Pandémie : Comment j’ai chopé le virus.
Si on devait comparer Pandémie à un virus, il serait du genre virulent. Sorti en 2008 il est maintenant accompagné de nombreuses mutations de type extensions, stand alone, rééditions, version Legacy, version Iberia, version dés, version Chtulhu, une version cartes… J’en oublie surement. Sans parler des tas de goodies dispensables donc indispensables, des variantes « fan made » et autres.
Depuis le temps que j’entendais parler de ce jeu de Matt Leacock sans y avoir jamais joué, j’ai fini par avoir l’impression de le connaitre. Après tout le battage autour de Pandemy Legacy, je me suis donc plongé dans les entrailles de l’ancêtre pour voir ce que ce grand classique avait à offrir à un joueur de 2016, huit ans après sa sortie.
C’est donc muni de ma belle boîte d’époque, avec illustrations d’origine, que je me suis lancé dans mes premières parties.
Vous devez réunir votre groupe avant d’aller plus loin
On peut jouer de 2 à 4 joueurs pour des parties de 45 minutes environ. Va pour deux joueurs. Je suis toujours curieux de cette configuration. Dans beaucoup de jeux c’est un aménagement, pas toujours heureux, qui permet de jouer à deux. Dans certains jeux c’est particulièrement réussi, ça offre même un jeu totalement différent où stratégie et tactique échangent leurs places. Et pour certains ça n’a pas tellement d’importance.
C’est donc à deux que nous nous sommes lancés dans le grand bain. La carte dépliée sur la table, les règles juste à côté et chacun sa petite aide de jeu. J’avais pris le temps de lire les règles la veille (Non, pas aux toilettes.). Pour notre première partie il nous a fallu moins de 20 minutes pour démarrer après la mise en place du jeu, l’explication des règles et le choix de nos personnages.
Les règles étaient bien détaillées déjà à l’époque, largement illustrées et permettant de se lancer sans trop de soucis. Il y aura quelques subtilités par la suite mais on sait d’entrée à quoi s’en tenir dans les grandes lignes.
Parmi les cinq rôles proposés je choisi le Médecin, et ma fille choisie le Scientifique. Même pour une première partie on a déjà une idée de qui l’on veut incarner, c’est l’avantage d’avoir un thème clair. On ne maîtrise pas encore les subtilités du jeu et les trois autres nous semblent soit obscurs soit moins puissants. On apprend dans la douleur.
Le virus se déchaîne
Je vous passe en accéléré la première partie calamiteuse. Éclosion, éclosion, éclosions, fin. Le pluriel est important à la fin. On en ressort un peu sonnés devant tant de difficulté pour se relancer avec d’autant plus de hargne dans une seconde partie.
Et la seconde se passe plutôt mieux. On maîtrise un peu mieux notre monde, les virus sont contenus et on arrive même à en éradiquer un. Bon, la fin est la même mais on a compris pas mal de choses. Et une en particulier : c’est un jeu coopératif. Pas question de chacun faire son truc de son côté. Il faut se coordonner au poil, anticiper à mort, optimiser chaque action et anticiper à mort. Je l’ai déjà dit ?
Avec l’éternelle frustration :
« Mais mer**, j’ai la carte jaune qui te manque dans le mains, on est sur la même ville. Pourquoi je peux pas te la donner ? »
« Parce qu’on est pas sur la ville représentée par la carte, papa. »
« Ah, oui. Mer**. »
Éclosion, éclosion, éclosions, fin.
Je ne sais pas comment le jeu a été réglé mais c’est extrêmement tendu. Et petit à petit on apprend de ses erreurs, on comprend un peu mieux comment jouer notre rôle pour finalement s’en sortir pour la première fois.
C’est un grand moment que d’être confronté à un vrai jeu difficile comme ça et de triompher. Enfin, quand je dis triompher, ça tousse pas mal dans l’Asie et l’Afrique, l’Europe termine au bord de la rupture et l’Amérique s’en sort plutôt pas mal. À se demander si on aurait pas mieux fait de commencer ailleurs qu’à Atlanta.
Au passage ce démarrage obligé à Atlanta est un peu pénible, l’effet « Independance Day » justifié par un équilibrage de la carte. On aurait pas pu proposer au moins un autre point de départ avec un équilibre proche ? Ceci dit, qui d’autre que les USA pourrait avoir la bêtise de jouer avec des virus mortels ? De là à dire que Pandemic dénonce… Bref.
Mais alors, comment on joue ?
J’ai surtout évoqué le ressenti, parlons un peu « gameplay ». Pour la faire courte, on est une équipe d’experts et nous devons enrayer une épidémie mondiale. Quatre souches virales se répandent dans le monde entier et nos talents et notre coordination sont les seuls remparts face à la catastrophe.
