Prey another day : serez-vous la proie ?
Il y a des jeux qui divisent les avis : on aime ou on n’aime pas. Pour des raisons intrinsèques au jeu, des goûts, des répulsions envers certaines mécaniques, ou pour des raisons qui dépendent plus du moment, des gens et du déroulé de partie. On a pu passer à côté de la bonne partie, la bonne configuration. J’aime à croire que c’est le cas de Prey Another Day, les personnes qui n’ont pas aimé le jeu n’ont juste pas eu la chance de l’enchaînement qui fait le sel du jeu.
Nous vous proposons un petit débat entre Natosaurus et Atom, qui vous le verrez, n’ont pas le même avis sur ce jeu.
L’ours, le lynx et la souris
Un exercice de style, un jeu épuré : On a tous les mêmes cinq cartes en main, on en joue une face cachée, on la révèle et on résout. On appelle l’Ours d’abord. S’il est présent il va pouvoir désigner un animal en dessous dans la chaîne alimentaire, si cet animal est présent dans les cartes encore cachées, il est mangé et éliminé. On ne peut chasser que si on est le seul à avoir mis son ours, cette règle est valable pour tout autre animal appelé ensuite. Sinon on se neutralise, pas de chasse.
Les joueurs qui ont survécu font une deuxième manche avec les animaux qu’ils ont encore en main. On sait alors quels animaux ont déjà été joués par les adversaires, les cartes jouées restent visibles. On peut alors imaginer ce qu’ils vont tenter de jouer pour survivre ou pour chasser.
Ceux qui ont survécu font une dernière manche, à l’issue de laquelle on compte les points des survivants. Un ours placé ramène 1 point (pas de danger avec l’ours), tandis que la petite souris qui se trouve au bout de la chaîne alimentaire rapporte 5 points.
La personne qui cumule le plus de points d’animaux sur ses trois cartes jouées remporte 2 jetons, au bout de 5 jetons, c’est partie gagnée. (et vous pouvez regarder le ludochrono, vous verrez, y a pas plus que ça).
L’ouverture de la petite souris
Lors de ma première partie, il s’est passé un déroulé qui m’a plongée immédiatement dans le pur plaisir du jeu : pas de résolution de pouvoir, juste du guessing ; que va jouer mon adversaire ? Est-ce qu’elle tente l’ouverture de la petite souris afin de marquer direct 5 points, puis avoir la certitude pour les prochaines manches de pouvoir jouer l’ours, puis le loup si tous les ours sont tombés. J’ai eu cette chance de goûter tout de suite le potentiel du jeu. Avec rien, 5 cartes, on est dans de l’infini guessing.
Mais peut-être Atom n’as-tu pas eu une première partie aussi haute en émotions ?
Atom : Je vais mettre un peu de contexte, Il faut dire que les copains et copines qui revenaient d’Essen l’ont annoncé comme étant LE jeu du salon, ce qui ma foi, projette quelques attentes. Et, je fus déçu, c’est vrai que l’on a un game design ultra minimaliste dans le plus pur style japonais, on pense notamment à Love Letter. Et en fait, on a un jeu de guessing pur où vous pouvez vous faire éliminer au premier tour, sauf si vous jouez l’ours vu que c’est le plus fort, mais vous ne l’aurez plus pour la suite de la manche.
Cette partie et les suivantes m’ont donné la sensation que le bluff existait certes, mais que ça se jouait beaucoup sur le hasard, l’ours chasse, il demande la chouette, pas de bol c’est ce que vous aviez choisi, et ben vous voilà désormais spectateur… Perdre n’est jamais bien grave, en soit, mais j’apprécie moyennement les jeux à élimination, parce que l’on est exclu (ou on exclut) du jeu et l’on devient un simple observateur des débats.
Alors, c’est vrai que les parties ne durent pas longtemps, enfin en principe, parce que cela peut durer jusqu’à trois manches, et le temps est élastique, quand on est pris dans le jeu en effet ça passe vite, mais quand on est sur le banc des remplaçants, le temps peut paraître long. Allez, qu’à cela ne tienne, on en refait une, on tente autre chose et … éliminé. Bon, on dirait que le jeu ne m’aime pas.
À la table, nous étions divisés. Il y a ceux qui savent tirer leur épingle du jeu et qui s’en sortent bien, et les autres qui… patientent. Bref, vraiment pas convaincu par l’expérience. Et puis, à la sortie française, j’ai eu envie de remettre ça, je me suis dit que ça pouvait marcher avec les enfants, après tout c’est le genre qui convient bien pour quelques parties rapides. Et là, l’expérience fut complètement différente, il faut dire que le jeu a un peu de guessing mais on peut y assortir un peu de bluff aussi, rien n’interdit de dire ce que l’on joue et de mentir ou pas… On passe d’une atmosphère sérieuse voire studieuse à un jeu plus ambiance.
