Yuan, sur la voie de Sun Tzu

Vers -500 avant JC a vécu Sun Tzu, célèbre pour son ouvrage « l’art de la guerre ». Son traité bouleversera l’approche militaire et est encore cité de nos jours, avec des adages tel que “Connais ton adversaire, connais-toi, et tu ne mettras pas ta victoire en danger”, “Le bon général a gagné la bataille avant de l’engager”, « Si ça bouge encore, tape plus fort » (j’ai un doute sur cette dernière citation ^^).

 Dans Yuan l’art de la guerre, Charlie Sigogneau nous propose de mettre ces préceptes en pratique en cherchant à contrôler un certain nombre de temples. La particularité de ce jeu réside dans le fait que tous les joueurs agissent simultanément. À chaque tour, chaque joueur note sur sa tablette LA province qu’il cible ainsi que les actions qu’il va y entreprendre, puis les choix sont révélés et résolus.

Ce jeu existe en deux versions, Chine et Mongolie. Les règles sont identiques pour les deux boîtes, mais chacune propose une particularité optionnelle : en Chine des rivières segmentent les colonies et peuvent être utilisées pour se déplacer, tandis qu’en Mongolie, les colonies autour des volcans offrent plus de ressources mais sont détruites à intervalles réguliers. Les deux boîtes peuvent être combinées pour permettre une méga baston pouvant accueillir jusqu’à huit joueurs. Mes parties ont été faites en Mongolie (Gloire à Kubilaï Khan !)

 

Les 2 boîtes étant de « petit format », côte à côte elles font la taille d’une boîte de jeu conventionnelle

 

Tout le succès d’une opération réside dans sa préparation.

Plateau personnel, écran de jeu, crayon gras, parez au combat ! Derrière nos écrans, nous allons planifier notre tour en notant sur notre plaquette la province ciblée et les actions que nous allons y effectuer. Trois actions sont possibles : développer, fortifier et militariser. Chaque action peut être effectuée (ou pas) selon la configuration et nos envies, et possède trois niveaux d’activation. Le niveau 1 est gratuit, le niveau 2 coûte 4 Chaos (la monnaie du jeu), et le niveau 3 en coûte 7. Vous pouvez également passer pour recevoir 6 Chaos.
7 Chaos le niveau 3, mais c’est l’inflation ?!! Que fait le Khan ? Rassurez-vous peuple aimé, vous pouvez bénéficier d’une réduction des coûts. Il existe quatre types de provinces dans Yuan, les collines qui contiennent les temples, les rizières, les forêts et les mines. Chaque rizière possédée réduit le coût des actions de développement de 1, idem pour les fortifications avec les forêts, et la militarisation avec les mines. Pour faciliter le compte de nos réductions, notre plateau personnel (creusé et de belle facture) intègre des pistes pour noter le nombre de temples, de rizières, de forêts et de mines possédées. La base du gameplay est donc aisée à comprendre, bien épaulée par le matériel.

Vous avez la vidéo d’explication des règles dans ce ludochrono.

Un écran aide de jeu rappelle les actions et leurs coûts

 

Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre

Qui dit Art de la Guerre dit subtilité (si si je vous jure), et dans Yuan cette subtilité naît d’un principe clé du gameplay qui a malheureusement posé pas mal de difficulté d’appropriation à plusieurs joueurs à qui j’ai présenté le jeu. Quand je débarque sur une province, je prends également le contrôle des provinces alentours si elles sont vides. Par défaut, des villages y sont placés. Je me retrouve donc avec un groupe de provinces constituées de villages. Cependant, les villages ne peuvent exister sans une ville. Cela signifie que si je crée des villages et qu’ils sont reliés à une de mes villes, rien de plus ne se produit. En revanche, s’ils ne sont pas reliés à une de mes villes, automatiquement le village de la province ciblée à l’origine devient une ville. L’appropriation de cette règle n’a pas été évidente pour tout le monde.

