Rencontre avec Massimiliano Pinucci | Airships : North Pole Quest

 

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Massimiliano « Max » Pinucci aux commandes de son avion

Depuis 5 ans (déjà) que j’ai repris l’écriture de la chronique sur le participatif « La Sélection Naturelle », et grâce à ma double casquette Ludovox-Cwowd (ou l’inverse, je ne sais plus trop avec le temps), j’ai eu l’occasion à de nombreuses reprises de discuter avec des porteurs de projets, voire occasionnellement de sympathiser un peu avec eux. Après l’annulation de la campagne du jeu Airships : North Pole Quest, campagne que je n’avais regardée que d’un œil distrait (n’étant pas du tout la cible), j’ai été orienté par François-Gilles Ricard (le boss de Platypus Games, éditeur de The Great Race) vers son porteur Massimiliano « Max » PINUCCI, également auteur et éditeur du jeu en question.

François-Gilles désirait que je prenne contact avec lui pour peut-être l’orienter et le conseiller pour le reboot de sa campagne. Malgré le fait que j’ai toujours des scrupules à conseiller qui que ce soit sur une campagne (et quand je le fais c’est toujours avec énormément de précautions) n’étant qu’un simple observateur du monde du participatif, j’ai donc envoyé un petit message à Max. Je ne pensais pas que cette relation épistolaire allait durer, mais je me trompais lourdement.

Je me trompais. Sur le Monsieur d’abord, et surtout en fait. Là où je pensais trouver un auteur un peu « dans son monde » qui avait développé seul dans son coin un jeu de niche sur un thème original, mais complètement à côté de la plaque pour ce qui est de sa réalisation, je suis tombé à ma très grande surprise sur un passionné ultra pointu dans le domaine de l’aéronautique qui savait bien où il allait. 

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L’aéronautique est l’un de ses métiers (car il a plusieurs casquettes). Il est de surcroît une sorte d’expert de l’industrialisation et de la gestion de projets d’envergure. À tel point que j’ai fini par me demander ce qu’il pouvait bien faire dans le domaine de l’édition de jeu de plateau avec un tel pedigree.

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Son avion.

Juste pour situer le bonhomme : il possède une entreprise en Italie qui a plusieurs activités, dont une spécialisée dans la conception et la réalisation d’intérieurs personnalisés (lire : de luxe, mais pas que) d’avions privés et une autre dans l’édition de livres de luxe (encore) sur l’aéronautique. Et cela n’est que la partie visible de l’iceberg Pinucci, qui est également professeur de composition graphique et de stratégie de la communication à l’Istituto Superiore per le Industrie Artistiche (Institut Supérieur des Industries Artistiques, ISIA) de Florence (après y avoir été élève), professeur invité de plusieurs instituts italiens et américains ainsi que d’universités de par le monde, établissements dans lesquels il donne des cours de design de musées (si si, ça existe !), de stratégies pour le luxe, de Mobility Design, etc. Musicien de jazz à ses heures perdues (à la contrebasse), il est bien entendu pilote et possède son propre avion (un biplan, pas un jet d’affaire). Bref, c’est le genre de personne dont le CV clôt le bec de n’importe quel DRH. De n’importe qui d’ailleurs. 

Pour terminer, j’ajoute que Max parle parfaitement le français, qualité très chère à mon cœur tant elle m’a facilitée les choses dans notre correspondance ! Et la dernière de ses qualités et non des moindres : Max est quelqu’un d’éminemment sympathique et de très ouvert. Vous comprendrez aisément qu’après avoir pris la mesure de la personne, je me sois dis qu’elle gagnait à être connue. Aussi ai-je proposé à Max de réaliser une petite interview afin de mieux le présenter à la communauté ludique. En effet, je pense que son jeu Airships va être quelque chose de globalement assez exceptionnel, à l’image de son auteur. Et je me devais de faire prendre conscience aux gens potentiellement intéressés par Airships de la valeur ajoutée apportée par le vécu de son créateur. Bien entendu, Max a accepté ma proposition et malgré son emploi du temps de ministre, il a bien voulu me donner un peu de son précieux temps pour répondre à mes questions.

