Slay The Spire : un sommet du jeu à honorer
Slay The Spire fait indubitablement partie de ces jeux vidéo de deck-building qui ont marqué leur époque. Ce rogue-like, finalisé en 2019 par MegaCrit, a fait bien plus que grimper une mystérieuse tour à 54 étages, il a établi un sommet, inspirant une avalanche de petits apprentis deck-builders numériques à suivre ses traces dans l’art de nous faire jongler entre combos de cartes, affrontements, et progression rythmée de récompenses. Depuis, la version physique a vu le jour. Juste retour des choses : le deck-building est d’abord une mécanique de jeu de société, nananère.
C’est le trio Gary Dworetsky, Anthony Giovannetti et Casey Yano qui a eu la lourde tâche de l’adapter. Casey Yano & Anthony Giovannetti sont développeurs et co-fondateurs de MegaCtri ; Gary Dworetsky était quant à lui un game designer surtout connu pour Imperium: The Contention paru en 2021, et bien passé sous les radars francophones. Autrement dit, on ne savait pas du tout à quoi s’attendre. Le titre fut localisé en très courte impression cette année du côté de Matagot, mais devrait revenir sur les étals d’ici … prochainement/bientôt/croisez les doigts/1d6+ modification de chance semaines.
Porte-monstre-trésor classique
Sur le principe, le jeu porte en thème un porte-monstre-trésor très basique : tu avances dans une tour d’étage en étage en écrasant des monstres et en gagnant toutes sortes de récompenses qui vont te permettre de progresser jusqu’au boss. Au choix, quatre classes de personnages seulement, mais aux styles très différents.
Le Soldat de Fer, avec sa grosse épée jamais émoussée, pique fort fort parce qu’il est fort fort. La Silencieuse balance du poison à qui mieux-mieux avec ses poignards affaiblissant les ennemis inexorablement jusqu’à une mort aussi létale que fatale et définitive (oui, j’aime mon dico des synonymes). Le Défectueux a un nom difficile à porter pour un perso qui s’entoure d’orbes capables de dégâts passifs avec une intensité crescendo. Et puis, la Gardienne change d’état passant du calme qui lui permet de restaurer son énergie à la colère qui lui permet de décharger son énergie (et ça fait bobo).
Vous progressez sur un plateau en choisissant votre petit chemin : combat, repos, événement aléatoire, marchand, gros combat ? À vous de voir, mais le combat reste le cœur du jeu. Lors des affrontements, on révèle donc les cartes ennemies en face de chaque joueur. Chaque carte monstre vient avec son petit fonctionnement propre, débarquant parfois avec ses sbires.
À chaque round, on lance un dé 6. Selon le résultat, les ennemis (et nos reliques) s’activent différemment. Par exemple, sur un résultat 1, 2, 3, tel ennemi donne de la défense à un de ses copains, et sur 4, 5, 6, il fait 3 dégâts. Pendant ce temps, tel autre ennemi se renforce (il fera +1 dégât à sa prochaine attaque), tel autre soigne un copain à lui, etc. Il vous faut donc prioriser, entre vous, selon la violence des menaces, et ce que votre main vous permet.
C’est là que le jeu s’avère riche en situations. Des combos surprenantes se révèlent au fur et à mesure de nos avancées. Car le gros point fort et l’abondante diversité de Slay The Spire vient de nos cartes. Chaque perso a son deck dédié et … il y a de quoi faire. À la fin de la plupart des combats, vous gagnez le droit d’améliorer votre deck, en piochant trois cartes depuis votre (énorme) pool d’améliorations. C’est un peu comme ouvrir un booster. Choisissez la carte que vous souhaitez ajouter selon le type de stratégie que vous souhaitez développer, sachant que chaque perso peut se construire autour de différentes combos. Épuration de deck, synergies, construction d’effets en rebond, développement d’un axe particulier, améliorations…
Votre deck est-il prêt pour l’ascension ?
Oui, amélioration : chaque carte est protégée d’une sleeve (elles sont fournies, mais attention, fragiles), pas seulement pour la durabilité du jeu, mais parce que chacune est améliorable. Recto, effet basique ; verso, effet boosté ou moins coûteux. Deux faces pour mieux orienter votre deck comme vous préférez. On ne peut pas toutes les améliorer – choisir, renoncer, vous connaissez la chanson. Bref, c’est tout simplement riche et agréable en termes de deck-building.
L’autre point fort, c’est la coopération qui se met en place naturellement. C’était pas forcément gagné, vu que la matière d’origine est solo. D’ailleurs, on a chacun·e sa rangée d’ennemis bien en face comme une cible toute désignée. Pourtant on reste assez libre de frapper comme on veut, où on veut, quand on veut (cela dit, il est proposé une variante en tour de jeu séquentiels, pas testé). Cela permet de belles synergies entre les personnages qui ont chacun des points forts particuliers, et cela fait partie du plaisir de la version plateau, de voir ces héros se compléter.
