Mysterium Park réservez votre soirée !
C’était en 2015, je vagabondais dans les allées du Festival de Cannes comme un enfant dans un magasin de bonbons, ne sachant pas trop où m’arrêter, ébloui par cette profusion. Puis, au détour d’une allée, une personne au teint blafard m’invita à m’asseoir à sa table. N’écoutant que mon courage, je m’exécutais.
Je fus soudainement projeté dans une atmosphère sombre et ô combien mystérieuse. La personne énigmatique prit place derrière un gigantesque paravent et commença à nous expliquer que nous étions des médiums dans un manoir. Un manoir fort inquiétant, avec ses portraits aux murs (couverts de toiles d’araignée) qui nous dévisageaient.
Je découvre à cet instant Mysterium, un excellent jeu de déduction coopératif, As d’or 2016. Dans ce jeu édité par Libellud, un joueur incarne (si j’ose dire) un fantôme et envoie des visions pour communiquer avec les médiums afin qu’ils découvrent l’assassin. Je me souviens être sorti extatique de cette expérience.
Tajemnicze Domostwo le titre initial qui donna Mysterium, de Oleksandr Nevskiy et Oleg Sidorenko, était sorti deux ans plus tôt. Libellud avait gardé les illustrations originales pour les cartes Songes, mais eut la bonne idée de faire appel à Xavier Colette pour ce qui était des cartes Personnages, Lieux et Armes du crime. Un résultat incroyable qui a su distiller une atmosphère unique et une ambiance mi-inquiétante, mi-onirique.
Le charme rompu
Puis, plus tard dans l’année, le jeu sort en boutique. Nous nous retrouvons à l’association pour y jouer. Moi je trépigne d’impatience. Mais en fait le jeu fait, pop, flop, puis bof. De l’extase je passe à la catalepsie. Nous sommes tous avec l’encéphalogramme plat…
Mais que s’est-il passé ? Sans doute manque-t-il le contexte, le décorum impressionnant, et surtout un vrai fantôme (elle est drôle cette phrase ^^). Oui, fantôme, c’est un rôle difficile, il faut lui donner du corps, de la prestance, un peu de jeu de scène, et surtout posséder un certain talent pour savoir distiller les bonnes images aux bonnes personnes… et ça non plus ce n’est pas donné à tout le monde.
Je vous rassure, le constat final n’est pas si négatif, car en fonction des joueurs, on peut passer un bon, voire excellent moment. Mais parfois non. Bref, je reste moins convaincu par Mysterium, qui a aussi le défaut de traîner souvent en longueur quand le fantôme trébuche sur le choix des cartes.
Puis, 2019, au détour d’une allée, on nous présente Mysterium Park …
Entrez dans le Parc Mystérieux
Approchez, approchez, mesdames et messieurs ! Le Mysterium Park est de passage dans votre ville et vous convie à découvrir les prestations incroyables de ses jongleurs, son hypnotiseur, son lanceur de couteaux..!
Des rumeurs parcourent la ville, il se dit qu’un meurtre vient d’être commis ! Et qui appelle-t-on ? Ghostb… heu non pardon, votre équipe de médiums pour communiquer avec le mort et appréhender le meurtrier !
Au fait, vous avez payé votre billet ?
Mysterium Park reprend donc la mécanique de Mysterium, mais en l’expurgeant de tout le décorum : pour seul matériel, nous avons un plateau qui accueille les cartes, des jetons à notre couleur, et en lieu et place de l’énorme paravent, une simple carte Intrigue que l’on place sur un socle. Les pions boules de cristal sont toujours de la partie. Tout le reste, exit.
Cette fois, on est dans cet univers très Burtonien, et l’on quitte le manoir Warwick dans les landes écossaises pour une étrange fête foraine itinérante. On pourrait aussi penser à Carnivale, ou la Caravane de l’étrange en français, cette série américaine qui n’a pas survécu aux restrictions budgétaires après deux saisons. Exit aussi cette atmosphère bleutée et inquiétante pour des teintes orangées plus chaleureuses du monde du spectacle.
Les illustrations sont signées de Xavier Colette évidemment (heureusement), qui n’a pas son pareil pour créer une ambiance. On prend plaisir à scruter les cartes à la recherche du moindre détail. Dans ce Park, le maître mot est la lumière, cirque oblige, les lieux sont parsemés de néons et de sublimes clairs obscurs. Derrière le travail graphique et artistique on oublie facilement l’énorme travail statistique : il faut un solide cahier des charges pour que l’on retrouve tel type d’éléments ou tel genre de détails et que le jeu fonctionne à tous les coups.
Quant aux Suspects, nous avons là une galerie de personnages hauts en couleur, du fakir indien à la barbe et aux sourcils blancs bien fournis, au clown inquiétant (mais entre nous c’est inquiétant un clown non ?), le mime, le gardien, etc. Les cartes Songes sont quant à elle issues du travail du studio M81, à l’œuvre dans presque toutes les créations de Libellud depuis l’extension Mysterium Hidden Signs.
