Septima : Burn the Witch !
C‘est peu dire qu’un jeu de chez Mindclash Games est attendu par certains joueurs comme un nouveau Graal, un objet rare, sacré, aux vertus magiques et mystérieuses. D’abord pour son esthétique, l’éditeur hongrois ayant pour habitude de mettre les petits plats dans les grands, mais aussi pour son gameplay souvent riche et original. Et puisque vous êtes sûrement impatients que je mette des noms sur ces « certains joueurs », il en est un chez Ludovox qui a des choses à en dire : mon ami Cyril, alias Atom, à qui j’ai voulu donner la parole sur Mindclash, lui qui m’a donné l’occasion d’y faire mes premiers pas. Nous en reparlerons en fin d’article dans un entretien à bâtons rompus.
Esthétiquement, on a l’habitude que la richesse des univers soit servie par la finesse et le sens du détail de Villö Farkas, cette grande prêtresse à l’ébouriffant talent, responsable d’une direction artistique comme on en croise rarement dans le jeu de plateau. La jeune graphiste semble bien inspirée par le thème de la magie. Voici d’ailleurs une ancienne interview où elle retrace son parcours.
Un culte cultivé ?
J’avoue honteusement n’avoir essayé dans ma courte vie de joueur ni Anachrony, ni Trickerion et encore moins Voidfall, mais j’ai rencontré des aficionados. Pour ces adeptes de l’exigence, ces puristes de mécaniques ludiques léchées, je doute que l’adoration s’en tienne au simple aspect visuel, fût-il d’une cohérence absolue avec l’univers traité. Si ces jeux ont acquis leurs lettres de noblesse, c’est de toute évidence par la force de leur proposition ludique, l’originalité et la solidité de leur gameplay et, revers de la médaille, une certaine difficulté à le faire jouer au premier venu.
Septima était donc éminemment attendu, et là encore, Mindclash a régalé son monde en matériel de qualité. La version essentielle et sa petite extension Métamorphes et Présages envoient déjà du lourd dès l’ouverture de la boîte et le plateau une fois déplié provoque son effet waouh. Quant à la version de luxe, si le thermoformage n’est pas forcément des plus commodes, elle déborde de matériel customisé et ravira les amateurs de bibelots ludiques.
« Sorcière ! Sorcière ! Prends garde à ton derrière ! »
C’est à Robin Hegedüs qu’a été confié le développement de Septima, lui qui fait figure de novice face à l’expérience de son illustratrice ou de ses glorieux aînés comme Viktor Peter, un des auteurs d’Anachrony et mentor de Mindclash Games. Un joli défi pour lui, mais sans doute aussi une certaine pression au regard des attentes.
Vous êtes à la tête d’un couvent de Sorcières dans un univers de conte médiéval. Vous en aurez deux à votre disposition au départ (elles sont draftées entre les joueurs), chacune possédant un pouvoir particulier. Des pouvoirs qui ne brillent pas toujours par leur clarté et leur simplicité d’utilisation : on doit souvent retourner dans le livre de règles pour retrouver leur déroulé exact, quand on n’oublie pas carrément de les activer, et cela se complique encore si votre couvent passe à trois voire quatre Sorcières.
Vous allez vivre avec vos personnages ce que toute supposée Sorcière provoque et endure dans cet univers obscur et suspicieux : collecter des ingrédients en fonction des phases de la lune, créer des potions, vous en servir pour guérir des malades, jeter des sorts, vous faire pourchasser par la maréchaussée locale (en la personne de chasseurs coriaces) et passer souvent à deux doigts du bûcher, voire carrément vous faire cramer en place publique à l’issue de la traditionnelle Chasse aux Sorcières.