Bien sûr, les ennemis qui tapent tout le monde équitablement seront souvent la cible commune et prioritaire des héros, mais il n’est pas rare de voir un copain voler à notre secours quand une main ne sort pas comme on veut. D’ailleurs, la coopération est encouragée dans l’amélioration de toutes nos cartes de départ : tel un subtil appel à l’entraide, les cartes de défense sont strictement personnelles au recto, mais peuvent protéger les camarades côté amélioré.
J’en parlais dans l’épisode 2 du podcast, Slay The Spire parvient à proposer une adaptation qui fait honneur à son héritage sans s’encombrer de trop de jetons et d’effets à compter. Car ce n’est plus la machine qui calcule, c’est nous. Les auteurs ont su conserver la lisibilité du jeu dans le processus d’adaptation et de rééquilibrage. Tous les éléments qui auraient pu nous embrouiller par leur complexité sont simplifiés avec soin, tout en conservant leur pertinence et leur intérêt.
C’était sûrement le gros challenge de l’édition physique et c’est réussi. Par exemple, certains effets comme “affaibli” + “vulnérable” si combinés ensemble, plutôt que d’engendrer des calculs d’apothicaire, s’annulent. D’ailleurs, on ne jongle pas avec des pourcentages comme le faisait le jeu vidéo, on manipule plutôt des -1 ou des x2, et toutes les valeurs numériques ont été considérablement resserrées pour devenir appréhendables.
De même, le jet du dé mentionné ci-dessus s’avère une mécanique de randomisation rationnelle qui ne vient pas alourdir l’ensemble mais qui permet d’engager des résultats aléatoires tout en ayant des conséquences maîtrisées. Le dé détermine le comportement des ennemis je le disais, mais aussi l’activation de nos reliques. Ces dernières sont des cartes que l’on gagne et qui peuvent s’activer sur certaines valeurs avec un effet parfois considérable comme piocher 2 cartes sur certains résultats, mais prendre une malédiction sur d’autres. Un vaste sous-ensemble d’effets actionnés par un simple jet de dé.
Bien sûr, il y aura tout de même un joueur qui devra gérer une part de stress administratif (celui qui a lu les règles, comme d’hab !). Les événements que l’on croise ont leur propre set de cartes, les rencontres proviennent de plusieurs piles (élites, invocations, boss…), sans oublier que chaque joueur gère plusieurs piles personnelles… Et durant les combats, on ne s’endort pas : il faut garder le compte des multiples effets, mots-clefs et capacités de tout ce beau monde (armure, énergie, carte épuisée ou retenue, effet de force, de faiblesse, de vulnérabilité, poison, hébétement…). C’est la pause chez le marchand ? Là aussi, quelqu’un à la table devra dégainer l’étal et le remplir de potions et de reliques.
Bref, malgré le travail d’épuration, il reste de la manutention qui vient ralentir la progression dans cette haute tour. Si bien qu’il sera souvent difficile de procéder aux trois axes en une seule session, sauf à avoir trois heures devant soi. Cela dit, le “démarrage rapide” est une bonne solution pour attaquer directement en Acte II et jouer une session plus courte.
À ton tour de gravir la tour
Côté difficulté, ce rogue-lite peine à se montrer aussi intransigeant que son prédécesseur de pixels, en tout cas au début. C’est peut-être là où le bas blesse un peu pour moi : un coop un peu trop facile perd de son attrait, de sa valeur. Mais forcément, comme c’est de la coopération, on est parfois un peu plus souple face à un mauvais choix initial, on s’autorise à revenir en arrière, on peut manipuler les leviers librement jusqu’à l’obtention du résultat désiré. Les contraintes numériques ou de la compétition ne sont pas là pour mettre un cadre strict. Peut-être qu’il faut la jouer en mode séquentiel pour cadrer tout cela mais pour nous difficile de s’y résoudre. Il est important de remarquer tout de même que Slay The Spire est plus tendax dans ses configurations basses (solo, deux joueurs) et surtout, qu’il se corse à force de jouer.
Car le jeu a de la réserve (il compte plus de 650 cartes, rien que pour compter celles en taille standard !). Après chaque partie, on coche du contenu à débloquer. Et après avoir battu un boss d’Acte II, on débloque des niveaux de difficulté, appelés “Ascension”, qui modifient les règles et renforcent les ennemis (effets cumulatifs jusqu’au niveau 13). Si les premières Ascensions sont des promenades pour les joueurs aguerris, la tension commence à devenir plus prégnante après quelques sessions.
Le livret de règles (bien écrit) propose aussi un système de succès et de défis quotidiens : de quoi titiller les plus complétionnistes d’entre vous. Tout ceci vient tenter de réduire l’aspect répétitif qui peut ressortir si l’on enchaîne les Actes.
Cette adaptation s’avère donc une belle surprise. Les connaisseurs du jeu vidéo s’y repéreront avec facilité, mais les découvreurs, pour peu qu’ils aient soif de découvrir un deck-building fun et foisonnant, y trouveront aussi leur compte. Pour les plus aguerris, ne vous fiez pas au faible dénivelé de départ et comptez quelques Ascensions pour vous mettre en jambe !
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :