Thorgal de Portal, l’aventure sur un platal

Shame! Je ne connaissais Thorgal que de nom avant de me lancer dans le jeu de plateau. On le rabâche depuis plus de 10 ans sur Ludovox : le jeu de société mène à toutes les découvertes ! J’avoue, c’est clairement pas une BD vers laquelle je serais allée de moi-même si le jeu ne m’avait pas fait découvrir son univers ainsi. Un film d’animation aurait pu le faire. Mais je n’en ai pas vu de tel. Le Sha-Man avec qui je joue, lui, a grandi avec Thorgal et tous ses compagnons. Autant dire qu’il était sur le projet quand Portal l’a lancé. Il fut néanmoins raisonnable, en ne soutenant que le pledge de base. On vieillit tous que voulez-vous, on se fait plus sage !  

Thorgal de Portal, ça rime, et ça, c’est déjà agréable.

 

Aux crédits de cette version plateau, le trio polonais portalien constitué par Joanna Kijanka, Jan Maurycy Święcicki, et Rafał Szyma, tandis qu’aux pinceaux, on retrouve Maciej Simiński, et le français Frédéric Vignaux – Fred Vignaux étant le dessinateur de la BD Thorgal depuis le tome 37 (pour dire, à l’heure où ce texte est écrit, le 42e tome vient de paraître). 

Nous sommes dans un jeu à scénarios, chacun assez typé, mais pas en campagne (ouf !), un jeu coopératif avec une thématique omniprésente, mais aussi un aspect gestion de ressources et optimisation des actions comme nous allons le voir, le jeu Tetris à la part belle. 

Nous avons un plateau-livre à la Laukat, où chaque double page correspond à une histoire de Thorgal, avec un objectif et parfois des mécanismes particuliers, ainsi qu’un nombre important d’actions uniques à disposition. En dehors de ça, Thorgal se base beaucoup sur l’utilisation de polyominos, pour les combats un peu comme on avait pu le voir sur Kingdom Rush, mécanique ici portée encore à un autre niveau, puisque les polyominos vont servir aussi pour le voyage des personnages ou encore pour notifier leurs points de vie. Pas mal d’idées bouillonnent ici et ce qui définit la sélection d’actions donne envie d’aimer le titre rien que pour ça : c’est malin, dynamique, générateur de coopération, sans pour autant ralentir le rythme, quel que soit le nombre de joueurs.  

On retrouve dans Thorgal une parenté lointaine avec Robinson Crusoé – un Portal qui aura toujours une place un peu à part dans mon cœur. J’admire toujours la capacité de Robinson à créer du lien significatif, la ligne action/conséquence unique du jeu, et le dilemme permanent entre assurer une action en y consacrant tout son temps, ou plus se disperser, avec plus d’incertitudes sur le résultat. J’aime son côté puzzly dans la restriction qui se joue autour de nos actions – il faut renoncer, il faut prioriser, il faut espérer – car on a peu de temps pour tout faire. Et ce peu, on le retrouve dans Thorgal. Une manche, c’est quatre actions. Vous avez une marge de manœuvre très serrée.

Vous rendre quelque part sur le plateau ? Bim, une action. Next. Autant dire que bien choisir son emplacement de départ (le premier choix que le jeu vous ordonne de faire) est déjà crucial. Puis, vos déplacements seront souvent courts, limités – ce qui donne aussi une idée des distances. Là encore, ne vous déplacez que si vous êtes bien sûr de votre coup. Cette restriction oblige les joueurs à anticiper, à réfléchir avant d’agir. Thorgal, c’est pas la fête à neuneu. De même avec vos ressources. Vous croulerez rarement sur des montagnes de bois, minerais, magie and co. Il ne faut pas les dépenser bêtement car certaines sont particulièrement difficiles à obtenir (observez bien le plateau et votre zone de Périple avant de dépenser pour savoir si ça vaut vraiment le coup). 

