Tournay la carte !
Après un voyage d’un an en Australie version camper van avec sa copine, mon frère est finalement revenu au pays de la brioche pralinée et des jeux de société.
Un an sans Seasons, sans Gosu, sans Race for the Galax… le vrai désert.
On a donc rattrapé un peu le temps ludique perdu avec nos vieux classiques et je lui ai montré quelques nouveautés. Au milieu de tout ça j’ai sorti ma boite toute neuve de Tournay. Énorme coup de cœur en trois actes.
Acte I – La première partie.
À l’ouverture de la boîte on est propulsés dans une ambiance médiévale par les illustrations d’Alexandre Roche. Le thème est, comme souvent chez Pearl games, centré autour d’une ville Belge. Ici, la ville de Tournay a connu un coup d’arrêt dans son développement au IX siècle et vous intervenez au moment de remettre la ville sur pied. Chaque joueur va tenter de faire mieux que les autres, évidemment mais avec quelques petites originalités bien senties. Une partie se joue de 2 à 4 joueurs pour une durée d’environ 15 minutes par joueur une fois que vous êtes bien rôdés. Au début ce sera plutôt 20~30 minutes par joueur mais le plaisir de la découverte aidant ça passera très bien.
Tout tourne autour de la place du quartier dont on a la charge. Sur cette place on retrouve nos citoyens qui symbolisent nos actions. En plus de ça des piles de cartes sont rangées par couleur et par niveau : rouges, jaunes et blancs pour des niveaux allant de I à III. Les meeples sont aussi de ces trois couleurs.
– Les meeples rouges représentent les militaires. Ils permettent d’agir sur les cartes de la même couleur. Avec elles on peut interagir directement sur les évènements (voir plus loin) et donc mettre des bâtons dans les roues des adversaires. Malgré tout, ça reste des cartes très subtiles à utiliser, et pas uniquement de la force brute.
– Les meeples blancs représentent les religieux. Les cartes blanches permettent de mieux gérer la pioche de cartes ou nos meeples engagés ainsi que l’activation des bâtiments. Avec la religion on ressent un certain contrôle sur la vie de Tournay. On peut même utiliser des bâtiments adverses à l’occasion. Un peu d’ingérence dans la politique de la ville en quelque sorte.
– Les meeples jaunes représentent les civils. Les cartes jaunes sont essentiellement tournées vers le commerce et la génération de deniers. Un peu de pioche aussi ou de copie de bâtiment mais le cœur de cette couleur reste la monnaie.
Au début du jeu on dispose les cartes en 9 pioches de 10 cartes chacune : selon les trois couleurs et les trois niveaux possibles.
Les cartes de niveau I et II comprennent des personnages et des bâtiments. Elles interagissent pendant la partie, faisant de notre quartier un quartier unique et différent de ceux de nos adversaires. Les cartes de niveau I et II se combinent pour donner des pouvoirs particuliers (pioche, revenus, pose, copie de cartes adverses). Alors que les cartes de niveau III, les bâtiments de prestige, servent uniquement à valoriser notre quartier en fin de partie.
Évidemment les cartes de niveau I sont moins chères que les cartes de niveau II qui, elles, coûtent moins cher que les cartes de niveau III.
Un tour de jeu tient en deux étapes :
- Poser une carte (optionnel, c’est à dire si on veut et si on peut car ça réclame un investissement)
- Effectuer une des actions suivantes :
- piocher une carte,
- activer un bâtiment,
- lutter contre un évènement,
- gagner des deniers,
- rassembler ses habitants.
Les joueurs enchainent les tours jusqu’à ce que deux conditions soient réunies au début du tour d’un joueur. Dans ce cas on termine le tour en cours, on peut même poser une ultime carte si on le peut, et on compte les points. Ça arrive parfois trop vite, on a pas eu le temps de poser cette carte qui nous aurait donné la victoire. La fin de partie parait assez floue au début parce qu’on ne compte les points qu’à la fin. En cours de route on ne sait pas trop à quoi s’en tenir et au début c’est assez frustrant. Parfois on gagne sans trop savoir comment on s’en est sorti. Mais une fois le jeu un peu mieux maîtrisé cette fin de partie prend tout son sens et le jeu commence véritablement à devenir intéressant. La courbe d’apprentissage a une pente relativement forte pour finalement peu de cartes. Heureusement le système de combos assure une très bonne rejouabilité.
