Nevermore, petit draft entre amis…
Il en va des adaptations de licences connues (les fameuses IP, à prononcer « aïepi » si comme moi vous êtes un tantinet arrogant) en jeux de plateau comme d’à peu près tout le reste dans la vie : ça dépend (qui comme chacun le sait depuis 37 ans, dépasse).
Parfois, c’est exactement au niveau où on les attend, que ce soit une bonne chose (X-Wing/Armada, Imperial Assault) ou une mauvaise chose (Doom : Le Jeu de Plateau). Parfois, elles ne sont pas vraiment à la hauteur (Firefly). Parfois, elles forment d’incroyables surprises (Bioshock Infinite).
Mais bon, c’est ça le truc : en général, les joueurs et consommateurs que nous sommes ont développé un certain nombre d’attentes vis-à-vis d’un jeu qui est l’adaptation en jeu de plateau d’un univers connu, aimé ou non.
Et puis il y a certains jeux, qui plus que d’adapter un univers connu, s’en inspirent pour créer quelque chose d’unique.
Où l’on découvre une oeuvre littéraire
C’est le cas pour Nevermore, qui est inspiré d’un poème d’Edgar Allan Poe, dont vous pourrez trouver une très intéressante édition en version originale, et française, traduite tantôt par Baudelaire, tantôt par Mallarmé. Comme je fais les choses un peu consciencieusement, et que si je connaissais l’existence de ce poème, je ne me rappelais pas l’avoir lu, je me suis précipité sur la lecture et avoue avoir beaucoup apprécié l’oeuvre, ce qui me fait dire que le jeu de plateau est quand même une activité enrichissante à tous points de vue.
Mais passons au jeu.
Enfin non, commençons plutôt par le péritexte, car l’environnement de ce jeu aide à se faire une idée de ce qu’il est vraiment.
Nevermore est publié par Smirk & Daggers, un éditeur américain de taille plutôt petite mais qui a réussi à mettre sur le marché quelques jeux qui ont su trouver leur place. Dread Curse, Cutthroat Caverns (édité en France par Iello sous le titre « Sang Rancune« ), Hex, Shooting Ladders, Student Bodies, et donc bien sûr Nevermore. Un point commun de tous ces jeux est bien résumé par la devise de l’éditeur, qu’ont peut traduire par : « Les jeux sont quand même plus drôles quand on peut poignarder un ami dans le dos ».
On peut ne pas adhérer à 100% à cette position, mais il faut reconnaître que la promesse faite par l’éditeur est tenue dans la plupart de ses jeux. C’est quasiment l’entière prémisse de Sang Rancune : on se fait de joyeux croc-en-jambes tout en essayant tant bien que mal de faire la peau à des monstres dont l’élimination rapportera des points au joueur le plus fourbe.
Où l’on apprend des mots
Petite anecdote sur le sujet, ce genre de jeu avait donné lieu à ce que nous croyions être la création d’un nouveau mot dont on se disait bien qu’il devrait exister : le verbe « fourber », qui comme tout le monde le comprend bien, il s’agit de faire le fourbe à l’encontre malencontreuse d’un joueur en contrevenant aux règles de la bienséance ludique. L’utilisation de ce mot permet de contourner l’emploi de locution bien moins agréables à l’oreille, avec des tournures comme « Là, je me suis fait fourber », ou bien « Espèce de fourbe ! », voire « Tu ne croyais tout de même pas pas que j’allais me laisser fourber sans réagir ? ».
Grâce à ce vocable magique, exit Jean-Marie Bigard (sans rire, il est temps), entrée de Maître Capello ! Avouez quand même que comme hobby, les jeux de plateaux ça roxe quand même grave du poney, pour reprendre une expression que le Maître lui-même aurait sans doute appréciée.
« Oui, une expression tout à fait gironde ! »
Et bien après vérification auprès du très décédé Maître Capello, le mot existe bel et bien, et dire que tout ce temps, on a fait de la prose sans le savoir. Notamment, évidemment, on retiendra les fourberies de Molière dans son Scapin.
