Rallyman : rencontre avec l’auteur, Jean-Christophe Bouvier
Ce dimanche 12 juin 2016, nous profitons des éclaircies du week-end (le début du mois de juin 2016 restera dans les annales des météos les plus détestables) afin de nous rendre, en famille, à Saint Didier en Velay, au domicile de Jean-Christophe Bouvier, pour une rencontre au cours de laquelle nous parlerons de Rallyman, du jeu de société, et de la vie.
Voici une retranscription formalisée de notre discussion sur son aventure en tant qu’auteur, et sur son bébé.
Bonjour Jean-Christophe, merci de nous accueillir chez toi en ce dimanche. Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel ?
Bonjour Damien [ndlr Alendar] et aux lecteurs de Ludovox.
Je suis Ingénieur Mécanique de formation, et ai travaillé pendant 6 ans au Bureau d’Etudes chez Décathlon. J’étais chargé du développement des VTCs et de la gamme Btwin. Par la suite, j’ai quitté mon poste pour un emploi sur Saint-Etienne pendant 8 ans, toujours dans un Bureau d’Etudes dans la conception de matériel pour le sport-loisir pour personnes handicapées, de trottinettes et tricycles pour enfants. Malheureusement, l’entreprise ayant des difficultés financières, j’ai subi un licenciement économique. Il m’a fallu rebondir, et la seule solution qui était à ma disposition à ce moment là était l’aboutissement du jeu Rallyman.
J’ai monté mon EURL, et de 2009 à 2014, je me suis consacré à ce bébé. Cependant, les ventes n’ont jamais explosé (10 000 ventes pour le jeu de base, et 2000 pour Dirt) et malgré un succès d’estime, j’ai dû me résoudre à changer d’orientation professionnelle. Je suis donc devenu vacataire en collège, d’abord en tant qu’enseignant en mathématiques, puis en technologie.
C’est un métier très riche dans lequel je mettais beaucoup d’investissement personnel. Cependant, depuis quelques mois, j’ai quitté l’enseignement, et ai trouvé un poste de Chargé d’Affaires dans une société transformant tubes et tôles métalliques. En parallèle, je conçois et fabrique des Drift Trike (marque Jessie Bee), tricycles de descente inventés il y a quelques années en Nouvelle Zélande.
- Comment as-tu plongé dans les jeux de société ? C’est un hobby auquel tu t’adonnes régulièrement ?
J’ai toujours été passionné de voitures et de sport automobile : autant que je me souvienne, j’ai toujours été abonné au magazine Auto Hebdo. C’est en parcourant ses pages que j’ai pu voir des publicités pour Formule Dé. Cela m’a mis le pied à l’étrier, aussi bien en tant qu’amateur de jeux, qu’en tant qu’auteur.
J’avais envie de créer un jeu sur le thème du rallye, et je me suis mis à faire des recherches sur des sites (Trictrac et Jeuxsoc de François Haffner). C’est comme ça que j’ai découvert que le monde du jeu était plus important et développé que je le croyais.
- À quoi joues-tu et avec qui ?
Je joue régulièrement en famille, avec mes filles, notamment aux Aventuriers du Rail US dont nous ne nous lassons pas, 7 Wonders et Sandwich ! ! J’ai pu échanger des boites de Rallyman contre d’autres jeux, comme Thunder Alley, les boites s’étant croisées au-dessus de l’Atlantique.
Une infime partie de la ludothèque de Jean-Christophe où j’ai déniché des exemplaires de… Rallyman!
Je serai ravi d’essayer Wing of War avec un joueur qui voudrait se joindre à moi, même si je suis mauvais. J’ai craqué sur ce jeu à cause de son matériel : regarde la quantité de figurines d’avions qui sont proposées ! J’aurai adoré avoir des miniatures de voitures de cette qualité pour mon jeu !
Sinon, j’ai pu jouer récemment dans une association qui sillonne les villages des environs, « T’as de beaux jeux ! ». C’était vraiment sympa.
Lorsque j’étais enseignant, j’ai pu proposer des jeux à mes élèves : c’est un très bon support pédagogique. J’avais notamment utilisé un de mes prototypes : Telephony. C’est un jeu sur le développement du téléphone mobile : on dirige une société qui essaye d’augmenter son nombre d’abonnés, son chiffre d’affaire, et bien entendu son réseau de diffusion.
