Les châteaux de Bourgogne : Bourgogne, où sont tes escargots ?
Pour les joueurs d’aujourd’hui, Les châteaux de Bourgogne paru en 2011 se situe entre la préhistoire et la Renaissance du monde ludique. Pourtant, sa réputation n’est plus à démontrer. Il est d’ailleurs actuellement classé 17e sur le site incontournable BGG.
Die Burgen von Burgund (en allemand s’il vous plait) c’était d’abord cette cover bordeaux moche et ses plateaux ternes qui à l’époque laissaient penser aux joueurs avertis que nous avions un excellent jeu, selon le célèbre axiome : “plus c’est moche, plus c’est bon”. Loi qui aujourd’hui nous fait quelque peu sourire puisque nous avons désormais d’excellents jeux avec de non moins excellentes illustrations (comme quoi ce n’était pas une fatalité).
Qui dit jeu plébiscité dit réédition et version Deluxe. Une première « nouvelle version » était sortie en 2019 avec du matériel en plus et un retravail ergonomique, mais on ne va pas se mentir, cette version avait un peu douché les amateurs du jeu, car on était loin de la promesse initiale et certains trouvaient même que l’on perdait en ergonomie. Qu’à cela ne tienne, l’opus est revenu dans une véritable version Deluxe lancée sur Kickstarter l’année dernière par Awaken Realms (étonnant non ?).
Depuis sa sortie, on a beaucoup joué au jeu, que ça soit sur cette nouvelle version ou sur les versions plus anciennes ou même en ligne sur Board Game Arena. En revanche, on a à peine gouté (un peu quand même) aux nouvelles extensions. Pour en parler, je vais donc faire appel à l’ami Ihmotep qui a commencé à bien poncer la bête.
Dans les vallées de la Bourgogne
Nous sommes des princes de la région Bourgogne et nous allons développer notre domaine, cela pendant les 5 manches que dure le jeu. Clairement, le thème n’est pas le point fort du jeu, comme souvent dans les jeux de l’auteur, mais rassurez-vous, le plaisir est ailleurs.
Concrètement Les châteaux de Bourgogne c’est surtout un bijou de mécanique. Nous avons un plateau représentant notre Duché avec des hexagones de couleur et nous allons pouvoir placer les tuiles de la couleur correspondantes, tuiles que l’on va récupérer sur un plateau central (le marché) et commun aux joueurs. En étendant notre duché nous allons marquer des points de victoire et construire notre moteur.
En début de tour, on lance tous nos deux dés, et dans l’ordre du tour, on va les jouer pour, soit prendre une tuile sur le plateau avec la valeur de notre dé, ou bien placer une tuile sur notre domaine, mais pour cela il faut que l’emplacement corresponde à la valeur du dé, et autre contrainte, que la tuile soit adjacente à une de nos tuiles déjà placées.
Et c’est tout, ou presque ! Notre dé nous permet aussi de vendre des tuiles marchandises que nous possédons (selon la valeur de celles-ci). Enfin, on peut dépenser un dé pour récupérer des jetons ouvriers qui nous permettront plus tard ou tout de suite, de rajouter ou soustraire un à la valeur de notre dé.
Apprivoiser l’aléa
Stefan Feld est un maître de cette mécanique de dés. Les règles sont pratiquement toutes dites. On n’est jamais vraiment bloqué dans les châteaux de Bourgogne, on peut prendre et poser une tuile dans le même tour, ou bien juste stocker pour attendre le moment idéal pour la poser, sachant tout de même que l’on a un stock limité à trois tuiles.
Tout le jeu réside dans la prise de ces tuiles et leur emplacement et les dilemmes qui vont faire corps. Au début, on se développe autour de sa tuile de départ. À nous de planifier et de saisir les opportunités, mais aussi de surveiller les adversaires, car il y a une vraie concurrence sur le marché aux tuiles. En toile de fond se joue une petite course qui valorise le premier qui complètera totalement une couleur de son plateau. Une interaction suffisamment présente pour lever le nez de son plateau et surveiller régulièrement où en sont les adversaires.
Ces Châteaux sont peut-être le vrai ancêtre des jeux à moteur, car les tuiles vont nous donner des infinités de possibilités que ce soit pour se construire un moteur de points de victoire, mais aussi de jeu, certaines tuiles nous permettant de jouer avec la valeur de dés, d’autres de gagner des pièces (utiles pour le marché noir).