J’étais passé à côté de quelque chose, avec son game design ultra épuré et rapide, on veut le jouer à beaucoup et en fait le jeu ne marche pas à plus de 4 joueurs. J’exagère un peu pour les besoins de la démonstration, car il est possible que vous ayez de belles expériences dans d’autres configurations, mais plus on est à la table et plus le hasard va être présent, et l’impression de ne rien gérer. Si deux personnes jouent le même animal, pas de chasse, idéal pour les petites proies qui peuvent s’en sortir, à trois joueurs je garde la sensation d’aléatoire fort, mais avec tout de même un espace de décision plus important et un peu de psychologie et de metagame – mais en réalité il va chez nous servir plutôt “d’’ice breaker” (même si je n’aime pas trop ce terme). Disons que c’est le jeu idéal (du moins en apparence) pour débuter une soirée.
Maintenant il y a un truc à dire, il fait partie de ces jeux qui dépendent énormément des joueurs autour de la table, il nécessite des joueurs qui aiment et maîtrisent le bluff et le guessing et dans le cas contraire, il arrive que ça tombe complètement à plat.
Natosaurus : Je ne le considère pas comme un joueur-dépendant ce jeu, comme peut l’être Link city, il a le défaut cependant d’être soumis au hasard du déroulé. Alors oui, il y aura forcément des personnes qui ne feront pas toutes les manches, car elles auront été croquées avant, mais c’est le risque de l’ouverture qui rapportera des points. Et oui, des fois on aimerait manger mais une autre personne a joué le même prédateur, mais là encore le choix du joueur est de rentrer dans le cerveau des autres et de comprendre ce qu’ils vont jouer afin de sortir sa carte en conséquence.
J’ai parlé de ma première partie magique, et forte de cette expérience j’ai fait circuler le jeu, tentant d’apporter à des nouveaux groupes de joueurs cette fabuleuse expérience. Il faut avouer que ça n’a pas marché à chaque fois. J’ai pu dire “Mais on n’a pas eu de chance, je vous assure, cette partie était fort plate”. Ceci est donc un plaidoyer pour vous inciter à redonner sa chance au jeu, en espérant qu’il vous apportera une configuration qui révélera tout son charme.
Alors il y a eu aussi ce débat sur la version d’origine de Spielwiese, avec ses grosses cartes au dos de cartes de rami et ses animaux sous acide (et sa cover chelou). Pour celles et ceux qui ont découvert le jeu avec cette boîte (celle du buzz d’Essen dernier), les avis étaient tranchés : j’adore / je déteste. La version localisée par Blackrock avec les illustrations de Stéphane Escapa est bien plus consensuelle, une approche plus familiale avec des animaux plus doux dans leurs couleurs, mais quand même trop agressifs pour laisser croire qu’il s’agît d’un jeu pour enfants. C’est un beau travail, même si le jeu m’avait aussi séduite par sa DA très particulière, très indé.
Atom : Pour ma part, je ne dirais pas que c’est un mauvais jeu, d’ailleurs je l’ai acheté et je le propose régulièrement, d’autant que j’adore le thème avec sa logique de chaîne alimentaire. J’apprécie aussi beaucoup l’exercice de style ultra épuré. Mais (oui vous le sentez venir, le mais) j’ai du mal à être subjugué par le jeu en lui-même, comme on disait, il y a des situations où le jeu ne marche pas du tout, et finalement on est soumis à l’aléatoire, avec des résolutions un peu bancales. Ce qui donne des parties un peu tristounes par moment.
J’apprécie l’exercice de style qui a conduit à la création de Good little Hunters proposé en PnP gratuit au public, qui est devenu ensuite le jeu que l’on connaît. Maintenant, je ne vois pas ce qui le distingue d’un autre jeu du genre et je me demande s’il fera vraiment date, mais ça seul l’avenir nous le dira.
Natosaurus : C’est justement ce strict minimum qui est sa force et sa distinction. Pas de pouvoir à résoudre, encore plus minimaliste que du japonais. Brett Gilbert et Matthew Dunstan ont crée ce jeu qui est sans doute le plus simple de leur collaboration, qu’il faut prendre avec cet espèce de méta jeu et espérer que la prochaine partie soit incroyable, car c’est ce qu’il a à offrir, des parties hautes en couleurs et en coups bas.
écrit à quatre mains par Atom et Natosaurus
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