Vous rencontrez souvent des champions du monde vous ? Moi non, et c’est pourtant ce qu’il m’est arrivé il y a quelques semaines, en me rendant au White Rabbit, le café-jeux lyonnais qui héberge le studio de tournage de Ludovox. Sur place, je suis tombé par hasard sur Mad (les protagonistes de cet histoire seront désignés par leur pseudo dans le jeu), un ami que je n’avais pas vu depuis trop longtemps :

-Hé qu’est ce que tu fais là ?

-Ben, je m’entraîne pardi !

-Tu t’entraînes ?

-Et oui, pour les championnats du monde du Trône de Fer le jeu de cartes évolutif. (TdF JCE) !

Alors, autant vous le dire d’entrée, les tournois dans le monde du jeu de société, à la base c’est pas un truc que j’aime beaucoup. Pourtant, en discutant avec les joueurs présents, j’ai été convaincu que cette compétition en particulier mérite un petit éclairage. Laissez-moi vous raconter mes échanges avec cette sympathique troupe que je ne peux que désigner comme la délégation française de la compétition (Enfin, une partie de la délégation). Mes sept interlocuteurs se nommaient Ketal, Lilith, Mog, Mad, Comm, Erg Machaon et Alex.

Un peu d’Histoire

D’abord qu’est ce que TdF JCE ? C’est un jeu qui n’est pas tout jeune, puisque sa première incartation (oui je vais faire rentrer ce mot dans le dictionnaire) date de 2001. À l’époque, c’était un Jeu de Cartes à Collectionner ou JCC. La différence entre JCC et JCE (Jeu de Carte Évolutif) est subtile mais importante : dans les deux cas, il va s’agir de jeux de cartes dans lesquels on va devoir acheter des cartes pour se faire un deck qu’on utilisera dans la partie. Dans le premier, on achète des paquets de cartes au hasard, avec des cartes plus ou moins rares, dans l’autre, on sait ce que l’on achète et donc pas de système de rareté. La version JCC a néanmoins vécu un certain temps puisque le jeu est devenu un JCE en 2008, avec une seconde édition en 2015. Cette édition a reçu de nouvelles extensions jusqu’au début de 2020.

Il s’agit d’un jeu qui se passe donc dans l’univers de Game of Throne (ai-je besoin de le présenter ?). Dans ce jeu, vous allez donc préparer un deck avant la partie, lié à une des 8 familles du jeu, et vous allez affronter un adversaire en jouant vos cartes (souvent des personnages) liées à cette faction. Vous aurez des intrigues à mener à bien pour être le premier à atteindre le score nécessaire pour la victoire. Le jeu est en principe pour deux joueurs, mais je dis bien en principe, car on peut y jouer à plus de deux, dans le format mêlée dont on va parler dans un instant.

Source Board Game Geek

Comme la majorité de ces jeux, l’intérêt du TdF JCE tient beaucoup à sa « méta », c’est à dire l’état du jeu à un moment donné : quels sont les decks les plus puissants, quelles cartes combottent entre elles… Avec un set de cartes donné, une méta évoluera de façon limitée, c’est pourquoi un jeu d’un tel genre a besoin de nouvelles cartes pour bousculer les joueurs et les forcer à se remettre en question sur leur deck (bon, et ça fait rentrer des sous dans les caisses de l’éditeur aussi hein). Cela tombe bien, la partie deckbuilding plaît en général beaucoup aux joueurs de ce genre de jeux : une grande partie du jeu se passe entre les parties, et pas seulement pendant. Alex me dit par exemple qu’il passe plus de temps à penser au jeu qu’à jouer. Ce qui ne veut pas dire que les parties ne sont pas passionnantes. Lilith raconte ainsi sa rencontre avec le jeu : « On a commencé à jouer à 20h, pour juste une partie. Quand j’ai relevé la tête, il était 23h, on en avait fait trois ». Ce qu’elle aime dans le jeu c’est le fait de devoir élaborer des stratégies à long terme et préparer son deck en conséquence. « Ce jeu est bon pour mes neurones » confie-t’elle. Venant du jeu de rôle, c’est la première fois qu’elle se lance autant à fond dans un jeu de cartes.

Sauf que, nous sommes en 2023, et le jeu s’est arrêté début 2020. Autrefois porté par FFG, l’entreprise a choisi de ne plus le développer. Et pourtant celui-ci vit encore.

