Pax Renaissance : vous avez dit paix ?
Pax Renaissance est un jeu de cartes de Phil et Matt Eklund, publié en 2016, qui simule l’affrontement entre des banquiers internationaux sur les terrains politiques, économiques, militaires et religieux. Acteurs de l’essor du capitalisme et du passage du Moyen-Age à la Renaissance, ces banquiers vont rivaliser de coups fourrés et de roublardise pour influer à leur convenance sur les 10 royaumes qui composent le jeu au début de la partie.
Pax Renaissance est le troisième jeu de la série « Pax« , éditée chez Sierra Madre Games. Après Pax Pamir, où les joueurs incarnent des leaders de tribus afghanes aux prises avec deux grandes puissances coloniales, les Britanniques et les Russes, et après Pax Porfiriana, où l’on joue de riche hacendado (hommes d’affaires) du Mexique dans la période avant la révolution de 1910. C’est le premier jeu de la série Pax auquel je joue, au contraire de mes partenaires de jeu. Ces derniers m’ont assuré que c’était le meilleur de tous.
Si l’on en croit le site de Sierra Madre Games, Phil Eklund, spécialiste des fusées, co-auteur sur ce jeu et véritable homme à tout faire de Sierre Madre Games, est persuadé qu’il existe des lois qui expliquent la marche de l’univers. Toute proportion gardée, c’est un peu ce qu’il cherche à faire dans Pax Renaissance et, à priori, dans tous ses jeux. Il investit un domaine en particulier, travaille à fond sur le thème puis essaie d’établir des lois, des rapports de causes à effet, qui donnent à ces jeux une patine thématique à nulle autre pareille.
Dans Pax Renaissance l’on se croit sans peine à la tête d’une fortune colossale permettant de déclencher une campagne militaire depuis l’empire Ottoman vers la Hongrie, une guerre religieuse dans les Etats Papaux, fourbir un complot en France, favoriser une révolte paysanne en Aragon ou assassiner un chevalier à Byzance.
Pour ce faire, les joueurs achètent des cartes sur deux rivières parallèles représentant l’Ouest avec ses 6 royaumes (Angleterre, France, Saint Empire romain, Portugal, Aragon et les Etats papaux), et l’Est avec ses 4 royaumes (Hongrie, Ottomans, Byzance et les Mamelouks). Les cartes sont ensuite placées, faces visibles, dans le plateau individuel des joueurs. Celui-ci est constitué en tout et pour tout, d’une carte représentant chaque banquier. Les cartes prises sur la rivière de l’Ouest sont placées à gauche ; les cartes prises sur la rivière de l’Est sont placées à droite. Il est enfin possible d’activer les actions de ces cartes, soit à l’Ouest, soit à l’Est. Attention ce seront toutes les cartes de l’Ouest ou toutes celles de l’Est qui seront activées.
Le but du jeu ? 4 victoires possibles que je détaille plus bas. En gros, il s’agira d’avoir plus de territoire que les autres, et/ou plus de prestige, etc.
Les cartes sont bourrées d’informations. Chacune indique quel royaume est concerné par son effet, le prestige éventuel récolté (qui est nécessaire mais pas suffisant pour les 4 victoires possibles), le type d’agent que l’on peut dépêcher dans ce royaume (classe dirigeante, serf, inquisiteur, reine…), un pouvoir one shot qui se déclenche uniquement au moment où l’on pose la carte dans son tableau personnel, des opérations (inquisition, taxation, commerce, vote populaire, siège, corsaire, répression, assassinat, campagne militaire), des habiletés et last but not least (en tout cas pour moi), une note historique.
Allez-vous comploter dans le Saint Empire Romain ?
Vous jouez deux actions par tour, parmi celles-ci :
1 – Acheter une carte à la rivière en payant le coût et la mettre dans sa main (de 1 à 5 florins en fonction de la position dans la rivière) ;
2 – Jouer une carte depuis votre main jusqu’à votre tableau personnel (afin qu’elle soit active) ;
3 – Vendre une carte pour 2 florins (comme vous êtes vous-même banquiers, la « banque », ici, c’est la Chine, qui représente en fait les marchés internationaux)
4 – Déclencher, soit à l’Est soit à l’Ouest de votre tableau, une opération par carte présente. Cette action est de plus en plus forte au fur et à mesure que la partie avance et que vous avez plus de cartes aussi bien à l’Est de votre tableau qu’à l’Ouest. En effet vous déclenchez une opération par carte en choisissant soit l’Est, soit l’Ouest. Comme vous pouvez avoir une dizaine de cartes d’un côté de votre tableau, c’est autant d’opérations que vous jouez à la file. Inutile de préciser que dans ce jeu, rien n’est acquis et les retournements de situation ne sont pas rares.
5 – Ouvrir la route commerciale de l’Est ou celle de l’Ouest (chaque concession traversée rapporte 1 florin à son propriétaire+ 1 florin pour celui qui a ouvert la route)
6 – Clamer victoire.