Mysterium Park reste donc un jeu coopératif de déduction avec une asymétrie puisqu’un joueur interprète toujours le fantôme qui va diffuser ses visions à travers des cartes. Désormais nous avons 6 tours de jeu, et 3 manches pour innocenter des Suspects de sorte à avoir 3 potentiels coupables. Nous ferons la même chose en excluant des Lieux pour en obtenir 3. Cela nous permettra d’avoir 3 Lieux et 3 Suspects associés (vous suivez !), et si vous arrivez à cerner la bonne paire, c’est gagné, le fantôme sera apaisé et ne viendra plus s’insinuer dans vos songes, sinon …
On reste donc en terrain connu, le fantôme va transmettre des cartes (de 1 à 7) aux autres joueurs et refaire sa main. Mais cette fois on cherche des innocents d’abord, ainsi qu’à exclure des Lieux et non des coupables. C’est perturbant quand on a l’habitude de Mysterium, mais on s’y fait. On peut toujours refaire sa main si elle nous convient pas, mais changement d’univers oblige, ce sont des jetons tickets qui nous le permettent et non des jetons corbeaux.
Fini la jauge de Clairvoyance qui ne nous plaçait pas sur un pied d’égalité entre médiums et complexifiait (inutilement) les choses. Dans Mysterium Park on a réellement enlevé le superflu pour garder la substantifique moelle. Et ça correspond totalement à ma recherche ludique tant j’apprécie les structures de game design épurées et efficaces qui n’ont pas besoin d’en faire des tonnes.
Show must go on
Libellud confirme ici son savoir faire sur ce style de jeux de déduction par l’image. Il faut dire qu’ils ont un peu d’expérience : on doit être à la 12e extension de Dixit, Mysterium en a quant à lui deux, sans oublier non plus les autres productions avec Obscurio qui avait intégré un traître dans la mécanique, Shadows Amsterdam qui offrait du jeu par équipe, ou encore One Key avec son principe de chaud-froid.
Difficile à force de se renouveler dans cet exercice d’autant que la concurrence est rude et propose des concepts intéressants, comme par exemple Détective Club de Aleksandr Nevskiy (le coauteur de Mysterium) qui est un drôle de mélange entre Dixit et Insider. Nous pensons aussi à Au creux de ta main arrivé dernièrement, qui dans une autre approche nous offre la sensation tactile (Just played), ou bien Greenville et mieux, sa suite Paris 1889, qui se situent dans un univers angoissant, plus mature et sanglant, en plus d’ajouter une dose de narratif.
Comme tous les jeux de déduction par l’image, tout dépendra de l’engagement des joueurs, de leur culture, et leur interprétation. Le joueur fantôme doit savoir écouter, rester impassible même s’il fulmine à l’intérieur… Surtout quand ses coéquipiers sont à côté de la plaque, passant de longues minutes à diverger sur une carte, à chercher des choses complexes, alors que le résultat est terre à terre :
Joueurs médiums : – Le nuage ressemble à un chef indien, sur la voiture il y a marqué E = Mc2, on cherche donc quelque chose dans l’électrique, je pencherais pour cette carte-là moi, les arbres ont une forme qui ressemblerait à ces nuages et il y a une prise électrique… moi je vois que ça.
Fantôme : – Mais bon sang, vous ne voyez pas la voiture ? C’est pas compliqué, c’est l’auto-tamponneuse, c’est évident non ?! Qu’est-ce que vous allez me chercher des formes cheloues dans les nuages !
Tombé de rideau
Cette version se veut plus dynamique, plus pêchue et finalement plus adaptée pour les week-ends à la neige en famille, ou pour la soirée jeux chez les copains (oui je connais le contexte dans lequel on est …). Voilà en effet une petite boite que l’on glisse dans son sac à dos, un petit présentoir où l’on clipse la carte Intrigue, un petit plateau où l’on dispose les cartes, et go. Du prêt à l’emploi. On pourra regretter la disparition de l’Arme du crime aussi, mais personnellement, je trouvais ça un peu long et les cartes « Arme » finalement assez basiques.
Bref, ayant été déçu par Mysterium, cette version me convainc beaucoup plus. On a certes changé d’univers, mais on retrouve vite ses marques. L’ambiance est peut-être moins “macabre”, mais c’est pas plus mal (on y a joué en famille, avec les enfants, et ça s’y prête plus). Le fait aussi que ce soit plus rapide colle plus avec le type d’expérience proposée et le public familial. Quant aux fans de Mysterium, ils perdent peut-être en décorum ce qu’ils gagnent en transportabilité avec cette version voyage qui a le charme de ne pas porter son nom.
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Salmanazar 15/11/2020
Bel article sur le fond et la forme !
Tellement vrai le coup de la carte avec la voiture et le nuage.
atom 19/11/2020
Merci beaucoup 🙂
Autant sur les jeux avec des mots comme Decrypto je peux être efficace et avisé, autant avec des images je suis souvent vraiment à coté de la plaque 🙂
Flemeth 15/11/2020
Super article plein d’émotions qui donne clairement envie d’essayer ce Mysterium Park, merci 🙂