(Note à la rédaction : ayé, Shanouillette, j’ai placé une photo de Maître Capello dans un article. Tu me dois une partie de Battlecon)
Merveille du monde moderne et de l’internet, on ne trouvera pas fourber dans le Larousse en ligne (qui référence pourtant fourberie et fourbe), mais dans le wiktionnaire et dans le Littré.
Du coup, si on se réfère au Larousse, on en reste à se traiter d’enculés. C’est quand même dommage !
Pouf, pouf.
Donc, Nevermore : le jeu !
Tout d’abord il convient d’examiner ce qui forme la mécanique centrale de Nevermore : le drafting. Désolé pour les puristes, mais je n’ai pas trouvé de traduction littérale de ce terme qui corresponde à l’idée que je me fais de cette mécanique.
Tous les gens qui ont joué à 7 Wonders savent de quoi je parle, c’est la mécanique centrale de ce jeu. Nevermore propose au demeurant une expérience de jeu très différente du hit d’Antoine Bauza, j’y reviendrai plus tard.
Le drafting : Kézako ?
Un peu d’histoire
Pour ceux qui connaissent la mécanique de drafting, passez directement au chapitre suivant, ça va vous saouler.
Pour les autres, je me lance dans l’explication (et ça va surement vous saouler aussi).
Pour ceux qui ne connaissent pas 7 Wonders ni la mécanique de « drafting », je vais tout de même me lancer et proposer une traduction maison : je dirais que le « drafting », c’est la « construction de main par sélection à répétition », la fameuse « CMSR ».
Je sais, c’est pourri comme traduction. On va rester sur « drafting ».
Le « drafting » est une mécanique qui, à partir d’éléments distribués au hasard à un certain nombre de joueurs, permet à chaque joueur de construire un ensemble d’éléments grâce auxquels ils réaliseront leur stratégie, en échangeant les éléments de leur main qui ne correspondent pas (ou correspondent le moins) à leur stratégie avec les autres joueurs. On peut drafter à peu près n’importe quoi : des cartes (7 Wonders/Seasons/Blood Rage), des personnages (Héros à Louer/Medieval Academy), des dés (Seasons/Titans Race),…
À mon humble avis le terme de « drafting » correspond à la méthode utilisée pour permettre aux équipes sportives professionnelles américaines de choisir à tour de rôle les meilleures recrues sortant des formations universitaires. Sur le principe, c’est simple : la plus mauvaise équipe choisit parmi tous les joueurs disponibles, puis la suivante parmi ceux qui restent, etc. jusqu’à la meilleure équipe qui prend celui qui reste, puis on recommence. Vous vous rappelez, à l’école primaire, quand il fallait choisir les équipes pour jouer à la balle au prisonnier ? Même principe. Evidemment, dans le cas des sports US plein de règles qui permettent de « vendre » son tour de draft à une autre équipe sont venues compliquer tout cela, mais vous voyez l’idée.
Je sais, je sais…
En pratique
Imaginons qu’au début de la phase de draft, chaque joueur ait en main 5 cartes. Sur la base de ces 5 cartes, chaque joueur va échafauder une stratégie, même si leur main courante ne permet pas de réaliser cette stratégie. C’est mieux d’avoir au moins un début avec les cartes qu’on a en main, mais ce n’est pas une obligation absolue, c’est juste moins risqué.
Pour améliorer sa main et donc ses chances de gagner, chaque joueur va pouvoir améliorer sa main en échangeant les cartes qui ne lui plaisent pas avec ses adversaires. Mais attention, ce n’est pas une place de marché ouverte, mais bien une méthode fermée. Chaque joueur va écarter 3 cartes (les moins susceptibles de l’aider) et les donner faces cachées à son voisin de gauche. Comme chaque joueur fait de même, chaque joueur reçoit aussi de son voisin de droite 3 nouvelles cartes. Parmi cette nouvelle main de 5 cartes, on va donner 2 cartes à son voisin de gauche, et en recevoir 2 de son voisin de droite. Enfin, on va donner 1 carte à son voisin de gauche et recevoir 1 carte de son voisin de droite. On aura donc toujours 5 cartes en main, et à la toute fin on aura la main « finale » de 5 cartes qui va nous permettre de jouer le tour de jeu.