Chaque joueuse ou joueur va donc s’occuper des affaires courantes de son couvent et tenter de gérer au mieux son petit personnel de Sorcières et de Sorciers. Il faudra veiller à ce que chaque action soit suffisamment efficace pour générer de la Sagesse, autrement appelée Points de Victoire dans le jargon profane, tout en vous préservant des aléas qui pourraient décimer votre petite troupe si vous n’y prenez pas garde. Vous aurez à votre charge entre une et quatre Sorcières, ce qui vous confèrera autant de pouvoirs spéciaux. Surtout, vous allez scorer sur des objectifs, et ce d’autant plus qu’il restera de personnages dans votre couvent en fin de partie. Il est donc vital de les préserver ou d’en recruter d’autres.
La plupart des actions seront effectuées en mode « card driven » : simultanément, chaque joueur révélera la carte sélectionnée pour l’action du tour et l’appliquera. Le petit twist sympa mais pas toujours évident à provoquer résidera dans la création d’une Harmonie : si plusieurs joueurs, façon transmission de pensée, choisissent la même action, cela déclenche deux bonus et un malus. Cela ne tient pas qu’à de la télépathie car la règle précise que les joueurs ont le droit de communiquer entre eux sur leurs actions, que ce soit en mode sincère ou bluff ; chacun choisira à sa convenance entre la carpe et la pie – mais nous reviendrons aux animaux plus loin !
L’Harmonie : un accord parfait ?
Commençons par les aspects positifs d’une Harmonie : les Sorcières ont démontré leur capacité à se synchroniser, ainsi leur action est bonifiée (soit plus forte, soit enrichie d’une action secondaire), et elles peuvent faire progresser leur marqueur sur la piste d’Harmonie qui offre régulièrement des récompenses. Mais, effet négatif presque inévitable, elles éveillent la méfiance des honnêtes citoyens, leur Suspicion augmente, elles progressent alors sur la piste du même nom.
Si l’idée est bonne et colle plutôt bien au thème, la mise en œuvre d’une Harmonie est complexe et souvent aléatoire. Dans les parties à deux joueurs, elle relève même de l’improbable, à moins de communiquer à outrance. De plus, le bonus de progression sur la piste d’Harmonie est conditionné au symbole relatif à l’action choisie, ce qui augmente les contraintes et rend encore plus hypothétique une parfaite optimisation de l’action.
Souvent, on finit par renoncer à cette Harmonie car l’action bonifiée n’est pas exceptionnelle, mais surtout parce que l’augmentation de la suspicion peut s’avérer très pénalisante : à chaque tour, une Chasse aux Sorcières est lancée contre celles dont la suspicion a progressé. Nous reviendrons sur les pouvoirs de nuisance des Chasseurs.
Alchimistes, mais en moins rigolo
Jetons un œil sur les actions de base. Pour les fans (dont je suis) du jeu de Matúš Kotry Alchimistes, vous serez en terrain connu puisque vous arpenterez la forêt pour trouver des ingrédients, genre Mandragore, et vous devrez les combiner pour fabriquer des potions. Là où Alchimistes était autrement plus drôle et palpitant sur cet aspect, c’est du fait que les décoctions obtenues étaient souvent inconnues, nécessitaient d’être testées et produisaient parfois des effets ahurissants (courir tout nu dans l’Université par exemple…). Ici, les Sorcières connaissent bien leur métier, pas de surprise sur la recette ni sur les conséquences de l’absorption d’un breuvage donné.
Ainsi, soigner des malades avec un des trois Remèdes requis (contre la cécité, les infections ou la paralysie) vous fera gagner de la Sagesse. Quatre autres élixirs vous octroieront un pouvoir à utiliser une fois : créer une Harmonie ex-nihilo, rendre un Chasseur inactif, se déplacer où l’on veut, influer sur les Procès. C’est un peu plan-plan, poussif et pas particulièrement amusant. Des pouvoirs linéaires et sans relief que, rapidement, on n’a plus vraiment envie de réessayer…
Le bon Chasseur et le mauvais Chasseur
Hélas, la vie de Sorcières n’est pas une sinécure. Une fois qu’elles auront effectué leurs rituels à la pleine lune et fait bouillir des crânes de rat dans leur chaudron, il faudra bien qu’elles paient les conséquences de ces actes. Chaque fois que leur Suspicion progressera, des Chasseurs se lanceront à leurs trousses sur le plateau et tenteront de les capturer.
