Master Of Elements : Les Vikings sont de retour
Souvenez vous, il y a quelques années, une petite maison d’édition sortie du Diable Vauvert (dans le grand Est européen, continuez à courir quand vous avez passé la porte de Bercy) avait fait souffler un joli petit vent de fraîcheur sur les garrigues arides et éculées du deckbuilding compétitif avec Vikings Gone Wild, une adaptation d’un jeu vidéo internet éponyme. J’en parlais justement ici. Le jeu est venu s’enrichir d’une certain nombre d’extensions :
- A Kind of Magic, qui ajoutait des cartes et des unités pour ajouter à la rejouabilité du jeu
- Guild Wars, qui proposait un mode de jeu par équipes
- Ragnarök, qui propose un mode de jeu coopératif
Donc là, clairement, on voit qu’on a affaire à un concepteur et un éditeur qui a de la suite dans les idées et qui souhaite faire vivre son jeu. Et ça, comme Seb, c’est bien (référence années 80, comprenne qui pourra).
Le jeune concepteur du jeu, Julien Vergonjeanne, avait réussi l’exploit de proposer un jeu au format plutôt ramassé (1 à 2h max, selon le nombre de joueurs) avec une profondeur de jeu intéressante, un parti pris graphique très séduisant (issu du jeu vidéo), et des mécaniques à la fois coutumières mais mises en oeuvre avec un talent certain.
Typiquement, il avait adressé avec beaucoup de classe et de sophistication l’éternel problème du « Pourquoi Moi ? » : la phrase typique de la victime qui est en train de se prendre un bourre-pif dans un jeu dont, reconnaissons-le, le bourre-pif est l’essence même. Mais comme la victime eut préféré que son voisin de table reçusse (et ouais, ça vous la boucle, hein ?) ledit bourre-pif en lieu et place de sa propre personne, il proteste avec véhémence, ou comme on dit dans le métier : « il couine ».
Eh bien Julien Vergonjeanne avait réussi à nous proposer une mécanique où certes, le but du jeu était de mettre le village du voisin à feu et à sang, si possible de la manière la plus graphique et la plus exhaustive possible, mais où, tenez-vous bien, on adorait se faire attaquer.
Pourquoi ? Alors pour certains, il y a cet aspect :
Mais pour les joueurs de VGW, c’est parce que les attaques sont l’occasion de se défendre, et donc de marquer des points et par la même occasion, d’empêcher le vil mécréant qui vous a attaqué d’en marquer, parce que ça lui fait bien les pieds.
Et dans ce jeu, on pouvait se défendre avec des cartes de défense qu’on achetait dans l’offre disponible (NSLNDLR – Note Sur La Note De La Rédaction – : oui, je sais, comme dans un deckbuilder, quoi). À partir du moment où on s’était procuré certaines de ces cartes, on pouvait regarder tout le monde d’un oeil narquois du genre « Vas-y, attaque-moi, si ça se trouve, je peux pas me défendre, allez, quoi !« . Evidemment, cela donnait l’occasion de grands moments de bluff, mais comme les parties étaient courtes, il n’était pas très difficile de garder en mémoire qui avait acheté de la défense et qui n’en avait pas, et de limiter les risques.
Et vous voyez bien, ô lecteur dont l’acuité ludique n’a d’égale que son amour pour ma logique spécieuse, il y a un petit problème de fond : les cartes de défense servaient essentiellement à faire de la dissuasion, et un joueur voulant attaquer pouvait préférer ne rien faire plutôt que de prendre le risque de voir a/ son attaque échouer b/sa cible faire des points à sa place. Malheureusement, une fois ces cartes achetées, elles venaient alourdir le deck et la main (ne faisant que défendre, elles ne servaient pas pendant le tour du joueur), et la stratégie de défense avait une hausse bien difficile à régler. À deux joueurs, il y avait un réel intérêt à investir, mais à plus, cela devenait largement moins intéressant.
Du coup, les cartes défense étaient assez rapidement boudées par tout le monde et on s’était pris à imaginer ce que cela aurait donné si les cartes d’attaque avaient pu générer de la défense, même moitié moins, voyez.
Tu serais pas en train de nous dire que finalement le jeu de base était moisi ?