Votre royaume commence ici.
Chaque couleur de tuiles possède son scoring, et sa “stratégie” : par exemple avec les animaux (vert), je vais marquer autant de points que le type d’animaux indiqué sur la tuile, et quand je vais poser une autre tuile « animal » je vais marquer les points sur la tuile que je viens de poser, mais aussi celles adjacentes (bien sur, si elles correspondent à la tuile animal que je viens de poser…). Les Mines (gris) vont me donner un revenu en pièces que je vais pouvoir dépenser au marché noir pour acquérir d’autres tuiles. Les Monastères (jaune) m’offrent des bonus permanents, de type, quand je vends une marchandise je récupère un ouvrier en plus, d’autres me donneront des points en fin de partie, comme le nombre d’animaux différents dans mon Duché. Les Navires (bleu) permettent de non seulement récupérer des marchandises sur un dépôt, mais aussi de monter sur la piste d’initiative qui définit l’ordre du tour. Les bâtiments (beige) offrent des combos généreuses, et nous permettent de placer une tuile sans se prendre le citron sur la contrainte de valeur, ou de prendre une tuile supplémentaire sur le marché, vendre un stock de tuiles marchandises de notre entrepôt, gagner deux pièces d’argent, etc.
Remplir des zones dans votre Duché rapporte des points : plus vite vous les terminez et plus vous gagnez de points, mais plus les zones sont grandes et plus elles rapportent de points. Il faut toujours considérer le meilleur “moov” au moment T selon la stratégie que l’on essaie de suivre. Le jeu est toujours très ouvert en termes de stratégie. Que faire ? Viser les combos en plaçant un bâtiment nous permettant d’en placer un autre qui permet d’en placer un troisième ? Viser le long terme avec des tuiles nous donnant des ouvriers ou des pièces d’argent ? Ou bien encore partir sur les tuiles monastères qui nous offrent des points en fin de partie selon une condition ?
Aucune partie ne se ressemble, tout dépend des tuiles qui seront sur le marché, des joueurs, des plateaux, car il en existe une quantité phénoménale avec une disposition différente qu’il va falloir appréhender finement. Sans oublier les nombreuses extensions. Nous y venons.
La richesse du château
Atom : Allo cher Ihmotep, pourrais-tu nous parler des extensions ? 🙂
Ihmotep : Tout d’abord, parlons des plateaux de jeux. Au fil des éditions et des extensions des Châteaux de Bourgogne divers plateaux domaine ont été créés pour donner plus de variétés et de l’asymétrie, amenant de nouvelles stratégies, favorisant une famille de tuiles… Dans cette édition, Awaken Realms a décidé d’y mettre tous les plateaux des éditions précédentes en quatre exemplaires chacun, soit 60 plateaux recto verso, ce qui donne 30 configurations différentes, c’est juste monstrueux ^^. Cela ajoute une énorme variété et permet aux joueurs d’explorer de nouvelles stratégies à chaque partie.
Ce choix est d’autant plus intéressant que certains joueurs apprécient l’aspect asymétrique, tandis que d’autres préfèrent que tous les joueurs partent sur un pied d’égalité, laissant ainsi la victoire dépendre principalement des compétences individuelles. Ici le choix vous est laissé.
Atom : Un mot sur les extensions ?
Ihmotep : Bien qu’ils parlent d’ “extensions”, pour la plupart je dirais plutôt que ce sont des « modules », des petits ajouts avec quelques lignes d’explications qui offrent plus de variétés. Vu leur nombre, je n’en ai de loin pas fait le tour mais je peux au moins vous parler de celles que j’ai pu tester. Si vous avez la version « Anniversary » des châteaux de Bourgogne, la plupart d’entre elles vous seront déjà familières.
Tout d’abord, quelques nouvelles tuiles font leur apparition et elles ont eu beaucoup de succès auprès de mes camarades et de moi-même ^^. Par exemple un nouveau bâtiment, le château blanc, permet de jouer une action avec la valeur du dé blanc, les oies sont des animaux joker du marché noir qui scorent en se combinant avec n’importe quel autre animal… Il y a également 3 nouvelles tuiles monastères. Attention toutefois, car cela signifie que si vous les ajoutez, même à 4 joueurs toutes les tuiles monastères ne seront pas piochées et que peut-être celle que vous attendiez niveau scoring ne viendra pas.
