Pendulum, le temps a vaincu

Pendulum est le premier opus édité de Travis Jones qui se voit publié directement chez l’estimée maison Stonemaier Games. Une opportunité en or pour ce jeune auteur, mais aussi un risque. De fait, Stonemaier Games a aujourd’hui pignon sur rue ; avec les succès, il a su fédérer un public autour d’un certain type d’édition, placée sous le signe de la qualité matérielle et de gameplay efficace. On en attendra toujours autant, sinon mieux de sa part. Or, il nous vient ici avec un game design qui, d’office, est clivant : le jeu en temps réel.

Une cover qui semble lancer un défi

 

Beaucoup de passionné·e·s sont assez réfractaires à la pratique du jeu en temps réel car leur plaisir dans le jeu de société vient du fait de pouvoir se poser, réfléchir, élaborer une stratégie. Mettre la pression de sabliers – qui plus est sur un jeu typé Eurogame comme c’est le cas ici – c’est encore doubler le risque de ne pas toucher son public. Avouons-le, un Euro où l’on commet des erreurs bêtes liées au stress du chrono, c’est un peu rageant. C’est pourtant bien ce qu’il peut se passer à la table de Pendulum. Sans parler des potentielles erreurs volontaires dirons-nous, il n’est pas rare que l’on fasse une boulette dans nos manipulations. Bousculé·e que nous sommes par les divers sabliers à gérer, on fait preuve de maladresse, on se gêne. Et de là peuvent naître moult micro gaffes ou gros doutes qui ternissent l’expérience. Pas facile d’être un jeu en temps réel et un compétitif. Malgré toutes ces réserves, qu’a-t-il à nous offrir ? Parviendra-t-il à sortir du lot des Eurogames qui sortent chaque année avec son parti pris original ? 

 

Le temps vaincra

Dans sa structure, si l’on omet les sabliers, voici un jeu à l’allemande somme toute classique : les joueurs posent des ouvriers qui permettent de récupérer des ressources servant in fine à monter sur des pistes de points de victoire, composées de quatre jauges placées sur vos plateaux personnels. Attention, il faudra monter suffisamment sur ces pistes pour arriver à obtenir des points valides.


Pose d’ouvriers, acquisition et conversion de ressources, points de victoire. Oui, c’est une recette que l’on pourrait qualifier poliment de classique. Donc, pour secouer le cocotier, des sabliers viennent rythmer le jeu en ouvrant et fermant l’accès à certaines zones du plateau. Les trois sabliers, de temps différents, sont donc l’argument clef de Pendulum (c’est évident jusque dans le nom du jeu), c’est là que réside toute l’innovation. Autant dire que les arguments qui défendent l’opus en plaidant pour la “version sans sabliers” me laissent perplexe (attention à l’euphémisme). Si Pendulum avait quelque chose à offrir, s’il avait formulé une promesse, c’était ici. Si l’on doit jouer sans les sabliers pour sauvegarder la proposition de gameplay, j’aurais une montagne de jeux plus aboutis à vous soumettre.

Alors quid de nos trois sabliers ? (Après les trois coquillages, les trois sabliers #lesvraissachent)

 

Les sables du temps

Les sabliers, donc. Intégrés au gameplay, ils vont être déplacés (et retournés, au passage) sur les trois grandes zones d’actions du plateau, chacune divisée en deux rangées. En d’autres termes : ils changent de place dès qu’ils sont écoulés. Quand une rangée d’actions n’est pas “timée” car le sablier est ailleurs, et seulement à ce moment, vous pouvez placer un de vos Meeple sur une des actions de cette rangée-là. Attention, seulement le placer ! Il faudra attendre que le sablier revienne pour pouvoir réaliser l’action souhaitée (schématiquement alors on paie des ressources pour en récupérer d’autres). Bref, on coupe en deux une action qui d’habitude est réalisée tantôt lors d’une phase dédiée (on place nos Meeples dans une phase de la manche, et on les active dans une autre), tantôt jouée dans la foulée.

