Si vous ne suivez pas tous les rebondissements de l’actualité économique, voici un rapide résumé de la récente valse chaotique menée par Trump : Début février, le président américain avait indiqué qu’il imposerait des droits de douane de 25 % sur tous les produits en provenance du Canada et du Mexique (à l’exception des hydrocarbures canadiens, qui auraient été taxés à 10 %). Il justifiait cette décision par le manque d’efforts des deux pays en question pour lutter contre le trafic de fentanyl. Les pays concernés ont vite rétorqué par diverses mesures d’augmentation des tarifs sur des produits américains.

Au final, l’application de ces tarifs avait été suspendue pour un mois pour permettre des négociations avec Ottawa et Mexico. Et désormais, bien que les droits de douane aient été mis en place, une grande partie d’entre eux a été suspendue à nouveau, jusqu’au 2 avril. Une valse tendue et difficile à suivre pour tout le monde, à commencer par les entreprises et les consommateurs qui ne savent pas sur quel pied danser, y compris dans le secteur qui nous intéresse ici. 

« Certains jeux peuvent voir leur prix augmenter, tandis que d’autres peuvent être en mesure d’absorber les coûts pour le moment, ou sont bien stockés, ce qui nous permet d’adopter une approche d’attente et de voir si les choses changent en cours de route lorsqu’il est temps de réimprimer. »  – Scott Gaeta – Renegade Game Studios 

Dans de nombreux pays, des appels au boycott de produits américains se multiplient. Face aux négociations musclées qui ont lieu à grands coups de droits de douane et autres mesures (comme lorsque le Premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a annoncé que son État facturera 25 % de plus pour l’électricité expédiée à quelque 1,5 million d’Américains en réponse aux projets de tarifs douaniers des US) la situation économique générale n’est pas sereine et manque de clarté. Les décisions du président américain ont renforcé l’incertitude sur les marchés, non sans altérer la confiance des consommateurs et des entreprises. Et l’Europe n’est pas en reste puisque le président américain a annoncé que l’Union européenne serait prochainement concernée par des droits de douane de 25 % sur les produits importés aux Etats-Unis. 

Dans un secteur où la majorité des jeux restent fabriqués en Chine, l’impact sur les tarifs des jeux risque de se faire sentir pour les éditeurs et les consommateurs. En effet, certains éditeurs font déjà face à une augmentation de leur coût qui pourrait les obliger à augmenter leurs prix, réduisant potentiellement la quantité de jeux vendus. En pratique, quand les États-Unis appliquent des droits de douane sur les produits importés, ce sont les entreprises américaines qui s’acquittent directement des taxes d’importation auprès du gouvernement américain pour leurs achats effectués à l’étranger. En fin de chaîne, cela a également des effets sur les détaillants, qui doivent s’adapter à ces hausses de prix et peuvent voir leurs marges réduites. Les éditeurs, notamment les plus petits, qui passent par le financement participatif ne sont pas épargnés : le changement soudain des coûts pouvant entraîner des pertes importantes, les poussant à ajuster leurs prix pour compenser leurs pertes. Un utilisateur de BGG commentait sur ce sujet en février dernier : “Les prix des jeux de société vont bientôt se dégrader, mais personnellement, ce n’est pas une priorité sur la liste des choses qui se dégradent actuellement et qui me stressent. »

Sur BoardGameWire, le fondateur de Renegade, Scott Gaeta, évoque les difficultés de leur entreprise dans un monde où les règles changent du jour au lendemain. Il a déclaré : « Le plus difficile dans tout cela, c’est que les choses semblent changer d’un jour à l’autre et sur un coup de tête. Il est souvent difficile d’obtenir des informations solides en temps voulu. Même lorsque nous contactons directement les douanes américaines ou que nous consultons leur site web, nous ne disposons pas des informations les plus récentes.« 

« En dehors des changements de politique au jour le jour, tout cela signifie que Renegade devra évaluer chaque sortie avec soin. Certaines sorties peuvent être retirées du programme si nous estimons que la diminution de la marge rend le jeu trop risqué. » précise-t-il. « Certains jeux peuvent voir leur prix augmenter, tandis que d’autres peuvent être en mesure d’absorber les coûts pour le moment, ou sont bien stockés, ce qui nous permet d’adopter une approche d’attente et de voir si les choses changent en cours de route lorsqu’il est temps de réimprimer. »

