Last Heroes : zoom sur une direction artistique
Romain Gaschet (aka GeyseR) est un artiste talentueux qui expose ses peintures, illustre des BD (Omnopolis, 42 Agents intergalactiques et Androïde), et passe aussi parfois du côté auteur de jeux (il est en effet le créateur de Forteresses et Clans). Il a également travaillé dans l’industrie du jeu vidéo (Silverfall de Montecristo games) et bien entendu illustré des jeux de société tels que Gosu, ce qui l’a amené à rencontrer un certain Ian Parovel avec qui nous nous entretenions justement dernièrement. « On avait fait un paquet de dessins de gobelins pour ce jeu, surtout que Ian nous avait parlé d’une sombre malédiction si on ne finissait pas dans les temps… » raconte Romain d’un ton malicieux. Aujourd’hui, nous revenons avec ces deux comparses sur le travail artistique de l’un des derniers titres des Ludonautes, Last Heroes d’Eric Jumel, un jeu de cartes dont TSR vous avait parlé après PEL, qui prend place dans un univers type comics américain imaginé pour l’occasion…
Ian, à l’époque encore employé chez les Ludonautes, est donc allé chercher Romain pour travailler sur Last Heroes. Ce dernier se souvient : « J’ai été choisi pour mon physique, mon intellect, ma capacité à croire tout ce qu’il dit. »
« Humberto Ramos, Frank Miller, Scott Campbell, Jack Kirby ou Stan Lee (RIP) n’étant pas disponibles (et le dernier n’ayant jamais dessiné), il fallait que j’en touche un mot à Romain Gaschet… » rétorque Ian.
« Plus sérieusement, je respecte énormément son travail, sa rigueur et sa souplesse. Ensuite, il est connu pour son talent qui collait parfaitement à l’ambiance recherchée. C’est un mec simple et à l’écoute qui comprend parfaitement le langage graphique et cinématographique. Notre amour partagé pour l’œuvre de Turner (Michael Turner 1971-2008, dessinateur et scénariste américain de comics) était un rapprochement qui allait forcément faciliter notre compréhension commune du travail à réaliser, du rendu à exécuter, et des contraintes graphiques qu’un tel jeu imposait et méritait. »
« Ian m’a dit que c’était une question de survie pour l’univers tel que nous le connaissons. Si je ne participais pas à la conception de Last Heroes, le Ragnarök serait sur nous et on mourrait tous… et que ça serait de ma faute, en plus. Du coup, comme j’ai encore deux-trois rêves à réaliser dans ma vie, j’ai dû accepter pour gagner du temps. Il sait être convaincant, le Ian… ».
Ce qui a attiré Romain dans le projet fut surtout la promesse de pouvoir élaborer un bestiaire à part entière : « Je me suis éclaté à dessiner tout ça. Le loup-garou, la succube, le beholder et j’en passe. Et rebosser avec Ian, ça n’a pas de prix… enfin si, la survie de l’univers tel que nous le connaissons, hein. »
Mais pourquoi partir sur ce thème de comics américain, en fait ? Ça, c’est évidemment Ian qui explique : « Dans Last Heroes, les joueurs vont se « voler » des munitions afin de charger des armes pour détruire des monstres. Il est important à mes yeux de lier un thème à ce que le jeu propose afin que les joueurs ne se sentent pas désorientés, et qu’ils sachent ce qui se trouve dans la boîte avant de l’acheter. Et même si il est toujours possible de thématiser au « feeling », je préfère généralement faire des recherches avant de m’engouffrer dans un style trop prononcé. Hors là, on livre une bataille épique en équipe, en se faisant des coups bas. »
Un élément du jeu en particulier aura attiré l’attention de Ian Parovel : le compteur/ceinturon/chargeur. « Le fait que les holsters soient souvent portés autour de la taille ont vite défini cet élément en boucle de ceinture.
La forme de crâne permettait d’amener un visuel fort justifié pour son utilisation, mais sa présence était telle qu’il nous a semblé logique d’en faire découler le reste des visuels. Ce ceinturon en tête de mort, c’est l’adage d’une époque, un prélude à des films comme Expendables correspondants parfaitement à cette caricature, » explique-t-il.
« Symbolique forte, très orientée Films d’action U.S. fin 2000, il fallait un habillage global qui puisse faire sentir cette petite pointe nostalgique d’une époque révolue. Hors de question de faire des compromis avec un style parodique, il fallait faire vivre le jeu au travers d’un habillage graphique collant parfaitement à cette ambiance et aux exigences des Ludonautes. » Le thème du jeu est ainsi né.