Qui se continue par une histoire

Et ça c’est une histoire intéressante que Ketal raconte. « Avec la fin du jeu, une communauté de fans a passé un accord avec FFG pour continuer à le faire vivre. Cet accord prévoit que de nouvelles cartes puissent être créées et des tournois organisés, pourvu qu’aucun profit ne soit réalisé. C’est donc une équipe internationale de bénévoles, la Global Operations Teams, qui est maintenant chargée de faire vivre le jeu: ils conçoivent les nouvelles cartes, trouvent des illustrateurs, play-testent, équilibrent le jeu etc. Ils font vivre la méta. Les joueurs qui veulent acheter ces nouvelles cartes vont pouvoir commander les cartes lors de commandes groupées et d’impressions à la demande. Il y a environ 2 à 3 cycles d’une soixantaine de cartes par an qui sortent. » L’association est donc très active, et compte Alex parmi ses membres en charge de l’évolution des cartes.

Ketal qui joue au jeu depuis la V1 constate que ce travail d’équilibrage est d’ailleurs plutôt bien fait car chaque faction peut s’exprimer et le jeu est actuellement  dans une bonne méta. Comm préfère même cette situation, car les interactions avec les créateurs sont plus faciles.

Les joueurs se retrouvent surtout en ligne pour faire des tournois, sur theironthrone.net. La communauté est restreinte, ce qui fait qu’elle est soudée, internationale et plutôt accueillante. On compte environ 250 joueurs réguliers dans le monde, et 40 personnes étaient présentes aux derniers championnats de France contre 150 à son apogée. Avec une communauté plus réduite, tout le monde se connaît. Erg Machaon ajoute que c’est vrai aussi au niveau international. « Le jeu est très bien, mais c’est surtout pour les gens que je continue à jouer », me dit Mad. Lilith Dandelion fait d’ailleurs partie de ses joueuses ayant commencé récemment. Si elle avait une certaine appréhension vis à vis du monde des jeux de cartes et de l’accueil réservé aux femmes, elle a trouvé ici une communauté très bienveillante. Si seulement on pouvait entendre ça tous les jours.

La communauté se veut accueillante pour les nouveaux : un discord dédié existe, mais surtout, les plateformes permettent de jouer sans débourser un sous. Et surtout, sans avoir à trouver les cartes physiques, ce qui peut être une gageure puisque le jeu n’est plus disponible en boutique.

Et ce championnat alors?

Depuis 10 ans a lieu dans le château de Stahleck en Allemagne un tournoi, devenu Championnat du Monde en 2023. Si on parle de championnat du monde, point de sélection ici, tout le monde est le bienvenu, on peut même dormir dans le château. Le tournoi dure trois jours, et réunit entre 200 et 300 joueurs venus surtout d’Europe, mais une délégation américaine sera aussi présente, ainsi qu’un Chilien !

Il fait envie ce château ! Source: wikipédia

On va trouver plusieurs formats d’affrontement, mais deux d’entre eux restent les épreuves principales : la joute, le tournoi en un contre un (L’épreuve reine), et la mêlée où l’on s’affrontera à plusieurs (3 ou 4).

Pour la joute on aura une phase de rondes suisses avec 8 matchs qui permettent de classer l’intégralité des joueurs avant les phases finales par élimination directe. La mêlée est un format particulier, car s’ajoute au jeu une composante « sociale » pour détourner l’attention de nos adversaires vers d’autres cibles que nous. Les discussions se passent en anglais, une difficulté supplémentaire. Elle se fait avec des rondes aléatoires où l’on varie les joueurs.

On trouve aussi des tournois alternatifs le soir, et bien sûr, de quoi boire un coup.

Chaque joueur vient avec son deck (cela peut être un deck différent par épreuve), qu’il va devoir garder pour tout le tournoi. La difficulté est donc de faire un deck permettant d’affronter une large gamme d’adversaires mais aussi les decks les plus forts si on sort des rondes. Il faudra être bien préparé car le niveau est élevé, les joueurs s’entraînent depuis des années. Les journées sont longues, et il faudra bien connaître son deck pour éviter les erreurs.

Au bout de la route, le gagnant aura… et bien des prix certes, mais aucune récompense en argent, ce qui n’est sans doute pas étranger à l’excellente ambiance qui règne lors de ces événements. En revanche, chaque gagnant aura le droit de créer une carte, en accord avec l’équipe en charge du design, et s’il propse une carte « non-unique » (pas un personnage existant), il pourra même la faire à son effigie. J’adore cette idée.

C’est quand même impressionnant !

Et nos champions alors ?

Le soir de mes interviews, 8 personnes étaient présentes, la plupart venant du bassin lyonnais, une des (sinon la) plus grosses communautés de joueurs français. Ketal estime à 60 joueurs réguliers en France, et 15 joueurs « tout le temps ». C’est le nombre de personnes qui composera d’ailleurs à peu près la taille de la délégation française, l’une des trois plus grosses.

On l’a dit, les joueurs se rejoignent surtout en ligne, mais Coupe du monde oblige, depuis plusieurs semaines nos champions se préparent en se regroupant chaque semaine pour s’entraîner. Tous vont participer à la joute, mais chacune avec ses objectifs.

