The Manhattan Project: Chain Reaction : Vous reprendrez bien un morceau de gâteau ?
J’aime bien Manhattan Project pour plusieurs raisons : c’est un jeu à l’allemande dans un jeu américain, à la fois pose d’ouvriers et empreint de hasard. Un jeu pas aussi carré que le sont ses collègues européens dans le même genre. Son design est bien pensé et ses illustrations soignées. Le thème, atypique, pourrait en faire hurler plus d’un : construire des bombes atomiques avant ses voisins. La course à l’armement, tout simplement.
Le déroulement du jeu est classique. Il faut, dans un premier temps, embaucher des employés (ouvriers/ingénieurs/scientifiques) qui, grâce à leur compétence, vous ouvriront les portes des usines, des mines et des laboratoires où le sort de l’humanité se dessine.
Pour rappel, le jeu de base se joue en posant des Meeples sur différentes cartes lieux afin d’obtenir différentes ressources ou employés, ou activer certains pouvoirs.
On achète donc des mines qui produisent du Yellow Cake (un concentré d’uranium), des usines qui transforment ce « gâteau » en uranium pur, des universités qui forment les scientifiques, etc.
On peut également jouer chez les voisins en envoyant des espions sur leurs bâtiments, se servant ainsi de leurs effets tout en empêchant leur propriétaire d’y accéder. On peut aussi lancer un bombardement et détruire momentanément un lieu qui devra être reconstruit pour fonctionner à nouveau. L’équilibre des forces aériennes est donc à surveiller afin de ne pas être à la merci des autres.
S’il y a bien un mécanisme à maîtriser dans ce jeu, c’est le rythme. Une fois tous vos Meeples sur les emplacements, il faut les récupérer et vous perdez un tour à les rapatrier. Un tour pendant lequel vos bâtiments et certains emplacements du plateau central seront vides… Le tout étant de savoir à quel moment se retirer pour que les autres (les vilains zautres) ne puissent pas trop en profiter.
TMP a bénéficié de micros extensions pas toujours utiles, et, pour certaines (Nations), totalement déséquilibrées. Vous trouvez la totale dans la VF éditée par Marabunta.
Après ce résumé qui permettra, je l’espère, à ceux qui ne sont pas familier du jeu de plateau de se repérer plus facilement, il est temps de rentrer dans le vif du sujet : la réaction en chaîne ! « Chain chain chain…chain of fooooool » (que fais-tu ici Aretha ?).
Chain Reaction à la carte
Il aura fallu du temps à l’éditeur du jeu (Minion Games) pour se dire « tiens, si on faisait fructifier notre licence ?! ». Une fois l’idée validée, c’est pas moins de quatre jeux qui vont débouler entre 2016 et 2017. Nous vous en parlions ici.
Manhattan Project: Chain Reaction est le premier de la série. Une adaptation, comme c’est un peu la mode en 2016 (Broom Service, Les châteaux de Bourgogne, Came Up, Gueules Noires, etc), du jeu de plateau en jeu de cartes.
Chain Reaction n’est pas là pour innover, il reprend les principaux mécanismes de son aîné et les adapte façon cartes. Le thème reste le même : construire des bombes (le premier à 10 kilotonnes remporte le jeu), les illustrations viennent d’ailleurs du jeu de base et les mécanismes de poses sont calqués.
Exit le plateau central, les plateaux personnels, les meeples… On veut des cartes, juste des cartes !
Mission accomplie ?
James Mathe, l’auteur, a parfaitement saisi l’ambiance et les mécanismes du jeu de Brandon Tibbetts. C’est à la fois très clair pour les non connaisseurs et fidèle pour les fans. Sur ce point, c’est du très bon travail. Le matériel est également de qualité. Les cartes sont belles et solides, aucun risque d’accident, à moins que vous ne les déchiriez de rage.
Sur les 108 cartes qui composent le paquet, la moitié (55 en vérité) est dédiée à ce que nous appellerons le Deck Industrie (Industry Deck) qui regroupe tout ce qu’il faut pour recruter des employés, récupérer des ressources (Yellow Cake), enrichir la matière, bombarder le voisin, choisir des bombes sur plan ou voler de l’uranium.
Le reste est partagé entre les cartes Bombes (Bombs) et les bombes prêtes à être chargées dans les bombardiers (Bomb Loaded) qui offrent un bonus de 2 points à une bombe finalisée.
