Cérès un Euro au goût classique mais savamment distillé

Au moment de son annonce, je m’étais peu intéressé à Cérès de Gustaf Sundström qui avait été lancé sur kickstarter en 2022 chez Artipia Games, car il me semblait assez (trop) classique. Il avait été classé huitième au Diamant d’or, ce qui paradoxalement est peut-être pire que de ne pas y être du tout. Bref, j’étais véritablement passé à côté, et c’est avec la news de Marilyne que mon intérêt s’est aiguisé. De la pose d’ouvriers twistée, de la construction de moteur, et le tout conçu avec l’aide d’un astrophysicien, ça faisait envie. Comme on dit, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! 🙂 

 

 

Dans la ceinture d’astéroïde

Cérès pourrait très bien être dans l’univers de l’excellentissime série de The Expanse. Nous sommes en 2219, Mars a été colonisée depuis plus de 100 ans, et Cérès, la planète naine, fait partie aujourd’hui du conglomérat industriel et minier. Nous allons l’exploiter durant trois manches afin de gagner le plus d’influence et d’en prendre le contrôle.

Chaque joueuse débute avec ses cinq jetons leader (des jetons ouvriers) et son plateau d’avant base, plus quelques ressources. De la pose d’ouvriers bloquante classique : je pose un de mes jetons leader quelque part et je réalise l’action. Chaque lieu étant limité (en fonction du nombre de joueurs), je dois bien arbitrer où aller d’abord.

 

Classique, oui et non …

C’est que l’on n’a pas que nos jetons leader : nous pouvons aussi aller chercher des ouvriers communs à tout le monde, pour les envoyer sur notre zone de jeu. Je prends un meeple vert que je pose sur une carte avant base verte dans ma zone de jeu, et il réalise les actions de la carte. Il y en a autant que de joueurs et cela pour chaque couleur, ainsi chacun pourra déclencher son action lors de la première manche s’il ne traîne pas trop à utiliser les ouvriers communs pour activer les cartes actions de base avec lesquelles chacun débute la partie.

 

Une avant-base bien développée !

 

L’air de rien, le dilemme devient plus important, on ne part pas de rien, on a une zone avant-base que l’on peut activer avec les meeple adéquats, mais il faut pas non plus tarder, sans quoi on pourrait nous le ravir. De l’autre côté, la tension sur les zones d’action est importante aussi. Constamment le jeu nous pousse à arbitrer. 

Là où c’est doublement malin, c’est que les actions disponibles sur le plateau sont accessibles aussi sur nos cartes et parfois en mieux. D’autant que les cartes que l’on va acheter peuvent être placées devant nous, ou sous une carte de la même couleur déjà placées (on améliore notre avant base). Quand on y enverra un ouvrier, il réalisera les deux actions, parfois en dépensant des ressources. Les amoureux de l’optimisation fiscale spatiale seront aux anges.

Et le timing n’est pas en reste : pour acheter de nouvelles cartes, je vais avoir besoin d’alliage, qui est une ressource que je vais devoir fabriquer. Tout est important mais ce qui l’est encore plus s’avère l’ordre dans lequel on souhaite faire les actions. Trop attendre, c’est prendre le risque de ne plus pouvoir faire l’action désirée.

On retrouve un tableau de recherche qui va donner des bonus pour la partie : ainsi je vais dépenser moins de glace quand j’envoie une sonde dans le champ d’astéroïde ou bien je dépenserai un alliage de moins quand j’achèterais une carte, etc.  

 

Le tableau technologique

 

Ce n’est pas un arbre technologique gigantesque. On n’a que trois entrées différentes et trois niveaux pour chaque, mais cela offre des choix vite importants tout de même. Un axe à ne pas négliger d’ailleurs car selon la stratégie que l’on souhaite mettre en place, on pourra faire l’économie de ressources ou bien avoir une action bonus et c’est toujours bon à prendre. En revanche c’est coûteux en l’énergie (la ressource), et il faut en avoir pour avancer en niveau.

 

Un jeu à moteur atomique

Tout ce que l’on construit va devenir notre moteur de jeu. Les cartes que l’on construit vont nous rapporter à chaque phase de revenu, les sondes envoyées dans la ceinture d’astéroïdes aussi. Les sondes, puisqu’on en parle, ont un système un peu subtil. Quand j’envoie une sonde je ne peux le faire que dans la zone disponible, je pose ma sonde, je gagne les ressources immédiatement, et elle me rapportera les ressources lors des futures manches. 

Commençons par dire que les zones sont limitées et que la concurrence va être rude, d’autant que ça donne beaucoup de points. Pas de panique si les endroits disponibles ne me conviennent pas, je peux traverser les différents anneaux d’astéroïdes, mais ça va me couter de la glace, beaucoup de glace si je souhaite me rendre au milieu, là où cela donne le plus de points de victoire.

 

 

Par conséquent, si je veux gagner des points via cette stratégie, je vais avoir besoin de beaucoup de glace, mais aussi beaucoup de minerais et de céramique thermique pour fabriquer des sondes, me reste donc à construire un moteur sur cet axe là.