Pose ta carte et modèle ton quartier
Donc pour poser une carte (ce qui n’est pas obligatoire) il suffit d’en payer le coût (c’est inscrit en haut à gauche des cartes). Le plus souvent ce sera des deniers, plus ou moins selon le niveau de la carte, mais parfois il faudra sacrifier un meeple. Chaque carte ainsi posée (sauf la première) doit venir se coller à un bord d’une carte précédemment posée et sans jamais dépasser trois lignes de haut et trois colonnes de large.
On peut même recouvrir une carte posée précédemment, c’est même parfois très utile. Si la carte est de la même couleur que celle qu’elle recouvre il ne se passe rien. Elle reste en-dessous et son pouvoir devient inopérant. Mais si on change de couleur, on retire toutes les cartes en dessous et on pose notre nouvelle carte à la place. Comme certaines cartes rapportent des points en fin de partie, on va plutôt capitaliser sur ces cartes recouvertes même si inopérantes, mais parfois on sera peut-être tenté de tout sacrifier pour une autre couleur. Ça créé une petite tension intéressante. On est donc assez libre de modeler notre quartier à l’envie tout au long du jeu mais on a certaines contraintes tout de même. D’autant qu’une carte recouverte n’est pas comptabilisée pour les bonus offerts par les bâtiments de prestige. Seuls les quartiers visibles comptent en fin de partie.
Passe à l’action
Après quoi on va choisir l’action que l’on va entreprendre. L’action de base consiste à prendre un meeple d’une couleur et le déposer sur un de nos bâtiments de la même couleur pour l’activer. Selon la couleur on partira en guerre, on fera du commerce, ou on ira prêcher la bonne parole. Les cartes personnage par contre ne sont pas activées avec les meeples mais en fonction des meeples posés sur la ligne ou la colonne du personnage. Par exemple activer un bâtiment blanc dans la même ligne que le prieur va le réveiller de sa sieste et nous fera gagner 2 deniers. Activation indirecte donc. C’est là que les combos commencent. Et les combos, si vous aimez ça, il y a en a pas mal. Toute la rejouabilité de ce jeu vient de l’organisation de votre quartier et de la pioche.
Justement, une autre action possible consiste à piocher. On engage autant de meeples que le niveau de la carte visée. Par exemple si j’engage deux meeples (c’est à dire que je les couche à côté de ma place), je peux piocher une carte de niveau II de la couleur des deux meeples engagés. Sachant qu’au début on a seulement 2 meeples de chaque couleur sur notre place, on comprend bien qu’il sera possible d’en engager d’autres à l’aide de certaines cartes pour aller tâter du niveau III. On peut même se payer les services des meeples d’un adversaire pour 2 deniers par meeples engagé. Ça remplit les caisses de l’adversaire mais les meeples ainsi engagés ne lui sont plus disponibles, ils sont couchés à côté de sa carte place.
Pour piocher on a ensuite deux options. Soit on pioche deux cartes on en choisit une et on dépose l’autre sur le dessus de la pioche, soit on prend la première carte si elle est visible et qu’elle nous plait. Si elle ne nous plait pas on peut la mettre en dessous et piocher les deux premières cartes comme dit précédemment. Le fait que les pioches soient divisées en couleurs et niveaux fait qu’on maîtrise plus ou moins cette part de hasard habituellement important dans un deckbuilding. Mais il y a une petite surprise dans chacun des neuf paquets.
Laisse le crieur crier
Dans chaque pioche de 10 cartes il y a un crieur public qui annonce les évènements (les cartes noires). Dès qu’un crieur est révélé lors d’une pioche on le met sous la pile, incliné à 90° pour signifier qu’il a été utilisé. On place un denier sur chaque emplacement disponible sur les trois cartes évènement et on les active de gauche à droite autant de fois qu’il y a de deniers dessus.
Par exemple l’évènement Brigandage nous fait perdre à tous 1 denier. Il y a 3 emplacements sur cette carte. Si les trois emplacements sont remplis, on va perdre trois fois de suite denier. Ça peut faire mal. Une fois les emplacements remplis on n’en remet plus, l’évènement est à son plein potentiel d’emmerdement. Mais pas toujours, certains évènements sont bénéfiques. Donc plus on va piocher plus on aura de chance de déclencher ces évènements, qui au fur et à mesure vont être de plus en plus puissants.
À force d’engager nos meeples beaucoup seront soit sur des quartiers, soit couchés à côté de notre place. Pour une action on peut sonner le rappel de tous nos citoyens. On a un peu l’impression de faire un coup pour rien, mais dans ce jeu il est aussi question de timing. En fonction des meeples engagés par nos adversaires, ça peut être intéressant de rassembler nos citoyens au bon moment.