Il y a des enchères pour l’acquisition des antennes, ainsi que tout un système de cartes afin de faire de la publicité, de fixer un prix de forfait,… afin d’être attractif. Les enfants deviennent fous quand il y a des enchères !
Le prototype en question.
- Quelle est l’histoire de Rallyman ?
Comme je le disais, j’avais envie de créer un jeu sur le rallye, et en recherchant sur les sites disponibles de l’époque, je me suis rendu compte que le thème était peu exploité, surtout que ma mécanique était originale.
Je voulais faire un jeu en partant du thème, un jeu avec le vocabulaire du Rallye, un jeu pouvant restituer son ambiance. J’ai moi-même eu la chance de faire pas mal de karting et même des courses dans le passé, mais c’est une passion qui revient cher, et le jeu était un bon moyen d’ouvrir ce sport automobile au plus grand nombre.
C’est donc en 2001 que l’histoire de Rallyman a véritablement commencé, avec le premier prototype.
Par la suite, j’ai participé au concours de créateurs de Boulogne, mais mon jeu, après avoir été sélectionné pour concourir n’a pas été primé, deux fois !
J’ai pu rencontrer François Haffner qui m’a dit : « Le jeu est bon, (et encore il n’y avait pas la grosse attaque à l’époque) mais la thématique est très années 80 ». Il est certain que ça refroidit.
Ci-contre, un aperçu d’une version avancée du prototype de Rallyman.
Par la suite, j’ai eu des contacts avancés avec la société Days of Wonder qui s’est montrée intéressée par mon projet, mais finalement ils ont fait machine arrière ; ce fut une bonne baffe ! J’ai remisé le jeu au placard pendant deux ans, un peu dégoûté.
En 2008, c’est la crise financière, et je perds mon emploi. Rallyman sera ma bouée de sauvetage, et je monte une EURL en 2009 afin de me consacrer au jeu.
Le jeu aura de bons retours avec une Tric trac TV sympa, et une critique élogieuse de la part de Bruno Cathala qui fut un des tous premiers clients : je ne le connaissais encore que de réputation et quand j’ai vu son nom sur le bon de commande de ma boutique en ligne, j’ai eu un gros trac !
Au cours de son développement, je n’étais pas loin de décrocher un sponsoring avec Sébastien Loeb , mais après plusieurs revirements, cela ne s’est pas fait…
En 2014, c’est la fin de la société Rallyman, et la création d’une association du même nom afin de continuer à faire vivre le jeu, principalement grâce au site dédié au jeu (ICI), et à l’organisation d’un championnat de France.
Actuellement, la distribution du jeu est faite par Asmodee et moi-même, et Rallyman continue à se vendre au rythme de quelques boites par mois, sachant que son volume global réalisé est d’environ 10 000 boîtes, ce qui n’est pas si mal parait-il.
- C’est ton premier jeu ?
Pas vraiment. J’ai créé mon premier jeu à l’âge de 10 ans. C’était un jeu de course de formules 1 !
J’avais fait un système de crash, un peu comme dans une course de stock car j’utilisais des voitures faites en Lego, et les véhicules perdaient des pièces lors des contacts. Je jouais avec mon frère, mais comme j’étais malin, j’avais toujours une voiture avec de nombreux éléments !
- L’idée de base, une vitesse par case, une idée géniale ?
Cette idée m’est venue en donnant le biberon à ma fille. J’adorais Formule Dé, mais le trouvais trop calculatoire, car les accélérations sont lentes et nécessitent de trop longues lignes droites, ce qui est frustrant. Pour les freinages, c’est la même chose : il fallait anticiper longtemps à l’avance, ce qui n’est pas du tout réaliste. Normalement, tu accélères à fond, et tu piles juste avant le virage ! Bref, cela manquait de nervosité.
Du coup, l’idée m’est venue comme ça : je me suis dit 1 case = 1 vitesse !
Plus tard, notamment après le concours de Boulogne, j’étais en colère contre les retours que j’ai pu avoir. Les gens trouvaient cela extrêmement pénible de jeter les dés les uns après les autres. De rage, je jette tous les dés sur ma table en me disant que s’ils n’étaient pas contents, ils pouvaient jeter les dés tous en même temps ! C’est comme ça que la Grosse Attaque est née ! Cela ajoutait une dose de fun et de prise de risque. De plus, sans ce point de règles, les temps des joueurs étaient souvent semblables, alors que cette règle permettait de créer des écarts, et aussi d’ajouter de l’interaction entre les adversaires qui pouvaient se chambrer et s’inciter à prendre encore plus de risques.