J’ai également testé les boucliers, une extension qui, si elle m’a bien séduit personnellement, n’a pas fait l’unanimité autour de la table. Son concept reste simple : lorsque vous obtenez un double en lançant vos dés, au lieu d’utiliser les dés, vous avez la possibilité de récupérer un bouclier. Ce bouclier vous confère un pouvoir permanent ainsi que des points de victoire. Cependant, il y a une condition : vous devez avoir un château pour placer un bouclier, et à la fin de chaque manche, vous devrez débourser une pièce d’argent pour conserver chaque bouclier que vous avez acquis.
Personnellement, j’ai apprécié ce module, car les doubles peuvent parfois être frustrants dans Les Châteaux de Bourgogne, étant donné que la valeur des dés est cruciale pour faire des choix stratégiques. Avec cette extension, nous avons une alternative très intéressante. Le reproche qui peut lui être fait est que les boucliers ne semblent pas tous aussi intéressants, et que certains paraissent trop puissants (par exemple le bouclier 1 qui fait que tous vos pâturages sont considérés comme reliés). Et puis d’autres joueurs vous diront qu’un double ce n’est pas si grave, au pire il suffit de prendre des ouvriers avec l’un des 2 dés.
Atom : Les Eurogames qui proposent du jeu en équipe sont rares, il y a le très bon Concordia Vénus, et je me suis laissé dire que celle de Burgundy était plutôt bien pensée.
Ihmotep : Commençons par un bémol : jouer en 2 contre 2 nécessite d’utiliser des plateaux spécifiques. Exit les superbes plateaux joueurs doubles-couches. Chaque équipe jouera avec 2 feuilles cartonnées format A4 posées côte à côte (cela vend moins du rêve). Mis à part ce désagrément esthétique … quel pied ! C’est la première fois que j’ai l’occasion de jouer à un Eurogame en équipe et je ne m’attendais pas à ce que ce soit à ce point jouissif. Au lieu d’avoir chacun 3 emplacements où stocker ses tuiles, il y en a 6 : 2 réserves pour le joueur A, 2 pour le joueur B et 2 communes où chaque joueur va pouvoir placer ou récupérer une tuile.
Comme les dés sont lancés au début du tour, nous voyons à la fois la valeur de nos dés, mais aussi celles de notre partenaire. Du coup, cela discute sec pour optimiser au maximum nos 4 dés. Les parties en sont rallongées mais sans que l’ennui nous gagne. Les tuiles monastères, qui s’appliquent à l’ensemble de l’équipe, deviennent encore plus intéressantes dans cette variante.
Il est à noter que le plateau de jeu contient plus de cases que si vous aviez simplement additionné deux plateaux individuels côte à côte. Vous pourriez avoir l’impression, au début, de ne pouvoir remplir que les deux tiers du plateau, mais finalement, grâce à la coopération sur les quatre dés, il est possible de remplir la majorité du plateau.
Cependant, il faut être vigilant en ce qui concerne la prise de décision dominante, où un joueur pourrait prendre les décisions pour les deux. Cela peut être un risque, mais dans notre partie, cela n’a pas eu lieu, car nous étions tous des joueurs expérimentés. Au contraire, cela a permis des échanges amicaux et des taquineries, renforçant ainsi le plaisir du jeu en équipe (Oh il te prend ton bateau, je n’aurai pas aimé que mon partenaire me fasse cela 😉 ).
Atom : la vraie nouveauté, c’est Vignoble développée spécifiquement pour le lancement du financement participatif, tu pourrais nous en parler ?
Ihmotep : Elle est développée par Stefan Feld himself. Je craignais que ce soit surtout un ajout « marketing » réalisé à là va-vite pour augmenter l’attrait de la campagne de financement participatif, mais pas de tout. Il y a un gros travail derrière, et c’est probablement la plus grosse extension à ce jour pour ce jeu.