L’un des avantages de cette mécanique, mais pas le seul, est que tous les joueurs réfléchissent et jouent en même temps, et au même rythme, et que le temps passé à attendre que les autres aient joué ait en général très faible, ce qui donne des phases de jeu rapides et rythmées.
Evidemment, dans la plupart des jeux (et Nevermore ne fait pas exception) il y a ensuite une phase d’exécution de la main de chaque joueur qui peut varier d’un jeu à l’autre, mais dans la plupart des cas, la phase de draft est extrêmement structurante. Parfois c’est l’intégralité du jeu, parfois c’est juste un point de départ.
Ce dont on se rend compte très vite, c’est que dans la phase de draft la seule chose qui a de l’importance, grosso modo, ce sont vos voisins immédiats : le receveur à gauche, et SURTOUT le donneur à droite.
Lire vos voisins
Lorsque vous recevez vos premières cartes de votre donneur, cela vous donne une information importante sur sa stratégie, qu’il vous faut absolument comprendre, car de la stratégie de votre donneur va dépendre ce que vous allez recevoir. Si vous avez décidé de suivre la même stratégie que lui, pas de bol, vous n’allez avoir que des cartes pourries puisque ce sera celles qui sont (selon lui) les moins adaptées à la stratégie en question. Il sera alors le moment de sérieusement repenser votre stratégie à vous.
De même, vous ne voulez pas forcément donner à votre receveur les cartes dont il a besoin pour mettre au point sa stratégie. Après tout, c’est votre adversaire tout autant que le donneur. C’est le cruel dilemme au coeur de chaque mécanique de drafting :
- Estimer au mieux la stratégie de votre receveur en s’appuyant sur sa position dans la partie et son style de jeu
- Estimer au mieux la stratégie de votre donneur en s’appuyant aussi sur sa position dans la partie et son style de jeu, et les cartes qu’il vous passe.
- Décider très vite si votre donneur va vous donner les cartes qui vous permettent de mettre au point votre main « rêvée ». Si vous ne voyez RIEN qui vous aide dans ce qu’il vous fait passer, il va faire de la rétention sur les cartes que vous voulez… Il faudra alors changer de stratégie, vite !
- Essayer ensuite de monter la meilleure main possible en ne passant que « de la boue » à votre receveur.
Selon les jeux, on a parfois plus intérêt à construire une belle main, sans trop se préoccuper de passer de bonnes cartes à son receveur. C’est le cas à Seasons, et dans une certaine mesure, à 7 Wonders. Dans certains autres cas, il faut vraiment faire très attention à ce qu’on passe à son voisin, presque plus que ce que l’on garde. Ce type de jeu est souvent appelé en anglais « hate drafting » [NDLR : ou contre-draft], parce qu’il s’agit plus d’embêter votre voisin que de construire la main rêvée de votre côté. C’est définitivement le cas dans Nevermore, j’expliquerai pourquoi plus loin.
C’était pas « Nevermore : le jeu » le titre ? On en parle à un moment ?
Oui, oui, pardon.
Dans Nevermore, il y a essentiellement deux moyens de gagner :
- Soit être le premier joueur à totaliser 6 points de victoire.
- Soit être le dernier joueur « vivant » en jeu.
Ca vous rappelle quelque chose ? Un jeu avec des dés ? Des monstres ? Des pouvoirs ? C’est normal. Si je voulais être un peu provocateur, je dirais que Nevermore, c’est King Of Tokyo en mode drafting. L’expérience de jeu est très similaire, avec des mécaniques radicalement différentes, ce qui fait de Nevermore un jeu très intéressant.
Comme dans King Of Tokyo, il faut équilibrer sa propre progression en points de victoire et l’envie que vont avoir vos petits copains de vous dessouder lorsqu’ils auront décidé que vous êtes mieux parti qu’eux.
Comme dans King Of Tokyo, on va donc avoir une partie « sociale » dans le jeu non négligeable, à base de « Non, non, moi je ne suis pas dangereux, faut taper sur Raoul, lui, il est vraiment sur le point de gagner, non, sérieusement, quoi ! ».