Mais un autre axe de points de victoire pourrait être d’aller chercher des projets de colonisation : des cartes contrat qui coûtent des ressources et rapportent des points si je les réalise (ou en perdre si je n’y arrive pas). La aussi, c’est une prise de risque qu’il va falloir arbitrer.

 

Vaisseau en approche

Tout en haut du plateau nous avons des Tuile Cargo en attente (une par manche). Cette tuile me permet de réaliser des transactions afin de gagner une ressource que je n’aurais pas autrement. De plus, on a aussi des meeples Techniciens que l’on pourra prendre si l’on n’a plus de meeple de la couleur dans la zone disponible. L’offre en meeple change au fur et à mesure des manches.

 

 

Dans la partie, tout ou presque est connu. On connaît les nouveaux arrivants et les couleurs des prochains pour les manches suivantes. La zone d’astéroïdes est elle aussi connue d’avance, car elle subit une triple rotation fixe à chaque manche. La seule chose qui échappe à notre plein contrôle c’est les cartes Infrastructures ou Colonisation, et ça tombe bien car ça nous oblige à créer un moteur efficace afin de s’adapter à la demande.

 

Une planète accueillante ?

Niveau éditorial, je regrette un peu que le plateau soit si grand, il faudra vraiment une grande table pour pouvoir y jouer à quatre. D’autant qu’au plateau s’ajoutent des cartes, des plateaux personnels, etc. Messieurs et mesdames les développeurs, pensez à celles et ceux qui ne vivent pas dans un château. Si l’iconographie est abondante, on finit par s’y faire après quelques tours, à l’exception des jetons contreparties un peu abscons (on a constamment eu besoin du livret pour se rappeler leur fonction). Le jeu vient d’un lancement kickstarter et les meeples sont sérigraphiés, on a un plateau tournant, etc. On est dans un traitement Deluxe.

 

Les jetons Contreparties qui permettent d’économiser des ressources ou des pouvoirs particuliers

 

En terme de gameplay, Cérès est surprenant. Certes, la structure est classique, ne vous attendez pas à trouver quelque chose d’extrêmement novateur, mais c’est au service d’une efficacité impressionnante (même si je n’aime décidément pas ce mot d’efficacité). 

Si le jeu fait peur au début avec son iconographie et ses nombreuses zones d’action, rapidement, tout devient limpide et on est plongés dans nos choix. L’interaction est bien présente, principalement grâce aux ouvriers communs, mais pas uniquement. On surveille beaucoup ce que font les autres, pour voir si on peut temporiser un peu ou s’il faut sauter sur cette action ou si on ne va pas nous prendre l’emplacement sur une sonde. Si la première manche nous laisse assez de liberté, ce tempo va doucement changer entre les manches en fonction des moteurs que l’on aura construits et des ouvriers qui se seront ajoutés via les navettes ou des avant-bases des joueurs.

 

Les cartes Colonisation qui servent de cartes Contrats

 

Cérès possède deux extensions qui sortent bientôt (toutes les deux issues de kickstarter). Contrats Martiens annonce la couleur, on peut utiliser nos jetons leaders afin de prendre des cartes contrats pour réaliser des objectifs. Chaque contrat est lié à un syndicat : plus les joueurs contribuent, plus ils sont rémunérés en points. Sur le papier, une interaction qui semble prometteuse, à voir si cette couche ne surcharge pas trop l’ensemble néanmoins. 

La suivante nommée Comètes nous permet de poser nos jetons sondes sur des comètes qui donnent des points, des ressources, etc. Il y a une notion de prise de risque car si la comète explose (selon un deck de cartes) alors j’ai perdu mon temps. Sur le papier je suis moins convaincu, j’aime bien la prise de risque mais dans un jeu de deux heures, perdre (ou gagner) sur une notion aléatoire, je suis moins fan.

Cérès fait partie de ces jeux très libres et ouverts. On ne sent jamais bloqué. On peut toujours trouver une solution pour réaliser une action. Mais le jeu est généreux en possibilités sans être étouffant. La contrepartie c’est qu’il peut favoriser la constipation neuronale. On pourrait arguer avec justesse que le jeu manque un peu de tension, c’est vrai qu’à la fin on est plutôt satisfait de ce que l’on a fait, on n’a pas vraiment cette sensation d’oppression ou de manque, mais c’est un choix de game design et il conviendra à un public qui cherche à se frotter à une difficulté intermédiaire.

J’ai trouvé Cérès beaucoup plus convaincant qu’un Evacuation ou Arborea placés plus haut dans le classement du Diamant d’or. Cérès est fluide et dynamique, ça vit, ça râle un peu, l’interaction est justement dosée, avec une tension qui évolue dans la partie. La mécanique d’ouvriers twistés génère des dilemmes intéressant. Cérès est le premier jeu de Gustaf Sundström et une franche réussite.

 


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4 Commentaires

  1. Nicolas MATHIEU 13/01/2025
    Répondre

    Bonne année !

    Ouais, il donne envie !

  2. Guillaume 13/01/2025
    Répondre

    Oui, acheté, testé et vraiment bcp apprécié ! Il est en effet passé sous les radars a sa sortie. A découvrir de toute urgence !!

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