Elle vient avec un nouveau plateau Vignoble qui va venir se greffer à notre plateau, ainsi qu’un nouveau marché contenant des tuiles doubles vignobles. Les mécaniques restent les mêmes : avec un dé je vais pouvoir récupérer une des doubles tuiles vignobles en fonction de sa valeur, idem pour les poser sur mon plateau vignoble. Qui dit double tuile dit deux places sur trois d’occupée dans ma zone de stockage quand j’en récupère une. Une grosse contrainte largement rattrapée lors de leur pose : contrairement au plateau principal où c’est la tuile qui va me dire ce qui se passe, ici ce sont les emplacements. Chaque case du plateau Vignoble active un pouvoir équivalent aux tuiles du jeu de base (rejouer, récupérer des marchandises, vendre…).
Ces tuiles vignobles couvrent deux cases chacune et leur pose va activer deux capacités. Les tuiles en elles-mêmes représentent des vignes et le but sera de faire les plus grandes zones possibles avec des vignes de la même couleur pour scorer un maximum de points en fin de partie.
Je n’ai pas été fan de cette extension pour la même raison qui fait que la plupart de mes amis joueurs l’ont appréciée : elle ajoute une sacrée couche de réflexion. Du fait de ce nouveau marché et du nouveau plateau de jeu, les possibilités sont démultipliées et c’est là qu’il y a débat : j’aime les châteaux de Bourgogne pour son « apparente » simplicité. L’extension Vignoble le fait boxer dans une autre catégorie. À vous de voir dans quelle catégorie vous souhaitez combattre ^^. À noter que j’ai essayé lors d’une partie de faire l’impasse sur les vignobles et j’ai fini dernier. Mon plateau principal avait beau être le plus rempli, je n’ai pas pu lutter contre la puissance des combos qu’offre cette extension.
Je dois toutefois admettre que c’est une belle réussite. Je pense que personnellement je jouerai essentiellement sans, et que de temps en temps, les jours où je souhaiterais plus solliciter mes neurones, j’ajouterai quelques vignobles avec plaisir ^^.
Atom : Merci Ihmotep 🙂
Ah ! La vie de château !
L’édition est dingue (bon, le prix l’était aussi) Awaken Realms l’éditeur spécialisé dans les kickstarters débordant de figurines s’est chargé de donner à ce jeu une version Deluxe qui n’en a pas que le nom avec des tuiles bien plus épaisses que le jeu original et même des figurines pour nos 4 châteaux. On pouvait d’ailleurs pledger le jeu, mais s’offrir en plus sous forme d’add-on des tuiles en bakélite au lieu du carton, un tapis de jeu, et même des figurines pour chaque type de tuiles (mauvaise idée à mon avis, car au-delà du prix, la lisibilité du jeu va largement en pâtir).
Cette édition est somptueuse, peut être trop, les châteaux en 3 dimensions ce n’était pas obligés. Pour le reste, en plus d’être physiquement avenant, on gagne en lisibilité avec une ergonomie retravaillée. Niveau contenu on est gâté avec tous les plateaux, les extensions, etc. On y reviendra d’ailleurs dans un test. C’est vrai que tout cela n’est pas donné, mais ne vaut-il mieux pas un excellent jeu que l’on va sortir 50 fois qu’un jeu qui va faire trois petits tours et puis s’en va après trois parties ?
Les châteaux de Bourgogne est une référence du jeu de société et ce n’est pas pour rien, Stefan Feld se joue de nous avec ces dés, pour construire notre domaine. Si le hasard va impacter la partie, car oui ce sont des dés,on garde toujours un espace de décision très important, comment on développe notre plateau, sur quelles couleurs on va jouer, quand on termine des zones, etc. Il penche plus du coté de la tactique que la stratégie et la salade de points récompense tout le monde, même si le joueur connaisseur aura un avantage certain.
Burgundy est probablement l’ancêtre des jeux à moteurs et nous offre des combos jouissifs (des petits shoots de dopamine pour votre cerveau), parfois en cascade. Un chef d’œuvre qui n’a pas subi les affres du temps.
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Ihmotep 19/12/2023
J’ai pu depuis la rédaction de l’article refaire du 2 V 2. Toujours un véritable plaisir, même s’il faut prévoir un créneau horaire conséquent ^^
Grovast 19/12/2023
Je confirme, ce mode est über bien (et déjà présent dans l’édition 2019, voire même en tant que mini-extension pour la 2011)