Comme dans King Of Tokyo, il existe une stratégie consistant à amasser des pouvoirs afin de rendre plus ou moins irrésistible sa victoire dans un second temps.
Je m’en vais vous détailler ça.
Les phases de jeu
Le jeu enchaine des manches contenant 2 phases jusqu’à ce que l’une des conditions de victoire soit atteinte.
La phase de draft :
Comme expliqué plus haut, durant la phase de draft, on construit une main de 5 cartes qu’on va utiliser dans la phase de résolution. Seule petite subtilité, on va alterner le draft vers la gauche et le draft vers la droite d’une fois sur l’autre, afin de varier les plaisirs et de ne pas avoir toujours le même donneur et le même receveur.
La phase de résolution :
Au début cette phase, l’ordre de résolution sera révélé en utilisant les jetons prévus à cet effet :
Il faut noter que le premier jeton « A Conspiracy of Ravens » et le dernier « Skulking Ravens » seront toujours respectivement en première et dernière position. Les 4 autres jetons seront mélangés et leur ordre sera inconnu de tous les joueurs pendant la phase de draft.
Dans Nevermore, il y a en gros deux types de cartes :
- Les cartes qu’on drafte, elles ne peuvent être que de cinq catégories.
Chaque catégorie est représentée de manière équivalente dans le paquet de cartes.- Attaque : vous permettent de gentiment délester un ou plusieurs de vos adversaires de points de vie qui les encombrent.
- Santé : vous permet de récupérer des points de vie dont un adversaire mal intentionné aurait pu essayer de vous priver. On ne peut évidemment par remonter au dessus de la quantité initiale de 5 PV.
- Radiance : vous permet de récupérer des cartes de magie blanche
- Victoire : vous donne des points de victoire
- Corbeau : peut faire beaucoup de choses selon le nombre que vous en avez.
Si vous avez peu de cartes corbeau dans votre main (une ou deux) elles vont vous gêner très sérieusement. Si vous en avez beaucoup (3 ou plus) alors elles pourront être très utiles. J’y reviendrai plus bas.
- Les cartes « pouvoir » qu’on acquiert au cours du jeu et qui peuvent être de deux catégories :
- Magie Blanche : vous apporte un avantage à un moment donné ;
- Magie Noire : vous permet de casser un peu plus les pieds de vos petits camarades.
Ces cartes sont très variées, et le texte qu’elles portent décrit leur effet, et à quel moment elles peuvent être jouées. Leurs pouvoirs sont importants mais ne fonctionnent qu’une fois (on les défausse après usage).
Bon alors je sais ce que vous allez dire. Je ne sais pas en quelle langue « Magie » s’écrit « Magick », moi non plus. Amis éditeurs, il faut arrêter d’écrire bourrés.
Durant la phase de résolution, on résout les unes après les autres les 5 catégories, dans l’ordre dicté par les jetons. Comme je l’écrivais plus haut, la première et la sixième catégorie sont toujours jouées à ce moment là, mais l’ordre des 4 autres peut varier. Pour des raisons de clarté, je les expliquerai à la fin.
Pour résoudre une catégorie, c’est très simple :
- Chaque joueur présente le nombre de cartes de la catégorie qu’il a dans sa main. On DOIT montrer toutes les cartes qu’on a de la catégorie en question, on ne peut pas en garder.
- On détermine quel est le joueur qui en a le plus. Seul ce joueur bénéficie de l’effet (les ex aequo en bénéficient tous).
- On détermine le nombre de carte du deuxième joueur qui en a mis le plus (les ex aequo pour le premier comptent comme un seul joueur)
- On applique l’effet aux joueurs ayant posé le plus de cartes. L’intensité de l’effet est égal à la différence entre le nombre de cartes posées par le premier et le deuxième joueur. Pour faire simple : avec 5 joueurs, le joueur B pose 3 cartes, les joueurs A, C, et D 1 carte, et E pose 0 carte. L’intensité est 3 – 1 = 2.
- On passe à la catégorie suivante.