Quatre cartes Landmark (qui remplacent le plateau central) servent d’actions de base ou « par dépit ». Ça plutôt que rien, mais c’est plus cher. À utiliser en dernier recours donc ! Mais pratique par moment.
Et bien sûr, celui que nous attendons tous : le Yellow Cake et son petit ami, l’Uranium enrichi. Si vous avez la version Deluxe, vous bénéficierez de jetons en bois pour symboliser les deux matières fissibles. Si vous avez la version classique, ces ajouts sont disponibles sur le site éditeur.
Vous l’aurez remarqué, les cartes industries sont assez denses et contiennent plusieurs informations. C’est la bonne idée du jeu : la carte à double-entrée. Tenez une petite explication graphique :
L’explication est simple : payer 2 employés pour obtenir 2 Yellow Cake.
Vous avez besoin d’un ingénieur, basculez la Mine.
Le choix du devenir de la carte est donc entre vos mains. Allez vous la jouer pour les employés ou pour son effet ? « Je ferais bien les deux moi ». Pas possible, mon jeune ami radioactif. Il faut choisir.
Pendant ce temps, sur le site nucléaire…
Bien que la grosse partie du jeu se fasse avec la pioche industrie, il faut avoir une idée du prix des bombes que l’on peut construire, placer le Landmark (qui ne bougera pas de la partie) et les ressources. La mise en place, reprise ici de la règle du jeu, ressemble donc à ceci :
Le tour de jeu est assez court à expliquer. Il peut prendre un peu de temps à jouer par contre, si tout le monde essaie d’optimiser ses cartes au maximum pendant dix minutes avant de voir que tout faire n’est pas possible.
Vous commencez avec 5 cartes Industrie en main, vous en aurez toujours 5 à la fin de votre tour. Vous défausserez celles que vous avez utilisées et repiocherez.
Un tour est quelque chose d’assez solitaire, il y a peu d’interaction avec les autres (malgré quelques cartes spéciales). Vous faites votre cuisine et c’est terminé. Au voisin de jouer.
Justement c’est à mon tour.
Mes 5 cartes sont les suivantes…
Le meilleur rendement est de récupérer 3 Y.C, et de profiter du pouvoir de ma carte Factory : piocher 2 cartes supplémentaires / détruire 2 cartes adverses. Pour cela, j’ai besoin de 3 ingénieurs.
Je bascule ma carte University (qui donne 2 scientifiques) pour me servir des 2 ouvriers et, de ce fait, active la seconde University qui me donne 2 ingénieurs, que j’utilise pour activer la mine et récupérer 3 Y.C.
Puis idem, je bascule mon Enrichment Plant pour obtenir un ingénieur avec lequel j’active ma Factory.
Je choisis l’option « piocher 2 cartes ».
J’ai de la chance, je tire un scientifique et une carte Enrichment Plant. Je peux transformer mes 3 YC gagnés à l’instant en 2 Uranium. Je n’ai plus de cartes en main, j’en pioche donc 5. Un tour de haut niveau !
Le jeu respecte donc totalement les règles de la version originelle et le chaînage dont parle le titre. Il faut bien récupérer des ouvriers pour récupérer des matières, des ingénieurs et des scientifiques pour transformer ces matières et réaliser les bombes. Les cartes spéciales, même si on a l’impression qu’elles sont plus là pour la référence que pour une véritable utilité, font néanmoins leur petit (et méchant) effet. On peut grâce à une Factory, comme vous l’avez vu, piocher deux cartes en plus ou détruire deux cartes chez l’adversaire (air strike dans la VO), voler un Yellow Cake ou une carte avec une Spy card (espionnage dans la vo) et même utiliser une carte Landmark sans payer son coût.
Si l’on peut partager les employés pour activer des cartes différentes, on ne conservera pas l’excédent et on repartira à zéro pour le tour suivant (il faudra réembaucher). Vous pouvez garder des cartes ou en défausser, mais 5 is the magic number ! Si la pioche se vide, on mélange à nouveau.
Les tours se poursuivent jusqu’au moment où un joueur totalise 10 kilotonnes. Il reste donc un tour à chacun pour tenter de faire mieux.
Ce joueur gagne, avec une petite erreur pourtant : Prendre une bombe à 7 et perdre son temps pour récupérer un bonus de 2 en sachant qu’il n’y a pas de bombe à un, aurait pu être pénalisant. Il a cependant été plus rapide que les autres.