Nul ne sait d’où vient Thorgal. Mais il n’est pas un Viking. Il est courageux, mais il déteste la violence et la cruauté gratuite des hommes d’ici. (Aaricia – L’île des mers gelées)

Heureusement, pour nous aider, nous allons progresser sur deux pistes personnelles d’expérience : le combat et le voyage. Une des parties sympa du jeu est aussi de progresser sur ces pistes (l’une avec un cube qui grimpe de case en case, l’autre avec une roue qui tourne). Certains personnages voient leurs deux pistes d’expérience interconnectées de sorte qu’il peut être intéressant de jouer de façon à booster tel type d’expérience afin, à certains seuils, de progresser aussi sur l’autre piste tout en débloquant des capacités significatives qui vont nécessairement avoir du poids vu comment le tout est serré. L’asymétrie des personnages existe par ce biais puisque les récompenses des pistes d’expérience varient d’un héros à l’autre en lien logique avec leur caractère, mais il y a aussi leur pouvoir spécial unique, ou encore la taille et la forme de leur zone de santé. 

 

Dans la coopération 

Je le disais, nous trouvons dans Thorgal  une mécanique de sélection d’actions assez unique : chaque type d’action (se déplacer, combattre, collecter, fabriquer, etc) est représenté par une carte, qui se place dans une rangée (en suivant leur numérotation). Quand vous choisissez une action, vous placez un jeton (type gros jeton de poker) sous celle que vous déclenchez et bien souvent, elle sera plus ou moins puissante selon la disposition des autres jetons, à droite et à gauche. On va donc devoir discuter pour se placer le mieux possible pour toutes les actions qui nous intéressent durant la manche, ce qui nécessite un peu d’anticipation mais aussi de souplesse.

“Je dois faire l’action collecter des ressources, mais si tu ne fais pas l’action se déplacer avant, je ne récolterai pas assez”. Tout est imbriqué. L’occasion pour votre joueur alpha d’apprendre à laisser faire d’autant que tout n’est pas inscrit dans le marbre : il peut se passer pas mal de choses pendant la manche qui peuvent bousculer nos plans. C’est d’ailleurs un des points forts de Thorgal à mon sens : on a souvent l’impression que le défi est impossible, qu’on est dépassés par les urgences, mais le jeu, aussi écrasant qu’il peut sembler par certains côtés, nous donne aussi pas mal de petits coups de main quand on ne s’y attend pas (au cours d’un périple, d’une résolution, etc). Impossible donc de tout prévoir et c’est tant mieux.

Certains de nos choix auront pour conséquence de changer les cartes actions – leurs bonus et leur emplacement – dans la lignée, le plus beau étant que le changement de carte dans la partie est souvent bien porté thématiquement. Bref, on anticipe mais on reste souple. Une mécanique brillante au cœur du système, proposant quelque chose de nouveau, qui a du sens en jeu (pas alambiqué pour faire alambiqué), ça fait plaisir. 

La règle Portal  

Il y a pas mal de choses à faire et à voir sur un plateau de scénario Thorgal. Un conseil : prenez le temps de bien regarder chaque action proposée dans l’illustration, les petites icônes sur la double page. C’est sans aucun doute un peu chargé, chaussez vos lunettes, approchez-vous, on ne voit pas toujours les détails (là où se cache le diable, pourtant on le sait). Certains daltoniens pourraient bien souffrir un peu de quelques combinaisons de couleurs. On regrettera aussi le fait que la règle ne propose pas un résumé exhaustif des icônes à un seul endroit dans le livret. À propos, comme souvent chez Portal, l’écriture des règles reste loin d’être exemplaire en la matière. Ici, on l’a relue plusieurs fois pour être bien sûrs de nous. 

Dans Thorgal, il faut arriver à lire ce que le scénario nous demande, et chaque plateau vient avec sa logique. On n’en dira pas plus pour ne pas gâcher le plaisir des allergiques aux spoils, mais il y a souvent des petites subtilités à relever pour bien naviguer dans le défi proposé. Côté rejouabilité, une fois un scénario joué, cette partie découverte s’envole, et l’envie d’y retourner s’amenuise. Néanmoins, il est possible de rejouer aux scénarios proposés (7 scénarios dans la version boutique), surtout si vous êtes curieux de voir ce que vous n’avez pas vu ou de tester une autre voie vers la victoire (certains scénarios proposent plusieurs fins possibles).  