Les effets des catégories sont faciles :
- Attaque : on met une poutre de la valeur de l’intensité au joueur de son choix.
En cas d’égalité pour le plus haut total, ça peut vite se transformer en boucherie si tous les ex aequo choisissent la même cible… - Santé : on regagne autant de PV que l’intensité ;
- Radiance : on tire autant de cartes « Light Magick » que l’intensité ;
- Victoire : on gagne autant de points de victoire que l’intensité.
Il y a quelques cas particuliers qui se déclenchent en cas de dépassement de capacité : par exemple si on se soigne de 3 alors qu’il nous reste 5 PV alors on peut gagner des points de victoire. Ces petites règles sentent l’équilibrage donc il faut les appliquer mais elles ne sont pas fondamentales.
Ouais, mais les cartes Corbeau ?
C’est un peu ce qui fait le sel du jeu.
Comme je le disais précédemment, si on n’en a qu’une ou deux alors elles sont plutôt bien pénibles, mais à partir de 3 elles deviennent intéressantes. Pourquoi ?
- Déjà, si on arrive à monter une main de 5 corbeaux on déclenche la première des catégories : « Conspiracy of Ravens ». C’est la première action de la phase de résolution : on vérifie si un joueur a réussi à monter cette main. Dans ce cas, le joueur en question gagne 1 point de victoire (youpi), colle une mandale à tous les autres joueurs qui leur coute un point de vie (bonheur), et tire une carte « Shadow Magick » (sympa !). La manche s’arrête alors immédiatement, on ne joue pas les autres catégories, tous le monde fait la gueule sauf le joueur qui a monté la main.
- Dans le cas contraire les joueurs qui ont des cartes Corbeau dans leur main vont devoir les jouer dans les autres catégories, sachant que chaque carte corbeau jouée diminue de 1 le nombre de cartes que le joueur est censé avoir joué dans la catégorie en question. Si vous jouez 2 cartes santé et une carte corbeau dans la catégorie « santé », on comptera une seule carte santé. Ouch. On DOIT jouer toutes les cartes corbeau à un moment où à un autre pour supprimer les cartes « normales » qu’on joue. On ne peut pas en garder pour la dernière catégorie, à moins d’en avoir PLUS que celles des autres catégories auquel cas mécaniquement il en reste dans la main. 2 cartes normales, 3 cartes corbeaux, vous avez joué 2 cartes corbeau pour annuler vos deux cartes normales, il vous en reste 1. Une carte normale et 4 cartes corbeaux, ils vous en reste 3 à la fin. Evidemment, on ne peut pas jouer dans une catégorie plus de cartes corbeaux que de cartes normales, et on ne peut pas jouer de carte corbeau si on n’a aucune carte de la catégorie en question.
- Ensuite lors de la dernière catégorie « Skulking Ravens », tous les joueurs qui ont encore des cartes corbeau les jouent, et le joueur qui en a joué le plus récupère autant de carte « Shadow Magick » que l’intensité.
Voilà, vous savez jouer ! Lorsque j’écris ces lignes, je réalise à quel point le jeu peut avoir l’air compliqué. C’est juste moi qui suis nul pour expliquer. Le jeu est très simple et tourne très bien.
Mais j’ai oublié de vous parler d’un truc : Nevermore est un jeu à « presque élimination ».
Draftons, éliminons !
Dans un jeu classique comme King Of Tokyo, lorsqu’un joueur perd son dernier point de vie, il est éliminé. Il peut se lever, se resservir une bière, passer un coup de fil, rentrer chez lui, il ne joue plus du tout. Ou comme souvent, il peut rester à table et avanir d’insultes le joueur qui l’a éliminé.
Lorsqu’on perd son dernier point de vie, on devient un Corbeau. Et que fait un corbeau ? Il fait chier son monde en braillant « Nevermore ! » d’une voix éraillée pendant toute la partie à chaque fois qu’une carte est jouée. Si l’un des autres joueurs craque et lui hurle « Ta GXXXXX ! », alors le joueur hurlant est éliminé. Si un joueur frappe l’un des joueurs Corbeau il est éliminé aussi, même si cela se fait en silence. Les regards noirs, exaspérés, les dents serrés et les points rageurs sont en revanche autorisés.
