Enigma – Lettres et le néant

Enigma, de Bill EberlePeter Olotka et Greg Olotka, sorti en 2021, est un jeu de déduction, mais d’un genre très particulier et assez peu représenté. Les seuls qui me viennent à l’esprit sont Reflecto, Le projet et Letter jam. Si vous avez d’autres exemples, indiquez les moi en commentaire.

Parmi les jeux de déduction, il existe trois grandes familles :

  • Ceux qui font appel à de la logique ou des maths (au sens large) :  Turing machine, À la recherche de la planète X, Cryptide, Kronologic, Hanabi, Break the code.
  • ceux qui sont de l’ordre de la traque : La bête, l’île au Trésor, Mr Jack.
  • Ceux qui font appel à des associations d’idées guidées par des mots ou des images : Codenames, Mot Malin, Mystères, Mysterium, Similo.

 

En élargissant la définition, on pourrait aussi inclure les jeux à identité cachée (Les loups Garous de Thiercelieux, Avalon), et les jeux d’enquête ou d’énigmes (Sherlock Holmes Détective conseil, Suspects, Unlock).

Mais revenons à Enigma. Ici, ce n’est pas un code chiffré qu’il faut retrouver, mais un mot. Toute l’originalité du jeu est qu’on ne devine pas le mot via son sens comme dans Codenames, mais via les lettres qui le composent, et on doit d’abord les retrouver en les construisant avec 4 pièces de base (courbes et bâtonnets qui permettent de former les 26 lettres de l’alphabet). 

Le codeur récupère les fragments dont il aura besoin avant le début de la partie.

 

Aider contre son gré

À chaque manche, un joueur sera le Codeur, qui une fois son mot choisi, devra donner des indices sous forme de fragments de lettres distribués successivement aux autres joueurs. Ceux-ci devront les placer au bon endroit (une case pour chaque lettre composant le mot). Le Codeur gagne d’autant plus de points que ces derniers (en compétition entre eux) mettent du temps à retrouver le mot et font des erreurs dans leur tentatives de placement des fragments de lettres. 

Pour plus de détails sur les règles, vous pouvez regarder le ludochrono.

Les tranches de la boîte rappellent comment sont construites les lettres de l’alphabet et servent d’aide aux joueurs décodeurs.

 

Le jeu est dynamique car même si les joueuses se succèdent pour tenter de placer le fragment de lettre au bon endroit, toutes peuvent intervenir à n’importe quel moment pour faire une proposition de mot. On continue à réfléchir en dehors de son tour, et on peut même essayer d’influencer la joueuse active pour qu’elle place le fragment à un emplacement particulier (pour confirmer ou infirmer une idée de mot que l’on a).

Le rôle de Codeur est particulièrement intéressant car selon dans quel ordre il distribue les fragments, il peut tendre des pièges aux autres joueurs pour les retarder : en début de partie il pourrait donner les pièces les plus rares (bleu et vert) pour qu’il y ait plus de probabilités qu’elles soient mal placées, mais en fin de manche il donnera plutôt les pièces qui ne servent plus à identifier une lettre. Ou au contraire, il pourrait faire le choix de garder les pièces bleues et vertes pour la fin pour retarder le moment où on donne ces informations clé (il n’y a que 6 lettres qui ont une pièce verte et 5 avec une pièce bleue).

Le choix du mot est naturellement crucial, et doit se faire sur la base des lettres qui le composent autant que sur son sens. Un mot “rare” mais constitué de lettres rapidement identifiables, sera vite trouvé.

Ce principe de jeu où un joueur est obligé de donner des indices aux adversaires, tout en essayant de les aider le moins possible,  avait déjà été utilisé dans L’île au Trésor (sous une forme totalement différente). C’est une mécanique qui n’a pas été encore trop vue il me semble et que je trouve plutôt stimulante, puisqu’elle nous prend à contre-pied après tous les jeux coop ou d’équipes où il faut transmettre le plus d’informations possible grâce aux indices délivrés à nos partenaires.

 

 

« Qui-est-ce ? » des lettres

De leur côté, les joueuses qui doivent identifier le mot sont sous tension (dans des parties à 3 ou 4) car à tout moment une adversaire peut faire une proposition et remporter la manche. Naturellement, il est possible de prendre une feuille pour noter toutes ses déductions et éliminer progressivement les lettres pour arriver à une sorte de version élaborée du pendu, mais ça ralentira fortement le rythme de la partie. À mon sens, ça dessert le jeu et ce n’est pas nécessaire. Le jeu fonctionne très bien aussi à deux, il sera juste plus posé car il n’y aura pas cette pression de trouver plus vite qu’un adversaire, mais la tension de trouver le mot sans faire trop d’erreurs de placement sera conservée. Certains préféreront cette configuration.

