Wakanda : Totems à saisir

Arrivé sur la pointe des mocassins à Essen dernier, le petit dernier de Charles Chevallier a été quelque peu éclipsé par le nombre de ses congénères, et surtout par des sorties plus retentissantes. Soulevons donc la peau de l’ours et voyons de quel bois ces indiens se chauffent.

Mon beau totem

La boite de Wakanda annonce la couleur.

Son format carré typique revendique immédiatement un jeu pour deux pur jus. D’autre part, l’illustration principale de Loïc Billiau est mise en valeur via un rendu brillant sur les éléments clefs : le titre et les totems. Le tout est du plus bel effet.

Dans cette boite donc, attend sagement un matériel original. Les 21 corps de totems et les 6 coiffes en 3D donnent immédiatement l’envie d’être manipulés, et c’est à contrecœur qu’on les laissera dans leur sac en tissu arborant le nom du jeu.

De manière fort ergonomique, les symboles sont imprimés en triple, répartis sur le pourtour, ce qui les rend visibles quel que soit l’angle de vision. Il est à signaler que ces corps de totems sont de bonne facture et que leur empilement reste stable à l’usage. Quelques pièces semblent néanmoins légèrement malformées, en tous cas pas rigoureusement circulaires, ce qui fait parfois varier l’épaisseur des totems à certains étages. Mais il faut franchement y faire attention pour le remarquer.

Les huit tuiles « Village » bénéficient quant à elles de la même gamme de couleurs et du rendu brillant. Petite alerte sur mon exemplaire, un coin d’un dos de tuile s’est décollé/déchiré inopinément, ce qui oblige dès lors à effectuer le tirage au sort initial sans trop regarder. Rien de choquant a priori en terme de qualité, mais ces tuiles sont à manipuler avec un minimum de délicatesse. Evitez de les frotter contre un os de bison par exemple.

Le rangement se fait sans problème de part et d’autre de l’insert en carton, avec la possibilité de caler de manière satisfaisante les tuiles contre le sac en tissu. Vous aurez largement assez de rab dans l’autre moitié pour accueillir le goodies « Three Little Coyotes ». Seul petit regret du maniaque que je suis : cette disposition fait que le livret de règles est soutenu uniquement en son centre et s’affaisse donc dans la boite sur les côtés.

Blue Orange a fait du travail sérieux. A défaut d’être 100% parfait, le tout est largement fonctionnel, visuellement cohérent, et possède un cachet amérindieno-shamanisant des plus rafraichissant.

Déterrons la hache de guerre

Je ne reviens pas sur les règles de ce jeu de placement tactique ; pour ceux qui découvriraient, sachez :

  1. qu’elles coulent de source,
  2. qu’elles s’expliquent en moins de 5 minutes,
  3. que j’en veux pour preuve le Ludochrono de Sha-Man.

Papooses à la manoeuvre

Pour cette initiation, nous écartons les deux villages spéciaux. Le début de partie se fait sans trop savoir où l’on va. A son tour, il s’agit simplement de poser l’unique corps de totem que l’on a en main, car on ne va pas s’emparer d’un village vide. Seule variable sur laquelle jouer à ce stade : le village cible.

3 corps de totems en main : 12 possibilités

Mais très rapidement, la subtilité de l’ensemble prend forme. Au fur et à mesure que ces premiers totems atteignent les deux ou trois étages, les premiers dilemmes cornéliens se font sentir. Continuer à augmenter le potentiel, au risque de l’offrir à l’adversaire, ou bien l’un d’entre eux est-il devenu suffisamment valable pour s’en emparer dès à présent ? L’expression « se faire coiffer » n’a jamais été aussi appropriée.

Sans le recul d’une ou deux parties, on ne maitrise pas vraiment encore les tenants et aboutissants. Ce village des Peaux qui me tente est-il vraiment une bonne affaire, ou serait-ce jouer le jeu de mon adversaire ? Quoiqu’il en soit, la tension monte rapidement avec l’enjeu. Le choix s’élargit progressivement lui aussi : à chaque coiffe posée, on conserve un corps de totem en plus en main, ce qui agrandit l’éventail des possibles.

