Kauri : Un p’tit coin de paradis ?

La Nouvelle-Zélande, terre paradisiaque, paysages de carte postale, île à nous envoler loin de la grisaille quotidienne. Un petit coin de paradis ? Pas si sûr, car les européens, avec leur soif capitalistique, sont passés par là, et brisés ce fragile équilibre naturel millénaire. C’est cette histoire que nous raconte Kauri.

 

Petite description des protagonistes impliqués pour commencer. Tout d’abord, nous avons les kiwis, charmants volatiles à bouille de Pokémon, installés depuis quelques milliers d’années sur ce coin de terre isolé de l’océan Pacifique, menant une vie tranquille au pied d’arbres majestueux (les Kauris) dont ils ont fait leurs habitations.

Ensuite arrivent les premiers humains vers le VIIIe siècle, les maoris, population d’autochtones posant leurs huttes sur cet archipel sans trop en perturber l’harmonie.

Au XVIIIe siècle, les grandes explorations européennes mettent pied sur la Nouvelle-Zélande, grâce à James Cook, célèbre navigateur et cartographe britannique. Les arbres ancestraux attisent la convoitise des européens qui voient de bons profits à couper et vendre ce bon bois exotique et profiter de terres cultivables, même si cela détruit les habitations des kiwis.

Comme les ennuis, ça volent en escadrille, les européens apportèrent dans la soute de leurs navires des possums, marsupial dont la fourrure était aussi source de profit, mais qui a su s’échapper des ports pour envahir l’île. Ne bénéficiant d’aucun prédateur et jouissant d’une capacité de reproduction effrénée, cette bestiole invasive a eu tôt fait de saccager l’environnement vital des kiwis. À un niveau tel que mêmes les Anglais s’en inquiétèrent au point de changer leur état d’esprit, passant de bûcherons frénétiques à chasseurs de possums. 

 

À ce niveau, je n’ai pas encore parlé du jeu, mais on est déjà dans le synopsis d’un film, d’une histoire à raconter, d’un scénario qui se met en place.

Et c’est la force de ce que nous propose son auteur Charlec, qui nous plonge dans la tourmente de ces pauvres kiwis, avant même d’avoir déplacé le premier pion.

 

 

Dans Kauri, chaque joueur va incarner l’un des quatre protagonistes en présence :

  • Le kiwi, déjà bien implanté sur l’île, va faire de son mieux pour conserver son habitat (ou en tout cas, limiter la casse).
  • Le possum , au contraire, ne part de presque rien et va devoir se développer à profusion à partir des ports britanniques.
  • L’Anglais va dans un premier temps couper des arbres, donc réduire la population des kiwis, pour finalement se reconvertir en chasseur de possums.
  • Et enfin la maori qui tentera de tirer son épingle du jeu dans tout ce beau bazar.

 

 

Les rôles sont donc complètement asymétriques, chaque camp ayant ses propres objectifs, actions spécifiques et moyens de scorer.

Le terrain de jeu va être l’île de Nouvelle-Zélande, séparée en régions contenant chacune un arbre kauri et un kiwi, d’un volcan central qui aura son utilité, et trois villes portuaires européennes.

Chaque joueur dispose d’un deck de cartes, propre à son rôle, avec une main remplie à trois cartes. À chaque tour, chaque joueur devra en sélectionner deux, une pour l’action, l’autre pour l’initiative. La révélation est simultanée, et l’exécution se fera par initiative, les égalités étant toujours résolues par un ordre immuable : maori>possum>anglais>kiwi. Une fois tout le deck passé, la manche prend fin, la partie en totalisant cinq.

Le kiwi va tout faire pour survivre. Ces actions seront essentiellement centrées sur les déplacements et la reforestation, car il va avoir un sacré handicap. À la fin de chaque manche, tout kiwi sur une région sans arbre Kauri meurt. Autant dire que ce joueur voit d’un mauvais œil la hache de l’anglais.

Il aura aussi quelques actions majeures, les héritages, permettant d’activer éruption et raz-de marée pour ralentir la progression de tous ces envahisseurs qui nuisent à sa tranquillité. Il pourra perturber les déplacements sur l’île via des inondations, et se créer des réserves naturelles où il sera en sécurité. Partant d’un capital initial de 25 kiwis, ces points de fin de partie seront juste … les kiwis survivants.