Naturellement, lors des premiers tours on n’a pas suffisamment d’info pour placer correctement les pièces que nous donne le Codeur, on tâtonne et on se trompe dans le placement. Les premiers tours sont joués un peu à l’aveugle, mais assez rapidement on est face au choix de finir une lettre dont on est quasi sûr pour ne pas donner plus de points au Codeur mais au prix de ne pas progresser dans la découverte des autres lettres, ou bien prendre le risque de se tromper en tentant de progresser sur d’autres lettres incertaines très incomplètes.

Il arrive d’avoir des certitudes erronées. Lors d’une partie, j’étais persuadé que la première lettre ne pouvait pas être autre chose qu’un M ou un F (deux barres jaunes en première lettre et la quasi certitude que la deuxième lettre était un E) donc je m’entêtais dans cette voie et cherchais des mots commençant en ME_ _ _  ou FE_ _ _ ,  quand soudain une adversaire s’exclame “Xénon !” C’était le bon mot.

Est-ce un S suivi d’un A, ou d’un B suivi d’un L ?

 

Enigma procure des sensations très différentes des jeux de déduction qui sont orientés mathématiques ou logique. Quand on cherche à deviner le mot, on est face à une sorte de Pendu survitaminé puisqu’on n’est pas sûr des lettres et très souvent le placement d’un fragment ou son absence à tel endroit nous fait remettre en question nos hypothèses (“S’il n’y a pas de deuxième barre rouge, ça ne peut pas être un A”).

Quand on est dans le rôle du Codeur, l’ordre dans lequel on donne les fragments de lettre doit vraiment être pensé en fonction des informations déjà obtenues par les joueuses. Quelles lettres ont-elles déjà identifiées ? Quelle pièce ont-elles le plus de chance de mal placer ? On a aussi des doutes dans ce rôle. 

La boite indique « 2-4 joueurs » mais en réalité il est tout à fait possible de jouer à 5 avec le matériel contenu dans le jeu (le codeur n’a pas besoin de jetons proposition). Les tours de jeu sont rapides, donc ajouter un joueur ne pose aucun problème. Par ailleurs, si la boite indique qu’on peut jouer avec des mots de 3 à 6 lettres, je vous recommande de jouer vos parties avec des mots de 5 ou 6 lettres uniquement (sauf si vous jouez avec des enfants), pour avoir un peu plus de choix de mots, sinon les manches seront vraiment trop rapides.

 

B_LA_

J’ai l’impression que les jeux de lettres sont souvent des variations du Scrabble (Jarnac, Mixmo, Typo, Boggle…). Enigma, au contraire, a injustement fait très peu parler de lui alors qu’il a une proposition originale et réussie à mon sens. Il mêle jeu de lettres et jeu de déduction, une association assez peu fréquente. Les jeux de lettres sont sans doute une niche, ce qui explique en partie le manque de succès d’Enigma, mais je pense aussi que le visuel de la boîte l’a desservi. Il renvoie l’image d’un jeu de logique, de code numérique à décrypter, alors que le titre fait référence à la machine utilisée par les allemands pendant la seconde guerre mondiale pour chiffrer et déchiffrer des textes (ce qui est un peu plus proche de ce qu’est véritablement ce jeu).

Ce qui m’a plu dans Enigma, c’est que contrairement aux autres jeux de déduction compétitifs, c’est un joueur qui choisit ce qu’il faut trouver (ici un mot, dans d’autres jeux ça peut être un code numérique, une image, une position sur le plateau…) et qui délivre les indices. C’est un principe que je n’avais pas vu ailleurs et qui procure des sensations différentes que celles d’un jeu où tous le monde est décodeur. On pourrait éventuellement faire un parallèle avec Mystères, même si dans ce dernier le Maestro a intérêt à donner petit à petit des indices sur le mot secret alors que dans Enigma, le Codeur cherche tout au long de la partie à minimiser la quantité d’informations que les adversaires obtiennent.

Bref, si vous êtes amateur de jeux de lettres ou de déduction, je ne peux que vous encourager à découvrir Enigma.

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1 Commentaire

  1. Morlockbob il y a 7 jours
    Répondre

    Je ne l avais pas vu passer celui-là, il m’a l air effectivement bien surprenant.

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