Lors de cette première, nous essayons de bien faire en n’offrant pas de cadeaux trop évident à l’adversaire. Je m’empare prématurément du village « Aigle » à 8PV : une belle erreur, car l’unique Aigle n’entrera en fait jamais en jeu ! La neutralisation mutuelle donne un score étriqué en ma défaveur : 10 – 12

J’aurai ton scalp

Voilà qui appelle une revanche immédiate. On se prête d’autant plus facilement à l’exercice que les quinze minutes annoncées sont respectées, mêmes avec les joueurs plutôt lents que nous sommes.

Connaissant désormais le jeu, on croit avoir une bonne idée du nombre de points nécessaires à la victoire. Que nenni, la seconde partie se déroulera de manière totalement différente ! Nous voici en mode offensif, maximisant avant tout nos propres points, et espérant chacun le faire mieux que l’autre.

Le tournant se joue sur le village « Totem le plus haut », que je m’arroge au bon moment, n’hésitant pas à prendre des Soleils à -1PV (voir encadré). Il me rapportera dix points assez facilement. Score final encore serré : 24 – 21.

CommentairesZoom sur les villages

5 villages « standard »

Il s’agit des villages rapportant un certain nombre de points pour chaque symbole correspondant sur ses corps de totems. Ce nombre est croissant en fonction de la rareté desdits symboles, pour un potentiel maximum, multiplication faite, compris entre 8 et 12PV selon les cas.

Indépendamment de ce chiffre représentant la situation idéale, plus le symbole est rare, plus la prise de risque est généralement élevée. Une dilution des PV potentiels sur un plus grand nombre de corps de totems différents assure un certain minimum : sur le lot, on en aura bien quelques-uns… Autre aspect à prendre en compte : l’adversaire a plus de facilité à me faire déjouer en surveillant de près les quelques symboles à haute valeur dès lors que je m’attribue le village associé.

L’exemple extrême est le fameux Aigle, présent en un seul exemplaire : clairement un gros couperet (c’est 8 ou c’est zéro).

Le cas particulier du village « Soleil »

Le symbole « Soleil » peut inquiéter avec son punitif -1PV de base, qui se transforme en +1PV si on possède le village. Mais il ne faut pas oublier de raisonner en terme de différentiel dans ce jeu en 1 contre 1. D’autant plus qu’ici, on sait d’avance que tous les corps de totems posés seront attribués. Mon adversaire aura tout ce que je n’aurai pas. Conclusion : même si mon adversaire a déjà le village Soleil (ou que je pense lui laisser), rien de sert de se restreindre en prises de Soleils, car entre éviter -1 et donner +1, cela revient au même.

Lorsque ce village est de sortie, les corps Soleils sont donc neutres en terme de scoring, sauf par rapport aux deux villages spéciaux (voir ci-dessous). Le village en lui même, par contre, « vaut » quasi systématiquement (sauf rétention de Soleil en main) l’équivalent en différentiel de 12PV, ce qui en fait un must.

S’il se retrouve écarté, l’équation est complètement différente : les Soleils deviennent réellement des malus à éviter et donc à placer malicieusement. La variante expert (j’y reviendrai) laisse d’ailleurs une incertitude sur ce facteur si le village ne sort pas d’emblée.

Les deux villages spéciaux

Ils sont assez avantageux de mon point de vue, apportant de la souplesse dans la façon de scorer, pour une prise de risque plutôt moindre.

Le village « diversité » accorde 2PV pour chaque symbole différent possédé en au moins un exemplaire. De quoi faire 8PV sans trop se contraindre, voire un petit peu mieux encore quand ça se goupille bien. Le tout sans que l’adversaire puisse en général faire grand chose pour contrer.

Quant au village « totem le plus haut », il parait difficile de ne pas en retirer au moins 6PV à 8PV. Lorsque vous possédez ce village, le temps joue alors quelque part pour vous : votre adversaire se retrouve sous pression pour coiffer les totems qui s’élèvent le plus, sans les laisser trop grandir. Une sacré corde à votre arc en somme.

