Pax Pamir : Le grand jeu ?

Pax Pamir est une création de Cohle Wehrle et Phil Eklund sortie en 2015 chez Sierra Madre Games, la maison d’édition de Phil Eklund. Il est ressorti dans une seconde édition sur Kickstarter en 2018 chez Cohle Wehrle Édition avec un reprint en 2020 et une version française par Two Tomatoes (un éditeur espagnol distribué par Pixie Games en France). 

Le Grand Jeu est une période historique

Posons le contexte. L’empire Durrani s’effondre, ouvrant des opportunités à des nations rivales. D’un côté, les Britanniques qui veulent prendre le contrôle de l’Afghanistan pour protéger leurs intérêts en Inde. De l’autre, la Russie Impériale expansionniste. Et au centre, les Afghans qui cherchent à manipuler les ferengi (les étrangers) pour leurs propres intérêts. Choisissez votre camp et engagez-vous dans le « grand jeu » : combattez, intriguez, espionnez, commercez pour le contrôle de cette zone d’Asie centrale.

Si Pax Pamir est un jeu de domination et de contrôle, on pourrait presque le voir comme un wargame mais avec un soupçon de tableau building. En effet, la mécanique est centrée sur des cartes que l’on va acheter sur un plateau. À notre tour, on a deux actions qui se résument pour la plupart à acheter ou à jouer des cartes qui viennent dans notre « cour » : des personnages historiques, des lieux marquants ou même des événements.

 

 

Elles sont achetées sur un plateau central composées de deux lignes de cartes. Les deux premières sont gratuites, mais pour s’accaparer les suivantes, il faudra payer une ou plusieurs roupies et les poser sur les cartes que l’on délaisse. Cela génère une économie en cercle fermé où l’argent circule entre les joueurs. 

De temps en temps, on va dépenser de l’argent pour aller chercher une carte qui nous intéresse, d’autres fois, on ira chercher une carte pour l’argent présent dessus ou pour ne pas laisser une carte intéressante à un joueur.

Une fois jouées, elles ont un effet immédiat, et une action que l’on pourra activer plus tard.

Elles sont de quatre types, à savoir politique, militaire, espionnage et économique. Chaque type de cartes a ses avantages. Les cartes économiques vont nous protéger des taxes et autoriser la construction des routes ; les politiques vont nous permettre d’installer nos tribus ; celles d’espionnage de prendre en otage les dignitaires adverses, voire de les assassiner. Les cartes militaires nous permettent d’installer les forces de la coalition.

 

 

Tout cela pour dominer la région. Par quatre fois dans la partie, la rivière de cartes charrie une carte Domination qui va donner des points aux participant·e·s dans un système de majorité assez subtil qui donne lieu à deux types de décomptes en fonction de la situation. Un ou plusieurs participant·e·s vont pouvoir tirer parti de ce décompte. 

Pax Pamir offre une tension toujours très forte, on ne doit jamais relâcher la garde, si un joueur a plus de quatre points de victoire, il l’emporte immédiatement. Certain·e·s râlent et trouvent cet élément un peu fort, mais en réalité il dynamise le jeu, et évite les enlisements. De même, le dernier contrôle de domination rapporte le double de points, il est donc possible de revenir dans le jeu même si on est mal en point (et en points ^^). 

 

Chaos is a ladder

Pax Pamir est un jeu d’équilibre et d’opportunisme. En installant ces unités ou en construisant ces routes (elles ne vous appartiennent pas), vous n’allez pas rendre service qu’à vous-même, mais aussi à des alliés de circonstances, d’autres auront les mêmes intérêts, la même allégeance tandis que certains vous feront la guerre.

Attention Pax Pamir est un jeu où il faut savoir s’adapter et ne jamais s’enferrer dans une stratégie. Au contraire, à vous de voir quand il faut changer de coalition si le besoin s’en fait sentir. Il est utile d’avoir des intérêts communs tout en profitant du chaos ambiant. Souvenez-vous : Personne n’est votre ami. Méfiez-vous des coups de poignard dans le dos.

 

Pax Pamir est in fine un jeu très chaotique. Un mot que l’on emploie souvent à tort pour dire que l’on ne contrôle rien, et en général dans un jeu que l’on qualifie « d’expert » ce n’est pas bon signe. Mais ici, nous avons un chaos partiellement contrôlé. Il s’agit de le gérer, de jouer avec, de s’en servir comme d’une échelle. D’autant que cela sert le jeu et reste complètement thématique. Nous sommes dans un univers d’intrigues, d’alliances et de trahisons, ne l’oublions pas. L’interaction est centrale. En pleine guerre, tous les coups sont permis.