« Même s’il est souvent possible de partir dans n’importe quel sens, voire de garder un thème abstrait, il convient de trouver le meilleur axe visuel. » Or, il s’avère que Ian est un grand fan de Michael Turner : « Il a inspiré toute une génération d’illustrateurs (Keu Cha, Eduardo Francisco, David Finch, Marc Silvestri, etc). Il a été l’un des premiers à créer un style liant des lignes anguleuses aux perspectives fortes, à des courbes d’une force phénoménale mais toujours « justes » (tout en sachant faire jouer graphiquement le charme de ses protagonistes avec talent). »
Le thème est s’est donc fixé après les 2/3 de l’équilibrage du jeu, comme nous l’avons vu avec l’auteur dans cet entretien, une fois que le matériel définitif décidé.
« C’est un style graphique très particulier et marqué, mais qui a un charme collant parfaitement avec les mécaniques narratives du jeu » raconte Ian. Mais il restait alors à trouver celui ou celle qui allait être capable d’être crédible graphiquement dans un tel univers. « J’ai toujours évolué dans des univers d’heroïc-fantasy ou de science-fiction, donc c’était du pain bénit pour moi. Et c’était encore mieux quand Ian a donné la direction artistique du Comics. Cela m’a beaucoup parlé, ayant bossé pour Marvel et DC en tant que coloriste. Les créatures composant l’univers de Last Heroes sont archétypales et ça m’a permis de donner ma version dessinée de chacune. »
Une fois l’illustrateur trouvé, ce dernier commence par… jouer au jeu : « C’est toujours mieux de connaitre les mécaniques pour savoir dans quel contexte seront utilisées mes illustrations. Cela permet de mieux coller au sujet. » précise-t-il. Quelques impératifs techniques posés, un brief aussi clair et précis que possible est ensuite donné à Romain, afin de limiter le nombre de retouches et d’assurer la cohérence globale. « Comme toujours, il y a une part d’aléatoire dans le rendu final. Mais le but est de contrôler au mieux cette part, » raconte Romain.
Commence alors un ping-pong d’allers-retours pour vérifier que l’intention et les résultats soient toujours satisfaisants pour tout le monde. « Je pense qu’il y a forcément des concessions mais dans une collaboration comme celle avec Ian, les propositions de l’un donnent souvent des idées à l’autre. Et on obtient une illustration « bien plus mieux » que l’intention de départ et le « bien plus mieux » n’est pas assez fort dans ce contexte… »
Le ping-pong fut, semble-t-il, un joli match : « Oui, il y a des propositions et des débats, des argumentations pour l’un ou l’autre, des solutions mais jamais de désaccord, » raconte Ian. Entre ces allers-retours et l’avancement des ébauches sont calées des séances de tests de jeu, de tests graphiques et de tests de lecture. « Il était nécessaire de développer les overlays et l’iconographie en même temps que les visuels, » explique Ian.
L’équipe touche finalement au but, le jeu est envoyé aux distributeurs américains qui font alors un premier retour sans appel : il faut retoucher des détails sur les monstres féminins. « Clairement, ce n’est pas surprenant, la sexualisation, ça ne les fait pas marrer Outre-Atlantique, note Romain. Au départ, on se dit que c’est dommage, ce sont des monstres, et non des humains… et puis on comprend que cela peut déranger. Ce n’est pas parce qu’un succube ou une vampire ont toujours été représentés de cette façon que cela ne doit pas changer. Donc, en notre âme et conscience, nous avons décidé de changer les illustrations, » ajoute Eric Jumel, auteur du jeu.
Ian, qui dans le passé a notamment été sollicité par Disney Television, est habitué aux contraintes diverses qui peuvent peser sur un projet créatif. C’est bien entendu le cas également au cinéma. Mais travailler sur un jeu est un exercice différent : « C’est un travail d’adaptation au service d’une mécanique, d’une idée, d’une ambiance et d’une œuvre qui comporte une multitude de contraintes, qu’elles soient techniques ou financières… La principale similitude avec le cinéma tient dans le fait de devoir servir un propos, une histoire ou une expérience de la façon la plus efficace qu’il soit. »
Pour Romain qui a quant à lui l’habitude d’illustrer des BD, les deux approches ne sont pas comparables : « Dans une BD, les dessins forment des cases, ces cases des planches et l’ensemble des planches racontent une histoire, tous les dessins sont liés dans ce but unique. Dans un jeu de société, chaque illustration est indépendante et doit servir la mécanique qu’elle illustre. » « Illustrer un jeu est un processus plus complexe qu’une simple immersion dans un univers : c’est définir, pour les joueurs, un support à leur aventure et leur imaginaire, afin qu’ils écrivent leurs propres histoires, » ajoute Ian.
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JUMEL Eric 18/01/2019
Merci beaucoup Shanouillette !