Non, je déconne.
Dans Nevermore, l’élimination est temporaire. Un joueur Corbeau joue comme les autres joueurs, à deux différences près :
- Il ne peut pas gagner tant qu’il est en corbeau (sauf s’il élimine le dernier joueur auquel cas il redevient humain et gagne la partie)
- Si le joueur corbeau parvient à réunir soit une main de 5 cartes identiques (pas facile surtout que les autres joueurs, et donc son donneur, savent qu’il va essayer de faire cela) ou bien une main de 5 cartes différentes (beaucoup plus facile à faire et difficile à détecter), alors il redevient humain. Il conserve ses points de victoire et repart à 4 points de vie
- On ne résoud pas ses cartes exactement comme celles des autres joueurs (même si par ailleurs il drafte comme tout le monde). Lorsque le joueur corbeau « gagne » une catégorie autre que radiance, il se contente de faire un point de dégât au deuxième joueur dans la catégorie (il lui picore la tête, quoi). S’il gagne la catégorie Radiance, il pioche une carte comme n’importe quel joueur
Il n’est pas si difficile que ça de revenir en jeu en tant que Corbeau, et cette variante m’a beaucoup plu.
Dans les jeux à élimination directe, le fait d’être éliminé en premier, pour des raisons pas forcément très acceptables (Loup-Garou, anyone ?) fait qu’on peut se retrouver éjecté de la table pour une durée non négligeable. Cela arrive à la plupart des jeux à élimination directe (Loups-Garou, Wanted/Bang), et c’est particulièrement pénible. Ici, ce n’est pas le cas, un joueur Corbeau peut toujours revenir dans la partie, et revenir avec ses points de victoire, ce qui le rend très très dangereux.
La conclusion (enfin !)
Je me rends compte que j’ai écris un bien long article pour un jeu qui reste un jeu court et plutôt léger. Mais il est difficile d’exprimer ce qui rend Nevermore séduisant. [NDLR : Et maintenant vous savez tout du drafting].
Pour moi, le jeu est fascinant. Je ne dirai pas qu’il remplacerait un King of New York dans ma ludothèque, parce le plaisir de se mettre des baffes dans la tronche à grand coups de dés et de pouvoirs délirants reste intégral.
Pour autant, Nevermore est très rafraîchissant. Il peut paraître un peu aléatoire à ceux que la mécanique de drafting incite à penser qu’ils sont plus en contrôle qu’en jouant avec des dés, mais je trouve que le niveau d’interaction est vraiment agréable. Et le temps de jeu est probablement plus court que pour KoT. En 30 minutes, à 4 joueurs une partie passe forcément.
Les cartes « Shadow Magick » sont très puissantes et peuvent faire pencher assez rapidement la balance d’un côté ou de l’autre, mais elles sont aussi plus difficiles à obtenir que les cartes « Light Magick » qui sont moins puissantes. Je peux imaginer que thésauriser ces cartes peut représenter une stratégie viable surtout si la partie s’éternise mais je n’ai pas suffisamment de parties derrière moi pour juger.
Je sais que je présente essentiellement des critiques positives, mais ceci est encore un très bon jeu. J’ai bien quelques jeux que j’aime moins à vous faire partager, mais j’avoue que la perspective de passer autant de temps à parler d’un jeu qui n’en vaut pas la peine ne me remplit pas d’autant de joie que celle de partager mon enthousiasme pour un jeu que j’aime.
Et pour celui-là je dirais : « Nevermore ? Are you kidding ? Give me more ! ».
