Mind MGMT : Ceci n’est pas un jeu !

La boîte imposante de Mind Mgmt est parsemée de messages cachés qui se révèlent en fonction de l’exposition de la boîte et de notre regard. « Ceci n’est pas un jeu » nous prévient-elle.

En effet, avant de ne pas être un jeu, Mind Mgmt est une bande dessinée indé qui provient de l’imagination fertile de Matt Kindt. Un univers graphique original et très tranché où nous suivons des agents très spéciaux, des agents qui ont recours à la manipulation mentale et peuvent déclencher des guerres, laisser des messages subliminaux dans les panneaux publicitaires (à la Carpenter oui), et tout un tas d’autres choses.

Mind MGMT, de Sen-Foong Lim et Jay Cormier, le jeu qui n’en est pas un, m’avait titillé au moment de sa sortie kickstarter, cet univers un peu underground, un jeu évolutif en plus. Mais très peu de chances de le sortir, surtout en anglais, donc j’ai été raisonnable (oui ça m’arrive). 

Puis il est sorti en français chez Matagot, et fut rapidement en rupture un peu partout. Une étoile filante ludique, victime de son succès (et sûrement une petite distribution). Ni une, ni deux, j’ai fini par craquer et repartir avec la boîte, probablement atteint par le syndrome Fomo, ou manipulé par des esprits bien trop puissants pour que je ne puisse y résister.

Attrape-moi si tu peux !

Un joueur derrière son paravent va incarner le recruteur et se déplacer sur le plateau à l’insu du ou des autres joueurs. Griffonnant son trajet sur son propre plateau similaire à celui où vont évoluer les agents renégats qui doivent stopper sa progression et l’arrêter. Tout simplement. 

 

 

Le recruteur doit enrôler 12 recrues sur le plateau. En début de partie il pioche trois cartes caractéristiques qui indiquent où sont les 12 recrues. Il peut aussi l’emporter s’il n’a pas été appréhendé avant l’heure fatidique de 16h. Il est aidé de quatre immortels qui peuvent bloquer certaines actions des renégats, et même empêcher sa capture. 

Dans ce jeu du chat et de la souris, les agents ont plusieurs moyens pour retrouver la trace du recruteur. Ils vont déambuler un peu au hasard (ce qui est un pléonasme), et trouver les traces psychiques que le recruteur a laissées sur son passage. Ils peuvent interroger sur une caractéristique présente sur un lieu où se trouve un agent. C’est là où les immortels sont utiles, ils empêchent de demander une information sur une caractéristique où est présent un immortel, voilà un des moyens de les utiliser.

Les cartes caractéristiques.

 

Quand il est interrogé, le recruteur devra déposer un jeton Pas sur une case comportant cette caractéristique, ou indiquer qu’il n’est pas passé sur une de ses caractéristiques. Cette information ou non-information est précieuse.

Un agent présent sur une case avec un jeton Pas, peut demander au recruteur de lui indiquer à quelle heure il est passé ici. Le filet se resserre.

Enfin, pas complètement, car le recruteur a déjà pris de l’avance, le jeu commence à 6h du matin, et il a déjà réalisé plusieurs déplacements et engagé plusieurs recrues. Ça peut sembler injuste et ça l’est, mais ça permet d’éviter les longs préliminaires qui peuvent exister dans ce type de jeu. Dans Mind MGMT, on est dans le vif du sujet, on a déjà réalisé quelques recrutements, mais aussi laissé quelques traces. En tapant au hasard les joueurs renégats peuvent aussi taper juste.

 

Les actions des agents

 

Tu vas parler oui ? !

Les agents peuvent aussi interroger un immortel, dans ce cas, ils demandent un type de caractéristique, et si le recruteur la possède, il doit la révéler, mais surtout il ne peut plus les recruter s’il en reste. Utiliser les immortels est à double tranchant, parfois on s’en servira pour protéger nos traces, d’autres fois il vaudra mieux les éloigner des agents.

Ils ont également un autre rôle, ils peuvent eux aussi recruter, mais évidemment pas sur les mêmes cases que le joueur planqué derrière son paravent. Deux cartes caractéristiques sont placées à la vue de tous et quand deux agents sont présents sur la même caractéristique, une recrue est ajoutée sur le tableau de chasse. Mais là encore c’est à double tranchant, car chaque recrue dégotée par les immortels est une information de plus pour les agents.

