Unstoppable – Je ne peux pas m’arrêter et je ne compte pas m’arrêter (d’y jouer)

 

Il y a des auteurs qui intriguent, qui surprennent, qui montrent un fort potentiel et qui donnent envie de suivre leurs développements. Des auteurs qui n’hésitent pas à sortir de leur zone de confort pour s’essayer à des genres radicalement différents de leur périmètre habituel et qui parviennent malgré tout à proposer des choses intéressantes.

John D. Clair est pour moi un de ces auteurs, avec des jeux de draft (Space Base), de course (Cubitos), ou de pari (Ready set Bet), qui se sont plutôt bien implantés dans le paysage ludique. Qui sait où il va frapper ensuite ?

Lorsque j’entends qu’Unstoppable, son dernier titre, s’attaque à un genre proche de celui d’Aeon’s End (deckbuilding, boss battle), conçu pour être principalement joué en Solo, et avec des mécaniques nouvelles, je suis « hypé ». En effet, le jeu coopératif désormais classique vient d’être challengé et remis au goût du jour. Unstoppable est également jouable à deux joueurs, mais j’accentuerai dans cet article sur mon expérience Solo, mode dont on parle le plus.

 

 

On veut du Solo et du Cyberpunk !

Renegade Game Studios est connue pour certains de ces titres devenus cultes comme la série des Clank! La maison se fait aussi connaitre pour sa série « Solo Hero Series », qui comme son nom l’indique est dédiée aux joueurs solitaires. Nous avons passé en revu chacun de ces titres par le passé :

 

Citons également Legacy of Yu (2024) qui ne faisant officiellement pas partie de cette série mais tout de même une sommité du jeu solo édité par Renegade. À ce propos, n’hésitez pas à aller voir notre Just Played (et son Ludochrono).

Unstoppable, est un épisode de plus dans la série Solo Hero Series. Autant ces prédécesseurs ne m’ont pas forcément marqué, autant celui-ci a été pour moi une bombe. Je vais essayer dans cet article de vous faire vivre l’expérience que j’ai vécue à travers sa découverte.

Nous sommes dans un univers qui mêle space opéra et cyber punk. Un univers de guerres civiles, de complots politiques et de menaces cosmiques, où l’humanité tente de se reconstruire entre trois planètes, tandis que des héritiers royaux, des mercenaires et des cultes obscurs répartis en quatre factions s’affrontent pour décider du futur de la galaxie.

Au milieu de tout cela, vous incarnerez un des quatre personnages proposés dans la boîte. Riche héritier humain ou personnage extraterrestre influent, vous tenterez de stopper différentes menaces, des « Boss », dans leur désir de créer l’instabilité galactique qui mènera fatalement à une guerre.

 

Un air de District 9 ?

 

Il était une fois un deckbuilding merveilleux

Plutôt qu’une explication de règles soporifique, je vais essayer de vous faire découvrir le gameplay à travers une narration de ma partie de découverte (et des suivantes) en live.

À la manière d’un Aeon’s End, je dispose le petit plateau du Boss et un jeton sur sa piste de temps, ainsi que deux offres de cartes : une rivière avec des améliorations possibles aux coûts variables, une autre rivière composée d’un tas de cartes, chacune correspondant à un niveau (de 1 à 6). J’aurai naturellement accès qu’aux cartes de niveau 1 au départ.

John D. Clair s’est probablement inspiré de son système de card crafting qu’il avait initié dans une de ses tout premiers jeux, Mystic Vale (Ludochrono, Just Played, Test). Le principe de base reste le même, avec un manchon (fourni) dans lequel on insère des cartes venant se compléter. Mais ici, le système est profondément retravaillé, tant sur le plan esthétique, ergonomique que tactique.

 

 

Première curiosité, il n’y a pas vraiment de decks joueur et ennemi séparés. Il y a bien des cartes représentant des unités ennemies qu’il va falloir éliminer une par une, mais elles sont liées, par leur recto, aux cartes joueurs, celles que je piocherai dans ma main. Mon deck, de la même manière, aura des cartes ennemies sur son verso, que je ne dois pas consulter.

 

La carte que je vais gagner au début de mon tour se greffe à une carte ennemie aléatoire à son verso

 

La partie démarre et je pioche 3 cartes. Avec cela et avec 3 points d’action, matérialisés sous la forme de gros jetons bleus épais en bois, je dois me débrouiller pour faire un maximum de dégâts possibles dans le camp ennemi. En effet, chaque carte à un coût à l’achat, mais également un coût en points d’action. En limitant le nombre de cartes à jouer chaque tour, ils donnent un moyen de contrôle supplémentaire pour éviter des enchaînements de combos trop puissants pouvant faire partir le jeu comme on dit, « en sucette ».

Mais revenons à nos moutons. Si j’inflige suffisamment de dégâts à une carte ennemie pour la vaincre, je peux l’éliminer, classique. Sauf que chaque carte ainsi éliminée se voit immédiatement envoyée dans ma main face recto, prête à être jouée. Je peux enchaîner ainsi directement des coups et des pioches de cartes, dans un long enchaînement interrompu. Le jeu économise donc deux decks à gérer, fusionnés en un seul, ce qui fluidifie la partie, avec peu de maintenance.