S’ajoute à cela le fait qu’il peut y avoir des réactions en chaîne. Si une carte politique de notre cour (les cartes que l’on a devant nous) est « assassinée » on perd au passage les tribus présentes dans la région (l’inverse est aussi vrai). Une carte qui nous a donné de l’argent va devoir être remboursée. Des petits effets « double peine » qui peuvent être assez désagréables quand on les subit sans les anticiper (surtout la première fois donc). Ensuite on sait à quoi s’en tenir et il faut accepter l’impermanence des choses. Surtout ne pas se dévoiler trop tôt, sans quoi on devient une cible facile. Cela fait partie de la courbe d’apprentissage. Ce qui pourra rebuter l’eurogamer c’est qu’il s’agit ici plutôt d’influencer le jeu, à la manière d’un Inis par exemple, que de construire un moteur de jeu qui tournera tout seul et sans accroc.

 

Climat politique 

Si je disais que l’on ne peut faire que deux actions à son tour, ce n’est pas tout à fait vrai. En réalité, pendant la partie, le marqueur de faveur politique se déplace au gré des cartes jouées et dans ce cas, vous allez pouvoir activer une ou plusieurs cartes liée(s) à ce marqueur. Un moyen de comboter et de réaliser plus d’actions, toujours intéressant dans ce genre de jeu tendu.

Mieux encore, certains effets vont impacter tout le monde autour de la table. Ainsi, en faveur militaire, on doit payer double pour recruter une carte personnage, une bonne épine dans le pied d’un joueur. Là encore, cela reste thématique (en temps de guerre il est moins facile de recruter…).

 

Le grand jeu … d’influence ?

Cette réédition est somptueuse. D’abord le plateau se présente sous forme d’une carte en tissu où nous plaçons nos pions tribus, ainsi que les blocs de résine à la couleur des coalitions (debout ce sont des armées, couchées se sont des routes que l’on pourra emprunter). Les cartes sont plutôt lisibles malgré le nombre d’informations qu’elles peuvent contenir : type de factions, régions, tribus et mêmes les effets. Sur chacune d’elles un texte d’ambiance historique sur le personnage recruté que l’on ne lira probablement pas en jeu, mais qui enrichit Pax Pamir et lui donne un statut d’œuvre culturelle. 

La traduction est l’œuvre de Stéphanie Peichert qui est anthropologue de formation, attachée de conservation du patrimoine, et amatrice de jeux de société. Son entreprise de traduction a consisté en un long travail de recherche sur cette période complexe pour traduire la partie historique. Force est de constater que le résultat est d’excellente qualité. 

Les règles ont l’air simple, mais prenez gare, on patauge assez facilement, probablement parce que certains éléments sont contre-intuitifs. Dans les premières parties, on commet facilement des erreurs, on oublie des éléments. Ouvrez l’œil !

 

 

Selon l’expression consacrée, certes un peu facile, Pax Pamir n’est pas un jeu qui va séduire tout le monde. D’abord nous sommes dans une guerre avec beaucoup de retournements, de fourberies, et il n’est pas rare que l’on couine fortement, surtout quand on défausse une carte personnage qui nous fait perdre une région, ce qui par réaction en chaîne, nous retire aussi une domination. L’interaction est centrale. Si vous jouez dans votre coin, vous êtes mort. A contrario, difficile de ne pas s’agacer quand un joueur s’acharne sur vous. Pax Pamir n’est pas un jeu pour les caliméros qui risquent de se noyer dans leurs larmes salées ^^. 

À préférer à trois et quatre joueurs qu’en duel où le tout va devenir très frontal. Il est à noter qu’il existe un mode solo avec un deck de cartes Automa qui peut servir pour jouer à trois joueurs.

En deux mots, Pax Pamir est un jeu de contrôle de territoire & majorité très exigeant, ne s’apprivoisant pas à la première partie, mais qui au contraire dévoile tout son potentiel et sa richesse sur les sessions suivantes. Un titre l’on doit influencer le chaos, s’adapter au contexte et saisir les opportunités plus que réellement construire un moteur de jeu dans sa petite cour protégée. La rejouabilité est impressionnante. Le hasard reste présent, mais maîtrisé. Pax Pamir est un grand jeu à n’en pas douter. 

 

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3 Commentaires

  1. 6gale 09/04/2021
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    Pour moi, le meilleur jeu d’affrontement depuis AFAOS…

  2. Finkel 10/04/2021
    Répondre

    Super article, ça donne envie de s’y mettre, merci!

  3. chris 13/04/2021
    Répondre

    Bel article Atom. Je partage beaucoup de ton avis. On pourrait rajouter une bonne rejouabilite vu le nombre de cartes non utilisees a chaque partie.

    Un jeu qui offre des sensations de jeu tres particulieres je trouve.

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