La Commune ou La Mort : Drapeau Rouge sur Paris

Si l’univers des jeux stratégiques et historiques vous parle, vous pourrez peut-être sauter le pas avec La Commune ou La Mort : Drapeau Rouge sur Paris dont la localisation est prévue prochainement chez Nuts!, éditeur breton spécialisé dans les wargames. Créé par Fred Serval et publié originairement par GMT Games en anglais sous le titre Red Flag Over Paris, La Commune ou la Mort est un jeu de stratégie et d’affrontement pour deux joueurs, conçu pour s’initier aux wargames. Nous nous étions entretenu avec l’auteur, une lecture en deux parties : un et deux.

Vous trouverez dans la boîte un condensé des mécaniques principales d’un jeu d’affrontement card-driven (dirigé par le jeu de cartes), et du matériel bellement illustré, sans surproduction. Consacré aux dix semaines qui ont opposé l’Assemblée constituante de la III République repliée à Versailles, aux citoyens de la Commune de Paris, La Commune… propose une simulation politique et militaire de ce conflit.

Pour le reproduire, les règles des deux factions (Versailles et La Commune) sont partiellement asymétriques et, tour après tour, vous jouerez trois cartes pour leurs événements ou leurs points d’opération. Pour gagner, le joueur Versaillais devra terminer avec plus de points Militaire que le joueur de la Commune n’a de points Politique. Réciproquement, si le joueur de la Commune a plus de points Politique que le joueur Versaillais n’en a de Militaire, il remporte la partie.

Ces éléments pourraient laisser croire que La Commune ou La Mort est compliqué à jouer et que les parties s’éternisent. Or, ce jeu cherche à contrer les préjugés sur les jeux d’affrontement et relève un défi : concilier profondeur et accessibilité des règles, dans des parties de 45 minutes. Et si vous êtes curieux d’en savoir plus sur les améliorations de la VF (extension et variante), je vous suggère de lire l’article jusqu’au bout 😉 

Le plateau central au début des hostilités.

Apprendre l’histoire par le jeu

Pour mettre en scène ces tensions politico-militaires, vous n’aurez pas de figurines en résine ni de tour pour représenter les fortifications ou les barricades, car La Commune ou La Mort ne joue pas la carte de la surproduction. Vous aurez en revanche un beau plateau central pastel, et des cartes lisibles sur lesquelles sont représentées des tableaux, des personnages et des photographies en noir et blanc qui font le lien avec l’événement de la carte. Au bas de chaque carte se trouve un court extrait de texte, le plus souvent une citation du personnage ou le récit du fait historique concerné.

L’idée derrière ce texte d’ambiance, c’est d’inciter les joueurs à jeter un œil au deuxième livret contenu dans la boîte : le plus épais Livre de jeu. À part des exemples de tour de jeu (à deux et en solo), le Playbook de La Commune… contient des notes historiques pour chaque carte, que Fred Serval a pris soin de rédiger après s’être documenté dans des ouvrages d’histoire, de science politique et des documentaires consacrés à La Commune (une bibliographie est disponible dans le livret).

Chaque carte est numérotée afin de retrouver facilement le descriptif dans le Livre de jeu.

Si, comme c’est mon cas, l’histoire de la Commune vous intéresse sans que vous soyez attirés par l’étude classique de l’histoire pour autant, La Commune ou La Mort sera une très bonne porte d’entrée pour en savoir plus sur cette révolte, sur les conséquences politiques et historiques qu’elle a eue, et sur ce qu’elle nous apprend sur les conflits politiques de notre époque contemporaine.

Peu enseignée, voire méconnue du grand public, l’histoire de la Commune et de sa sanglante répression semble en effet avoir façonné durablement le fonctionnement de la III République, tout en concentrant les revendications des mouvements socialistes qui leur étaient contemporains. L’un des points positifs de La Commune ou La Mort, c’est alors d’offrir aux joueurs autant la possibilité de jouer, que d’en apprendre plus sur la Commune durant ou après le jeu.

Avancer sur les deux fronts

Quand on ne connaît pas les wargames, on peut s’imaginer que ce sont des jeux violents, durant lesquels on passe son temps à se mettre sur la gueule se batailler, tels des valeureux ludistes d’un autre temps. C’est sans doute en partie vrai, mais, le plus souvent, un wargame s’accompagne aussi de placements stratégiques, d’évitements et d’adaptation. En l’occurrence, le plateau de La Commune ou La Mort se divise en deux types d’espaces – Politique et Militaire – dans lesquels vous allez déplacer des cubes en bois. Bleus pour Versailles, rouges pour la Commune.

Il y a six cases Politique et six cases Militaire, réparties en quatre Dimensions de trois. La majorité dans chaque Dimension rapporte un point Politique ou Militaire. Autre facteur à ne pas négliger : l’objectif que vous choisirez secrètement au début de la manche (vous en piochez deux et en défaussez un) rapporte également un point et des actions bonus. Mais, si votre adversaire vient à le réaliser à votre place, c’est lui qui marquera ce point sans profiter du bonus.

