Spirit es-tu là ?

 Je le répète souvent, ce que j’aime dans un jeu, c’est qu’il me surprenne et me propose quelque chose de nouveau. Or en voyant une boîte de Spirit aucun doute que vous serez surpris. Certes, des jeux dont la cover n’est qu’une illustration, sans rien d’écrit, on en a déjà vu (coucou Abyss). Mais des jeux où la cover est le plateau de jeu, ça il me semble que c’est du jamais vu. Surtout quand le plateau en question est une planche de Ouija. À la rédaction, ce choix éditorial a beaucoup fait parlé, plusieurs estimant que d’un point de vue marketing, ce choix est particulièrement préjudiciable au jeu. (Et oui, on ne cesse de rappeler que le jeu est un produit culturel, et que c’est donc aussi un produit qui doit se vendre, ne serait-ce que pour faire vivre ses créateurs.). Je dois bien avouer n’avoir absolument aucune opinion à ce sujet, parce qu’aucune compétence d’une part, d’autre part parce qu’en tant que joueur, j’apprécie cette prise de risques, et espère donc que ça ne sera pas préjudiciable au jeu.

Oui parce que cette boîte étrange on va maintenant l’ouvrir et voir ce qu’elle nous propose.

Parlez vous le revenant ?

Sans surprise, le thème du jeu est le spiritisme. Pas d’originalité à ce niveau : Mysterium, Paranormal Detectives et Phantom Ink sont passés par là. Julien Prothière et Baptiste Laurent nous proposent un jeu coopératif (habituel de la part du premier) dans lequel un joueur incarne un fantôme et les autres des médiums qui vont devoir l’aider à regagner l’au-delà. Jusque là, on connaît la chanson, le fantôme a un regret et il va falloir deviner lequel afin de lui permettre de quitter ce monde. Pour cela, une bonne vieille planche de Ouija va nous aider. À chaque tour, un médium parmi les joueurs pose une question (que lui seul connait), le fantôme répond en pointant les lettres sur la dite planche, ce qui donne un indice. Après trois manches on se sert des indices pour retrouver le regret du fantôme parmi 6 propositions, hop emballé, c’est pesé.

 

Tout n’est pas si simple, les mediums vont tous être parasités par d’autres fantômes qui veulent eux aussi s’exprimer. Cela se traduit par le fait que les médiums vont avoir leur mot à dire au moment où les indices sont donnés : ils auront des lettres à ajouter et d’autres à éviter, sous certaines conditions. Si jamais les mediums ne remplissent pas suffisamment de contraintes, la partie est perdue (enfin… presque, mais on y reviendra). Cela a deux conséquences.

Toutes les règles par ici en vidéo.

Savoir écouter avec les doigts

La première conséquence c’est bien sûr que les indices ne vont pas être si faciles à décoder que ça. D’une part des lettres en trop vont fortement perturber le message initial, d’autre part il ne sera parfois pas aisé de savoir si un arrêt a été marqué sur une lettre ou non. D’autant que vous n’avez souvent pas l’information sur la question qui a été posée , et donc aucune idée du thème du mot que le fantôme est en train de vous donner. Mine de rien, cela peut rendre les choses assez difficiles, et il faudra donc réussir à trouver le mot du fantôme en éliminant les lettres en trop. Pas si facile. Mais clairement, ce n’est pas ici que se situe le cœur du jeu.

En effet, la seconde conséquence aux lettres « parasites », c’est que chaque joueur va avoir la main sur le triangle qui sert à indiquer les lettres et va devoir à un moment être celui qui prend la main pour le déplacer. Sauf qu’évidemment, on ne doit pas ouvrir la bouche. Et là on touche à ce qui est pour moi le plus important dans le jeu. On est ici en réalité dans un jeu de communication, mais qui passe uniquement par le doigt. On ne saura jamais vraiment qui cherche à faire quoi, si c’est le fantôme ou un médium, et donc on ne saura pas qui pousse le triangle dans un sens ou dans l’autre. On aura souvent des « confrontations » avec des joueurs qui voudront faire des choses contradictoires en même temps, et il faudra bien que l’un cède.

