Mystery House : Manoir, ouvre-toi !

En présentant Mystery House lors salon d’Essen 2019, les italiens de Cranio Creations s’invitent sur la vague sans cesse grandissante des jeux de société dérivés des escape rooms. Une entrée remarquée grâce à un concept il faut bien le dire accrocheur : un « Manoir » en 3D à explorer.
La boîte de base, seule disponible à ce jour et localisée en français par l’entremise de Gigamic, fournit une structure en carton/plastique et un système de jeu promis à de futurs contenus additionnels.

État des lieux

Avant de commencer à jouer, deux étapes préliminaires sont nécessaires :

  1. Télécharger l’application dédiée, disponible gratuitement sur l’AppStore pour iOS et sur Google Play pour Android.
  2. Choisir une aventure parmi les deux proposées, et insérer verticalement les tuiles « Lieu » dans la structure du Manoir, aux coordonnées indiquées. Ce couple lettre + chiffre (par exemple H4) permet également d’identifier le lieu concerné dans l’application.
    Attention : certaines tuiles prédécoupées doivent être évidées, simulant ainsi une ouverture, typiquement une fenêtre.

Et c’est parti !
Après une laconique introduction du contexte scénaristique, l’application lance le décompte des 60 minutes allouées pour démêler en temps réel et de manière totalement coopérative le mystère en présence.

Investigations en cours

Première activité au programme : chacun doit observer les décors, objets, personnages, inscriptions… illustrés sur les faces internes et externes des lieux visibles depuis les quatre côtés du manoir. Quand un élément semble utile ou interpelle, il s’agit alors d’entrer dans l’application les coordonnées du lieu où il se trouve et de chercher, parmi une liste de mots-clés affichés, un libellé qui peut lui correspondre. Attention, car toute erreur, c’est-à-dire tout « tap » sur un mot-clé inapproprié, est sanctionnée d’une perte de 30 secondes. Bourrins s’abstenir. Si au contraire il y a quelque chose à glaner, l’application peut indiquer aux joueurs un numéro de carte « Objet » à ajouter à leur inventaire, ou bien encore révéler une description potentiellement instructive.

Toujours via l’application, il est possible d’utiliser un ou plusieurs objets de l’inventaire dans un autre lieu où son emploi parait judicieux. Une clé trouvée sous le paillasson pourrait bien ouvrir une porte, un placard ou un coffre-fort. Là encore, une pénalité de 30 secondes dissuade de multiplier les tentatives douteuses.

Dernier type de réjouissance : résoudre des énigmes. Certaines tuiles lieux constituent manifestement des points de passage nécessitant d’être déverrouillés en entrant un code adéquat dans l’application. Charge aux joueurs de comprendre ce qui est attendu, et où.

Dès lors qu’une étape est franchie, l’application demande de retirer certaines tuiles Lieu, donnant ainsi accès à une nouvelle zone jusque-là virtuellement fermée.

À la loupe

Les débuts sont difficiles, car passé le tour initial du propriétaire et malgré la satisfaction d’obtenir de premiers objets, la marche à suivre ne coule pas de source. On tourne en rond, et l’excitation retombe rapidement. Se résoudre à appeler à l’aide d’emblée, avant même d’avoir entrevu le premier bout d’une énigme, voilà qui est vexant quand on se targue d’une expérience correcte en escape games.

Il faut bien dire que la difficulté annoncée des deux aventures fournies, respectivement 3 et 4 étoiles sur 5 possibles, a de quoi étonner s’agissant d’une boite de base. La mini-aventure de démo/tutoriel utilisée sur les salons (Carlson Bank) n’étant pas non plus inclue, il n’est pas possible de se « former » à blanc. Cela aurait pu être grandement utile, tant certains réflexes issus de jeux précédents peuvent finalement se retourner contre vous au moment d’appréhender ce système-ci.