La bombe et moi… Mode solo
Le thème du jeu vous a brouillé avec tous vos amis, pas de problème, Chain Reaction propose une version solo « Je fabrique des bombes dans mon salon, je suis un dangereux psychopathe ».
Le but est ici de construire un maximum de bombes en utilisant le paquet de cartes industrie, une seule fois. Certaines cartes ont un pouvoir particulier pour ce mode. La Factory vous fait reprendre des cartes de la défausse (biiiiien). L’Agent Double vous permet de jouer une carte gratuitement et l’Espionnage de tirer 3 cartes et d’en garder une de votre choix en replaçant les autres sur la pioche.
Je dois avouer que le mode solo fonctionne pas mal de par les changements de pouvoir des cartes spéciales. Le fait de chercher dans la défausse aide à jeter des cartes pour s’en servir en mode « employés », puis de les récupérer en mode « effet ». Suivant l’apparition des cartes, si elles sont tombées au début de la partie, vous pouvez récupérer ainsi facilement la carte qui produit 5 Yellow Cake et celle qui, contre 5 YC vous donne 3 Uranium. Combo !
C’est un tantinet répétitif si on applique cette méthode, mais c’est presque mieux qu’en groupe, puisqu’on fait de toute façon la même chose : jouer dans son coin. On évite ici l’attente générée par les autres joueurs.
Dr Folamour ? Ou pas ?
Comme je l’ai dit en intro, j’aime bien le jeu de plateau du même nom. J’aime son thème, son design, ses mécanismes à l’allemande, ses désordres à l’américaine quand surgit l’espionnage (en fait j’aime moyen quand ça tombe sur moi mais bon).
C’est un jeu qui met du temps à démarrer puis s’agite une fois que tous les employés ont rejoint votre équipe. Il s’agit alors de bloquer les autres tout en étant le plus rapide pour récupérer ce dont on a besoin. Le rythme, je l’ai dit, est fondamental : retirer ses employés trop tôt vous fait perdre du temps, car vous grillez ainsi des actions, mais quand tout semble bloquer et que les emplacements qui vous intéressent sont inaccessibles, c’est peut être une bonne option. Voilà un jeu où il faut trouver sa vitesse de croisière sous peine d’être toujours à la traîne et toujours celui qui subit.
L’adaptation en jeu de cartes perd bien évidemment cette tension, puisqu’on ne garde rien si ce n’est l’Uranium, le Yellow Cake et les plans des bombes. Chain Reaction joue surtout sur la rapidité de construire avant les autres en produisant les meilleurs ajustements employés/effets.
Répétons que l’adaptation est fidèle au jeu de base et que les fans sont en terrain connu. N’est-ce pas ce que nous recherchons : retrouver les sensations, les références de « notre » jeu ? Certes. Ceci dit, il est inutile d’avoir joué au jeu de plateau pour pouvoir se lancer.
La double utilisation des cartes est intéressante et pose parfois le choix d’utiliser l’effet ou l’employé, car au final on essaie surtout d’avancer. Ce dilemme est plus accentué dans la version solo où certaines cartes vous permettent de piocher dans la défausse, ce qui est extrêmement puissant.
Hélas, malgré sa fidèle adaptation au thème et au jeu de plateau, le jeu de cartes n’atteint pas des sommets. On ne lui demandait pas de concurrencer le grand frère, mais là, c est un peu chiche. Et pour plusieurs raisons, dont la principale reste sa trop grande part de hasard. Vous tirez 5 cartes et vous vous débrouillez.
Voila aussi un jeu où il n’y a aucune progression. On ne garde rien devant soi, pas de bâtiments qui vous donne un ouvrier en plus, un Yellow Cake bonus… Nada. Tout se passe dans l’instant. On fait sa popote et on débarrasse sa cuisine ! Arrive donc le moment où il faut avoir les bonnes cartes, comme celle qui vous dit d’en piocher 2 de plus (oui vous pouvez aussi détruire, on le fait plus rarement).
Avoir un paquet d’Enrichment Plant en début de partie est pénalisant et vous freine d’entrée puisque vous n’avez aucun cube jaune à transformer. C’est un exemple, cela n’arrive pas systématiquement bien sûr, mais vous donne une idée de ce qui peut se passer. Chain Reaction est au final un jeu de collection dont on ne maîtrise pas grand chose. Sa rejouabilité risque d’en pâtir !
