Terraforming Mars : Le jeu de dés – La version allégée réussit-elle son pari ?

Terraforming Mars – Le Jeu de Dés, sorti cet automne et localisé par Intrafin, est la troisième adaptation du jeu éponyme, toujours Jacob Fryxelius aux commandes. Pour ma part, je ne suis pas un joueur de la version originale de Terraforming Mars. La longueur des parties fait que je n’ai aucune occasion de le sortir, et pas le public à disposition.

Cette version se veut plus courte, plus accessible, tout en conservant l’esprit d’origine. Tout est là pour me correspondre. Alors le contrat est-il rempli ou bien est-ce un flop ? Je vous propose d’y répondre sans plus attendre.

 

 

Une longue histoire

Pour la petite histoire, la terraformation de Mars occupe depuis longtemps les fantasmes des auteurs de science-fiction. Par opposition au sabre-laser, ce concept est proche des réalités scientifiques. En effet, même s’il oppose deux visions de l’Humanité sur son rapport à l’espace (pour ou contre la terraformation et la colonisation des astres), il est difficile d’affirmer que ce projet ne sera jamais réalisé, ni même qu’il est irréalisable. Si le sujet vous intéresse, je peux vous proposer un des piliers de la littérature de S-F avec la Trilogie Martienne de Kim Stanley Robinson, qui relate l’épopée humaine autour de la terraformation de Mars, sur plusieurs siècles. L’auteur a écrit ce pavé concentré dans le plus propre respect du savoir actuel, en interaction régulière avec des scientifiques travaillant sur le sujet.

 

 

Revenons à nos moutons électriques. Comme nombreux d’entre vous le savent, l’aventure Terraforming Mars n’en est pas à son début. Voici un petit récapitulatif des sorties galopantes depuis déjà 8 ans :

  • Terraforming Mars (2016), le jeu de base, l’eurogame culte, lourd de ses 2 ou 3 heures de jeu, avec ses nombreuses extensions :
    • Hellas & Elysium (2017)
    • Venus Next (2017)
    • Prelude (2018)
    • Colonies (2018)
    • Turmoil (2019)
    • Prelude 2 (prévue pour 2024)
    • Automa (prévue pour 2024)
  • Terraforming Mars – Expédition Ares (2021), une version revisitée, présentée comme simplifiée et plus courte (1h) que son prédécesseur (voir le test d’Umberling). Trois extensions ont été torpillées ensemble l’an dernier :
    • Découverte (2023)
    • Fondations (2023)
    • Crise (2023), l’extension coopérative ! On y reviendra cette année.
  • Terraforming Mars – Le  jeu de dés (2023), dont je vous parle aujourd’hui, pour l’instant sans extension.

 

La terraformation pour les nuls

Si vous rejoignez l’aventure en cours de route et ne connaissez pas la gamme, le principe de Terraforming Mars – Le Jeu de Dés est évidemment le même que celui du jeu de base.

Vous représentez des corporations concurrentes dans un but commun de terraformer la planète Mars afin que l’humanité puisse la coloniser. Il faudra à l’issue d’un nombre de tours indéterminé faire progresser trois paramètres globaux : la température l’oxygène et le niveau des océans. La partie s’achèvera lorsque deux des trois paramètres atteindront leurs valeurs maximales et le joueur totalisant le plus de points l’emportera.

 

Le plateau s’inspire de celui du jeu original, en plus simplifié. On modifie la planète en y plaçant des tuiles et on gagne les bonus inscrits sur les cases.

 

Le gameplay est à base de gestion de dés et d’une main de cartes. D’une part vous aurez un nombre de dés non limités (peu nombreux au départ) représentant vos ressources : plantes, bactéries, chaleur, monnaie, matériaux, outils, etc. D’autre part, vous aurez 5 cartes en main représentant des projets. Ces derniers peuvent :

  • [VERT] Servir à produire des ressources (des dés supplémentaires) : création de fermes, d’industries…
  • [BLEU] Vous offrir des capacités spéciales, qui vous permettent par exemple de dépenser une ressource pour en gagner d’autres, ou encore obtenir un coût réduit pour vos prochaines cartes, etc. Les effets sont trop variés pour les énumérer.
  • [ROUGE] Produire un effet de terraformation direct, en général pour faire monter un des trois paramètres et gagner des points de victoire, ou sinon par exemple faire chuter un astéroïde pour recueillir des ressources.

