Kraftwagen dans la roue des eurogames actuels ?

Kraftwagen est une création de Matthias Cramer, la toute première version date de 2015, une autre est sortie en 2016 nommée V6 (comme le moteur) avec des petites modifications, mais nous allons parler aujourd’hui de Kraftwagen, l’ère de l’ingénierie de Samaruc Games (un éditeur espagnol) qui est passée sur Kickstarter en 2023. Elle arrive chez nous par l’entremise de Super Meeple

Dans Kraftwagen, nous allons participer au développement de l’industrie automobile au XXe siècle aux États-unis, (dans la version originelle le cadre était l’industrie automobile allemande, d’où le titre aux consonances un peu teutonnes). Nous produisons les voitures les plus racées, les modèles les plus évolués, les moteurs les plus puissants, que l’on va tenter de vendre dans un marché concurrentiel à des clients afin de devenir le plus riche. En parallèle, nous allons aussi nous affronter dans une course automobile. Tout cela au cours de trois manches.

 

 

Un système de sélection d’action ingénieux

La mécanique centrale est fort simple. Nous avons une rondelle d’actions, ou piste de temps. C’est toujours le joueur le plus éloigné sur cette roue qui joue. Il peut placer son pion d’action où il le souhaite sur la roue, mais attention, s’il va trop loin il va devoir renoncer à jouer quelques tours, et laisser ses adversaires profiter des opportunités laissées. Une fois son action réalisée, le jeton va se placer au bout de la roue, toujours disponible certes, mais loin…

Pour qui a joué à l’excellent Glen More du même auteur, c’est la même mécanique, mais utilisée de manière différente. Dans Glen More on prenait la tuile que l’on plaçait dans notre paysage (je vous invite à lire ce Just Played de Grovast). Ici, on a une chaîne d’action qui évolue en fonction des joueurs.

 

La rondelle d’Actions.

 

Les actions sont simples et extrêmement lisibles : grâce à l’action Rechercher on va pouvoir monter un de nos deux engrenages sur notre plateau, le premier nous permettra d’avoir des voitures de meilleure qualité, et l’autre des moteurs plus puissants. Voiture ou moteur, il faudra choisir. L’action Voiture nous permet de prendre une voiture du niveau de notre engrenage – et Moteur c’est la même chose. Nous avons aussi une action permettant de prendre des ouvriers. La rondelle d’actions est ainsi faite que nous avons des actions simples en début de ronde, puis deux actions doubles en toute fin, et même une triple.

Notre atelier avec notre voiture de course, nos voitures et moteurs prêts à la vente.

 

Rester dans la course 

Attardons-nous un peu sur le Grand prix, la course automobile présente dans le jeu. On débute avec une voiture prête pour la course, à laquelle il faudra ajouter un moteur et peut-être des ouvriers pour concourir. Plus le moteur est puissant et plus mon bolide va avancer sur la piste dédiée à chaque fois que je sélectionne l’action dite de la course. Chaque fois que ma voiture fait un tour complet de la piste, on gagne des points, et en fin de manche on remporte des points selon notre place sur le podium (enfin, uniquement les trois premiers). On peut aussi lui attribuer des ouvriers pour avancer encore plus vite.

 

La course automobile.

 

Vendez tout ! 

Si la course n’est pas forcément à négliger dans le jeu, toute la tension demeure dans la vente des automobiles. En plus de notre action, à la fin du tour on peut proposer une voiture à la vente, pour cela il faudra un modèle, un moteur et au moins un ouvrier sur le véhicule. Il faudra aussi lui attribuer un prix de vente (en fonction des billets encore disponibles). On peut proposer un prix conséquent, mais attention, la concurrence va être rude et cela dépend des clients qui se sont amassés.

Une action justement est de faire venir un client, il en existe quatre avec des demandes très précises : on a celui qui veut le meilleur modèle, celui qui veut la voiture la plus luxueuse (représentée par le nombre d’ouvriers que l’on attribue à la voiture), la voiture la plus puissante, ou encore tout simplement la voiture la moins chère. En cas d’égalité dans un des critères, le client repartira avec la voiture la moins chère. C’est pourquoi il faut estimer au mieux la valeur que l’on va donner à notre voiture.

Mais tout cela arrive à la fin de la manche, soit quand six voitures ont étés proposées, soit quand le marqueur chapeau atteint la fin de la piste. C’est à ce moment-là que l’on comprend que Kraftwagen est un jeu “méchant”. Vous avez dépensé du temps, des actions pour proposer un véhicule et un autre joueur est venu derrière vous, en placer un plus intéressant et vous repartez bredouille. Dans Kraftwagen, il y a souvent des déçus et les voitures non vendues ne sont pas représentées une manche prochaine. Dommaaaage !

 

Les tuiles ingénieurs et investisseurs.