 

Le champ de bataille, avec les cartes ennemies.

 

Ce principe de récupération immédiate a déjà été observé ici et là. On le retrouve d’ailleurs, par exemple dans Defenders of the Wild, dont on vous parlait il y a peu. Mais on est bien loin du game design léché que propose Unstoppable, avec ses rebondissements tactiques. En effet, il n’est pas juste question de saisir des cartes dans sa main et de les utiliser dans la foulée sur les ennemis, ce que l’on peut voir de manière générale dans les jeux. Je l’ai compris dans la défaite, devenant rapidement limité en termes de dégâts et d’effets, après quelques essais non concluants. La partie suivante, Eureka. Je comprends enfin que toute la subtilité du jeu n’est pas là.

J’oubliais que j’avais un accès permanent à l’offre des améliorations diversifiées avec ses 6 cartes et qu’il n’était pas nécessaire ni conseillé de les acheter dès que j’en avais les moyens. Ces cartes sont accessibles à tout moment durant mon tour, avec des crédits que je vais remporter, soit à travers les effets des cartes jouées, soit en guise de récompense après avoir vaincu certains ennemis. Et si j’attends un peu, je peux améliorer des cartes ennemies que je vais gagner durant le tour, ouvrant la voie à des combos plus intéressants. Au passage, leur manipulation bien pensée se fait sans accroc.

Le levier des améliorations, couplé aux cartes gagnées de manière dynamique, permet d’imaginer une multitude de séquences de jeu possibles pour créer le plus bel enchaînement de coups. Et ça c’est tout simplement génial.

 

 

Acheter une amélioration puissante peut cacher un revers : sur son verso, elle va également améliorer le côté ennemi…

 

Mais ce n’est pas tout. Il y a une notion importante de niveau et de progression durant la partie. À chaque fin de tour, n’ayant plus de coups particuliers à faire, c’est au tour de l’ennemi. Toutes les cartes ennemies restantes sur la table m’infligent des dégâts et je n’ai que 10 points de vie.

Mais si je survis, à chaque nouveau tour de jeu, c’est la surprise et un régal ! J’ai accès au deck de cartes de mon niveau et j’en choisis une parmi les trois premières. C’est en cela qu’on qualifie parfois Unstoppable de jeu de draft. Ces cartes sont plus percutantes que mes cartes de base et me permettent de diversifier mes combos en interagissant avec d’autres éléments.

 

Les effets des cartes de niveau supérieur peuvent dépendre de la diversité des cartes faction de votre jeu, ou au contraire du nombre de cartes de la même faction.

 

J’améliore ainsi mon deck à chaque tour, mais en gagnant cette nouvelle carte, fatalement, j’ajoute également une carte ennemie aléatoire à son verso, garantissant une évolution ennemie le long de la partie. De plus, à chaque fois que tous les ennemis du deck sont vaincus, je dois défausser toutes mes cartes en jeu, y compris les alliés posés, tout remettre à zéro, tout mélanger, afin d’affronter ce deck infernal de nouveau. Mais cela ne vient pas sans un contrepartie, et encore une fois, elle nous régale.

J’augmente alors d’un niveau, c’est-à-dire que j’aurai désormais accès aux cartes de niveau supérieur à chaque tour de jeu. De plus, je peux à cette occasion gratuitement détruire une carte de mon jeu. Ce simple système règle définitivement le problème de certains deckbuildings comme Aeon’s End, où la capacité à détruire des cartes dépend fortement de la mise en place et de l’offre, nous menant parfois à des constructions de paquets frustrantes où l’on doit accumuler les déchets. On a donc une évolution plutôt maîtrisée de notre paquet avec une montée en puissance bien marquée.

 

Certains effets permettent d’avoir provisoirement accès aux cartes de niveau supérieur.

 

Enfin, un des points forts d’Aeon’s End se retrouve dans Unstoppable, à travers des Bosses offrant des gameplays variés. Pour l’instant, ils sont au nombre de trois seulement. Les vaincre vous demandera quelques parties pour bien appréhender le gameplay. Mais cela fait, deux niveaux de difficulté supplémentaires sont proposés pour chaque Boss. Autant vous dire qu’il va falloir s’entraîner et optimiser sérieusement son jeu pour prétendre franchir ces niveaux. En tout cas, je me retrousse déjà les manches. J’attends impatiemment les futures extensions en espérant y croiser de nouveaux Bosses.

 

 

Quelques limites

Il n’y a pas de miracle. Les limites connues de la plupart des jeux de deckbuilding ont une tendance à se retrouver dans celui-ci aussi. Par exemple, le tirage de la première main peut avoir une influence considérable sur le cours de la partie. Cela arrivera si jamais vous tombez dans un cas extrême, en piochant 3 cartes faibles ou au contraire trois cartes de votre personnage de départ. Il y aura donc quelques parties démarrant sur une pente exceptionnellement bonne et d’autres sur une mauvaise. Mais dans la grande majorité des cas, sur la vingtaine de parties que j’ai réalisées, j’ai ressenti un équilibre solide dans la difficulté du jeu, très loin d’être fortement dépendant de la chance. Personnellement, lorsque la pioche de départ est trop extrême, j’annule, je mélange le paquet, et je recommence la partie, problème réglé.