Un jeu de Curt Covert
Illustré par Hannah Kennedy
Edité par Smirk & Dagger Games
Langue et traductions : Anglais
Date de sortie : 06-2015
De 3 à 6 joueurs , Optimisé à 5 joueurs
A partir de 14 ans
Durée d’une partie entre 45 et 60 minutes
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Umberling 18/01/2016
Haaa ! De la seule partie que j’ai faite, j’ai trouvé que c’était un super jeu d’enflures, vraiment cool. En revanche, les règles m’ont semblé bourrées d’exceptions et simplifiables, même si grâce à elles, Nevermore est plus profond qu’il en a l’air. Mais en conséquence, la courbe d’apprentissage n’est pas très pentue…
TSR 18/01/2016
La partie qui me semble un peu alambiquée est celle qui concerne le joueur devenu corbeau, qui en général ne gagne rien s’il remporte une enchère, sauf dans un cas ou deux, et qui doit picorer seulement le deuxième joueur, etc. Elles sont plus compliquées à lire qu’à appliquer ou expliquer, et je sens (je n’ai que quelques parties derrière moi) qu’elles sont importantes pour l’équilibre.
Sinon le reste m’a l’air plutôt pas mal épuré.
TheGoodTheBadAndTheMeeple 18/01/2016
Superbe article pleins de clichés et de conneries comme j’aime.
Je n’ai plus le pool de joueur pour jouer a ce genre de jeu de chagasse, style Lifeboat ou Cutthroat cavern… Dommage.
TSR 18/01/2016
Kamoulox.
Faut bien faire des hits sur la page :p
TSR 18/01/2016
Alors je tiens à dire que le commentaire « Kamoulox » a été écrit en réponse à un post un peu étrange de notre ami TheGoodToussaToussa et que ce fourbe l’a modifié entre temps et que du coup cela n’a plus aucun sens.
Quel fourbe celui-là 🙂
M3th 18/01/2016
Énorme article, on prend un plaisir fou à le lire. Merci.
Cycnos 18/01/2016
Pavé César ! 🙂
Intéressant, beaucoup d’humour et heureux d’apprendre que je suis pas le seul à connaitre l’expression « Ca roxxx du poney » ! 😉
Shanouillette 18/01/2016
La partie sur le draft est digne d’une Mécanique du Jeu Grovastienne !
TSR 18/01/2016
Une pale imitation du Maître 🙂
Shanouillette 18/01/2016
Trop modeste, mon cher, trop modeste, comme toujours !
morlockbob 18/01/2016
le professeur Rollin a toujours quelque chose à dire…. (Rollin et Cappelo dans un même article …dur de faire mieux)
D ‘ailleurs maître, les expressions girondes concernent elles plutôt les bordelais ou peuvent elles s’étendre au reste du territoire ?
TSR 18/01/2016
Oui, je pense que faire mieux que placer ces deux là sera difficile :).
Concernant l’expression gironde, il faut la prendre dans son acception la plus générale, celle d’une femme aux formes plantureuses :). Je crois que cela existe aussi au masculin, mais c’est probablement peu utilisé 😉
atom 18/01/2016
Sympa ce petit jeu de draft et ça sort quand en français ? idéal pour notre asso avec tout les menteurs roublards mauvais joueurs (rayez la ou les mentions inutiles).
Djinn42 18/01/2016
Dommage qu’il ne soit pas question de traduction pour l’instant.
Les illustrations sont très jolies. Je garde un œil dessus, merci de ma l’avoir fait découvrir.
atom 18/01/2016
Je rejoins Shanouillette, avec ton paragraphe sur le draft tu rejoins le président.
Par contre je suis pas d’accord du tout avec cette phrase sur Seasons :
« Selon les jeux, on a parfois plus intérêt à construire une belle main, sans trop se préoccuper de passer de bonnes cartes à son receveur. C’est le cas à Seasons, et dans une certaine mesure, à 7 Wonders »
Je pense que au contraire sur Seasons le dilemme est dans ce que l’on va laisser a l’autre, vais je prendre cette carte qui irais tellement bien avec mon jeu, mais non je ne peux pas lui laisser ça. Bon allez il va surement pas la prendre de suite, allez j’ose. Si tu ne te soucies pas de ce que tu laisses a l’autre, c’est comme ça que tu prends une fessée a Seasons (mais peut être que tu aimes ça et cela ne me regarde pas ;)) (oh pu.. j’aurais du rien dire j’ai une lumière rouge qui se balade sur mon front, j’ai rien diiiit !)