Marquer des points dans l’une ou l’autre dimension n’est pas chose aisée : il arrive parfois qu’il vous manque un cube pour la contrôler ou que chaque joueur contrôle une Dimension du même type. Résultat : gagner des points n’est pas chose aisée et, régulièrement, vos parties se joueront à un point près. Il arrive également que les objectifs encouragent à contrôler des espaces qui ne compteront qu’indirectement pour la victoire : vous empêcherez votre adversaire de prendre de l’avance et ils compteront seulement si vous terminez la partie à égalité.

Alors, s’il est vrai que vous avez tout intérêt à remplir les objectifs, il faudra veiller à ne pas négliger ses propres conditions de victoire (points Politique pour la Commune et points Militaire pour Versailles), sinon cela pourrait vous pénaliser durant le cours de la partie. Ces dilemmes surviennent régulièrement dans les manches (trois au maximum) et, en plus de chercher le bon équilibre entre la condition de victoire et l’objectif de chaque manche, il faudra aussi choisir la carte que vous garderez de côté pour la Crise Finale, cette manche supplémentaire durant laquelle vous jouerez vos cartes uniquement pour leurs événements.

Il y a douze cartes Objectif, une par case. Les joueurs en reçoivent deux par manche et doivent en garder une. Chaque objectif vient avec une action bonus.

Adapter sa stratégie

Si, en théorie, La Commune ou La Mort se réduit à placer, déplacer ou enlever des cubes, en pratique, il vous surprendra par les retournements de situation et sa tension stratégique. En général, une fois que vous piochez vos quatre cartes et les deux objectifs, vous allez pouvoir élaborer une stratégie pour la manche en cours. L’objectif choisi aide à orienter ses choix et à prévoir l’ordre de jeu de vos cartes.

Si les cartes ne comportaient que des points d’opération à dépenser, il suffirait alors de déplier sa stratégie en l’adaptant à la marge aux choix de votre adversaire. Mais l’une des forces du jeu consiste à proposer des événements qui, calqués sur des personnages ou des faits historiques, permettent parfois de changer radicalement la situation. On peut avoir l’impression que les cartes de la faction adverse peuvent être utilisées aussi facilement que ses propres cartes, dans la mesure où vous pouvez dépenser leurs points d’Ops. Toutefois, votre adversaire peut les récupérer de la défausse, en échange d’une carte de valeur équivalente de sa main pour réaliser l’événement.

Pour organiser de mieux en mieux ses troupes (et, d’un point de vue mécanique, pouvoir stocker des cubes s’ils sont enlevés ou débloqués par des bonus), le joueur de la Commune devra augmenter tôt dans la partie son Momentum (en retirant une carte du jeu). Sinon Versailles pourra éliminer définitivement ses unités du plateau. Versailles, de son côté, aura accès à des unités plus facilement mais, s’il veut éviter de perdre un point Politique, il devra accroître la collaboration avec les Prussiens pour poser de nouvelles unités et limiter l’influence de la Commune sur le plan politique.

Bref, c’est tendu et ça l’est d’autant plus que le joueur qui contrôle une case Pivot (en forme hexagonale) bénéficie d’une action supplémentaire à la fin de chaque manche permettant de redisposer, enlever ou remplacer les unités situées dans les espaces d’une même couleur. Elles seront parfois décisives pour empêcher l’adversaire de gagner un point voire de remplir son objectif.

Si un joueur contrôle la Presse, il pourra alors enlever un cube de chaque couleur, déplacer deux cubes entre les cases de l’Opinion Publique ou remplacer un cube adverse par le sien, sur n’importe quelle case orange.

Dilemmes à haute tension

J’aime beaucoup l’expérience de jeu que procure La Commune ou La Mort : du début à la fin du jeu, on a le sentiment que chaque carte jouée sera cruciale, et il faut autant penser à sa propre stratégie qu’essayer de deviner celle de l’adversaire. Dans les faits, il faudra également apprendre à s’adapter au hasard des cartes pour tirer son épingle du jeu d’un point de vue stratégique.

Il faut donc rester attentif tour après tour, tout en adaptant et en réfléchissant à sa stratégie. S’il est vrai que La Commune… a été conçu comme une initiation à l’univers des jeux historiques, il ne faudra probablement pas le mettre entre les mains de néophytes car il y a des détails à garder à l’esprit et il ne s’agit pas d’un simple filler. On peut éventuellement tenter l’expérience en simplifiant les règles pour prendre plaisir à l’aspect éducatif du jeu, sans noyer un néophyte dans l’explication de tous les détails.

L’accessibilité fait clairement partie des atouts de La Commune ou La Mort qui procure une profondeur stratégique et une tension de jeu importantes du début à la fin, pour des parties de quarante-cinq minutes environ. Il faudra toutefois veiller à lire extensivement et attentivement les règles car certains détails pourraient vous échapper lors d’une première lecture des règles, surtout qu’ils se nichent parfois au détour d’une phrase sans italique ni gras ni soulignage. Pour une explication claire et exhaustive des règles, je vous renvoie d’ailleurs à la vidéo de Jean-Michel Grosjeu.