 

Tous ces projets s’achètent en défaussant les ressources demandées. Ici, pas de plateau personnel, une ressource est représentée par une face d’un dé. Seulement voilà, certaines ressources banales sont présentes sur trois faces d’un dé, mais d’autres, plus rares, seulement sur une seule face. Pour collecter les ressources voulues, il faudra donc non seulement avoir le dé de la bonne couleur, mais aussi sur la bonne face !

 

 

Chaque tour un choix binaire s’offre à vous :

  • Soit vous consacrez votre tour entier à seulement produire, en lançant les dés affichés sur toutes vos cartes production et en changeant votre main de cartes. C’est en quelque sorte reculer pour mieux sauter : une perte de temps pour pouvoir mieux réaliser de futures actions.
  • Soit vous effectuez un tour de 2 actions : jouer (acheter puis poser) une carte en défaussant les dés requis, dépenser un dé pour changer la face d’un autre, utiliser le pouvoir d’une carte, terraformer la planète… Les effets sont variés comme je le disais plus haut.

 

Comme pour ses prédécesseurs, on est donc complètement dans un jeu à moteur, et cet aspect moteur est plus marqué encore : on passe son tour à produire ou bien à dépenser. La clé de la réussite est donc de trouver le bon équilibre entre passer du temps à construire son moteur qui rapporte des dés-ressources, et s’arrêter de le construire pour se concentrer sur les cartes rapportant des points de victoire. Classique.

 

La terraformation pour les connaisseurs

Si vous connaissez un des deux précédents opus et aimeriez savoir ce qui change réellement, je vous résume ici l’essentiel.

Ce qui ne change pas par rapport au jeu original :

  • On place toujours des tuiles sur le plateau et on fait incrémenter des paramètres en commun.
  • Le jeu se joue au tour par tour.
  • Les trois types de cartes sont toujours là (vert : production, bleu : action, rouge : effet immédiat).
  • Les objectifs sont toujours là, mais tirés au hasard.

 

Être le premier à posséder 13 dés, à jouer 5 cartes rouges… Les objectifs aléatoires permettent chacun de gratter 4 points.

 

Ce qui change :

  • À son tour, soit on produit, soit on joue des actions. Les phases sont les mêmes pour tout le monde, pas de choix stratégique à ce niveau.
  • La monnaie (les MégaCrédits) a disparu : plus de cube or, argent et bronze. À la place, des dés représentant des ressources différentes sur leurs faces. On joue (achète) les cartes avec ces ressources.
  • Tout est simplifié, il n’y a plus de badge sur les cartes. Tout est sous forme de ressources sur les faces de dés (chaleur, plantes, acier, titane, etc), ou bien d’effets directement précisés sur les cartes.

 

Des récompenses iront aux joueurs cumulant le plus certains symboles sur les cartes jouées. Un moyen de créer des dilemmes sur les choix des cartes.

 

Le hasard et sa mitigation

Je vous vois venir de loin : à cause de ces dés, vous vous demandez si le hasard dans Terraforming Mars – Le Jeu de Dés est trop présent. Vous entendrez parfois ce son de cloche, mais pour répondre à la question, il faut aller un peu dans le détail. C’est je pense LE sujet qui questionne ou divise le plus les joueurs à propos du jeu.

Lorsque vous gagnez des ressources, vous lancez vos dés et vous contentez des faces obtenues. Tout le hasard lié aux dés est là. Si vous tombez exactement sur les faces exigées pour pouvoir poser vos cartes, c’est un coup de bol rare. L’avantage pris sera cependant relativement limité sur l’ensemble de la partie. Le sel du jeu est dans la façon de gérer vos recours pour changer les faces de vos dés ou gagner des jokers. Tout miser sur des cartes exigeantes en espérant tomber sur les bonnes faces est évidemment une stratégie perdante 80% du temps. C’est là, je pense, que certaines personnes au tempérament trop « joueur » pourraient avoir un ressenti d’injustice.

