Moon Colony Bloodbath : mais qui aurait pu prédire ?

Les “génies de la tech” se sont installés sur la Lune et ont fondé des colonies – c’est peu ou prou le pitch de Moon Colony Bloodbath, la nouvelle création de Donald X. Vaccarino, un auteur qui a marqué le monde du jeu de société avec des titres comme Kingdom Builder et surtout le grand Dominion, le précurseur d’une mécanique qui aura fait florès depuis, j’ai nommé le deck-building. Dans Moon Colony Bloodbath, il sera question de deck-building, mais via un deck commun à l’instar de For a Crown

Attardons-nous quelques instants sur cette cover délicieusement vintage, digne des comics de Science Fiction des années 60 (signée Franz Vohwinkel). Le parti pris est évident, nous sommes dans un jeu décalé, et pas qu’un peu. 

 

 

Cuisson à l’étuvée

On va construire notre colonie (notre tableau de cartes) et pour cela, nos génies en herbe partent avec quelques cartes bâtiments, un peu d’argent pour les construire, et quelques pommes pour … (on le saura bien vite :)), et surtout des jetons de population (30) qu’il faudra essayer de préserver coûte que coûte. Le but étant, dans ce jeu de survie, d’être celui ou celle qui a le plus de population à la fin de la partie. Sauf que tout ne va pas bien se passer ! Il y avait une sorte d’indice dans le titre (bloodbath). 

La fin ? Oui, elle survient pour tous quand on a survécu aux 13 événements, ou si un joueur n’a plus aucune population, ce qui, on ne va pas le cacher, arrive le plus souvent. Soyons clair : Ça va être une véritable boucherie.

 

 

Dans Moon Colony Bloodbath on partage un deck commun, et on va dépiler les cartes une à une, et les réaliser en simultané. Au début nous avons quelques cartes “Work” qui vont nous permettre de réaliser les actions du jeu : gagner de l’argent, produire des pommes, piocher des cartes bâtiment, ou les construire. Ainsi, quand une action « Work » sort du deck, chaque joueur choisit son action éponyme parmi les cinq énoncées plus haut.

En plus de cela, deux cartes « troubles » sont présentes dans le deck ainsi que deux cartes « twists » (prises dans un deck spécifique pour avoir des parties variées et différentes).

 

 

La vie est un long fleuve tranquille vers la mer de la tranquillité 

Avec les cartes Work, on construit son moteur de jeu et son tableau de cartes personnel, qui va permettre de booster de plus en plus notre jeu. Ainsi, je peux par exemple poser ce « Clone Bank » qui me donnera 2 populations à chaque fois que je réaliserais l’action de Recherche, ou encore le « Spaceport » qui me permet moyennant paiement d’ajouter des cartes Perk au deck (cartes qui ne bénéficient qu’au joueur ciblé contrairement aux autres qui s’appliquent à tout le monde). Les cartes ont une couleur qui va avec l’action correspondante, permettant de voir les bonus à gagner quand on réalise telle ou telle action. Ainsi chaque fois que j’accomplirais l’action « Farm », je déclencherais tous les effets de mes cartes vertes. Au bout de quelques tours, on a tous un moteur de jeu qui part dans telle ou telle axe stratégique. Jusqu’ici tout va bien. Allez, presque, ça ronronne. Qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?

 

 

Oooh notre première carte trouble qui nous dit d’ajouter la première carte événement : la famine ! Que demandera-t-elle ? Il faudra tout simplement payer une pomme par bâtiment que l’on a construit. J’ai deux bâtiments devant moi, deux pommes, il m’en reste deux, ça va … (c’est donc à cela que servent les pommes !).

 

 

En plus, comme j’ai nourri tout le monde, ma colonie croît et je gagne 2 jetons population, bon, il est où le bain de sang annoncé ? Les premiers tours nous laissent cette impression de gestion tranquille, que l’on peut trouver dans un jeu coopératif en début de partie, Pandemic pour le citer où l’on a l’impression que l’on anticipe tous les problèmes et que l’on est tous super compétents à la table 🙂 

La construction de certains bâtiments ajoute des cartes développement qui vont servir à tout le monde. Ainsi en construisant « Moon Hotel » j’ai ajouté « Tourists » dans le paquet commun. Celui-ci évolue donc en fonction du jeu et des actions des joueurs, mais on va bien sûr essayer d’y ajouter des cartes qui nous favorisent plus que les autres joueurs.

 

Les emmerdes, ça vole en escadrille…

Une fois que le paquet de cartes a cyclé, on le remélange et c’est reparti. C’est à partir du troisième événement que les choses sérieuses commencent. La machine s’emballe, désormais on ajoute des robots au deck commun. Ceux-ci ont été construits pour aider l’humanité mais visiblement ils ont pris leur liberté et ne connaissent pas les trois lois de la robotique, à moins qu’ils ne soient juste défaillants ou maladroits (on ne juge pas). Ces portes automatisées qui se ferment inopinément viennent de faire 5 blessés mortels, ce robot cuisinier en ajoute 4 de plus à la longue liste des victimes, et plus 3 si l’on n’a pas au moins 8 pommes dans sa réserve… Oupss. Et mince, il va falloir produire des pommes avant le prochain cycle.