Heureusement donc, le système d’aide de deux types fait le job : l’aide générale oriente vers un lieu qui joue un rôle majeur pour avancer dans la suite de l’aventure, tandis que l’indice ciblé sur un lieu aiguille sur ce qu’il y a à faire ou comprendre à cet endroit. Le problème vient souvent d’un mot-clé négligé, mais passer en revue de manière méthodique l’ensemble des 20 libellés pour chacune des nombreuses tuiles lieu est vite fastidieux. Y aller au feeling est la manière naturelle de faire, avec le risque (l’assurance ?) de rater des éléments indispensables.

De manière générale, l’application est plutôt bien faite. À la saisie d’une lettre, la liste réduite des lieux qui peuvent correspondre s’affiche directement, ce qui fait gagner un tap. Une bande son distille une atmosphère en accord avec l’ambiance peu rassurante des scénarios. Quelques effets sonores supplémentaires viennent saluer les points d’étapes importants. Il faudra par contre éviter d’avoir de trop gros doigts au moment de sélectionner un mot-clé.
Autre mini-reproche : il n’est pas évident de retrouver les textes obtenus précédemment, or il arrive qu’on ait envie d’y revenir. Ils sont pourtant bien là, disponibles quelque part, mais où, déjà ?

L’habit ne fait pas le moine : si ça se trouve, entrer dans le Labyrinthe de ce Seigneur est une bonne idée.

 

Effleurez par erreur le bouton d’à côté, et c’est 30 secondes à chaque fois. L’addition peut vite monter.

 

Après un interminable compte à rebours des 70 minutes de dépassement, le verdict est implacable : zéro étoile sur cinq.

 

Parlons maintenant du confort de la partie physique du jeu, pas forcément optimal. Le format des illustrations est assez réduit, et en lumière artificielle, l’intérieur de la boite est très sombre. Éclairer à la lampe de poche se révèle indispensable pour mettre à jour les recoins les plus ténébreux. Outre suffisamment de smartphones à disposition, il vous faudra également prévoir 3 à 4 autres boites de jeux au format carré pour surélever le Manoir à hauteur des yeux, limitant ainsi la position penchée.

Ceci étant, la structure en elle-même et le principe de lieux à ouvrir fonctionnent assez bien. Entre ce qui est accessible et ce qui ne l’est pas, il faudra néanmoins faire la part des choses. La possibilité d’apercevoir des fragments d’illustrations par l’intervalle entre deux lieux est à la fois perturbante et contre-productive. L’application vous remettra dans le droit chemin : non, il n’est pas possible d’aller décrocher ce tableau que vous n’êtes pas censé avoir vu par avance dans une pièce fermée. Les fenêtres sont une belle idée thématique à ce titre : l’observation de ce qu’elles révèlent de l’intérieur de la pièce est pour le coup autorisée – et pourrait bien vous servir -, mais vous n’êtes pas pour autant aptes à interagir avec les éléments qui s’y trouvent.

Révélations finales

Par son originalité matérielle, Mystery House crée une attente forte. Suscite l’espoir de sublimer le genre, ou tout du moins de le renouveler en proposant une expérience différente de la concurrence bien établie sur le créneau. C’est quelque part le cas : la fouille visuelle, bien que relativement peu commode pour diverses raisons, apporte un plus indéniable en termes d’immersion. On peut facilement s’imaginer tourner autour du Manoir en quête d’une façon d’entrer, se projeter mentalement à l’intérieur des pièces.

Alors, quel est le problème ? Comment expliquer cette impression de frustration ? La difficulté est assez élevée, on en a parlé, mais elle est surtout mal placée selon moi. Sauf à éplucher d’emblée les lieux avec une discipline militaire, il est quasi illusoire de ne pas manquer un élément lors de l’exploration visuelle. Ratez le moindre détail, le moindre rapport entre une illustration et la liste de 20 mots-clés, et c’est l’assurance de perdre de longues minutes à stagner. Et lorsque l’on a le fin mot, plutôt que le plaisir gratifiant d’avoir solutionné un problème bien ficelé, le sentiment qui émerge est plutôt la déception d’avoir buté autant sur une chose aussi basique. La curiosité reste assez forte pour maintenir l’envie d’aller jusqu’au bout de l’aventure, mais il faut bien le dire : on est parfois dépités.