Mais foin de long discours, laissons lui la parole.

 

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Gougou : Bonjour Max. Peux-tu te présenter et nous dévoiler ton parcours professionnel ?

Avion-max-pinucci-2Max : « J’ai toujours été un enfant curieux (maintenant je suis plutôt un enfant âgé), et j’ai toujours aimé les avions et le vol. J’ai joué avec des maquettes de bateaux et d’avions, inventant des jeux aux règles de plus en plus compliquées au point d’obtenir des durées de partie pouvant atteindre des jours entiers ! 

Puis, ce qui n’était qu’un jeu d’enfant est devenu une passion, et j’ai commencé à piloter des avions de tourisme et des planeurs (et tout cela grâce à une fille française que j’ai rencontrée lors de mes séjours d’études à Grenoble). J’ai ensuite étudié à la faculté de design industriel de Florence où désormais j’enseigne depuis 20 ans.

Après quelques années de métier, j’ai commencé presque par hasard à travailler sur la conception d’avion de tourisme, de l’intérieur à l’ergonomie, des interfaces instruments aux sièges et tableaux de bord et même, pour certains d’entre eux, les lignes extérieures et l’apparence générale. Aujourd’hui une quinzaine de modèles portent ma signature. 

Au cours de ces années, j’ai voyagé dans une cinquantaine de pays, j’ai été le superviseur de soixante-dix thèses. Dans mon hangar, mon avion monoplan a cédé la place à un biplan et à une moto anglaise. Presque par hasard, il y a dix ans, j’ai commencé à me passionner pour les dirigeables, dessinant d’abord des profils historiques de plus en plus précis, grâce à des collaborations internationales (avec des personnes telles que Bruce Dickinson, le chanteur d’Iron Maiden, et Thibault Proux de Flying Whales), puis rassemblés dans un livre, Airships, Designed For Greatness, The Illustrated History que j’ai vendu dans 32 pays.

J’ai finalement abouti à une collaboration avec la société suédoise Oceansky, opérateur de la dernière génération de dirigeables, pour conclure la conception et le lancement d’un jeu de plateau, Airships, North Pole Quest. Ce qui n’a pas été une conclusion mais plutôt un nouveau départ. »

 

G : Quel genre de joueur es-tu ?

M : « Je fais partie de cette catégorie de joueurs qui, lorsqu’ils voient la carte géographique du Risk (ou leur chars) se mettent à pleurer de douleur à cause de leur max-pinucci-conférenceapparence approximative. Ce joueur qui, enfant, adorait concevoir des jeux dédiés au premier Star Wars ou au Long Range Desert Group, jeux dessinés sur des feuilles de papier d’emballage mais avec une attention du détail obsessionnelle. Celui qui, à l’âge adulte, joue à des simulations de guerre navale destinées aux cadets officiers de la marine, mais aussi à Carcassonne et au Monopoly

Je suis fasciné par les mécaniques de jeu, par les miniatures, par le graphisme, par l’harmonie des pièces et des composants, et surtout par le storytelling, la narration. Le jeu doit me faire rêver de pays lointains et d’aventures, comme les bandes dessinées que j’aime (mes préférées ? Hugo Pratt et son Corto Maltese… mais aussi Hergé et TinTin, ou Roger Leloup et Yoko Tsuno). »

 

G : Qu’est‐ce qui t’as mené a la création de Airships ?

max-pinucci-devant-proto-airshipsM : « Pour partie, c’est l’amour pour l’histoire des dirigeables, la géographie et l’exploration polaire, des histoires que même le plus brillant écrivain de science-fiction n’aurait jamais pu imaginer. Mais aussi c’est la possibilité de se mettre dans la peau des commandants qui ont mené ces expéditions, de piloter les vaisseaux du ciel et en même temps gérer les budgets et l’équipage, de se retrouver dans une compétition pour atteindre ce qui n’était encore à l’époque qu’un espace blanc sur les cartes, violé par seulement une poignée de braves. 