 

 

Plus on avance et plus le deck va se remplir de cartes funestes (pour tout le monde), et le ratio de cartes va passer subitement du positif (le travail ou les développements), vers le négatif (les robots ou les événements). Alors on prie tous pour que les cartes Work sortent vite, avant que ça ne tourne au vinaigre, histoire de pouvoir manœuvrer notre moteur dans ses eaux houleuses et éviter de perdre trop de monde.

 

Mais qui aurait pu prédire ?

Mais la machine va continuer à s’emballer, les robots que vous aviez déjà rencontrés reviennent vous chercher des noises, d’autres s’ajoutent, les événements anodins du début commencent à piquer de plus en plus, et ceux qui se greffent à la fête sont de plus en plus violents. Avec tout ça, nos populations sont en train de disparaître sous les accidents et autres avaries, comme les tremblements de terre lune, fuite de gaz, etc… 

 

Arrive le moment où vous n’avez plus de populations, c’est la fin ?

Non, pas vraiment, c’est là où l’auteur est génial, car on jubile à se construire un moteur de jeu qui commence à prendre un peu de puissance, mais qui lentement va se déliter sous nos yeux paniqués. On doit détruire un de nos bâtiments pour accueillir la population à l’intérieur, mais ce faisant on perd aussi l’effet de la carte, il va falloir s’habituer à cela. Parfois, on aura des bâtiments qui nous donneront des bonus au moment de la destruction, tout dépend de la construction de notre base. Mais petit à petit, notre moteur s’étiole, se détériore, on sacrifie des cartes pour pallier les pertes, on peste, on serre le fesses. Ok, là le Bloodbath, je crois qu’on commence à en avoir un petit goût. Piquant !  

 

Tout le sel de Moon Colony Bloodbath réside dans la construction de son tableau de cartes puis dans sa destruction. Sans cela le jeu serait un peu plat. On subit les événements et on travaille tous dans notre coin. Mais on n’est pas non plus rivé sur notre plateau, on jette des œillades sur ceux des autres. Où en sont-ils ? Est-ce qu’ils sont plus mal en point que moi, qui sera le maillon faible ? Qui va tomber le premier ? reste la grande question. 

Désormais, on va s’attacher à faire remonter cette population qui représente nos points de vie, autant vous dire, c’est de la chair à canon. Pour cela, rien de mieux que construire des bâtiments qui, une fois détruits, nous permettront de tenir un peu plus longtemps, d’assurer notre survie un tour de plus.

 

 

 

Une expérience singulière

L’édition est assez particulière, le jeu (disponible uniquement en import) est assez dispendieux, il n’est pourtant fait que de cartes et de jetons en carton. La boite est deux fois trop grande, avec un thermoformage « old school » peu pratique. Mais on loue l’univers, la plupart des cartes présentent un texte à vocation humoristique, clairement décalé, qui fait son charme.

On ne peut pas éviter la comparaison avec For a Crown qui utilise lui aussi le principe du deck commun à dépiler – mais le but n’est pas le même, ni l’ambiance à la table. Dans ce dernier, l’interaction est plus de type “take-that”, on cible un joueur, on se fait des crasses, Shanouillette en parlait dans son Just Played. Un de mes joueur à la table a aussi évoqué Paleo qui est aussi un jeu de survie mais coopératif, si les sensations sont très différentes, la comparaison n’est pas idiote – les cartes défilent et racontent une histoire.

 

 

Moon Colony Bloodbath demande beaucoup de lâcher prise, car il est difficile de vraiment maîtriser le jeu, l’aléatoire est important. Parfois vous ragerez parce que la carte qui vous permettait de produire les pommes arrive juste après la famine – bah oui, c’est la vie (et aussi la mort de votre population, du coup ^^). 

Personnellement, j’ai signé pour ça, et cet aléa ne me dérange nullement, d’autant que l’ambiance, sanglante, est bien rendue. J’aime bien aussi le fait que le jeu ne cherche pas à nous gratifier. D’une certaine façon, on retrouve les sensations d’un jeu comme Discordia ou Empire’s End, des jeux qui nous veulent du mal. On vous a promis un bain de sang, c’est pas pour vous lancer des bouées de sauvetage. 

Au chapitre des reproches, je regrette une rapide répétitivité, malgré une certaine variabilité et une mini courbe d’apprentissage, les parties se suivent et se ressemblent un peu, au-delà de quelques éléments imprévisibles. Toutefois, je tiens à préciser que le jeu offre des stratégies différentes et c’est d’ailleurs amusant de comparer, autour de la table, ce vers quoi chacun·e s’est tourné pour survivre tant bien que mal à l’inéluctable.

À deux joueurs, Moon Colony Bloodbath fonctionne très bien, mais la tension n’est pas la même. Je préfère l’ambiance à plus nombreux pour la franche rigolade (trois ou quatre, c’est top) quand on voit nos populations fondre comme neige au soleil et chacun s’accrocher à ses branches désespérément.

Un jeu où le plaisir de la découverte est peut-être plus fort que l’envie de rejouer. Si Moon Colony Bloodbath ne s’avère pas inoubliable, il réussit malgré tout à surprendre le temps de quelques sessions et à faire vivre une expérience singulière, et c’est déjà pas si mal.

 

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1 Commentaire

  1. morlockbob 01/09/2025
    Répondre

    « nous sommes dans un jeu décalé, et pas qu’un peu ».
    si le jeu est bien fait, le côté décalé annoncé par l’univers manque cruellement. c’est ce qui m’a déçu

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