Sur le plan stratégique par contre c’est génial. Si un joueur s’étend rapidement il aura un amas de villages connecté à UNE seule ville. Hors si un joueur capture une ville, tous les villages qui se retrouvent du coup isolés sont automatiquement capturés. Pour remédier à cela, il est possible de transformer un village en ville ou d’y ériger des remparts pour les défendre (car de base villes et villages ont une défense de 0). À nous de repérer les « points faibles » de la défense adverse pour capturer un maximum de colonies, de choisir quand s’étendre et quand renforcer ses positions. J’y ai vu beaucoup de similitude avec le jeu de Go et c’est le point du jeu que j’ai le plus apprécié. Joué par les samouraïs pour parfaire leur stratégie militaire, le Go nécessite également d’avoir une vision générale du terrain pour savoir quand il est plus opportun de renforcer ses positions ou d’attaquer une faiblesse dans les lignes adverses afin de gagner un maximum de territoires.

Si noir conquière XIn, il prend également le contrôle de FAN et LIAO privé de ville.

Il faut dire aussi que les attaques se résolvent en dernier. C’est-à-dire que si un joueur lit dans vos plans et renforce une colonie le tour où vous l’attaquez, son renfort arrivera avant l’attaque qui risque alors d’être contrée. Bluff, attaque subtile, on se croirait dans Les 3 royaumes, un excellent film que je vous conseille fortement.

 

C’est lorsqu’on est environné de tous les dangers qu’il n’en faut redouter aucun.

Deux soucis majeurs ont toutefois été plusieurs fois rencontrés par les joueurs. Les règles sortent de l’ordinaire et leur appropriation n’a pas été aisée pour tout le monde. D’une part il y a la notion clé de ville (cf. paragraphe précédent), mais aussi l’impossibilité de déplacer mes armées d’une de mes provinces vers une autre de mes provinces. Et oui, nos soldats stagnent ou attaquent. Et comme ils sont limités en nombre, le recrutement massif n’est pas la meilleure approche. Les pions villes sont similaires aux villages mais en plus grand. Idem pour l’cône, pas des plus lisibles. Deux formes bien distinctes auraient évité des confusions.

 

En haut à gauche l’icône village, en haut à droit l’icône ville.

 

Le reste du matériel est d’excellentes factures. Le terrain de jeu prend forme au début de la partie en assemblant des tuiles terrain du plus bel effet. Nous y plaçons ensuite une ville de chaque clan et soit ils sont attribués au hasard, soit via une enchère avec notre monnaie de départ. Chaque partie propose donc un terrain de jeu unique à l’instar de Rise and Fall. Vu la facilité de déplacement via les étendues d’eau et la configuration d’une tuile, pas de risque de faire un « mauvais terrain ». De même pour le placement des villes de départ, chaque positionnement a ses avantages et ses inconvénients (essayez tout de même de les répartir sur toute la carte ^^).

Plateau creusé, écran de jeu, tuiles multicouches, les matériaux utilisés sont de bonne qualité et aide à la compréhension du jeu.

 

Le bon général a gagné la bataille avant de l’engager.

Les règles de combat sont assez simples. Je cible une province adverse et TOUS mes soldats a portée de déplacement attaque. Oui tous, pas moyen de laisser quelques gus en défense. Une entorse au réalisme, mais qui évite qu’un joueur face blocus et ne soit indélogeable. À nous de placer judicieusement nos troupes. Les armées se déplacent d’une case mais peuvent traverser les étendues d’eaux. Une excellente idée qui apporte beaucoup de mobilité et de points sensibles à défendre.

Niveau baston, les troupes s’éliminent à raison de 1 pour 1. De base les villes et villages se conquièrent avec un seul soldat, une ville fortifiée nécessitera qu’il reste 3 soldats dans notre armée pour en prendre le contrôle, et enfin les villes indestructibles sont imprenables et offrent une défense de 1 aux provinces adjacentes.

À la fin du tour, si j’ai plus de 3 armées sur une province, l’excédent retourne dans ma réserve. Cela évite qu’un joueur avec une grosse armée roule sur le plateau de jeu.