Que nenni, vilain ! Je ne renie point mon avis positif sur ce jeu ! Simplement, je regrettais de voir cet aspect-là qui partait d’une excellente intention ne pas totalement parvenir à ses fins. Et comme, visiblement, l’ami Julien Vergonjeanne n’est pas du genre à faire les choses à moitié, il a décidé d’adresser le problème tout en proposant une extension qui compte bien radicalement changer les sensations de jeu et la façon dont le jeu est joué. Je dois avouer que je ne connais pas beaucoup d’extensions qui s’appuient sur l’infrastructure d’un jeu pour proposer une expérience à la fois proche et très renouvelée, et vous l’aurez compris, je suis conquis.
Où TSR parle enfin du sujet de l’article
Voilà, voilà, j’y suis. Dans cette extension, Master of Elements, un nouveau personnage fait sont apparition : le « Master of Elements« , qui est une espèce de druide nordique (donc forcément défoncé à l’hydromel et à d’autres substances psychotropes diverses et variées) qui va permettre à chacun des joueurs de bénéficier de ses pouvoirs. Comme le Town Hall du jeu de base, le Master Of Elements peut être « upgradé » (j’imagine qu’on lui file une bibine encore plus balèze) pour augmenter ses pouvoirs. En termes de jeu, on upgrade le Maître des Eléments en payant de la bière, ce qui, avouons-le, est particulièrement thématique.
De base, une fois par phase de production, le Master of Elements va pouvoir « colorer » un de vos bâtiments en lui affectant un élément parmi 3 (Feu, Eau, Nature). Lors de la phase d’action, chaque bâtiment produit ainsi une énergie associée à son élément.
Ces énergies correspondent aux différents éléments et vont pouvoir être utilisées (essentiellement au début) par des Artefacts (dont le joueur dispose dès le début de partie). Ces Artefacts sont draftés de sorte que chaque joueur finira par en choisir parmi 4. La combinaison d’Artefacts retenue par les joueurs lors de ce draft va être très importante pour la suite de la partie, et permettra d’amorcer des stratégies immédiatement. Comme dans la plupart des deckbuilders, la version de base de VGW avait un démarrage un peu diesel, le nombre de cartes avancées dans le deck augmentant doucement, on commençait à faire des tours un peu intéressants qu’après plusieurs tours. Ici, on commence par choisir son ensemble d’Artefacts, et déjà à ce moment-là, la partie est assez férocement engagée.
Ces Artefacts disposent de différents pouvoirs (3) qui seront débloqués les uns après les autres au fur et à mesure que le niveau du Master of Elements augmente.
L’énorme différence que cela fait : dès les premiers tours de jeu, on peut partir en combo avec juste un bâtiment, une énergie, paf, ça peut décoller. On génère un ou deux points d’attaque de plus, ce qui permet d’attaquer un Town Hall, et du coup on part pour virer le premier en tête pour chopper les faveurs divines, etc, etc. On se rend rapidement compte à quel point le draft des Artefacts est important. Pas important comme dans « si tu n’as pas la combinaison qui tue alors t’as perdu » mais comme « joue en fonction de ta combinaison d’Artefacts, et joue sur leurs forces ! ». On aurait pu se contenter de les tirer au hasard, et c’est peut-être ce qu’il faut faire sur la première partie, mais une fois que les principes sont intégrés, la phase de draft est un réel plaisir.
Des cartes en plus, à la place de, etc.
Master Of Elements ajoute donc une mécanique totalement nouvelle supplémentaire à Vikings Gone Wild, la gestion des énergies élémentaires. Avec ces énergies, on va pouvoir générer tout un tas d’effets de jeu, booster des unités, se défendre, mettre des bâtons dans les roues des autres joueurs, etc. Les possibilités du jeu sont réellement décuplées, et je dois avouer que le jeu change de catégorie : on passe d’un deckbuilder poids léger / poids moyen à un jeu qui offre une belle profondeur même à des routiers du jeu de plateau, et c’est réellement un tour de force.