Le plateau de jeu représente les différentes régions du monde. Nous commençons toutes les parties dans la station de recherche d’Atlanta, comme je le disais. Chaque joueur endosse les habits d’un des cinq spécialistes disponibles :
- Médecin
- Scientifique
- Chercheur
- Répartiteur
- Expert en opérations
Chacun dispose aussi d’un pion à sa couleur qu’il devra déplacer de ville en ville pour danser la Polka. Ah non, pour faire des trucs comme :
- Construire une autre station de recherche (permettant les déplacement vers d’autres stations de recherche)
- Découvrir un remède (justement dans ces stations de recherche)
- Traiter une maladie (en retirant des cubes de couleur symbolisant la virulence d’une maladie dans la ville)
- Partager des connaissances
Ce dernier point étant le moins bien compris au début et celui qui décidera très souvent de votre réussite.
À notre tour on dispose de quatre actions parmi celles-ci, et les déplacements. Le déplacement d’une ville à une autre reliée ne coûte qu’une action et pour de plus longs voyages on devra prendre un billet. Mais c’est à double tranchant. Et c’est la première grande bonne idée du jeu.
En effet, chaque joueur commence la partie avec une main de cartes. Ce sont les cartes « Joueurs », elles forment une pioche commune dans laquelle chacun vient piocher à son tour. Elles illustrent chacune une ville et sont de la couleur d’un des continents. Si un joueur peut réunir cinq cartes de la même couleur en étant dans une station de recherche il trouve alors un remède pour la maladie de cette couleur.
La partie est loin d’être gagnée car il faudra ensuite effacer toute trace de la maladie pour être un peu plus tranquille, mais au moins elle est enrayée. Si on arrive à éliminer tous les cubes d’une maladie dont on a le remède c’est un bon bol d’air pour la suite. La maladie ne pourra plus apparaître.
Mais ces cartes sont aussi un puissant moyen de déplacement. En effet, la carte de Paris me permet d’y aller, où que je sois sur Terre. Comme un vol direct. Et inversement, si je suis à Paris avec la carte Paris je peux aller n’importe où dans le monde depuis Paris. C’est fabuleusement puissant.
Seul problème, c’est qu’il n’y a pas énormément de ces cartes. D’ailleurs, si on vient à épuiser la piocher des cartes »Joueurs » on a perdu. Une défaite à l’usure qui donne un premier sentiment d’urgence. Surtout vers la fin.
Vous sentez donc le gros dilemme entre s’en servir pour se déplacer mais se priver d’un moyen d’éradiquer la maladie. Un peu comme pour un écologiste devant son bilan carbone.
Se promener pour nettoyer ne suffira de toute façon pas, il faudra bien souvent échanger des cartes « joueur » pour permettre à l’un d’entre nous de réunir les 5 cartes nécessaires.
Ah, mais le jeu joue aussi ?
Ben oui. Pendant qu’on vit notre vie de petit spécialiste, le virus se répand joyeusement dans le monde. Il a même tendance à le faire à un rythme de plus en plus soutenu. Au point de parfois proposer des parties au rythme effréné dès le début. Non pas qu’on soit assuré de perdre dans ces cas là, simplement la tension est bien dosée mais parfois brutale.
De son côté le jeu dispose d’une pioche de carte personnelle qui décide de l’évolution des maladies. Ce sont les cartes « Propagation ». Au début du jeu, lors de la mise en place, on dispose 1 à 3 cubes d’infection sur certaines villes. On entre dans le jeu après un début d’épidémie. On ne part pas de zéro. C’est assez bien vu pour le ressenti des joueurs.
D’entrée de jeu on commence à élaborer des plans qui seront réévalués très souvent.
Et donc, à la fin du tour de chaque joueur, d’autres villes seront infectées. Soit pour la première fois et un nouveau cube apparaîtra. Soit une fois de plus… et peut-être de trop.
La seconde grande idée vient des éclosions. Si une ville doit accueillir un quatrième cube, au lieu de ça elle déborde littéralement et va plutôt en envoyer un dans chaque ville connectée. C’est plus rigolo. Ces mêmes connexions vitales pour notre déplacement sont mortelles pour les populations. Routes, lignes aériennes ou portuaires. Sans moyen de les condamner, ce qui aurait un intérêt stratégie indéniable.
Vous imaginez bien cette ville pleine de trois cubes qui ne peut en accueillir un de plus sans exploser. Elle génère une éclosion qui va envoyer un cube de cette maladie dans toutes les villes connectées alentour… qui en ont peut-être, pour certaines, déjà trois. Éclosions en cascade.
Après huit éclosions, ou moins selon le niveau de difficulté, le jeu est perdu. Second déclenchement de fin de partie possible.