 

Le plateau joueur, ses points de vie, armure, crédits, points d’action et la pile d’ennemis.

 

Unstoppable induit une nouvelle façon de penser, ce qui impose de comprendre les subtilités du gameplay, au risque de passer à côté. Victime de son innovation, vous risquez d’être coincé(e) dans de vieilles habitudes de deckbuilding ancrées en vous et ne jamais comprendre réellement où sont les enjeux. Si c’est le cas et que vous vous acharnez, il y a un réel risque de subir le jeu sans l’apprécier. Comme je vous l’ai dit dans mon récit plus haut, il m’a fallu un ou deux parties pour le comprendre.

Pour régler cela, il est conseillé de prendre connaissance des conseils de démarrage fournis par l’auteur sur BGG. Cela vous évitera des heures d’échecs. Il n’y a rien de bien compliqué. Il suffit de comprendre que l’économie doit se faire au niveau des cartes et non des points d’action. Toujours garder un maximum de cartes en main pour exploiter au mieux la rivière des améliorations au tour suivant, sera votre nouvelle base de réflexion. Une fois cela saisi, on découvre un nouveau monde ludique et c’est grisant.

 

Un des Bosses fonctionne comme une aventure narrative. Il faudra atteindre une des 8 conclusions pour terminer la partie.

 

D’autre part, le matériel est fragile. Ici, impossible de sleever toutes les cartes des offres, tout simplement car il faudra les retirer des manchons afin de pouvoir les insérer avec vos cartes en main. Idem en fin de partie, il faudrait sortir chaque carte joueur de son manchon pour la remettre dans un autre, l’enfer. Afin de faire perdurer le jeu, il faudra faire preuve d’une vigilance de tous les instants dès que vous assemblerez vos cartes ou les mélangerez. Toute erreur de manipulation se payera par une carte abîmée.

Enfin, autre limite qui peut concerner certains d’entre nous : il est nécessaire de rester propre et méthodique dans sa façon de jouer. Comme le jeu implique de se projeter quelques coups à l’avance, si vous prenez l’habitude de commencer à manipuler des jetons avant de revenir en arrière (les fameux « Rollbacks de l’impossible »), vous allez facilement perdre le fil et devoir annuler votre partie. Alors un peu de discipline sera de mise !

Néanmoins, à la lecture de ce chapitre, vous serez peut-être du même avis : il n’y a pour moi aucun défaut majeur, seulement quelques attentions particulières à porter.

 

Repenser le deckbuilding

Nous sommes en présence d’un auteur qui réussit l’exploit de proposer enfin quelque chose de nouveau et qui fonctionne bien. Il ne s’agit plus d’un jeu de deckbuilding comme on a l’habitude d’en voir. Non, Unstoppable va plus loin. Les mécanismes de récupération de cartes ennemies en guise de pioche, associé à l’amélioration des cartes, créent un gameplay au mécanisme de pensée différent du deckbuilding classique.

On ne cherche plus à vider sa main de cartes. On se projette dans les tours suivants. On les économise en pensant d’abord à comment les améliorer le mieux possible, pour ensuite créer des enchaînements de coups efficaces et satisfaisants.

Et le plus étonnant, c’est que l’ensemble est relativement accessible. Des joueurs et joueuses initiés s’en sortiront bien, tandis que les experts se régaleront avec les niveaux de difficulté exigeants. Il n’y a pas d’élitisme pour un sou, avec de multiples éléments de jeu à mémoriser et comptabiliser. Tout est condensé en une main de 4 ou 5 cartes, 3 ou 4 cartes ennemies en face de nous, et une rivière de cartes Amélioration. Rien de plus. On peut donc se projeter avec aisance dans le jeu, s’immerger sans trop devoir souffrir.

Unstoppable, je le dis sans m’emporter, est le meilleur jeu Solo auquel j’ai pu jouer ces deux dernières années. Il rejoint le club des jeux Solo extraordinaires tels qu’on en voit une fois tous les deux ou trois ans. Rien de moins que cela. Je le conseille évidemment à tout amateur(trice) de deckbuilding, en avertissant une fois de plus qu’il est nécessaire d’appréhender une nouvelle façon de jouer pour l’apprécier. Un jeu disponible uniquement en VO pour l’instant, avec une extension prévue en fin d’année (Unstoppable: Tyrant’s End), qui donnera lieu pour moi à un achat instantané.

 

Le matériel déplié (les sleeves sont fournis).

 

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3 Commentaires

  1. Doc.Fusion 29/09/2025
    Répondre

    Une VF est en cours de préparation ?

    • Groule 30/09/2025
      Répondre

      Salut Doc. Aucune idée ! En tout cas il mériterait d’être localisé…

      • Doc.Fusion 01/10/2025
        Répondre

        Merci Groule. Je vais donc attendre une éventuelle localisation 🙂

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