Ketal, pour qui c’est la seconde édition, vise de faire aussi bien que l’an dernier, c’est à dire quatre victoires, à la tête de ses Lannister. L’objectif n’est donc pas forcément de sortir des rondes mais surtout de s’amuser et de passer un bon moment.

Lilith Dandelion et ses Tyrell essayera d’égaler ses deux victoires de l’an dernier.

Mog joue depuis 2010-2011. Ce fan de jeux de cartes s’adonne également à Star Wars L5R, Netrunner, et Vampire the Eternal Struggle. Il va essayer de dépasser ses 6 victoires de l’an dernier pour accéder aux phases finales en joute. Il jouera La garde Nuit en joute, et Lannister en mêlée.

Comm est celui qui joue depuis le plus longtemps, puisqu’il a commencé en 2007 avec le JCC. C’est l’un des deux derniers « immortels » de France : il fait tous les championnats de France depuis 2009. Il a même été champion de France de mêlée en 2015, mais il n’ambitionne maintenant qu’à s’amuser, et sera à la tête d’un deck Targaryen sur les deux épreuves.

Erg Machaon vient lui aussi sans objectif particulier à part passer un bon moment. Sa préférence va à la mêlée, car selon lui, on peut s’en sortir même avec un deck moyen grâce à l’aspect « social » de ce format. C’est avec la Garde de Nuit qu’il va participer au tournoi.

Mad a commencé en 2016, au début de la V2, une période facile pour rentrer dans le jeu. C’est sa seconde participation au tournoi de Stahleck. Néanmoins, il a terminé second cette année des championnats du monde en ligne ! C’est donc avec un peu de pression qu’il aborde la compétition, avec un deck choisi récemment. Il a du adapter son deck précédent, affaibli par des restrictions sur certaines cartes. Son objectif est de sortir des rondes suisses. C’est avec son deck atypique Targaryen en mêlée qu’il espère créer la surprise.

Alex, joueur depuis 10 ans, est surtout le champion du monde en 2022. Et on comprend pourquoi : en temps normal, il joue deux à trois fois par semaine, une à deux parties. Pour la préparation, le rythme passe à une partie quotidienne. Il jouera Greyjoy en mêlée et joute. Si pour la mêlée, l’objectif est de s’amuser, en joute, il y va clairement pour gagner la compétition. Pour cela, il pense qu’il faut être sûr de son deck, des choix faits (petit clin d’oeil à Mad), et tester le deck à fond contre les différents adversaires. Fort de 80 à 90 victoires sur ses dernières parties, il pense être capable de battre les gros decks attendus, notamment Stark, avec des cartes pensées pour les contrer.

Voici donc une délégation française qui vient avec de sérieuses prétentions, d’autant que c’est avec le titre de champion du monde des nations 2023 que se présentent nos joueurs. Il s’agissait d’une compétition au format 8 contre 8, avec un match impliquant chacune des 8 familles du jeu lors de chaque round.

On espère qu’ils repartent avec.

Epilogue

J’ai commencé cet article avant la compétition, mais sa publication arrive ensuite, nous avons donc les résultats de nos joueurs: Erg Machaon, qui misait gros sur la mêlée, se hisse en demi-finale de la compétition et rate de justesse la qualification en finale. Avec des tables 4 cela fait donc 16 demi finalistes. Sur environ 150 participants, c’est donc une belle performance. L’originalité du deck a payé, bravo a lui ! D’ailleurs bravo à la délégation française, puisqu’ils étaient cinq dans la demi-finale de cette épreuve.

C’est un Allemand, Lennart Paga, qui repartira avec le trophée en joute. Alex, qui visait la victoire, finit néanmoins septième. C’est un beau résultat, mais pour tout champion qui ne gagne pas, c’est une petite déception.

Néanmoins, Mad (qui n’a pas réussit à sortir des rondes) et lui se sont rattrapés en gagnant le tournoi par équipe de deux. Avec un duo composé d’un champion du monde et un vice champion du monde, ce n’est pas une surprise.

On notera la performance de Thegars, un autre français qui accède aux demi finales en éliminant le tenant du titre en quarts.

En tout cas, moi qui ne suis pas compétiteur, j’ai été marqué par l’enthousiasme de ce groupe qui met bien plus en avant l’ambiance entre les joueurs qu’autre chose. Outre les résultats, c’est surtout la super ambiance sur place, les fous rires et le peu de sommeil évoqué par Mad après la compétition.

Voilà une communauté qui semble accueillante, et qui me donnerait presque envie d’aller en Allemagne l’an prochain pour vivre l’ambiance dans ce fameux château. Pour les intéressés, ce sera du 21 au 25 novembre 2024.

Crédits photos: Mad, Sørgjerd E. et Philine 

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