La dernière manière de perdre, car deux c’était pas suffisant, c’est de venir à cours de cubes. Si on devait poser un cube d’une couleur et qu’il n’y en a plus assez, c’est la saturation et la partie est perdue. D’où l’intérêt d’assainir un peu le plateau.
Usure, éclosions en chaîne ou rupture. Rien ne vous sera épargné. Il faut surveiller ces trois éléments tout en contenant les maladies, sans oublier d’échanger des cartes, trouver des remèdes et sans cesse coordonner vos actions.
Et comme si c’était pas assez, au milieu des cartes « Propagation » il y a des cartes spéciales. De 4 à 6 selon le niveau de difficulté. Ces cartes « Épidémie » viennent pimenter vos parties pourtant bien rythmées. Elles vont apparaître plus ou moins régulièrement et augmenter la pression sur votre fragile équipe en augmentant le rythme de propagation des maladies. Ce sera l’occasion de voir entrer de nouvelles villes dans votre liste de lieux à surveiller en priorité. Parfois dans des régions jusqu’alors relativement épargnées. Et surtout à ce moment précis, on reprend toutes les cartes « Propagation », on les mélange et on les replace sur le dessus de la pioche. Ce sont donc les même villes qui vont revenir inlassablement, avec les quelques nouvelles ajoutées. Infernal.
Pourquoi j’ai adoré
J’avais déjà joué à l’Île interdite, en fait une déclinaison de ce jeu par le même auteur, et j’avais beaucoup aimé.
Ici le thème est plus sombre et les enjeux plus prenants. C’est le destin du monde qu’on joue, pas une relique idiote à ramener au professeur Jones. La coopération est encore plus forte. Dans un groupe de quatre joueurs, de petites équipes se forment pour occuper un espace relativement vaste. On se donne de petits objectifs à court terme. Et surtout le rythme est monstrueusement bien pensé.
On entre déjà dans le jeu dans un état d’urgence relative, mais petit à petit le rythme s’emballe et même si on peut prendre le temps de réfléchir et planifier on sent une certaine inéluctabilité de l’avancée de la maladie à une vitesse folle. Souvent j’ai gagné des parties sur le fils. Souvent j’ai perdu lamentablement, très loin d’avoir ne serait-ce que commencé à penser l’emporter.
Et pourtant c’est un énorme plaisir d’y jouer. Qu’on perde ou qu’on gagne. Le travail d’équipe est très important et ne permet pas à des électrons libres d’en faire qu’à leur tête. Si on a chacun la responsabilité de notre pion, on doit réfléchir en terme d’équipe et pas en terme individuel.
Le revers de la médaille c’est cet effet leader dont souffrent beaucoup de jeux coopératifs. Celui d’un joueur qui explique à tous ce qu’ils doivent faire. Et souvent il a raison, mais on perd énormément en plaisir. On conseillera à ceux-là de jouer en solo, c’est tout à fait possible mais n’a plus le même intérêt.
Généralement on joue avec notre main de cartes « Joueur » découverte. Pourquoi pas jouer avec nos cartes en main, ne faisant que communiquer entre nous sans rien nous cacher, mais sans mettre trop en évidence nos cartes ?
Et pour ceux qui auraient peur d’un jeu trop froid et mécanique, en dehors du hasard des épidémies, il faut savoir que ce hasard est maîtrisé.
Ce sont essentiellement les mêmes villes qui sont sous les feux, les épidémies venant rajouter des foyers à ces villes en difficultés. Mais le hasard côté jeu est contrebalancé par un hasard côté joueur à l’aide de cartes « Evènement spécial ».
Elles donnent au joueur la possibilité, quand il le veut, d’effectuer une action décisive si elle est bien employée. Jeter un œil aux prochaines cartes propagation, ce genre de petites indiscrétions. De quoi pimenter encore le jeu et pour une fois nous donner l’impression d’avoir des atouts en notre faveur.
Version Chtulhu
J’ai eu le plaisir de faire une partie de la version Chtulhu juste après avoir commencé à rédiger cet article en septembre. Une table de quatre joueurs dont un grand fan du poulpe dégueulasse. Et je dois dire que j’ai adoré.
Non pas que je sois ultra fan du mythe de H. P. Lovecraft. D’ailleurs un de mes amis à la table a essayé de m’initier au jeu de rôle sans grand succès. Par contre j’ai lu quelques nouvelles avec beaucoup de plaisir. Je connais donc un peu l’univers et ses grands principes.
On retrouve dans cette version de Pandémie quelques arrangements que je trouve particulièrement bien adaptés. Il n’est plus question de maladies mais de grands Anciens. Les cultistes remplacent les cubes infestation. La carte du monde est remplacée par une carte d’une bourgade dans laquelle les déplacements sont légèrement moins contraignants avec un système de station de bus.