Ainsi, dans Pendulum, les Meeples vont pouvoir naviguer autant de fois qu’on le souhaite (sans ordre de tour), tant qu’on parvient à optimiser leur placement en fonction du temps qui s’écoule. Le respect du rythme imposé sera essentiel et l’analysis paralysis inexistante. Sur le papier, voilà une ambition ingénieuse en termes de game design ! Ceci explique que le jeu soit actuellement en lice aux Golden geek Awards pour la catégorie innovation. 

A droite, une action apparaissant dans une fenêtre de transparence photoshopée à l’ancienne avec le décor du plateau qui se mêle aux icônes de gain de l’action…

 

Malheureusement, en jeu, Pendulum se confronte fâcheusement à plusieurs réalités et choix d’édition qui viennent saper ses aspirations. Les possibilités de déplacements et d’activations de nos Meeples sont dictées par les quarante-cinq secondes, deux minutes et trois minutes des sabliers. On surveille donc activement l’écoulement du sable… ce qui n’est pas toujours très lisible (premier écueil). Il est terminé lui ? Non ? Si ? Il coule encore, là ? T’es sûr ? 

Vous avez au départ uniquement deux ouvriers : un petit et un grand chevelu. On ne sait pas trop pourquoi, d’ailleurs globalement, on ne sait pas trop ce qu’on fait ici à part convertir des ressources. Bref, nous avons nos deux Meeples, qui fonctionnent de la même façon, si ce n’est que le grand a le droit d’aller partout, alors que le petit est, sur certains lieux, limité. Autrement dit, sur certains espaces, quand une action est déjà prise par un autre Meeple, il n’aura pas sa place (ce n’est pas logique, le petit aurait pu se glisser plus facilement comme chacun sait ! 😉 ). En clair, nous sommes dans une pose d’ouvriers semi-bloquante traditionnelle, où il sera possible de gagner de nouveaux petits meeples et de les améliorer pour en faire des grands.

Sur le plateau, vos ouvriers travaillent dur pour vous et vous apportent toutes sortes de cubes colorés, directement ou indirectement puisqu’ils peuvent aussi enclencher des productions de ressources qui se jouent sur votre plateau (bonifiables en achetant des cartes). Certaines ressources vous permettront de jouer sur l’ordre du tour : oui, car dans la deuxième phase, on joue chacun son tour pour aller récupérer des cartes plus ou moins intéressantes qui iront dans notre main.

10 ressources contre un gros point de victoire, c’est pas cher !



Bref, si la structure du game design est propre, c’est avec tout le jeu sur les zones d’actions – tantôt ouvertes tantôt fermées par les sabliers de temps croissant – que Pendulum prétend sortir la tête du troupeau. Or, pour que ce jeu-là tourne au poil, il lui faut une réalisation parfaite. 

Malheureusement, je ne crois pas avoir vu un choix iconographique et globalement une édition aussi hum… discutable depuis longtemps. Vraiment surprenant de la part de cet éditeur qui d’habitude met les petits plats dans les grands. Et pourtant, Pendulum se paie le luxe d’être plus cher que Wingspan. Bref, il y a beaucoup à redire sur les choix visuels, question esthétique, mais aussi – et plus grave – question lisibilité.
En l’état, le jeu semble plus complexe qu’il ne l’est réellement. Les couleurs des ressources que l’on gère sont les mêmes que les couleurs des points de victoire que l’on peut obtenir par ailleurs mais sans rapport direct : voilà un choix très perturbant, et qui freine la lisibilité.
Ce qu’il se passe du côté des cartes Province est aussi assez regrettable : ne vous trompez pas quand vous lisez l’icône rouge sur fond marron qui donne des points de victoire… ne la confondez pas avec l’icône rouge sur fond rouge sur fond marron qui déclenche une production et donne des ressources rouges (qui ne sont pas des PV rouges, on le rappelle). Et c’est la même tisane avec toutes les autres couleurs. Passez-moi du collyre, ça pique.