 

Les cartes qui donnent des jokers sont moins sexy que celles rapportant des points de victoire, mais il ne faudra pas venir se plaindre lorsque vous serez bloqués à cause d’une ressource !

 

Certes, malgré les moyens de contrôle diversifiés et bien pensés, les mécaniques de jeu impliquant des dés seront fatalement soumises à l’aléatoire. Rien ne sert de refaire le débat du pour du contre, il faut accepter cela pour être en mesure d’apprécier le jeu. À chacun de se positionner donc.

Mais (car il y a un « mais »), de manière surprenante, le plus gros effet du hasard n’est pas forcément là où on l’attend. En effet, il existe de nombreux recours pour contrôler les faces des dés. Par contre, on est fortement dépendant de la main de carte que l’on va piocher au début de la partie ainsi qu’à chaque phase de production. C’est ici que j’ai eu le sentiment que la chance jouait le plus.

Lorsque l’on a de la malchance au départ, on peut passer beaucoup de tours à la rattraper une main qui ne s’accorde pas du tout avec la couleur de nos dés de production. Le moteur peut mettre du temps à démarrer. Si vous avez joué aux précédents opus vous savez de quoi je parle. Ce phénomène n’est pas nouveau et s’hérite depuis la première version de Terraforming Mars. L’effet du hasard est donc important, mais seulement légèrement plus corsé que dans les deux précédents opus. Et si vous aimeriez modérer cet effet en début de partie, rien de tel que de proposer un Mulligan à tous les joueurs (règle maison qui a fait ses preuves).

 

Consacrer plusieurs tours à construire le projet Astéroïde, ou bien rester sage et productif en jouant des cartes moins ambitieuses ? Telle est la question.

 

Cela dit, il ne faut pas se fourvoyer sur la marchandise :  Terraforming Mars – Le Jeu de Dés est comme son nom l’indique avant tout un jeu de dés. Cela implique que l’établissement de stratégies sur le long terme sera parfois compromis. Cela implique aussi qu’une part non négligeable de l’issue de la partie sera déterminée aléatoirement. En contrepartie, c’est un réel plaisir de manipuler ses dés plutôt que des jetons. Idem, jeter sa poignée de dés de production apporte ce petit frétillement bien connu, ses joies et ses déceptions. La construction d’un gros moteur fera qu’en fin de partie on jettera carrément un seau, sans pour autant avoir la sensation de « dinette » excessive que certains jeux à moteur mal calibrés peuvent donner.

En conclusion sur ce point, pour aimer Terraforming Mars – Le Jeu de Dés, il faut aimer les sensations et le gameplay des jeux de dés : ceci est non négociable.

 

Troquer un peu de profondeur contre des avantages certains

Nous l’avons vu, si les dés apportent un gameplay particulier, le jeu se voudra un plus opportuniste que déterministe et limitera les stratégies sur le long terme. On perd donc de la profondeur. N’espérez pas retrouver exactement les mêmes sensations que dans les deux précédents opus, même si l’esprit du jeu est conservé. On est même dans un jeu légèrement plus simplifié qu’Expédition Ares.

En contrepartie, les mécaniques sont bien épurées. Le jeu est expliqué en moins d’un quart d’heure. Durant la partie, on réfléchit simplement à son moteur et à la pose de cartes sur la table. Les stratégies multicouches fumantes ne sont pas de mise. Il n’y a pas besoin de mémoriser un grand nombre de facteurs interagissant entre les cartes (comme on devait le faire dans les précédents opus), ce qui allège la charge mentale. Les parties se déroulement donc avec fluidité. Lorsqu’un joueur décide de produire, il y a peu de maintenance, les joueurs suivants peuvent pendant ce temps commencer à jouer leur tour. Même à quatre joueurs, je n’ai pas senti d’accroc. Tout glisse relativement bien, et c’est agréable. En définitive, un public plus large, initié, pourra accrocher sans problème.