J’ai un arrière-grand-père qui a conçu des cuirassés au début du siècle dernier, un grand-père qui, militaire, a vu les premiers dirigeables décoller dans la guerre de Libye en 1912 : comment ne pas les imaginer parmi les personnages de mon jeu ? J’ai extrait les profils, les cartes, les portraits du livre Airships dont j’ai parlé plus haut et j’ai commencé à les imaginer en trois dimensions… »

 

G : De quelle aide as-tu bénéficié pour le développement du jeu ?

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Massimiliano « Max » Pinucci et Gregory Alegi au Luccas Comics & Games

M : « Pendant l’écriture du livre Airships, j’avais déjà commencé à imaginer en tirer un jeu. Un de mes co-auteurs, l’historien de l’aviation Gregory Alegi, est fan de jeux de plateau et a de nombreux contacts chez les éditeurs. J’ai même eu deux étudiants, que j’ai suivi en tant que superviseur de leurs thèses universitaires, qui ont travaillé sur l’hypothèse du jeu.

Avec Gregory (et un joli premier prototype, très loin de ses successeurs) on est allé au Lucca Comics and Games, le plus grand événement européen dédié à la bande dessinée et aux jeux de société, encore plus grand que le légendaire Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, pour rencontrer des experts et des maisons d’édition, recueillant des avis et encouragements. 

Avec la fantastique équipe de mon studio, MBVision, nous avons commencé à affiner les prototypes, à travailler sur les mécanismes, les outils, les dynamiques de jeu. Mais le «vrai» travail, celui de la vraie vie pour le dessin des avions et les expositions, continuait à ralentir son développement. Plus tôt cette année, l’épidémie et le confinement nous ont fait perdre de nombreux contrats, et le jeu a pris la place qu’il méritait. Nous avons concentré toutes nos énergies sur lui et sur la campagne Kickstarter. 

livre-coffret-airshipsComme pour la conception de nos avions, la chose la plus importante c’est d’avoir une équipe d’esprits brillants et soudés. Nous avons travaillé sur le graphisme, la modélisation, l’illustration pour les composants, les miniatures, le packaging. Avec l’aide d’experts, de joueurs, de programmeurs et même de statisticiens, les mécanismes ont été améliorés. Des professionnels ont contribué à la campagne Kickstarter, tandis que nous nous sommes occupés de la communication. Nous avons également dû travailler sur des choses moins excitantes comme la logistique, l’expédition, les droits d’auteur, la production de masse. 

Tous ces talents ne proviennent pas que de mon studio de Toscane, mais aussi d’autres régions et d’autres pays, comme les États-Unis, la Suède, la France et l’Ukraine. De nombreux conseils sont également venus des backers de la première campagne, qui nous ont aidé grâce à de précieuses suggestions. Nous avons beaucoup appris, nous essayons de grandir. Comme pour les pilotes, la seule façon d’acquérir de l’expérience est de voler. »

 

G : Au sujet de cette première campagne, comment toi et ton équipe avez-vous vécu cet échec ? Et quelles sont les décisions que vous avez dû prendre pour améliorer l’offre de la deuxième campagne ?

M : « Pour commencer, nous n’avons pas considéré cela comme un échec, mais plutôt comme une leçon. Dans mon domaine professionnel, en particulier dans l’aviation, le financement est une procédure courante, en particulier dans la recherche avancée. J’ai beaucoup d’expérience dans ce domaine (j’ai participé à airships-matérielde nombreux projets européens). Kickstarter nous a plutôt pris par surprise. Nous avons préparé la première campagne dans le but de raconter un bon projet lequel, s’il avait été financé, aurait conduit à un bon produit. 