Un lancer de dé déterminant leur déplacement, les Chasseurs avanceront plus ou moins loin jusqu’à atteindre, ou pas, votre position. C’est largement aléatoire, et pour s’en préserver, la Sorcière prudente devra cantonner ses déplacements à la partie centrale du plateau, moins riche en ingrédients, mais plus difficile à atteindre pour leurs ennemis.
En cas de capture, l’une des Sorcières de votre Couvent se retrouvera derrière les barreaux et comparaîtra au Tribunal en fin de Saison. C’est ainsi qu’auront lieu un ou deux procès de Sorcières. Un procès perdu signifiera le bannissement de la Sorcière et de ses cendres, elle sortira du jeu (heureusement, il en restera toujours au minimum une dans votre couvent, c’est la règle). Un procès gagné permettra à la Sorcière sauvée de réintégrer un couvent, celui du joueur qui l’a le mieux défendue. Un système de majorité bien pensé, quoi que pas particulièrement original, résoudra ces procès par tirage au sort dans un sac contenant des Fidèles (à la couleur des joueurs) et des Opposants (rouges). La composition du sac résultera de nombreuses issues au cours de la Saison, on ne les détaillera pas ici. Un mélange de hasard et de gestion des probabilités. Plutôt plaisant, et comme on tire les personnages du sac un par un, le suspense demeure souvent jusqu’au dernier.
Ces passages par les Tribunaux marquent la fin de la Saison, une autre va pouvoir commencer. On ajoutera souvent un Chasseur supplémentaire, histoire de bien enquiquiner ce petit monde trop tranquille, on renouvellera les patients à soigner, et ce sera reparti pour une nouvelle manche. La partie s’achèvera à l’issue des quatre Saisons, soit une année si vous comptez aussi bien que moi.
« Quand on a un chapeau magique, bah on fait sortir un lapin ! »
Il existe une façon élégante mais fort paradoxale d’éviter la déconvenue avec les Chasseurs et le bûcher qui peut s’ensuivre : si vous jouez avec l’extension, vous aurez la possibilité de vous transformer en galinette cendrée animal qui fera redescendre votre jauge de Suspicion et vous préservera de leurs poursuites. Un comble !
Chaque joueur, en jouant l’action « Se transformer » pourra donner à l’une de ses Sorcières l’aspect d’un Animal à choisir parmi deux, et de façon asymétrique : un joueur peut choisir entre la Grenouille et le Serpent, un autre entre la Chèvre et le Lapin, etc. Chaque Animal dispose d’un pouvoir spécifique applicable à une action particulière. Inconvénient, il n’a à sa disposition que quatre actions possibles au lieu de huit, et il faudra bien que la Sorcière, tôt ou tard, reprenne forme humaine pour retrouver toutes les cordes de son arc.
C’est à mon sens l’idée la plus fun du jeu, elle fait entrer dans un gameplay différent, ouvre des possibilités et des choix très intéressants, et de plus les pions à l’effigie des Animaux sont vraiment très jolis. Dommage que cela ne soit pas inclus dans le jeu de base.
Difficile à apprivoiser sous certains aspects, Septima prête peut-être un peu trop le flanc à la critique cynique : surproduit, survendu, peu fluide (en raison de nombreux retours à des points de règle), voire un peu boursouflé par moments. Il laisse aussi une place importante au hasard, ce qui n’est jamais très apprécié chez les joueurs d’eurogames. Le jeu a pourtant du répondant : une bonne tension sur le choix des actions, des séquences haletantes, des moyens subtils de comboter, et pas mal de bonnes idées. Tout auréolé de son label Mindclash, il vous en met plein la vue, mais au sens propre surtout : son visuel est certes impeccable (encore que, le style des personnages Sorciers et Sorcières ne fera pas forcément l’unanimité). Pas bâclé mais parfois bancal, fortement déconseillé à deux joueurs en raison de la rareté du déclenchement des Harmonies, le jeu ne coche pas toutes les cases pour que je sois tenté de le défendre bec et ongles. Cela ne m’empêchera pas d’y revenir régulièrement, ne serait-ce que pour tester d’autres pouvoirs des animaux de l’extension.