T. Caires, directeur chez Hachette Boardgames USA, a déclaré à BoardGameWire que les droits de douane de 10 % imposés par la Chine avaient déjà amené l’entreprise à « se serrer la ceinture » et à geler certains contrats, ainsi qu’à enquêter sur la possibilité d’une fabrication aux États-Unis. Il a ajouté : « En fait, quiconque a joué à un jeu de plateau de ressources économiques peut vous dire que l’économie mondiale va mettre plusieurs tours à se remettre de ce qui se passe, à moins que la carte événement qui déclenche ces effets ne soit défaussée, comme nous le disons en jeu. »

James Hudson (Druid City Games) défend de son côté le fait que les éditeurs n’absorbent pas à eux seuls la totalité de l’augmentation des coûts afin que les consommateurs ressentent eux aussi les conséquences de la politique de Trump et que cela puisse avoir, à terme, un impact en termes démocratiques. Un propos qui n’a pas laissé d’autres éditeurs indifférents, à l’instar de Jamey Stegmaier, de la maison Stonemaier. Ce dernier écrivait en décembre au sujet de l’impact de la politique douanière sur les éditeurs et les consommateurs. Il rappelait notamment combien les US n’étaient pas capables de fabriquer eux-mêmes leurs jeux : « Les types de composants dans de nombreux jeux de société modernes ne sont pas fabriqués à grande échelle aux États-Unis. Même les composants qui peuvent être produits ici, comme les composants imprimés, ne sont pas fabriqués avec la même qualité ou variété qu’en Chine. Dans les rares exceptions, leur coût est beaucoup plus élevé ici – je me souviens qu’une entreprise américaine spécialisée dans la fabrication de boîtes m’a proposé un devis de 10 $ juste pour une boîte vide standard ».

« Des droits de douane sur les importations en provenance de Chine affecteraient environ 90 % du secteur de la fabrication de jeux de société et conduiraient probablement de nombreuses entreprises à augmenter considérablement les prix de leurs jeux de société aux États-Unis. » écrivait quant à lui en novembre dernier Judson Cowan sur la campagne KS de son jeu Deep Regrets, sur laquelle il postait de nouveau il y a quatre jours, revenant sur les difficultés à faire face dans le contexte mouvant actuel : « À titre d’exemple, entre le moment où mes jeux ont quitté le port en Chine et celui où ils arriveront aux États-Unis, le coût de l’expédition et de l’importation aux États-Unis est passé d’environ 15 000 dollars à environ 45 000 dollars, soit une augmentation de 300 %. Pour l’instant, du moins. Espérons qu’il n’y aura pas d’autres droits de douane immédiatement applicables dans les prochaines semaines. »

« À l’avenir, du moins pour mes campagnes Kickstarter, prévoyez une forte augmentation des frais d’expédition aux États-Unis, même si les droits de douane sont supprimés. Le mal est déjà fait. Le risque que les droits de douane soient rétablis avec peu ou pas d’avertissement est trop grand pour prendre des décisions sans prévoir cette éventualité. Le moyen le plus simple d’y parvenir est d’inclure de larges marges sur les coûts d’expédition aux États-Unis qui compensent les coûts engendrés par les droits de douane américains. Je regrette que ce soient là les contraintes dans lesquelles nous devons opérer. »

Image GEOFF ROBINS / AFP

Difficile de savoir comment les choses vont évoluer dans ce bras de fer international. Ceux qui prévoyaient le pire étaient peut-être optimistes, explique “The Economist”, qui n’exclut pas une flambée de l’inflation et une récession sur le continent américain, voire au-delà. (cf Courrier International). Côté Européen, Bruxelles a assuré réagir « fermement » en cas effective de hausse de droits de douane de 25% sur tous les produits de l’UE. « Si début avril, comme cela a été annoncé, des tarifs étaient mis sur les produits européens à cette hauteur-là, les Européens auront à répondre », a affirmé Emmanuel Macron (cf Le Monde). 

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