 

Le possum, lui, va se développer et envahir. Ces actions les plus courantes seront de se reproduire et de se déplacer, essayant de prendre le plus de place sur l’île tout en sortant le kiwi, et éviter au maximum le risque d’éradication de son espèce sur l’île. Comme le kiwi, ses points de fin de partie seront les possums présents sur l’île. Evidemment, sa reproduction rapide inquiète toutes les autres factions qui feront tout pour le faire disparaître des régions de l’île (ce qui peut arriver). Ses actions majeures seront d’améliorer ses capacités de fécondité et de déplacement.

L’anglais aura un double rôle dans la partie. Dans un premier temps, il va couper des arbres, lui rapportant des points en fin de partie et réduisant les habitats du pauvre joueur kiwi, donc sa présence sur l’île. Puis, en cours de partie, et grâce à une piste de conscience, il va passer chasseur de possums, parce que ces p’tits rats commencent à être vraiment partout. La progression vers cette conscience se fera naturellement, mais pourra être accélérée par le joueur kiwi (qui a tout intérêt à ce que l’anglais arrête de couper des arbres pour chasser du possum), et inversement pour le joueur possum.

La particularité du rôle de l’anglais est que ces cartes disposent généralement de 2 actions, une en mode bûcheron, une en mode chasseur (ranger dans le jeu), et seule celle de l’état de conscience de l’anglais sera utilisable. L’anglais pourra aussi bénéficier d’un réseau routier, très efficace pour se déplacer plus vite.

Enfin, la maori a le rôle le plus ambigu. Soucieuse de préserver sa culture, elle va essayer de poser des temples partout où elle peut, respectant des conditions contraignantes. Elle jouera un peu sur tous les tableaux, de manière assez limitée, mais ces temples seront des points acquis et (presque) intouchables. Faction uniquement accessible dans la configuration 4 joueurs, les autres joueurs devront la surveiller pour éviter qu’elle prenne une avance trop forte.

Au terme des 5 manches de jeu, on compte le niveau des forces encore présentes sur l’île, des arbres et possum éliminés, pour déterminer qui a su le mieux s’en sortir de cette lutte pour un morceau de terre paradisiaque.

Des explications en vidéo dans ce ludochrono.

Espèces en voie de disparition

Vous recherchiez un jeu dans la veine de Root, mais moins exigeant ? Kauri vous annonce plein de promesses. Déjà un thème fort. Hum, la notion de thème n’est pas le terme le plus adaptée.

C’est plutôt le propos que le jeu apporte qui est intéressant. Il reflète complètement, par le prisme de cette île du Pacifique, les effets pervers des grandes découvertes des explorateurs.

Certes, il y a eu de grandes découvertes scientifiques (jouez à tous les jeux sur Darwin), une cartographie de plus en plus précise des terres émergées sur Terre, mais tout cela trop souvent au détriment des populations locales et des éco-systèmes, sacrifiés sur l’autel de la toute-puissance des colonisateurs.

 

Et c’est bien ce que transpire Kauri : la survie d’une espèce qui n’a rien demandé, face à la rapacité des colons et de ce qu’ils ont pu amener avec eux. Et comment ne pas y voir, à plus grande échelle, un rapprochement avec notre crise climatique actuelle ?

 

« Quand son bateau atteignit pour la première fois l’Australie, écrivit Cook, les indigènes continuaient à pêcher, sans lever la tête. Incapables, semble-t-il, d’avoir peur de ce qui était trop grand pour être compris. » 

Extrait d’un poème du receuil After@HarperCollins 2006.

 

Les quatre factions sont radicalement différentes et portent ce qu’elles vont devoir faire pour prétendre à la victoire. Aucun ne jouera de la même façon et tout le monde devra s’adapter à l’évolution des autres. Le kiwi sera constamment sur la défensive, l’anglais en mode agressif que cela soit sur déforestation dans un premier temps, puis en tant que chasseur. Le possum tentera d’imposer sa présence envers et contre tous. Seule la maori a un rôle moins marqué, avec une interaction plus limitée avec les autres protagonistes, progressant dans son coin.