On joue dans son coin, et moi ça, ça me branche moyen. Comme il n’y a pas de bâtiments dont on peut profiter chez l’adversaire, on se contente d’essayer de faire au mieux avec ce que l’on a. Parfois quelqu’un vous volera un Yellow Cake, une carte, cela n’ira pas plus loin.
J’avoue qu’ayant vu ce jeu sur une boutique internet française, j’étais à deux doigts de le commander, et puis mon ami qui collectionne à peu près tout m’a proposé de me le prêter. En quatre parties avec des gens différents et quasi acquis à la cause du mouvement radioactif en voyant le titre, j’ai pourtant enchaîné les flops avec toujours le même genre de commentaire : « C’est un jeu de moule ! » (oui je joue avec des mytiliculteurs).
J’ai beau faire un effort et vouloir aimer ce jeu, je ne peux qu’approuver. Si le décorum est bon, le reste est bien trop léger. L’intérêt ludique est moindre et le succès du KS est vraisemblablement dû à la filiation à son illustre aîné.
Je repense à un petit jeu qui lui aussi utilisait le principe de doublé-entrée Isle of train et je me dis que le projet Manhattan est passé à côté de son sujet.
En théorie cela fonctionne très bien, en pratique moins.
Finissons sur une note d’espoir : « Et surtout, rappelez vous que si nous construisons des bombes atomiques, c’est pour garantir votre sécurité ».
The Manhattan Project: Chain Reaction
Un jeu de James Mathe
Edité par Minion Games
Langue et traductions : Anglais (traduction française disponible)
Date de sortie : 08-2016
De 1 à 5 joueurs
A partir de 12 ans
Durée d’une partie entre 30 et 40 minutes
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pikraft 25/10/2016
Encore un excellent article de ta part! Toujours intéressant à lire. Ce que j’aime chez vous « ludovox » c’est que vous donnez vraiment votre avis, que vous aimez ou non le jeu. Chapeau!!
TheGoodTheBadAndTheMeeple 25/10/2016
Et bien moi je le trouve bon ce petit jeu. Certes y a de la chance, mais c’est le public cible qu’il faut voir. Ca correspond pas à du core gamer. C’est pour du casual clairement, et entre midi et 2 ca fait parfaitement son office. Par ailleurs, crasser les adversaires est régulier je te le confirme, c’est essentiel de le faire au bon moment pour gagner.
J’ai perso une dizaine de parties au compteur. Le jeu plait aux casual, les core gamers le voit comme un passe temps.
L’interet du Deluxe est franchement limité !
L’intéret de piocher des cartes est hyper limité, car dans 90% des cas tu crames 2 cartes (l’industry + les ouvriers nécessaires) pour en piocher 2. Du coup, au mieux tu peux économiser un ouvrier et un peu renouveler ta main, mais c’est plutot la gymnsatique pour arriver au meilleur résultat qui est fun.
La durée de vie risque de pas etre énorme c’est sur quand on maitrise bien.
Achéron Hades 25/10/2016
Bon il y a plus qu a attendre une VF et hop in the pocket
TSR 26/10/2016
totalement d’accord abec ton analyse, le jeu m’a un peu déçu, même si je n’en attendais pas forcément grand chose (et j’adore le grand frère aussi, c’est l’un de mes jeux de pose d’ouvrier préférés). Ce n’est pas que c’est un mauvais jeu, il est moyen-plus, mais il y a tellement d’excellents jeu dans ce format que celui-ci ne verra juste jamais la couleur de ma nappe.
Achéron Hades 26/10/2016
Bon ben a tester avant d’acheter d’après vos analyses 🙁
Je viens de mettre le pied sur le frein du coup 😉
Ludo de la Ludo 02/11/2016
En même temps je joue avec le PnP depuis quelques mois, et franchement c’est frais, ça se joue vite, c’est plaisant et fluide. Les enchaînements sont appréciés et appréciables. Je pense qu’il ne faut pas tomber dans le piège de la comparaison avec le jdp du même nom. On le sait bien les adaptations en jeu de cartes sont très maladroites, avec des très bonnes réussites, Châteaux de Bourgogne et San Juan, et des catastrophes comme Broom Service…Donc faut être vigilant, ne pas tomber dans l’aveuglement et la comparaison. Pour Manhattan Project je pense que le jeu se situe entre les deux..c’est pas un jeu révolutionnaire, mais pour peu qu’on aime le thème et le côté optimisation des enchaînements, il est bon.