MRCs peintes.
- Une chose technique me chagrine depuis longtemps sur le jeu : un pilote fonce à fond de train sur une ligne droite en faisant la combinaison 4/gaz/gaz/5, ce qui le fait avancer de 4 cases. Son poursuivant décide de le doubler pour le gêner dans le virage suivant en faisant un 5/4/3/2/1/gaz/gaz, ce qui le fait avancer de 7 cases. Alors d’accord, le premier pilote met 10 secondes à traverser 4 cases, et le second 50 secondes pour traverser 7 cases (il est donc en effet plus lent), mais le second double tout de même le premier sur le plateau… C’est une distorsion de l’espace-temps ?
Oui, cela peut arriver surtout s’il y a une différence importante de niveau entre les joueurs, d’autant plus que certains joueurs, les amateurs confirmés souvent, ont du mal à intégrer qu’il ne s’agit pas de déplacer sa voiture du plus grand nombre de cases. Dans certains cas, il est même préférable de n’avancer que d’une seule case !
J’avais ajouté une règle : il est interdit de doubler quelqu’un si on ne le fait pas dans un rapport supérieur à celui qu’on veut doubler. Cependant, cela ajoutait encore un paragraphe dans le livre de règles, et je n’ai pas jugé nécessaire de conserver ce point pour une chose qui était tout de même rare.
- Concernant l’auto-édition, n’est-ce pas un pari risqué que de se passer d’un gros appuis ? Quelles ont été les différentes étapes pour mener à bien ton projet ?
C’était un projet passionnant avec beaucoup de contact humain et de démarchage. Cependant, e n’ai pas trouvé d’éditeur désireux de prendre Rallyman sous son aile c’est pour ça que j’ai décidé de sauter le pas, et de créer ma propre entreprise.
Concernant la fabrication du jeu, les cartes sont faites en Pologne, les dés et jetons chrono en Angleterre, et le conditionnement est fait en France à Romans-sur-Isère. Seules les MRCs sont faites en Chine. Nous avons toutefois des entreprises spécialisées en plasturgie qui auraient pu les produire en France pour un prix similaire, mais ce sont les coûts du moule et des 10 opérations de peinture sur les véhicules qui ont fait grimper la note et rendu la fabrication impossible à ne pas délocaliser.
La sculpture de base des voitures a été faite en cire, puis en plastique avant d’être envoyée en Chine, où un contact bien connu du milieu des jeux s’est occupé de tout superviser, des négociations de production à la qualité des produits finis.
J’ai également eu le bonheur que Clovis, un des illustrateurs de Michel Vaillant, la bande dessinée culte de mon enfance, veuille bien s’occuper de l’illustration de couverture : un véritable bonheur et un honneur pour un passionné d’automobile comme moi !
- L’avenir de Rallyman, notamment concernant l’extension Dirt ?
À priori, il y a peu de chances de revoir Dirt sur les étales. Le jeu se vend encore sur la durée, ce qui est très bien pour un jeu de 2009, mais il n’y a pas non plus d’emballement, et vu le nombre de sorties de jeux de sociétés annuelles, je doute qu’il y ait encore de la place pour Rallyman.
La seule possibilité pour se procurer des pièces est de passer par la boutique du site où de nombreux éléments sont encore disponibles, dont de superbes modèles de MRCs. Par contre, pour les plateaux de Dirt, seul le PDF est récupérable : il faudra ensuite le faire imprimer.
[NB : j’en profite pour lui parler du participatif, de Ulule et Kickstarter !]
Sinon, il y a toujours une communauté autour du jeu, et beaucoup de choses se passent encore sur le site de l’association. Cependant, cette année je n’ai pas lancé d’édition du championnat de France, car les journées sont courtes, et que la mise en place d’un événement concernant le Drift trike sur Saint Didier et mon nouveau travail m’ont pris tout mon temps.
Par contre si quelqu’un veut s’occuper de prendre en charge un championnat de France, je serai heureux de fournir tout le matériel, mais aussi de participer en tant que pilote !