On a perdu des deniers à cause des évènements, en payant le coût de pose des cartes ou en engageant des meeples adverses. Pour une action on peut gagner des deniers en engageant nos meeples. Toujours au taux de 2 deniers pour un meeple. On ne peut utiliser que des meeples de la même couleur pendant notre tour. Donc trois meeples blancs par exemple pour 6 deniers. Quand on en arrive là trop souvent ça ne sent pas bon.
Fight for your rights
Dernière action possible : on peut lutter contre un évènement. Ça signifie qu’en payant le coût (en haut à gauche, comme pour toutes les cartes du jeu) on récupère la carte côté rempart dans notre main (4 cartes maximum en main) et on remplace l’évènement par un nouveau à son potentiel le plus bas. Les deniers qui étaient sur l’évènement sont généralement perdus mais certaines cartes permettent de les récupérer. C’est un autre moyen de se faire de l’argent. Ce rempart nous permettra de nous protéger d’un évènement (même s’il devait se répéter 4 fois) pendant un tour, on déposer la carte côté rempart à côté de notre quartier et on gagnera 1 point par rempart en fin de partie.
Voilà expliquées brièvement les règles. Le reste dépend des pouvoirs des cartes piochées.
Pour en revenir à nos parties mon frère et moi, il a très bien compris le fait que les quartiers, même recouverts, apportaient des points. Pour notre première partie j’ai eu tendance à me focaliser sur les pouvoirs des cartes et à oublier cette histoire de points. En plus de ça il a construit des bâtiments de prestige qui lui ont valu pas mal de points. À noter que chaque bâtiment de prestige rapporte des points à tout le monde, un peu plus à celui qui l’a construit tout de même.
Les premières parties sont comme toujours intéressantes car on découvre les cartes, les possibilités, les interactions possibles avec les autres joueurs. Comme par exemple engager ses meeples blancs pour piocher une carte blanche et l’empêcher d’activer ses bâtiments blancs. On voit apparaitre des combinaisons dévastatrices offrant des revenus, de la pioche pas trop chère et un bon circuit de meeples. La courbe d’apprentissage est relativement raide, tant les combinaisons sont nombreuses. Mais dès les premières parties ont se régale. Et surtout, on comprend pourquoi on a perdu. Et c’est pas qu’une question de chance.
Acte II – Les parties suivantes.
Après la découverte des cartes, on rentre dans la phase de recherche de certaines combos. Et de ce point de vue le hasard est relativement bien géré dans Tournay. On connait la composition de chaque paquet de cartes et on peut rapidement accéder à tout. Au risque de faire apparaitre un crieur public. Si on cherche une carte en particulier on sait où et comment y accéder. Il y a donc une part de hasard mais on maîtrise le niveau et la couleur de la carte qu’on piochera. Surtout si elle est visible sur le dessus du paquet. Cette gestion de la pioche est très maline car on va peut-être laisser visible une carte très intéressante pour les adversaires. On va peut-être aussi faire apparaitre un crieur public. Ce qui peut être une très mauvaise chose ou une très bonne chose. Soit que les évènements nous soient favorables, soit qu’on puisse s’en protéger.
Les parties suivantes ont été de loin les plus intéressantes. Sans être devenus des grands joueurs, beaucoup d’aspects anodins des premières parties ont pris une dimension stratégique. Piocher une carte, rassembler ses citoyens, poser une carte (qui sera peut-être copiée). Tout devient un dilemme.
C’est un jeu qui marie à la perfection stratégie, hasard, interactions et combos. Les combos ne sont ni au rabais ni surpuissantes. Les parties sont ponctuées de quelques très bons coups. La plupart du temps on monte en puissance, ça ronronne. D’autres fois on passe un peu à côté, on a trop misé sur une combo et notre quartier n’était pas assez ouvert à d’autres possibilités. Mais quand tout fonctionne comme on veut c’est très agréable. Comme on peut recouvrir une carte par une autre (en la conservant ou pas selon sa couleur) on peut remodeler son quartier à l’envie et prendre une orientation très différente. Là aussi c’est très bien vu. On n’est pas enfermé dans une stratégie qu’on sait vouée à l’échec. On peut se réorienter tout en conservant le bonus éventuel des points que rapporteront les cartes en fin de partie. En jouant à ce jeu on ne ressent pas de grande frustration. Sauf pour la dernière carte qu’on n’aura pas pu poser faute de ressources ou de temps. Mais la fin de partie se voit clairement arriver ce qui fait qu’on ne peut que s’en prendre à soit même.
J’ai décidé pour ces parties de tester différentes orientations.
La version Jaune est clairement orientée argent. Comme beaucoup de choses en dépendent, on va pouvoir remplacer les actions dédiées par des dépenses. Payer les services d’un meeple à un autre joueur ne nous fera pas peur. Ni poser des cartes chères mais puissantes.