 

cartes dérapage mental (on en choisit une des deux en début de partie)

 

Notre recruteur à l’abri derrière son paravent a tout de même une contrainte forte, puisqu’il ne peut se déplacer que de cases en cases de manière adjacente, et il ne peut jamais repasser par un endroit déjà visité. Il a toutefois une carte « dérapage mental » qui va lui permettre une fois dans la partie (peut être deux) de faire un mouvement spécial qu’il devra annoncer. En revanche, en face on ne sait pas quel type de mouvement a été réalisé.

 

Un tour de jeu

Maintenant que vous avez une idée des principes, voici comment se présente un tour de jeu : à son tour le recruteur évolue sur son plateau miniature, cochant ou entourant ses recrues. Puis il peut déplacer un de ses immortels, il peut aussi éventuellement déplacer un autre immortel, mais devra placer alors un jeton Pas quelque part. Puis il fait évoluer le marqueur de tour. Un tour sur deux, il indique le nombre de recrues qu’il a engagé.

Ensuite seulement, deux agents peuvent être activés, ils peuvent se déplacer et réaliser une des actions, et leurs actions spécifiques. Au tour suivant, les deux autres agents pourront être activés. Mind Mgmt nous propose un périmètre d’actions réduit, mais où l’espace décisionnel reste important. Si j’active Meru, je vais devoir attendre avant de pouvoir l’activer à nouveau, et c’est une course contre la montre.

 

Nos quatre agents renégats

 

Meru justement, avec son réticule psychique, nous permet de savoir si le recruteur est présent à deux cases de distance, ce qui peut faire un rayon d’action de 8 cases. Henry Limes empêche le recrutement par les immortels qui lui sont adjacents. Dusty peut déplacer un agent d’une case (ou plus …), pratique. Enfin, Bills Falls est le seul qui permet de déplacer un immortel qui gêne ou qui protègerait le recruteur d’une éventuelle capture. 

Mind Mgmt est très généreux, parfois trop. Sur un coup de chance on peut trouver le point de départ du recruteur, mais ensuite, par où est-il passé ? Il me faudra donc recouper les informations. On note sur des petits penses bêtes en forme de cerveau, toute information avérée (coté vert) ou partielle, (coté blanc). Petit conseil, évitez d’en placer partout. Trop d’informations tue l’information. Ne risque t’elle pas de me détourner et de me noyer ? C’est exactement ce qui m’est arrivé dans une partie. Consignant les déplacements de Meru, qui à telle heure avait trouvé la trace de notre recruteur, certes mais là encore ça peut faire 8 cases d’actions. Comment exploiter cela de manière intelligente ?

 

Tout est information, rien n’est information

Les jeux de déductions semblent ciblés pour un type de joueurs, ce qui exclut souvent ceux qui n’ont pas de compétences en la matière, ou qui n’ont pas envie de faire des mathématiques appliquées. J’avoue que j’apprécie beaucoup les mécaniques de déduction quand elles sont au service d’un jeu, comme dans Alchimiste. En son temps, Cryptide m’avait passablement ennuyé avec son plateau froid et abstrait, et je n’avais pas ressenti l’envie de m’impliquer derrière cet excel procédural. À l’inverse, un jeu comme La traque de l’anneau m’offrait une chasse à l’homme où je sentais le souffle froid des Nazguls sur ma nuque. Un jeu immersif, contrairement au « jeu » suscité au dessus, mais un peu long et fastidieux. Je pourrais aussi parler de mon amour pour À la recherche de la planète X ^^. En tout cas, une nomination à l’As d’or d’un jeu de déduction cette année avec Turing Machine est une voie pour sortir les jeux de déduction de la niche dans laquelle on les cantonne habituellement.

Je ne connaissais pas la bande dessinée, tout me semblait trop abstrait, et j’ai eu du mal à entrer dans le jeu, à comprendre les rôles. Qui joue le méchant, qui joue le gentil ? En fait, on n’est pas dans un univers de super-héros classique, tout n’est pas si manichéen, il semblerait que ça soit le cas aussi dans la bande dessinée où tout est trouble, ni noir ni blanc. On ne sait donc pas pour qui l’on œuvre réellement, le doute subsiste.

 

 

Il m’a demandé de l’implication, à m’intéresser à cet univers quelque peu particulier. Une fois cet effort produit, tout fait sens et je ne regarde plus la boite de la même façon, j’y décrypte les petits messages, sur, dans et autour de la boite, dans les règles aussi. J’y découvre avec délectation les morceaux de bande dessinée sur les bords et derrière le plateau. Si la BD n’était pas si chère, je serais parti la commander chez mon libraire.