Des monstres (les Shoggoths) se déplacent sur la carte alors que les cultistes sont statiques. On doit maintenant fermer des portails, réunir des reliques et non des remèdes.
Les propagations sont remplacées par le réveil d’un Ancien. C’est la nouveauté la plus sympa du jeu, même si on s’en prend plein la tête.
Chaque Ancien est représenté par une carte face cachée. On les dispose au départ en haut du plateau et on les retourne au fur et à mesure de l’avancée de la partie. Ils viennent chambouler le déroulement d’une partie en apportant une petite règle spéciale. Quand chaque propagation opérait les mêmes désagréments dans une partie classique de Pandémie, les grands Anciens apportent chacun leur particularité. D’où un petit suspense très agréable.
Je passe rapidement sur les cinq conditions de fin de partie au lieu de trois dans la version d’origine, avec une mention spéciale pour la gestion de la vie des personnages et de leur santé mentale évidemment. N’oublions pas les très belles illustrations qui plongent le joueur dans l’univers sombre du mythe de Chtulhu. Le matériel très soigné avec ses figurines, son plateau, ses cartes, etc.
Les adaptations à tout va de l’univers poulpesque ne donnent pas toujours de bons résultats pour les grands fans, à priori. Ceci dit, rien d’étonnant. D’une manière générale, « grand fan » veut souvent dire « grand insatisfait » dès qu’on touche à l’univers d’origine, et c’est normal. Mais dans le cas de Pandémie et du mythe de Chtulhu c’est un mariage très heureux. Selon moi, ils étaient faits l’un pour l’autre. Côté Pandémie c’est un renouvellement qui augmente grandement l’intérêt ludique d’un jeu qui souffre quelque peu de son âge après toutes les améliorations apportées au titre d’origine. Côté Cthulhu c’est une adaptation réussie d’un univers qui s’imbrique joliment dans un système de jeu solide ayant fait ses preuves.
En conclusion
Loin d’être un vieux jeu de 2008, Pandémie est un excellent jeu encore aujourd’hui.
Il a été réédité avec de nouvelles illustrations pour soutenir la comparaison avec ce qui se fait maintenant. Et entre les extensions et les thématisations depuis il a de quoi vous occuper et vous satisfaire.
J’ai par ailleurs commencé une campagne Legacy et je ressors des deux premiers mois (une partie = un mois dans le jeu) très content. C’est une véritable expérience originale. La version Chtulhu est de loin la meilleure adaptation d’un univers à un jeu que j’ai jamais vu. Habituellement on a droit à du Marvel ou du Star Wars pas toujours heureux, pourtant tellement riches en possibilité.
Pandémie a ouvert une voie qui commence certes à être encombrée mais qui, pour l’instant, n’a pas réussi à dégoûter les joueurs, à priori.
J’ai attrapé le virus. Je vous le transmets avec plaisir.
À lire sur le sujet Pandemic :
- News sur Pandemic Iberia
- Tout savoir sur Pandemic Survival
- Pour ou contre : Pandemic Legacy
- Le test de Pandémie Contagion
- La fiche de l’extension Pandemic the Cure
- Vidéo explicative de Pandemic Cthulhu
- Du petit spoil sur Legacy saison 2
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Thomas 29/11/2016
Tu vas voir, le Legacy est juste une grosse bombe ! On a l’impression de vivre un véritable film et les surprises sont nombreuses. Le seul hic c’est qu’on ne peut en parler qu’à ceux qui ont déjà fini le jeu… alors je te souhaite bien du plaisir !
acariatre 30/11/2016
Excellent article pour découvrir et donner envie de jouer à ce jeu culte (mon jeu préféré de tous les temps je crois bien).
L’effet leader est souvent décrié comme une faiblesse du jeu mais pour moi c’est plus une faiblesse des joueurs : à eux de se contrôler, d’éviter de croire tout savoir, d’autoriser des solutions différentes et moins optimisées, de s’écouter en fait. Et si un joueur ne peut vraiment pas s’empêcher, qu’il achète sa propre boîte pour jouer tout seul comme un grand, c’est l’avantage des jeux coopératifs 🙂
Et bien d’accord avec Thomas, Legacy est une tuerie.
Djinn42 30/11/2016
Les deux premiers mois ont été riches en surprise, j’ose pas imaginer la suite. Chut.
J’étais sceptique à propos des jeux Legacy mais je trouve l’argument « rejouabilité réduite » contre « expérience unique » tout à fait bien vu. Le fait de ne pas ou peu rejouer à la plupart de nos jeux aussi. Quitte à peu jouer, autant que ce soit mémorable et unique.
Je vais de ce pas coller du sable et de la pierre sur mon plateau de Terra Mystica.