Une fois ces règles bien assimilées, c’est jouissif de trouver le bon positionnement, de chercher la faille dans les défenses adverses et d’anticiper les assauts ennemis. Je me suis rarement senti autant stratège dans un jeu.

Nous ne sommes jamais coincé à Yuan, l’action développement niveau 3 permet de coloniser n’importe où sur le plateau et entre les étendues d’eau, et vu le nombre limité d’armées, il est impossible de tout défendre. Le but est plus de minimiser ses pertes et maximiser ses gains.

Les troupes peuvent voyager à travers les cases d’eaux.

 

Tout art de la guerre repose sur la duperie

Chaque clan possède une capacité qui lui est propre, si vous aimez jouer en asymétrie. Un choix qui ne m’a pas convaincu. Certains pouvoirs sont plus situationnels que d’autres, et dans un jeu qui se veut très stratégique, sans hasard, ils complexifient la lisibilité du jeu sans apporter grand-chose (je dois me rappeler que le clan Weyu peut attaquer à travers les montagnes par exemple).

En combinant les deux boîtes (Yuan Chine et Yuan Mongolie), le jeu offre la possibilité de se bastonner jusqu’à 8. N’ayant qu’une seule boîte, je n’ai pas eu l’occasion d’essayer. Cependant, du fait de la résolution des actions qui se fait en simultanée, avec des joueurs rodés au jeu (et donc autonome au niveau des règles), cela doit donner des parties épiques, riches en rebondissement, sur une sacré aire de jeu ^^. Si vous avez eu l’opportunité de tester cette configuration, n’hésitez pas à donner votre avis dans les commentaires.

Chaque clan possède son pouvoir (règle optionnelle)

 

L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat

Vous l’avez compris, j’ai adoré ce jeu, à partir de ma deuxième partie, une partie ayant été nécessaire pour en saisir convenablement les mécaniques. C’est alors que mon âme de général a pu s’éveiller avec un jeu plus accessible qu’un wargame et plus stratégique militairement qu’un jeu de gestion / baston comme Kemet.

Cependant, la plupart des joueurs de mon cercle habituel n’ont pas vraiment apprécié le jeu en raison d’une appropriation difficile du gameplay et d’une affinité plus prononcée pour les jeux de gestion que pour les jeux de baston.

 

Un jeu de Charlie Sigogneau
Illustré par Adrien Rives
Edité par okaluda
Distribué par Gigamic
Langue et traductions : Anglais, Français
Date de sortie : Octobre 2023
De 2 à 4 joueurs
A partir de 12 ans
Durée moyenne d’une partie : 60 minutes

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4 Commentaires

  1. morlockbob 29/01/2024
    Répondre

    Merci pour les explis, je voyais ce jeu comme un wargame, il a l’air d’être autre chose, on va se pencher dessus

  2. CaveBear 29/01/2024
    Répondre

    J’ai adoré ce jeu. Cohérence des règles, rejouabilité, complexité dû à la situation et non à l’accumulation de règles absconses, tout y est. Une question pourtant: pourquoi parle-t-on si peu de ce jeu dans les autres media spécialisés? Mystère.

  3. Jarls 01/02/2024
    Répondre

    Pareil, je ne comprends pas pourquoi il n’y a vous et Renard qui ont parlé de ce jeu. Dernière le meeple jaune en a dit beaucoup de bien aussi. Alors qu’il est excellent. Il est franchement mon coup de cœur 2023. Il faut effectivement se fondre dans le gameplay. Mais c’est pas non plus insurmontable. Vraiment à découvrir. Merci à vous d’en parler.

  4. Ihmotep 02/02/2024
    Répondre

    Il y a tant de jeux qui sortent qu’il est difficile de parler de tout et tous. Personnellement j’ai eu un coup de cœur cette année pour Bot Factory qui est passé totalement inaperçu. Certains éditeurs savent mieux communiquer que d’autres aussi ^^. Au moins nous n’avons que l’embarras du choix et un choix de qualité quand il s’agit d’acheter un nouveau jeu ^^.

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