Un grand nombre de changements accompagne l’utilisation de l’extension :
- Exit les cartes unité d’attaque et de défenses qui sont toutes (les 6) remplacées par de nouvelles cartes unités qui vont proposer de l’attaque et de la défense, et des effets de jeu plus sophistiqués (car oui, on peut être plus sophistiqué que « Pan dans ta mouille » ou « serrage de fesse ! »).
- Les cartes de mission (celles qu’on accomplit pendant la partie et qui rapportent des points) elles aussi changent assez fortement (elles sont ajoutées aux anciennes) et apporte un salutaire rafraîchissement.
- La « voie d’Odin » (la rivière de cartes qui constitue l’offre mouvante) est largement renforcée puisque un grand nombre de nouvelles cartes viennent l’enrichir avec de nouvelles unités, des objets, etc.
- Les cartes objectif (celles qui offraient des points pour « être le joueur qui a le plus de tel truc en fin de partie ») sont renforcées par des objectifs propres aux nouvelles mécaniques (avoir le plus de feu, d’eau, de tout, d’un peu de chaque…) ;
- Toutes les cartes de l’extension sont typées avec un élément, ce qui permet de générer des effets mécaniques supplémentaires, mais aussi de proposer de nouvelles missions et objectifs aux joueurs
- L’une des mécaniques supplémentaires que je n’ai pas eu l’occasion de vraiment apprécier, car non présente dans le proto fourni, est celle des « Dieux« . Ma compréhension est que chaque joueur commencera sa partie sous l’influence d’un Dieu nordique, qui lui apportera son pouvoir lorsque le Maitre des Eléments aura atteint le niveau 3.
Bref, tout cela semble bel et bien et bon, comme dirait Platon
Cet article a été écrit après avoir joué à un prototype qui ne contient pas tous les stretch goals de la campagne Kickstarter. Il y a fort à parier que comme pour la première campagne du jeu de base, on se retrouve avec quelque chose d’encore plus poli et complet à la fin de la campagne. Mais ce que j’ai essayé mérite d’ores et déjà une belle carrière sur vos étagères et surtout, sur vos tables avec vos amis.
Les sensations de jeu restent familières mais sont tout de même pas mal influencées par cette extension. On est là dans une véritable extension, à destiner à ceux qui ont fait le tour du jeu de base et qui ont envie d’essayer autre chose.
Si vous appréciez Vikings Gone Wild pour sa simplicité épurée et ses sensations « sans prise de tête », peut-être n’apprécierez vous pas autant que moi cette addition. Mais la modification apportée aux cartes d’unité qui permettent désormais à la foi d’attaquer et de défendre mérite à elle seule l’achat de l’extension à mon sens, car il faut bien reconnaître qu’elle vient gommer ce qui était selon moi un point faible.
Par contre, si vous voulez prolonger et renouveler l’expérience VGW, alors n’hésitez juste pas une seconde et regardez la campagne de cette extension (qui permet aussi de commander le jeu de base), elle en vaut vraiment la peine [NDLR : elle se termine le 12/09/17].
La page du Kickstarter
La fiche de l’extension Master of Elements (le Ludochrono)
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Umberling 07/09/2017
Clairement un bon gros renouvellement du jeu !
fouilloux 08/09/2017
J’ai ri, merci TSR 🙂
Gougou69 09/09/2017
Très très bon article, et je suis tout à fait d’accord avec ta remarque sur le dédain des cartes de défense. Et merci pour tes explications claires et détaillées des mécaniques de cette extension qui me confortent dans mon idée que cette dernière est assez indispensable à tout fan de Vikings Gone Wild.
TSR 17/09/2017
Hello c’est mon avis aussi. Il replace VGW dans une perspective un peu plus « gamer » et je pense que c’est une excellente chose. Cela permettra aux joueurs un peu hardcore de s’y intéresser, mais aussi aux joueurs plus occasionnels de découvrir des mécaniques un peu plus riches, mais le tout en douceur. Une belle opération !
Blanche 12/09/2017
Tout à fait d’accord. Mon binome l’apprécie exactement pour le fait qu’il ne soit pas prise de tête.
A 2 ce jeu est top. A davantage de joueur, ça tourne moins.
très bonne analyse concernant les limites de ce deckbuilding. C’est aussi la raison pour laquelle les attentes sont fortes concernant cette expansion