 

Retour au tipi

Enseignement principal de ces premières parties et des quelques suivantes que j’ai eu l’occasion de lancer : Wakanda est tout simplement un bon petit jeu.

Sa base est certes totalement abstraite et calculatoire. Mais son habillage thématique réussit à lui conférer une personnalité, qui fait sens par rapport à l’empilage vertical et qui le rend attachant à mes yeux. De nombreuses qualités sont par ailleurs au rendez-vous :

  • une accessibilité certaine, avec un matériel qui interpelle les spectateurs alentours et des règles qui s’intègrent en suivant simplement une partie
  • une durée de partie express, bien servie par une quasi absence de mise en place
  • un gameplay très nerveux pour un plaisir immédiat

 

De quoi lancer un duel sur le pouce en moins de temps qu’il ne faut pour choisir un jeu.

Calumet de l’A.P.

Ne nous voilons pas la face, on est sur de la réflexion tactique sans grosse prétention, avec une forte dose d’opportunisme au tirage. Il n’atteint bien sûr pas le niveau de profondeur d’un jeu de plateau complexe. Les dilemmes qui se posent suffisent cependant à tenir agréablement en haleine. Son point faible le plus avéré pourrait être un renouvellement assez restreint. Seuls 6 des 8 villages sont joués, ce qui assure une petite variabilité, mais assez vite les situations sont similaires d’une partie sur l’autre.

C’est là que la variante expert intervient pour redonner un second souffle au gameplay. Elle introduit une différence de rien du tout… qui change totalement la donne en terme de ressenti ! Les 3 villages supplémentaires n’étant connus qu’au fur et à mesure, on ignore si les symboles manquants seront valorisables ou pas. Cette situation diabolique a pour effet d’encourager la prudence en début de partie, afin de voir venir au maximum. Mais l’adversaire fait pareil. Tendu tendu.

Les différents villages ne sont pas équivalents en terme de potentiel et de prise de risque, mais celà n’est pas gênant puisque le mécanisme intègre une balance de manière native, en associant le village et les corps de totems rattachés. La bonne connaissance de ces valeurs relatives octroie cependant une grosse longueur d’avance au joueur expérimenté face au débutant, ce qui de mon point de vue est une qualité pour un jeu.

Les lecteurs les plus attentifs auront noté que le nombre de corps de totems est impair : 21. Comme le tour d’un joueur commence invariablement par en piocher un, le fait est que le premier joueur en piochera 16 en tout, contre 15 au second.
Le premier joueur a donc un léger avantage de ce point de vue. Il a notamment la possibilité de finir la partie avec un corps de totem encore en main. Au hasard : un symbole que l’adversaire aurait pu valoriser ! Ce point n’est toutefois pas réellement dérangeant, puisqu’il est aisé de jouer en manche aller-retour et qu’à l’instar des échecs, commencer avec un handicap rajoute un peu de challenge.

 

CommentairesCôté goodies

Mignons tout plein, ces « Three Little Coyotes » apportent un niveau de réflexion supplémentaire qui chamboule sensiblement le jeu avec pas moins de 9PV à la clé dans le meilleur des cas. L’obligation de déplacer un coyote s’il est possible de le faire est bien vicelarde.

C’est un bonus qui a le mérite d’exister et qui pourra pimenter vos parties le jour où vous penserez être venu à bout du jeu. J’ai toutefois eu tendance à trouver cette surcouche plutôt dispensable, le jeu de base se suffisant déjà largement à lui-même question nœud au cerveau.

 

Au final, Wakanda est à mes yeux une belle réussite, pour qui est client du créneau et sensible aux points forts évoqués. Pratiqué avec une relative modération, il a à mon sens toute sa place dans la jolie panoplie des jeux de réflexion abstraits estampillés Blue Orange.

Un jeu de Charles Chevallier
Illustré par Loïc Billiau
Édité par Blue Orange
Pays d’origine : France
Langue et traductions : Français, Anglais, Allemand, Espagnol, Italien, Portugais
Date de sortie : octobre 2014
De 2 à 2 joueurs
A partir de 8 ans
Prix boutique constaté : 19€ environ

 

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