On aura donc des rapports de force qui vont se jouer, mais attention, si un joueur lâche le triangle, la manche s’arrête. Il faudra donc bien doser sa force. Les éditeurs ont utilisé, lors de la présentation du jeu, une explication tout à fait intéressante de ce qu’il se passe : il s’agit en réalité d’une conversation. Chacun va devoir apprendre à laisser la « parole » aux autres, mais aussi à s’imposer quand il le faut. Et c’est là où je trouve le jeu est vraiment très intéressant, et se rapproche d’un The Mind : de l’extérieur on ne se rend pas compte de la tension qu’il peut y avoir et de ce qu’il se passe vraiment. La tension qu’il peut y avoir juste avec ce contact du bout du doigt est pourtant très présente, et vraiment très originale. Peu importe finalement si on gagne ou pas, c’est pour cette sensation et cette expérience que l’on joue, selon moi, à Spirit.

 

Un peu de ténèbres avant la lumière

Spirit nous propose néanmoins de ne pas s’arrêter là. Je ne vous ai parlé jusque là que de la version de base du jeu. Or celui-ci est en réalité un jeu évolutif. En effet, au fur et à mesure de vos parties, vous allez débloquer des modes de jeu alternatifs, sur un modèle que l’on avait vu dans Ensemble. Pour le moment, je n’en ai vu que quelques uns, mais qui m’ont plutôt plu.

Allez je vous spoile un peu : le premier vous propose de jouer en touchant le triangle non pas avec votre index mais avec votre petit doigt. C’est un tout petit, tout petit détail, mais qui change en réalité complètement la perception que l’on a du jeu. C’est en réalité très très malin. Je dois avouer que je suis le premier à fustiger les jeux avec des variantes (auxquelles les joueurs ne jouent en général pas), mais quand celles-ci sont amenées de cette façon, sur le thème de la campagne, j’aime beaucoup (je sais c’est pas hyper cohérent). Spirit n’est pas forcément un jeu qui se prête bien au mode campagne: je ne me vois pas inviter des amis pour y jouer spécifiquement. Il faut donc avoir un groupe d’amis qui sera prêt à y jouer de façon relativement fréquente, et ne pas initier des nouveaux joueurs à chaque fois. Pour le moment, si les gens autour de moi apprécient leur première partie, j’ai eu un peu de mal à trouver des joueurs qui comme moi souhaitent creuser le jeu.

Cet aspect campagne se retrouve aussi dans le système qui fait disparaitre les fantômes que l’on a réussi à sauver. C’est très thématique et, d’une certaine façon, je trouve cela touchant. Parce que cela a du sens, et que le thème du jeu reste profondément émouvant. Les auteurs n’ont pas hésité à aborder des sujets sérieux, durs, mais aussi intimes. C’est rare et risqué, pour un jeu d’ambiance, d’aller nous chercher sur des sentiments pas forcément positifs. Et personnellement, j’apprécie beaucoup. D’ailleurs, un fantôme que vous avez partiellement sauvé (par exemple en ne remplissant pas toutes les conditions des « fantômes parasites ») viendra vous aider à la partie suivante, ce qui là aussi est assez plaisant.

 

 

Petit bémol, le jeu est annoncé pour 3 à 6 joueurs. Je dois dire que les configurations extrêmes, 3 et 6, ne me semblent vraiment pas idéales. Trop facile, ou beauuuuuuucoup trop chaotique (vraiment je déconseille cette configuration nombreuse). Il brille vraiment de 4 à 5 joueurs. D’un autre côté, Spirit est tellement déroutant sur plein d’aspects que le proposer pour uniquement 4 ou 5 joueurs m’aurait semblé trop risqué.

Si tu as aimé, tape deux fois

Je pense que vous l’aurez compris, Spirit est un jeu qui a su me toucher. Est ce que c’est un jeu que j’adore et que je vais sortir tout le temps ?  Probablement pas. Mais pourtant, pourtant. J’ai l’impression de sentir la sincérité de l’équipe derrière ce jeu : il y avait une idée, et elle a été poussée à fond, sans chercher à faire du consensuel, avec tous les risques que cela comporte. Sans aucun doute, Spirit dénote et déroute dans le paysage ludique actuel. Il fait partie de ces projets que je trouve très importants pour le milieu, parce qu’il montre que le jeu est capable d’aller nous chercher sur des choses intimes, subtiles, et peut être universelles ? Après Nouvelles Contrées, Olibrius continue de nous proposer des jeux originaux. Je ne peux qu’espérer qu’ils rencontrent assez de succès pour que cela continuer.

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