[NB : l’appel est lancé ! Si vous désirez vous lancer dans l’organisation du championnat de France de Rallyman 2016, contactez JCB ici jcb@rallyman.fr ]
En tout cas, le développement de la gamme Rallyman se poursuit toujours puisque j’ai le plaisir de t’annoncer une nouveauté pour les fans des années 80: les MRC Groupe B, disponibles sur la boutique Rallyman (205 turbo 16, Lancia 037 et Renault 5 maxi turbo sont disponibles et Audi Quattro et Porsche 911 vont suivre!). Et 7 nouvelles voitures au 1/144 (la version luxe du jeu) arrivent, dont la Lancia Stratos!
Les nouveautés à l’honneur !
- Le jeu de société, c’est fini pour toi, ou comptes-tu revenir avec d’autres jeux ? Quels sont tes projets ?
Ce n’est pas terminé, je continue de créer des jeux. Je développe un prototype depuis 2 à 3 ans sur les 24 heures du Mans, toujours dans le sport automobile donc. Le jeu tourne déjà beaucoup auprès d’un groupe de joueurs de Rallyman au Pays Basque, dont le champion de France Rallyman en titre Martin Delbouys, et j’envisage de faire une grosse session de tests prochainement [NB : faites la queue comme tout le monde, j’ai moi-même mis une option sur cette journée !].
Le jeu sera plus orienté sur le choix des caractéristiques des pilotes, leur ordre de passage, leur fatigue, des événements aléatoires… en même temps, c’est une course d’endurance, donc rien à voir avec Rallyman.
En dehors du jeu, je rêve depuis toujours de construire une automobile de A à Z : je progresse, car avec la fabrication de Drift Trike, il ne me manque plus qu’une roue !
- Un dernier mot ?
Oui. Avoir évoqué les débuts de Rallyman a fait resurgir en moi le souvenir de Vincent Moirin, le Monsieur 20.100 de TricTrac, un type extra et qui m’a bien soutenu par des articles et de la bienveillance à l’égard de mon projet depuis notre rencontre. Sa disparition fut un choc pour la communauté du jeu. La troisième édition de Rallyman porte une dédicace à son intention parce qu’il fait partie des gens que j’associe à l’aventure Rallyman.
Ainsi se clôture notre échange avec Jean-Christophe Bouvier, que je remercie pour cette super journée, pour son accueil (à lui et à sa famille), ainsi que pour nos discussions très enrichissantes sur le jeu et sur la vie !
Attention cependant aux attaques de chats ! 😉 (Il y en a 4 à adopter !)
GAZ ! GAZ ! GAZ !!!
Merci à GraphLSD pour les photos et les illustrations de l’article.
► Rallyman
► Le Just Played d’Alendar sur Rallyman
Un jeu de Jean-Christophe Bouvier
Illustré par Clovis, Philippe Bouvier
Edité par Rallyman
Date de sortie : 2010
De 1 à 4 joueurs
A partir de 9 ans
Durée moyenne d’une partie : 45 minutes
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Sthorm 22/06/2016
Excellente cette interview ! Jean-Christophe Bouvier est un mec adorable et passionné (que je n’ai hélas jamais rencontré, mis à part au téléphone et sur les forums) et je suis de ceux qui pensent que Rallyman mérite beaucoup mieux qu’un succès d’estime. C’est vrai que le financement participatif pourrait être une solution. A moins qu’un gros éditeur ne se penche sur son cas.
Sinon, je note pour le jeu sur les 24 heures du Mans. Pour le coup, étant fan de cette course, je suis hyper intéressé par le projet.
toooooof 22/06/2016
Très sympa, cette interview.
Je suis surpris par le tirage de Rallyman, j’aurais dit sensiblement plus, vu le nombre d’éditions
Zuton 23/06/2016
Excellente interview dans laquelle on ressent une pointe de nostalgie de l’auteur pour son aventure ludique. Je l’avais rencontré au festival Place Aux Jeux 2011 (de mémoire) lorsqu’il faisait la promotion de Rallyman sur un circuit géant. J’étais forcément reparti avec une boite qui est toujours dans ma ludothèque, même si j’avoue qu’elle n’en sort plus. Sympa le clin d’œil – hommage à 20100 auquel il m’arrive aussi de repenser. RIP.
Alendar 07/11/2017
Vu sur Cwowd: un rallyman sur KS en 2018 .
Source: Cwowd