Maintenant que j’ai intégré l’univers, je me plais à le proposer à de nouveaux joueurs en ajoutant un peu plus de densité et de thème à mon explication. 

 

 

 

 

Mind f*ck

Le recruteur aura lui aussi fort à faire, et placer sciemment des Pas pour déplacer ses immortels est une bonne stratégie. En plaçant un pas, vous donnez des informations à vos adversaires, mais il se peut qu’ils l’aient déjà déduit et qu’ils soient sur vos pas, ou au contraire que ça les détourne de leur objectif initial.

Si au début, planqué derrière notre paravent on planifie notre chemin, on s’adapte aux actions des joueurs et à ce qu’ils marmonnent tout haut. Ce qui crée des situations inoubliables et des moments forts, quand vous passez juste à côté de la capture, parce que vos adversaires se sont trompés d’une case, ou que vous êtes protégé par un immortel et que Bill Falls, seul capable d’en déplacer un, est trop loin ou inactif.

Les parties se jouent souvent sur le fil, avec le sentiment qu’on a réussi à s’extirper d’une situation compliquée, et que le tour d’après on aurait été pris. De l’autre côté, même sensation quand il ne nous reste plus de temps et qu’il faut prendre une décision fatidique. Même plaisir quand on débriefe après la partie et que l’on peut voir tout le parcours du recruteur et percevoir à quel moment on s’est laissé abuser…

 

14 boites avec des ajouts mécaniques

Achète ! Obey !

À ce stade, je semble enjoué, mais qu’est-ce qui va différer d’un autre jeu du genre ? À peu près à la même époque est sorti La bête qui coûte moitié moins cher en plus. Ne risquerais-je pas de faire un peu le tour après quelques parties ? C’est peu ou prou la question que je me suis posée, d’autant qu’après chaque session, on devient de plus en plus efficace. Ce qui risque de réduire son emploi au même groupe de joueurs. Mind Mgmt résout cela de manière extrêmement intelligent, le perdant va ouvrir une boite qui contient une petite mécanique supplémentaire qui ne complexifie pas outre mesure le jeu. Avec en plus une petite Bande dessinée, apparemment dessinée par l’auteur pour l’occasion. La toute première boite du recruteur consiste en un jeton Pas supplémentaire qui servira de leurre. Coté renégats, on va tendre un filet psychique qui consiste en sept jetons qui doivent traverser le plateau. Quand notre recruteur traverse ce filet, il doit nous l’indiquer. À quel moment le placer, et où ? Comment interpréter les informations que l’on va recueillir ? 

Je me permets ce léger divulgachage pour vous donner une idée de ce que l’on peut y trouver et vous intimer l’ordre, vous soumettre l’idée de ne pas vous laisser décontenancer par une première partie. Autre petit conseil, ne faites surtout pas la partie de test, elle n’est pas intéressante, car vous donne une idée tronquée du jeu, et il y a fort à parier que vous n’y rejouiez jamais, le goût est insipide.

 

 

L’édition est au service du jeu, le paravent est assez grand pour qu’on ne puisse pas malencontreusement regarder par dessus. Les jetons cerveaux effaçables permettent de noter toutes les informations que l’on désire. Jetons que l’on place à sa guise sur le plateau, tissant une carte mentale comme dans un jeu d’enquête. Il existe une version Deluxe, où les jetons sont en bois, mais ce n’est plus le même coût, et elle n’existe qu’en anglais. Il existe aussi une application (non traduite en français) pour jouer en solitaire contre le recruteur.

Mind Mgmt demande un peu d’engagement de part et d’autre, si vous n’y êtes pas prêt, passez votre chemin. Je n’ai pas eu le coup de cœur sur ma première partie, mais j’ai au contraire appris à l’apprécier, et je vois désormais en quoi il se démarque des autres propositions. La plupart des jeux du genre mettent un peu de temps à démarrer et peuvent s’avérer un peu long, alors que Mind Mgmt reste grosse maille, cantonné à l’heure de jeu et on entre rapidement dans le vif du sujet. Les deux rôles sont intéressants à jouer, même si on gardera une préférence pour l’un ou l’autre. L’aspect évolutif permet de rendre les défaites moins amères et enrichit le jeu tout en équilibrant les deux camps. Enfin il ne joue pas sur la compétence déductive pure, mais sur l’intuition et la prise de risque. J’avoue désormais apprécier l’univers, mais ça reste très personnel. En définitive, l’inscription sur la boîte m’avait prévenu, Mind Mgmt n’est peut être pas tout à fait un jeu !


 

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