S’agissant des énigmes, elles ont pour la plupart une dimension très mathématique qui les rapprochent plutôt de la série EXIT. Leur nombre est assez réduit, même s’il faut ici faire un distinguo entre les deux scénarios :

Portrait de famille nous a paru le plus faible sur ce plan, avec des énigmes relativement bateau qui se comptent sur les doigts d’une main. En revanche, il fait la part belle à l’exploration et l’utilisation d’objets.

 

Le Seigneur du Labyrinthe propose pour sa part un peu moins de fouille et un peu plus de mystères à résoudre, dont certains de meilleure tenue. Bien qu’il soit annoncé à 3 étoiles sur 5, je vous conseille de jouer celui-ci en second.

 

 

Au moment de choisir vos partenaires d’aventure, sachez que dans les deux cas, l’ambiance est plutôt inquiétante, à la limite du malsain. Si des ados pourront le pratiquer sans problème, il ne se destine a priori pas aux enfants en dessous de 12/13 ans. Sauf petit génie, la difficulté les tiendrait hors du coup de toutes façons.

Évitez également à mon avis les configuration hautes. Si la boite indique jusqu’à 5 joueurs, il faut bien comprendre que chacun ne peut regarder qu’un côté du Manoir à un instant T, et que le faire pivoter impacte tout le monde. Le cinquième joueur s’occupe à temps plein de l’application. Heureusement, cette dernière a la bonne idée de rythmer une rotation du rôle en indiquant de manière régulière quand faire tourner l’appareil. Confinement oblige, le jeu a été pratiqué à deux pour les besoins du présent Just Played, et nous avons ressenti cette configuration comme idéale.

Au final, on retient essentiellement de Mystery House son concept fondateur. L’exploration en 3D tient relativement bien sa promesse, malgré le côté rébarbatif qui s’impose par moment. C’est le seul point qui démarque réellement le jeu de sa concurrence, car les à-côtés sont malheureusement moins remarquables. Les histoires sont relativement peu exploitées, voire peu inspirées. Ne comptez pas retrouver un instant le souffle épique et la cohérence thématique des meilleurs Unlock!. La pression du sablier est d’ailleurs très vite oubliée tant il devient rapidement évident que cela ne se fera pas en 60 minutes.
Autre sacré bémol : trop peu d’énigmes peuvent être jugées vraiment inventives pour qui est rompu au genre.

Alors certes non, on ne passe pas un mauvais moment pour autant. Mais force est de constater que l’ensemble souffre d’approximations et de défauts qui à la fois rendent la mise en route un peu ardue, et surtout laissent planer un goût d’inachevé.

Terminons par signaler qu’un scénario supplémentaire est d’ores et déjà annoncé pour 2020 : Back to Tombstone (ci-contre) se déroulera visiblement dans un univers Western plus lumineux. Espérons que Cranio aura tiré parti des retours sur la boite de base pour nous proposer l’aventure parfaitement calibrée que ce système mérite.

 

Un escape-like de Antonio Tinto
Illustré par Alessandro Paviolo et Daniela Giubellini
Localisé par Gigamic pour la VF Pays d’origine : Italie
Date de sortie : 2019
Pour 2 à 5 investigateurs affûtés
Durée constatée : 90 à 120 min
Théoriquement à partir de : 14 ans (12 ans envisageable)
Prix public conseillé : 35€

 

 

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1 Commentaire

  1. LePionfesseur 29/05/2020
    Répondre

    Merci pour cet article !  Ton avis correspond à ce que j’ai entendu ici ou là, la belle formulation en plus.
    C’est dommage, je mettais aussi beaucoup d’espoir dans ce concept intriguant.

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