Au contraire, dès les premières heures le comportement et les questions des backers nous ont fait comprendre que quelque chose n’allait pas. Ils nous ont demandé le PDF des règles en allemand, les coûts de l’expédition aux Malouines, ils ne nous faisaient pas confiance. Pas tous, beaucoup d’eux nous ont donné des conseils, de l’aide, des suggestions. Mais il était trop tard, nous ne nous attendions pas à ces réactions et la seule solution était de tout stopper. Cela m’a coûté un peu, mais à mi-chemin de la campagne (après avoir récolté 70% de l’objectif), j’ai décidé d’arrêter. 

Nous avons expliqué les causes de cette annulation et que nous allions revenir, et ce qui est génial c’est que beaucoup nous ont écrit pour partager leur satisfaction de ce choix et nous souhaiter bonne chance. Pas seulement des backers, mais aussi des designers de jeux et des éditeurs. Nous avons impliqué dans la nouvelle campagne l’une des personnes, avec sa société italienne, qui nous avaient critiqué et donné des conseils. Nous avons fait de même avec un expert aux USA. Ensuite, nous avons reconstruit la campagne en préparant le terrain avec des réunions via internet, des tests de jeux, la préparation de vidéos, la photographie des prototypes, le peaufinement du livret de règles, la préparation d’éventuels fournisseurs. Je pense que tout ce travail a été apprécié et a payé. »

 

G : Comment juges-tu le déroulement de cette deuxième campagne ? Est-elle à la hauteur de tes attentes ?

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Massimiliano « Max » Pinucci aux commandes virtuelles du dirigeable Graf Zeppelin.

M : « Quoi dire ? Je pourrais citer un de mes proverbes préféré, « Je ne suis pas superstitieux, car cela porte malheur ». Je plaisante, mais je parlerai de la campagne … quand elle sera terminée.

Évidemment, nous sommes très satisfaits de la façon dont cela a commencé. Sur la première campagne nous avons atteint 70% de l’objectif en 50% du temps, le résultat est cette fois complètement différent avec 100% en 24 heures. Les mathématiques aident à comprendre les scénarios. Nous sommes donc très heureux, mais nous travaillons pour atteindre le plus d’objectifs possible, ce qui garantira aux joueurs la meilleure qualité et une satisfaction maximale. 


On a beaucoup de stretch goals, très variés, capables d’augmenter la qualité, la jouabilité, et au final la diffusion de Airships North Pole Quest. Je peux dire que le plus beau cadeau est que ce n’est pas moi qui dois me réveiller pour regarder le chiffre atteint. Mes collaborateurs le font, et ils se battent pour donner aux backers tous les retours et explications possibles, avec de nombreuses fonctionnalités telles que le mode solo, d’autres pays avec lesquels jouer (France), de meilleurs matériaux, de nouveaux composants et de nouvelles langues… 

Maintenant, on va se concentrer sur la dernière semaine. Alors que nous sommes à mi-chemin de la campagne et à 180% du financement, un grand merci à l’équipe qui ne s’est pas laissée décourager et à tous ceux qui, par leur soutien et leurs conseils, nous ont aidés à remonter sur scène. Parmi lesquels il y a toi aussi. Merci ! »

 

 

► Voir la campagne KS de Airships: North Pole Quest (elle prend fin le 27/10/2020)

 

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3 Commentaires

  1. Macnamara 14/10/2020
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    Merci, même en ayant suivi la campagne KS, on apprend beaucoup avec cette interview. Et c’est rassurant de savoir que les mécaniques du jeu (équilibre, fluidité…) ont été travaillées par des pros. Il n’y a aucune crainte quant au matériel qui semble exceptionnel (surtout si les SG « Miniatures en metal » sont débloqués).

  2. Gougou69 14/10/2020
    Répondre

    Les SG de cette campagne sont de vrais SG, pas des trucs prévus à l’avance et dont le coût est englobé dans la totalité du projet. Mais Max m’a dit vouloir faire le forcing pour en débloquer un maximum car il a à cœur de fournir le plus beau jeu possible (partant du principe qu’il est déjà bon 😉 ).

  3. morlockbob 15/10/2020
    Répondre

    effectivement, son cv  est impressionnant, mais sa façon de voir motivante.

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