Entretien avec Atom sur Mindclash
Quand tu m’as présenté Septima il y a quelques semaines, tu m’évoquais Mindclash avec les yeux qui brillent ! Quel a été ton premier souvenir de rencontre avec cette maison d’édition ?
Atom : C’est avec Trickerion que j’ai découvert Mindclash. Je n’avais jamais vu ça, un jeu très dense qui mélange de la pose d’ouvriers twistés, de la programmation, tout cela pour produire des spectacles qui vont nous donner des points de victoire, mais aussi des Trickerion, de l’argent, etc. J’avais particulièrement apprécié une interaction mi-positive, mi-négative sur ces spectacles. Avec les Allées Sombres, on passait dans un autre monde avec une asymétrie délicieuse. On ne peut pas parler de Trickerion sans évoquer son thème omniprésent avec une direction artistique incroyable soutenue par le travail d’illustration de Villö Farkas.
Seulement voilà, Trickerion ça se mérite, les parties sont longues, les joueurs connaissant le jeu ont un avantage certain, c’est un jeu ou dès le début de la partie tu peux réfléchir à la fin, planifier et de fait, c’est un jeu qui ne sort quand même pas autant que j’aimerais.
Qu’est-ce qui t’a attiré dans ces jeux ? Ont-ils un je-ne-sais-quoi que d’autres n’ont pas ?
Atom: Tout d’abord le travail thématique, que ce soit Trickerion et ses magiciens, l’apocalypse d’Anachrony avec ses factions qui tentent de prendre le pouvoir, soit par la force pure, la religion, la science ou encore l’harmonie. Chaque faction est typée à la fois thématiquement et mécaniquement et chaque partie est différente de par sa variabilité et sa rejouabilité. J’aurais pu parler aussi de Cerebria, quel projet dingue quand on y pense, un jeu de contrôle de territoires en équipe où comme dans Vice Versa de Pixar, on joue des émotions, positives d’un côté (joie, amour) et négatives de l’autre (tristesse, haine) avec là encore un travail artistique.
C’est un peu là qu’ils m’ont perdu, si le jeu est incroyable, c’est juste un peu « too much », il faut plusieurs parties pour apprivoiser le jeu et sa myriade d’icônes en tout genre. Sachant que les premières, on va jouer avec des decks de cartes un peu basiques, et tout le sel du jeu va être dans la construction de son deck de cartes émotions et sa maîtrise. Malgré de nombreuses parties, je n’ai jamais atteint ce seuil, pour y arriver il faudrait jouer sans arrêt avec le même groupe de quatre personnes et sans de trop longues pauses, sans quoi on oublie les nombreuses règles. Cela me semble assez impossible aujourd’hui.
Selon toi, quelle place prend Septima dans la ludographie Mindclash ? Vois-tu une évolution dans les choix éditoriaux ?
Atom : Comme je te disais, ils m’ont un peu perdu ou mes goûts ont évolué et tendent vers une forme d’épure mécanique, ou les deux, bref je m’en suis un peu détaché, mais avec Septima, j’ai l’impression qu’ils ont essayé de proposer quelque chose de plus “simple”. Alors entendons-nous bien, simple pour un Mindclash ; après tout le nom de la compagnie signifie tout de même choc mental, on ne nous ment pas sur la marchandise 🙂
Et en effet, le jeu est relativement simple comparativement aux trois mastodontes cités plus haut, même s’il y a une multitude de petites règles que l’on va oublier les premières fois et une iconographie encore trop abondante.
Pour répondre à ta question, je ne vois pas une évolution, mais plus une tentative. J’allais oublier Astra qui est peut-être la vraie incursion vers du jeu familial mais ça n’a pas été une réussite. Finalement Mindclash n’est jamais meilleur que quand il fait du Mindclash, quelle surprise ^^. Ils auraient tort de renier leur engagement de départ.
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