Polyominite aigue 

Parlons polyominos. Comme nous l’avons mentionné, ceux-ci reviennent à plusieurs endroits, pour modéliser l’avancement du périple des joueurs, mais aussi pour matérialiser les combats ainsi que notre état de santé. Autant dire qu’il vaut mieux être bon au Tétris dans Thorgal ! Comment ça marche ? Prenons les combats par exemple. Quand vous combattez, vous devez lancer des dés customs qui indiquent les formes de polyominos auxquels vous avez droit. Plus vous avez augmenté votre expérience sur la piste combat, plus vos dés sont agressifs. Les dés les plus faibles donnent des tuiles plus simples, plus petites. Les dés plus belliqueux permettent de recouvrir de plus grandes zones. Cela étant dit, mieux vaut ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier et garder des dés différents pour avoir une variété de formes.


En cas de combat, ces polyominos devront être placés (en suivant toujours une règle d’adjacence) sur la carte qui représente l’unité adverse, recouvrant les cases qui symbolisent sa santé. Si vous recouvrez tous ses symboles de cœur, l’ennemi est abattu. Si au passage vous recouvrez des icônes bénéfiques, alors récupérez vos récompenses (XP, ressources…), mais si vous recouvrez une zone jaune (ouch !) ou pire, rouge (aie !) reportez-vous à la légende de la carte pour savoir le truc pas cool qui vous arrive.

Le concept est un peu abstrait, c’est sûr, mais aura le mérite de proposer quelque chose d’assez abouti en termes de défis, avec une sensation relativement fraîche, et une adaptabilité certaine à toutes les situations. Grosso modo, il se passe la même chose pour modéliser l’avancement du voyage – action clef qui permet entre autres de gagner pas mal de ressources.    

Raconte moi une histoire

La narration est quant à elle répartie sur plusieurs éléments : le plateau lui-même, via les cases action où il est important de lire le titre pour saisir les enjeux de ce que l’on fait, la fiche aventure et les cartes événements qui ponctuent l’histoire, et surtout le livre des récits auquel on se réfère quand on conclut une action avec un pan narratif. Tout ceci donne vie au récit et à l’environnement dans lequel on navigue, même si on regrettera les textes quelquefois inégaux (le bref message de conclusion est parfois un peu décevant), et le fait que nos héros, qu’il s’agisse de Thorgal ou d’autres, sont finalement peu incarnés dans tout ça, hormis dans l’asymétrie (réussie).

Malgré ces bémols, il est évident que le respect et l’amour du matériau d’origine transpire dans le travail accompli par Portal (d’ailleurs, il donne envie de lire ou relire les BD). Le jeu donne du sens à ce que l’on fait, on a du contexte, des liens narratifs, si vous êtes sensible à cet aspect-là comme je le suis, Thorgal devrait vous séduire.

 

En résumé 

L’utilisation brillante bien qu’abstraite des polyominos et le beau système de sélection des actions (avec sa fluctuation tout au long du scénario) combiné à l’aspect narratif immersif des actions donne ici une proposition qui sort la tête du lot. On regrettera surtout le fait qu’il n’y ait que 7 scénarios, cela dit, on apprécie qu’il ne s’agisse pas d’une campagne, et qu’ils soient rejouables avec, pour certains, des conclusions alternatives à découvrir.

La première marche de Thorgal n’est pas évidente : le prix, déjà, mais aussi la lecture des règles, et la lisibilité des plateaux ne facilitent pas les choses, il est vrai. Néanmoins, les amateurs de Robinson Crusoe ne devraient pas se faire prier – ni d’ailleurs les joueurs solo pour lesquels Thorgal s’avère une expérience particulièrement gratifiante.

Il s’agit d’une nouvelle console dynamique et solide qui porte un vrai potentiel. Un bel Eurotrash narratif qui mêle lancers de dés, gestion de ressources, puzzle d’actions et moments épiques. Aussi, il ne serait pas surprenant de voir Portal l’utiliser pour d’autres matières à l’avenir (Thorgal ou autres) comme ils ont pu le faire pour Robinson ou Detective. En tout cas, cela fait bien plaisir de revoir Portal audacieux et créatif comme ça !   

 

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