La version Blanche (qui a pensé à Pokemon ?) offre une grande adaptabilité. Le propre des religieux c’est de mettre leur nez dans les affaires militaires et civiles aussi bien que dans les affaires religieuses. De la génération de meeple, de l’argent, de la copie, des activations variées à travers les personnages.
La version Rouge est plus originale que les deux autres car elle vient affecter les évènements et nous oriente plus vers la lutte contre les évènements. Cette action est parfois un peu délaissée tant que les évènements ne sont pas trop puissants. Le plus souvent on laisse le soin aux autres joueurs de s’en occuper et on tente soi-même de s’en protéger plutôt que de faire une fleur à tout le monde.
Évidemment c’est un mix des trois qui fera le plus de points. Nous avons commencé ensuite à tester différentes variations. Comme par exemple deux couleurs de chaque qu’on pourrait noter 2 – 2 – 2 ou une plus grande part d’une couleur comme 3 – 2 – 1. Oui, ça fait penser à des stratégies au foot… Mais il est bien question de stratégie. Et la conclusion est évidemment qu’il n’y a pas de combo ultime. Tout dépend de la stratégie de votre adversaire. Il n’y a pas de contre entre les couleurs comme Blanc > Rouge > Jaune > Blanc. C’est un jeu asymétrique comme on dit, et pas un bête papier-caillou-ciseaux ou chifoumi (petite bise amicale et virile à Guillaume). Et comme on peut se réorienter en quelques tours il sera nécessaire d’être très attentif aux autres. En particulier quand on commencera à voir apparaître des bâtiments de prestige. Ils coûtent suffisamment chers pour qu’on ne les recouvre pas avant la fin du jeu et ça indique très clairement une orientation à prendre en compte pour rester dans la course et ne pas laisser partir seul en tête un joueur.
Acte III – Les prochaines parties.
Les prochaines parties vont être l’occasion de tenter cette stratégie qu’on aura cogité entre deux soirées jeux. Soit en reproduisant quelque chose qui avait bien fonctionné, soit en essayant une combinaison qu’on a imaginé. Le faible nombre de cartes par pioche mais leur potentiel de combos fait qu’on a une grande variété d’approches possibles dans ce jeu. Toutes ne se valent pas, à nous de nous adapter selon ce que l’on pioche et selon le jeu adverse.
Mine de rien il y a une grande interaction entre les joueurs dans ce jeu. Que ce soit les bâtiments de prestige qui lancent un décompte de points pour tout le monde, la possibilité de copier des bâtiments adverses ou d’engager des meeples adverses (un chez l’un, deux chez l’autre mais de la même couleur). Tout nous encourage à faire attention aux autres. Et ne pas le faire, ne pas tenir compte de leurs quartiers, c’est très clairement se couper de la victoire.
Une fois de plus je suis séduit par l’intelligence de l’éditeur Pearl Games. Tournay est un jeu riche et profond, mais ni trop complexe ni trop long. Comme souvent : facile à appréhender mais difficile à maîtriser.
Tous les éléments du jeu s’imbriquent parfaitement les uns dans les autres et le flux d’actions potentiellement intéressantes ne tarît jamais. On ne peut pas se contenter de se laisser porter par le courant tant les possibilités (de se planter) sont nombreuses.
Un jeu de Sébastien Dujardin, Xavier Georges et Alain Orban
Illustré par Alexandre Roche
Edité par Pearl Games
Date de sortie : 01/10/2011
De 2 à 4 joueurs
A partir de 14 ans
Durée moyenne d’une partie : 15 minutes / joueur (environ)
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Guiz 18/09/2015
Merci de nous faire redécouvrir Tournay, excellent jeu de Mr Seb 🙂
Le ratio plaisir ludique/temps de jeu est vraiment au top, surtout dans une configuration 2 joueurs (un peu comme Deus…).
On attend la redécouverte de Troyes du coup 😉
Bon jeu
Djinn42 18/09/2015
Oui, j’ai l’impression de faire les choses à l’envers en commençant par Tournay pour ensuite découvrir Troyes.
M3th 19/09/2015
Et oui encore une perle de Pearl, aucun jeu à jeter chez eux, c’est bien simple j’achète les yeux fermés à chaque fois et il ne me manque que la granja. Suis bien fan aussi des mécaniques. Le jeu avec ses illustrations qui ne plairont pas à tout le monde me fait penser à troyes en plus court, et plus agréable en 1 vs 1. Je trouve aussi des similitudes avec gosu tactics au niveau de l agencement des ses quartier. Merci pour ce bel article.