Pour rappeler la présence permanente des deux factions, le drapeau de la Commune et le blason de la RF sont placés en bas à gauche des cases concernées.

Certains joueurs pourraient trouver les espaces Politique de La Commune ou La Mort trop abstraits ou mécaniques, dans la mesure où on peut avoir le sentiment de placer et d’enlever des cubes facilement, sans voir concrètement ce qu’ils représentent – de l’influence, des hommes et des femmes politiques, des représentants des institutions, des élus à l’Assemblée… Si le système d’adjacences est bien pensé (l’Eglise et les Royalistes, d’un côté, et les Mouvements Sociaux et les Républicains de l’autre), la partie Politique peut tout de même sembler un peu désincarnée, alors que les interactions militaires peuvent être visualisées plus facilement.

Dans l’ensemble, le thème est très bien travaillé grâce aux illustrations, au texte d’ambiance et aux notes historiques. On comprend, en le lisant, que l’auteur du jeu a étudié avec intérêt et passion le thème de la Commune de Paris et, si l’on est curieux, on appréciera en apprendre davantage, tout en pouvant simuler un conflit politique et militaire qui a marqué durablement la vie politique française et, dans une certaine mesure, internationale. C’est un jeu qui vaut le détour, et j’y joue régulièrement avec plaisir (et intérêt).

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Avant-première : la variante Censure et l'extension

En plus de l’amélioration de l’ergonomie des aides de jeu et de certains détails du livret de règles, La Commune ou La Mort distribuée par Nuts! Publishing comportera également une variante Censure et dix cartes supplémentaires. La variante consiste à piocher une carte supplémentaire au début de chaque tour et, une fois son objectif choisi, à défausser une carte de sa main dans l’ordre d’initiative.

Si elle permet une plus grande maîtrise de sa main, la variante Censure ajoutera surtout un niveau supplémentaire de réflexion. Au début de votre tour, il vous faudra ainsi, non seulement réfléchir à l’objectif que vous gardez et à l’ordre dans lequel vous allez jouer vos cartes, mais aussi choisir la carte que vous défaussez. Ce choix dépendra de votre main, mais aussi de la faction qui détient l’initiative : le premier joueur pourrait par exemple défausser une carte favorable à l’adversaire en empêchant ce dernier de la récupérer de la défausse ; le deuxième joueur aura plutôt intérêt à défausser une carte peu intéressante pour éviter que son adversaire soit tenté de la récupérer.

Jean-Baptiste Clément, syndicaliste et chansonnier communard, auteur notamment du Temps des Cerises. (prototype)

Comme cette variante emploie un plus grand nombre de cartes, l’auteur en a profité pour créer une extension de dix cartes supplémentaires. Outre à leur intérêt mécanique, il faut surtout relever qu’elles renforcent la cohérence thématique du jeu en se focalisant notamment sur la Semaine sanglante durant laquelle entre 20000 et 30000 communards furent tués au combat ou cruellement exécutés par l’armée versaillaise.

Érigée sous Napoléon 1er pour commémorer la bataille d’Austerlitz, la Colonne Vendôme fut démolie en mai 1871 par les communards. Elle sera reconstruite entre 1873 et 1875. (prototype)

Parmi les techniques de génie militaire, Versailles utilisa la tactique de la sape pour affaiblir le front des communards et empêcher leurs mouvements. (prototype)

L’une des raisons pour lesquelles le traitement de la Semaine sanglante, avec la violence et la cruauté qu’elle a comporté, est approfondi, c’est de susciter l’intérêt des joueurs, et les inciter à approfondir l’histoire de la Commune. Une carte, en particulier, dont le fonctionnement est en cours de test et de perfectionnement, réussit, selon moi, très bien à faire le lien entre la mécanique et un événement historique, mais il faudra avoir le cœur bien accroché lorsqu’on se renseigne à son sujet.

Je remercie Fred Serval de m’avoir offert l’opportunité de tester cette variante et cette extension en avant-première. La réimpression de la version anglaise (sans l’extension) est actuellement en précommande sur le site de GMT Games. Quant à la version française, sa sortie est prévue pour Essen 2023.

 

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4 Commentaires

  1. Thibaut 28/12/2022
    Répondre

    Super article, merci !

    On a plus d’infos sur la date de sortie ?

    • El Duderiño 28/12/2022
      Répondre

      Avec plaisir 🙂

      De ce que j’ai entendu – mais il n’y a rien d’officiel et c’est à prendre avec des pincettes ! – ça devrait arriver pour Essen 2023 voire pour PEL. N’hésite pas à m’écrire si tu as envie d’y jouer sur Vassal ou sur TTS. C’est un jeu auquel je rejoue avec plaisir

  2. HardGameurs 02/10/2023
    Répondre

    Le site de Nuts parle de début 2024. On croise les doigts…

    • El Duderiño 18/10/2023
      Répondre

      Je peux me tromper et je ne tiens pas cela de Nuts, c’est seulement mon avis personnel : je pense que ce sera plutôt courant 2024, mais j’ai quelques doutes pour « début 2024 ». J’espère que je serai démenti ! 😀

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