Pour autant, il y a suffisamment d’axes sur lesquels mener la course aux points pour créer des stratégies intéressantes. Le gros des points sera apporté par la pose directe de cartes (terraformation ou PV gagnés « cash »). Les objectifs aléatoires et la collection de symboles sur les cartes feront bien souvent pencher la balance, et orientera vos choix. Tout cela est déjà vu, mais bien agencé. Il n’y en a ni trop ni trop peu pour le public ciblé. On pourra ainsi jouer une dizaine de parties sans pour autant sentir de répétitivité trop marquée, car les situations de jeu seront différentes. J’ai même pris une raclée par notre Saka-saka, alors qu’à ma grande surprise il avait terminé le jeu avec un seul dé de production. Comme quoi, il y a plusieurs façons de gagner, et c’est plaisant. Au-delà de la dizaine de parties, on se sentira atteindre doucement un plateau dans sa marge de progression.

Enfin, la durée de partie est elle aussi réduite par rapport au jeu de base. L’objectif annoncé des 45 minutes n’est pas tenu à mon regret, mais on reste dans un délai d’une heure, ce qui permet de sortir le jeu relativement bien plus souvent. Et ça, ça compte chez moi !

 

 

En résumé : préférerez-vous Terraformer ou Déraformer ?

J’ai été ravi de cette découverte et totalement réconcilié avec cette licence que je pensais jusqu’alors peu accessible.

Si la durée de la partie et l’accessibilité des règles au public ne vous importent pas, autrement dit, si vous recherchez un jeu meilleur que Terraforming Mars, alors ce jeu n’est pas fait pour vous. Si en revanche vous recherchez une version courte et simplifiée de l’original, qui conserve le même esprit, des sensations et des dilemmes proches, alors Terraforming Mars – Le Jeu de Dés, fait bien le job. 

Si vous craignez un effet du hasard trop fort, attention ! Il faut considérer deux choses :

  • Le hasard de la pioche de cartes est là mais il reste inchangé par rapport aux versions précédentes.
  • Les dés rajoutent une couche de hasard supplémentaire, mais contrôlable (mais du hasard quand même). Son impact sera limité si vous utilisez tout l’arsenal de contrôle prévu à cet effet intelligemment (cartes bleues, sacrifice de dés, jokers, etc.). Le tout étant de ne pas céder en permanence aux ambitions démesurées.

 

Du fait de ce hasard, le jeu se prêtera moins sur les stratégies sur le long terme et plus sur l’opportunisme. Ceci est plus marqué dans cet opus que dans les deux précédents, et c’est en cela qu’il n’égalera pas leur profondeur.

Par conséquent, si vous hésitez entre Terraforming Mars – Le Jeu de Dés et Terraforming Mars – Expédition Ares, il faudra porter votre choix sur l’aspect complexité/profondeur, moindres chez le premier, et sur le gameplay lié fortement aux dés.

Le gameplay quant à lui, d’une part vraiment fluide et d’autre part agrémenté de dés et de cartes, donne des sensations que j’ai trouvées agréables. Les règles relativement épurées sont rapidement expliquées et ouvrent en effet le jeu à un public plus large que les deux précédents opus. Mission accomplie de ce côté-là.

Comme j’aime bien les tableaux, je vous laisse ce comparatif entre les versions du jeu, pour vous donner une vue d’ensemble :

(pour plus de détails sur l’indice de complexité : Le petit guide des indices BGG )

 

En deux phrases, Terraforming Mars – Le Jeu de Dés est pour moi un très bon titre pour quelqu’un qui aime les jeux de gestion accessibles, mais également les jeux de dés. Il marie les deux genres dans un jeu au gameplay fluide et satisfaisant, avec des choix intéressants à chaque partie et qui tient dans une heure. What else ?

 

 

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5 Commentaires

  1. Doc.Fusion 09/01/2024
    Répondre

    Revenons à nos moutons électriques.

    Rien que pour ça, je suis heureux d’avoir lu cet article.

  2. saka-saka 09/01/2024
    Répondre

    Je n’ai pas la ref… mais bien content que mes glorieux faits d’armes soient relatés fidèlement par l’auteur ! 😉

    • Groule 12/01/2024
      Répondre

      Philip K. Dick : « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques » ? (A.K.A. Blade Runner). C’est aussi l’auteur de « Total Recall » 🙂

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