Or, un jeu en temps réel ne peut pas se permettre d’être difficile à parcourir, ni de compliquer sa lecture inutilement. Il est déjà suffisamment difficile d’appréhender la question du “mes ouvriers peuvent être placés dans les rangées sans sabliers, et s’activent sur des rangées avec sabliers” et de ne pas commettre d’erreur à ce niveau. 

En plus de ces choix dommageables pour le jeu, aucune thématique crédible ne donnera du sens et un cadre à toutes vos actions. Qu’est-ce qu’on fait exactement ? Aucune idée. Le thème épique vendu par la cover s’évapore dès la minute où l’on a terminé la mise en place. Dommage, cela aurait pu aider.  

 

Time machine

L’une des idées brillantes du jeu repose dans la hiérarchisation des actions liées à leur temps : Chacune des trois zones donnent accès à des actions plus ou moins fructueuses, le sablier le plus rapide couvrant la zone d’actions la moins rémunératrice. L’une des intelligences de Pendulum est donc de nous obliger à réaliser des petites actions rapides et peu bénéfiques en attendant que se débloquent les plus grosses et plus rares actions, au risque de démultiplier les gestes gagne-petit et de rater l’instant clef du déclenchement d’une action super lucrative. Il faut donc rester en alerte, et tout autant optimiser nos temps morts. 

Car oui, malgré le temps réel, il y a des moments où, a priori, on ne fait qu’attendre la fin des sabliers. Cela peut dérouter, mais n’a rien de gênant à mon sens. Primo, ces temps morts ne durent pas jamais aussi longtemps que l’analysis paralysis d’un·e adversaire dans bien des Eurogames. Secundo, ils permettent de faire le point dans une parenthèse de calme, et de jouer d’autres actions annexes comme les cartes de sa main. Souvenez-vous, je le mentionnais plus haut, nous avons des cartes en main qui procurent des effets, relativement à la marge au début mais qui peuvent bien accélérer les choses, et en fin de partie, même changer la donne. 

Une galerie de perso épiques pic pic et colegram…

 

D’ailleurs, globalement, plus la session progresse, plus le rythme de Pendulum s’accélère. Vous avez plus de Meeples, la course aux points se précipite, des objectifs de fin de partie sont rendus visibles et ajoutent une autre motivation. Cet accelerando permet au jeu de montrer tout ce que son parti-pris peut offrir. Si vos actions tournent sur le bon tempo, vous entrez dans un état de flow où vous observez vos coups s’enchainer avec satisfaction, oubliant la présence des autres au passage. Pendulum a ses petites fulgurances introverties. Plus vous trouverez des chemins efficaces dans vos conversions, plus vous sortirez votre épingle de la pendule. Clairement à ce moment, le cerveau avec la plus grande rapidité dans sa puissance de calcul l’emportera. Certains sont conçus pour passer le mur du son, d’autres non. Pendulum permet de mesurer ça. Ok. C’était donc ça, ce que nous faisions ? 

 

En moins d’un sablier noir

L’ambition d’apporter un twist nouveau ne doit pas être mené en dépit du reste. Pendulum arrivait avec un défi honnête : proposer un compétitif en temps réel sur de la gestion de ressources. Fâcheusement, les écueils s’accumulent trop pour donner un goût de reviens-y. S’il peut offrir quelques moments (isolés) de plaisir (isolé aussi), le sentiment de s’agiter dans le néant reste trop longtemps en bouche, d’autant que le moindre doute sur les manipulations peut venir entacher toute l’expérience. 

 

 

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7 Commentaires

  1. Cowboy Georges 05/05/2021
    Répondre

    J’ai pas tout lu mais les 3 coquillages, bordel …

    Je viens de faire un voyage dans le temps 😀

  2. Stéphane GANDAR 06/05/2021
    Répondre

    Oh le coup de vieux avec ces coquillages…excellent la référence

  3. morlockbob 06/05/2021
    Répondre

    ça va encore coûter un bras …

  4. salmanazar 09/05/2021
    Répondre

    Bon bah comme les autres, je retiens les coquillages !

    Mais déjà, savez vous vous en servir  ?

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