 

Des ingénieurs ingénieux

L’action de recrutement des ingénieurs a changé. La version de 2015 nous proposait un choix entre deux cartes, puis on renouvelait ce marché. Dans la nouvelle version, on a un choix plus ouvert et étendu, mais fermé pour toute la manche. On peut faire appel à des ingénieurs qui vont nous donner un pouvoir supplémentaire, comme Louis Chevrolet qui me permet d’avancer d’une case de plus à chaque fois que j’effectue l’action course, ou des investisseurs qui viennent en plus des clients avec leurs demandes spécifiques, ou simplement des actions immédiates pour recruter, avancer sur la piste, etc. Selon mes recherches, c’est cette action qui pouvait faire grincer des dents, car elle était perçue comme assez injuste et soumise à la chance, ici le hasard a changé de forme et est passé sortant à entrant. On peut complètement le maîtriser.

 

La première cliente va acheter la voiture du joueur orange, la moins chère. C’est ensuite la plus grosse cylindrée appartenant au joueur violet, qui va trouver preneur. le troisième client repart avec le modèle de niveau 5 (joueur orange encore). enfin la dernière cliente achète la voiture du joueur jaune. Le joueur bleu ne fera pas de vente cette manche, il ne correspond pas aux demandes de l’investisseur.

 

Autre axe stratégique, les exploits placés au centre de la roue, une incitation forte à développer son jeu vers des axes précis pour être le premier à gagner la tuile et les points associés et du coup dévier de son plan. Par exemple, je ne suis pas très loin de boucler un deuxième tour de piste, il serait avisé de le faire avant que la manche ne s’arrête et avant qu’un autre joueur ne me double et s’en saisisse.  

Revenons sur la vente des voitures, car c’est, il faut bien le dire l’axe principal du jeu. Pour l’emporter, il faudra vendre des voitures, et surtout damer le pion aux autres, le mieux étant de réussir à vendre ses voitures au meilleur prix tout en bloquant les autres. Il y a tout un timing à appréhender, qui génère de nombreux dilemmes dans nos cortex. Placer des voitures trop vite, c’est le risque que les adversaires s’alignent sur nous et proposent des voitures plus compétitives et moins chères. Le risque qui nous pend au nez aussi, c’est que les clients qui ont été choisis par les joueuses ne correspondent pas à nos voitures. Il faut donc bien arbitrer nos décisions en fonction de celles effectuées par les autres et s’adapter. Attention, trop attendre pourrait aussi nous priver de placer des modèles en vente.

Dans une session, je l’emporte à un tour près, parce qu’Alexis met fin à la partie en plaçant le dernier véhicule qui va directement concurrencer mon amie Juliette. Juliette justement qui allait placer un véhicule plus compétitif que le mien et me faire perdre la bagatelle de 12 points. Cet événement n’a pas été mal vécu car c’était tout de même prévisible. Le timing est chose précieuse. Nul doute que cette partie sera un enseignement pour les prochaines !

 

Les tuiles objectives

 

Kraftwagen en a-t-il sous le capot ?

Si le jeu a été modifié, c’est surtout la carrosserie qui a subi un sacré lifting, pour s’en convaincre il suffit d’observer l’ancienne version. Le travail de Javier González Cava est incroyable de bout en bout que ça soit les automobiles toutes différentes, ou le tracé de la course, etc. L’éditeur a fait un gros travail de rajeunissement pour le mettre au niveau de ce que l’on peut attendre en 2024, des meeples sérigraphiés, et une ergonomie parfaite.

Kraftwagen, l’ère de l’ingénierie a tout du jeu Old School, un brin remis au goût du jour avec des évolutions à la marge certes, mais notables et appréciables. sans parler de la carrosserie. Je n’ai jamais joué à l’ancienne version, mais j’ai essayé celle-ci sur le salon de Vichy (je me souviens être sorti de la partie avec l’envie de remettre ça). Il comporte tout ce que j’apprécie dans les jeux, une mécanique simple avec des choix très importants, et une interaction centrale, piquante s’il en est. La roue du temps pousse à tout le temps arbitrer le meilleur choix immédiat, mais aussi à plus long terme, et sans oublier tout ce qu’on laisse aux adversaires. Le timing s’avère crucial dans la mise sur le marché d’un véhicule. Les exploits qu’il faut surveiller et le côté impitoyable de la vente de ses véhicules m’ont séduit également.

Les sessions suivantes ont confirmé cette première expérience. Je crois que Kraftwagen correspond bien à ce que je recherche en ce moment en termes d’Euro, des jeux aux mécaniques relativement simples (poids BGG 3.18) et interactives qui ne cherchent pas en faire des tonnes, et de ce côté là Kraftwagen a bien réussi son pari. D’autant plus qu’il s’explique assez rapidement, bien plus accessible qu’il n’y paraît et les parties à quatre sont contenues (compter moins d’une heure trente).

 

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1 Commentaire

  1. Olivier Sanguy 04/12/2024
    Répondre

    Pour mon épouse et moi, une des belles surprises de Vichy Pro avec (dans un style très différent) Aeterya II.
    Entièrement d’accord avec les qualités identifiées de ce Kraftwagen, surtout son corpus de règles très raisonnable et sa durée de partie ramassée. Le genre de jeu que j’identifie pouvoir sortir, même après une période prolongée de « sommeil », sans devoir passer trop de temps à réingurgiter les règles.

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