Servie par des illustrations colorées et réussies, la lisibilité du jeu est particulièrement claire, la compréhension évidente. Tout a été fait pour que le jeu attire l’œil et donne envie d’être joué. Et ça marche ! Le jeu est aussi d‘une facilité déconcertante dans le gameplay, avec des actions simples, bien aidées avec un carnet descriptif pour chaque rôle. On est loin de la complexité de Root (Ne lisez jamais le livre de règles de Root sans une boîte d’aspirine à portée).

 

Decks et livrets de jeu pour chaque faction

Mais facilité ne s’accorde pas toujours avec adaptabilité. En effet, les trois cartes en main scriptent très fortement la partie que l’on va faire. Si on essaye de planifier une stratégie, on peut fréquemment se heurter aux limites des actions de nos cartes. Je pense à mon groupe de possums éradiqués faute de pouvoir les faire fuir d’une région, ou de ma maori bloquée durant deux tours à ne rien pouvoir faire.
 
Sur chacune de mes parties, je me suis senti frustré à certains moments de ne pouvoir programmer ce que j’avais envie de faire, car mes cartes ne me le permettaient pas. L’ordre dans laquelle on tirera nos cartes orientera aussi fortement notre partie. La piste d’initiative n’aura aussi d’incidences qu’en quelques occasions, et le joueur kiwi râlera alors souvent de jouer le dernier.
 
On est loin de la profondeur de Root. Mais c’est aussi ce qui permet son accessibilité à des joueurs dont la complexité serait un frein.
 
Avec Kauri, on a envie de s’essayer aux différents rôles. C’est vrai que les sensations de jeu sont très différentes. Le rôle le plus intéressant, à mes yeux, est l’anglais avec son changement de conscience en milieu de partie, l’obligeant à s’adapter.
 
Septique au début sur le rôle du kiwi, il s’avère au contraire plutôt tactique pour résister le plus longtemps possible, tout en tentant d’influer psychologiquement l’anglais et la maori sur la menace grandissante du possum.
 
Le rôle du possum m’a semblé être le plus difficile à jouer pour la victoire, car, malgré un état jouissif de se reproduire à outrance, il est la cible de tous en permanence.
Seul le rôle de la maori n’a pas su me convaincre, trop effacé par rapport aux trois autres factions en grande interaction. La maori aura un rôle d’équilibre plutôt mineur au final, se concentrant sur ses temples à construire. D’ailleurs, elle n’est accessible que pour un quatrième joueur. La configuration 2 joueurs fait jouer le rôle de l’anglais par le jeu lui-même. Ainsi, la configuration 3 joueurs me semblent la plus adaptée, car ce seront les trois factions avec le plus d’interaction qui seront en jeu.
 
Néanmoins, après avoir testé chaque faction et ressenti chaque façon de jouer, j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour du jeu rapidement. Le sentiment, décrit au-dessus, m’empêchant de dérouler une stratégie réfléchie, me font regretter de ne pas être plus libre de mes choix. Peut-être en raison de mon exigence ludique, j’ai eu une impression d’inachevé, j’aurai voulu plus d’adaptabilité, plus de possibilités, d’être plus libre que les actions en main.
 
Au final, je ressors mitigé de mon expérience sur Kauri. J’ai adoré ce que le jeu m’a raconté, et expliquer le script à jouer m’a toujours permis de convaincre facilement des joueurs. Mais le jeu ne va pas assez loin par rapport à ce que j’avais envie de vivre. Cela dit, il reste une excellente entrée en matière sur ce type de jeu à rôles fortement asymétriques, et c’est tout à son honneur.
 
 

Peluche de Possum écrasé …

Pour en savoir plus :

De véritables de campagne d’incitation à l’extermination du possum sont encore organisées aujourd’hui en Nouvelle-Zélande pour inciter la population à réduire le nombre d’individus de cette espère invasive. Les kiwis, eux, sont malheureusement en fort risque d’extinction.

LUDOVOX est un site indépendant !

Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :

Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :

acheter kauri sur espritjeu

Laisser un commentaire