Mise en place
Le but du jeu est de remporter une des 4 victoires possibles, impériale, religieuse, mondialisation et renaissance. La victoire impériale consiste à posséder deux royaumes de plus que quiconque. Un royaume est obtenu grâce au couronnement d’une reine, une campagne militaire, un vote victorieux, une guerre civile ou une guerre religieuse.
La victoire religieuse consiste à avoir plus de prestige dans la religion dominante que les autres. Une religion domine avec des inquisiteurs et des classes dirigeantes en nombre.
La victoire de la mondialisation consiste à posséder deux concessions commerciales de plus que quiconque, et plus de prestige découverte.
La victoire renaissance consiste à posséder plus de république et aussi deux prestiges « loi » de plus. Une république est un royaume à soi à qui l’on a fait subir un changement de régime grâce à un vote ou une guerre civile. Vous l’avez compris, pour passer en république, vous devez attaquez vous même un de vos royaumes.
6 types de prestige coexistent dans le jeu, catholique, islam, réforme, loi, découverte et patron. Ils figurent (ou pas) dans certaines cartes et se comptabilisent dès lors que la dite carte est dans le tableau d’un joueur.
Mais attention il ne vous suffira pas de satisfaire aux conditions voulues pour chaque victoire. Il vous faudra acheter une des 4 cartes « comètes » qui apparaîtront immanquablement dans les deux rivières puis désigner le type de victoire que vous activez et enfin dépenser une action, parmi les deux que vous avez chaque tour. Et la différence n’est pas mince si l’on considère qu’il n’est pas rare de finir son tour en position de gagner mais de ne pas pouvoir le faire par manque d’action. Le tour suivant, l’état de l’Europe est chamboulé et tout est à reconstruire.
La victoire impériale est la plus « facile » à atteindre aussi les joueurs rechignent à l’activer au moyen d’une comète à moins d’être sûr de l’emporter dans la foulée. La victoire religieuse est la plus dédiée contrairement aux trois autres, plus interchangeables.
Les rivières de l’Ouest et de l’Est
Les royaumes sont traversés par deux grandes routes commerciales, celle de l’Ouest et celle de l’Est, dont le chemin emprunté peut être influé par les joueurs. Organiser une route commerciale est le moyen le plus lucratif de se faire de l’argent à condition d’avoir placé au préalable des concessions sur les lieux traversés.
Les deux autres moyens de gagner de l’argent sont d’activer les opérations « commerce » inscrite sur les cartes ou de vendre une carte que l’on a en main à la Chine. L’argent servira à acheter les cartes sur les rivières et à payer les chevaliers lors d’une campagne militaire.
Les effets one shot sur les cartes sont particulièrement puissants mais ne se déclenchent qu’au moment où vous placez la carte sur le tableau. Si vous avez une reine, vous pourrez jouer le couronnement qui permet de prendre un des 10 royaumes sous son influence (si ledit royaume était encore libre, c’est-à-dire non figurant dans le tableau d’un des autres joueurs).
Les cartes de reine sont donc très appréciées en début de partie. Vous pourrez également mener un complot menant à une guerre civile dans un des royaumes. Vous pourrez aussi financer une révolte paysanne qui permet de prendre le contrôle d’un pays. Certaines cartes autorisent à changer le chemin emprunté par les deux routes de commerce afin de privilégier ses propres concessions. Enfin vous pourrez entreprendre des croisades, des djihads ou la réforme protestante, très utiles si vous visez la victoire religieuse.
Blanc = catholiques, rouge = protestants, noir = musulmans
Un bémol, chacun des conflits cités dans cet article, croisades, djihads, réformes, révoltes paysannes, guerres civiles, campagnes s’effectue avec des règles différentes en ce qui concerne les acteurs mis en jeu (classes dirigeantes, serf, pirates, réprimés…). C’est un peu fastidieux au début mais on trouve des aides sous forme de tableaux récapitulatifs sur BGG. Après quelques parties cela devient plus naturel, surtout que tout est très logique finalement.
Des Princes de Florence aux Princes of the Renaissance en passant par l’Age de la Renaissance et Renaissance, les jeux sur cette époque de l’histoire sont légion (sans doute parce que notre monde actuel est directement dérivé des luttes, clashs et batailles de cette période), mais celui que je tiens dans la plus haute estime est Here I Stand. Malheureusement je n’ai pas souvent l’occasion de me brancher dans ses luttes intestines pendant les 8 heures requises. Avec Pax Renaissance, la saveur est quasi identique mais se déroule en 2 heures au plus.
Hormis les concessions commerciales qui appartiennent à chaque joueur, les autres joueurs se disputent les 10 royaumes mais cela sans posséder les classes dirigeantes, manipulables par tous les joueurs. Il y a donc de nombreux changements de régime obligeant les joueurs à se réinventer à chaque tour. Vers la fin de la partie on peut constater un certain effet « catch the leader ».