TSR 18/01/2016
Hello Atom !
je suis d’accord avec ce que tu dis sur Seasons. Ce que tu décris, ce n’est pas tant « je ne peux pas laisser mon receveur avoir cette carte car cela va trop l’aider » que « j’en garderais bien deux à ce tour ci elles vont bien ensemble ». Pour moi le premier est du hate dssique en drafting
atom 18/01/2016
Sur Seasons, c’est aussi soit je vais pas lui laisser cette carte car elle va trop bien a son jeu, soit je lui laisse pas cette carte car elle peut me faire du mal et a choisir je préfère faire du mal ^^. Et ça surtout c’est vrai avec les extensions, par exemple le « Gardien d’argos » fait défausser une carte ou 4 énergies a tout les joueurs, bon bah je préfère l’avoir en main que de me savoir sous cette épée de Damoclés et tant pis si je laisse cette carte qui était idéale a mon jeu. . Pour avoir beaucoup jouer a Seasons, cette dimension la est importante, soit a intégrer et prendre le risque, et avoir un fusible dans les mains (une carte qui m’intéresse moyen) soit je prends la carte et c’est une des forces de Seasons car ce dilemme est présent pendant tout le draft. Désolé pour le petit Hs
TSR 18/01/2016
Non, non, c’est intéressant. Je trouve Seasons vraiment très bien, mais je n’ai jamais trouvé le groupe qui avait envie d’investir du temps dans le jeu. Du coup, je n’ai que quelques parties « découvertes » à mon actif.
Sha-Man 18/01/2016
D’accord avec @Atom.
A 7 wonders c’est la limitation des cartes de chaque âge qui donne la puissance du choix. C’est particulièrement vrai pour l’armée ou la science (mais pas que, vu le nombre limité de cartes bleues, la construction du moteur de ressources dans les premiers ages ou encore le cassage de chaînes de cartes des adversaires).
Au final, le sel du draft tient à la limitation des ressources plus ou moins connue de tous.
On estime les cartes restantes d’un type ou on observe les besoins de nos adversaires directs (oui parce qu’à 7 c’est quand même chaud de savoir ce dont chacun à besoin) pour faire nos choix et ne pas trop avantager les autres.
Shanouillette 19/01/2016
Et c’est pour toutes ces raisons que Between two cities est un fail.
Corbant 20/01/2016
Merci pour cette présentation d’un jeu qui m’intrigue depuis que j’en ai vu passer des annonces (un jeu avec un corbeau, quoi ! c’est cool 🙂 oui, il m’en faut peu, j’assume).
Je me posais déjà de sérieuses questions sur ce jeu, parce qu’adapter un poème de Poe en jds… j’imaginais très mal. Et les digressions sur la sémantique et sur la mécanique du draft ne m’ont pas rassuré au premier abord : le jeu est mauvais, autant parler d’autre chose.
Mais bon, me voilà rassuré ; du coup j’ai bien envie de le tester à l’occas’.
Par contre, ça a l’air d’assez peu retranscrire l’atmosphère des écrits de Poe. Pas foncièrement étonnant, m’enfin le terme « Magick » (notamment) casse un peu une possible ambiance gothique.
TSR 20/01/2016
Hello ; je te confirme qu’il s’agit plus d’une « inspiration » que d’une « adaptation » de l’univers créé par Poe avec ce poème. Tout se joue essentiellement au niveau du rendu graphique et de la position dans laquelle se retrouve le joueur transformée en corbeau qui me parait bien évocateur du poème.
Par contre il ne faut pas passer à côté du jeu pour autant, malgré des mécaniques qui peuvent paraitre alambiquées, on a une profondeur de jeu très intéressante et un jeu avec beaucoup d’engagement.
Corbant 22/01/2016
Il me parait malgré tout très bien, à te lire. Je vais essayer de faire une partie dès que possible. L’aspect « élimination non définitive », qui règle le gros problème de l’élimination, m’intéresse bien – certaines mécaniques de ce genre, souvent alternatives aux règles d’origine (comme dans Wanted/Bang) ne m’ont pas convaincu.