariatre 29/04/2015
Excellent article d’une excellente série qui parle d’un excellent jeu découvert il y a peu (!).
Tout comme toi, les premières fois où j’ai aperçu cette couverture, j’y ai vu une esthétique comics déjà vue et pas très originale et je m’y suis pas arrêté. Tu m’as donc ouvert les yeux sur tous ces petits détails qui forment un tout cohérent et qui introduit implicitement l’histoire que vont vivre les joueurs. Chapeau.
Concernant la ressemblance avec The Walking Dead, on peut être sûr que les auteurs l’avaient en tête en moment de la création. Sans doute même qu’ils ont pensé (voire essayé) d’obtenir la licence mais ça ne s’est pas fait. Ce qui est très bien joué c’est qu’ils n’en font aucune citation directe (même pas dans les interviews que j’ai pu lire des auteurs) mais que tous les commentateurs y font systématiquement référence 🙂
Dans l’interview d’un des deux auteurs dans le magazine Plato, celui-ci parle de la volonté d’ajouter une pointe d’humour (noir et décalé) en hommage aux films de zombie et pour accentuer le côté bizarre de certaines situations. Je m’étonne juste de ne pas en trouver la trace dans la couverture sous forme de clin d’œil. A moins que la Michonne zombie en soit un (et ça rejoint mon point précédent).
Vivement la suite !
Shanouillette 29/04/2015
merci !! 🙂 🙂 c’est juste ce que tu dis sur la non référence directe (je vais demander à la dessinatrice pour michonne car ça me titille), c’est surement voulu.