Mes premières parties étaient du genre studieuse en raison de la complexité du jeu et de la concentration nécessaire. Mais une fois les règles maîtrisées, quand on sait exactement la portée des actions futures de son tableau et de celui des autres joueurs, la négociation et la diplomatie enrichissent encore le jeu avec moult palabres autour de la table. « Ne touche pas à Byzance sinon j’envoie mon inquisiteur sur ton Gutenberg ». Ce ne sera pas une ambiance survoltée mais pas le calme plat non plus. Si vous ne levez pas le nez de votre tableau personnel pour voir ce que peuvent faire ou pas les adversaires, vous n’irez pas bien loin.
Pax Renaissance capture très bien l’esprit et la portée de ces temps. Avec quelques raccourcis comme celui de considérer que les banquiers faisaient la pluie et le beau temps sur le continent (c’était sans doute à l’époque moins vrai qu’aujourd’hui).
Les 4 banquiers à jouer
Pax Renaissance se mérite. Il est difficile à prendre en main. D’abord parce qu’il n’existe qu’en anglais, et avec bien peu d’espoir de voir un jour une localisation française, car aucun de jeux de Sierra Madre Games (citons High Frontier, Bios :Genesis, Greenland et Neanderthal…) n’a encore été traduit à ce jour, ceux-ci étant toujours situés dans une niche n’autorisant pas les ventes les plus folles. Ensuite parce que les règles sont très denses, écrites en petit caractère, avec de nombreuses exceptions et des renvois non moins nombreux. Au moins deux parties d’apprentissage sont nécessaires. La première pour essuyer les erreurs et oublis de règle, la deuxième pour véritablement comprendre toutes les possibilités offertes. Comptez 2 h30/3h pour une première partie. Les suivantes se dérouleront en dessous de 2 h. N’oubliez pas non plus le temps de l’explication qui avoisine les 3/4 d’heure si les autres joueurs n’ont aucune idée du jeu avant.
Les 10 royaumes
Mais les deux points forts sont les interactions nombreuses entre les joueurs et l’adéquation des mécanismes au thème. Si vous aimez lorsque qu’un point de règle simule bien le thème, vous allez être constamment servi. Pax Renaissance est une petite merveille de construction intellectuelle permettant de jouer les principaux enjeux d’une époque, pas si lointaine que ça, et encore présente dans notre vie actuelle.
Un jeu de Matt Eklund, Phil Eklund
Edité par Sierra Madre Games
Langue et traductions : Anglais
Date de sortie : 30-09-2016
De 2 à 4 joueurs
A partir de 12 ans
Durée d’une partie entre 60 et 120 minutes
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Grovast 09/03/2017
C’est cool de voir du Phil Eklund chroniqué sur le Vox. Rien que pour ça merci.
Mais en plus, ton écriture est agréable, et l’ensemble est très synthétique (ce qui n’est jamais évident sur un jeu complexe). Bravo.
Un jeu que je sais ne jamais pouvoir caser à la maison, ce qui ne m’empêche pas de prendre plaisir rien qu’à lire ou écouter à son propos.
kabrateo 09/03/2017
Merci ! C’était mon premier article sur le Vox et ce que tu me dis m’encourage à en faire d’autres.
Shanouillette 10/03/2017
*moment de grâce*
Kabrateo, tu viens à l’instant d’être adoubé par notre Président (appellation gagnée à la force de ses articles et non par des magouilles politicardes ni même une élection – dingue !) alors là je dis bravo ! 😉
C’est un très bel article en effet, sur un jeu/auteur qui le méritait bien. Bravo pour ce joli baptême de feu et welcome in da vox family ! 🙂
6gale 09/03/2017
M’a l’air très bon, mais pas facile d’accès…
kabrateo 10/03/2017
Effectivement il est pas facile d’accès. La videorègle sur BGG, dont le lien figure dans le message ci-après de Dr. Jacoby (merci !), est un bon moyen de débroussailler tout ça. Débroussailler seulement car figurent dans cette vidéo pas mal de petites erreurs et d’omissions. Il faudra donc quoi qu’il arrive passer par l’étape inévitable de lecture des règles.
Coludik 10/03/2017
Pour information, j’en suis aux 3/4 de traduction de la règle. Restez à l’écoute.
coludik 10/03/2017
Pour information, j’en suis aux 3/4 de traduction de la règle. Restez à l’écoute.
kabrateo 10/03/2017
Excellente nouvelle !
Dr. Jacoby 09/03/2017
ça fait un petit moment que je le lorgne celui-ci, merci pour l’article en tout cas, pour compléter le sujet il y a une excellente video-règles sur bgg
coludik 19/03/2017
La traduction de la règle en français est maintenant disponible: https://goo.gl/vntloI