Carnet d’illustrateur : Viva Catrina
Dans ces Carnets, nous laissons la parole à un auteur, un illustrateur, un éditeur, des créateurs qui nous partagent leur univers, leurs idées et turpitudes, car vous le savez, un jeu c’est aussi beaucoup de travail, de choix, de modification, avant d’arriver au produit final.
Nous nous réservons le droit de publier d’autres Carnets d’auteur ou d’illustrateur. N’hésitez pas à nous contacter.
La rédaction laisse la parole à Jérémie Fleury, illustrateur de Viva Catrina, qui va nous dévoiler son travail à travers le temps.
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Chers amoureux du monde ludique,
Je suis très heureux de partager un carnet d’illustrateur aux lectrices et lecteurs de Ludovox !
À travers ce journal, je vous invite à découvrir l’envers du décor, le processus créatif qui donne vie à un jeu de société. Une démarche qui me tient particulièrement à cœur, surtout à une époque où l’intelligence artificielle menace de déshumaniser notre beau secteur.
Plus que jamais, célébrons la créativité !

Alors, enfilez votre plus beau costume de calavera viviente et plongez avec moi dans les coulisses de Viva Catrina, ma future sortie ludique commise avec les auteurs Frédéric Boulle et Grégory Grard, et éditée par The Flying Games.
Comment tout a commencé :
À l’origine, ce jeu a connu plusieurs vies. Quand David Perez m’a approché, le thème était centré sur les Aztèques, ambiance « Cités d’Or ». C’était déjà une évolution par rapport au tout premier prototype des auteurs, qui était… un parc d’attractions !
Lorsque la direction a finalement basculé vers El Día de Muertos, j’ai été ravi. J’ai une grande affinité pour l’esthétique riche et colorée de cette fête mexicaine unique.
Comme chaque projet que j’illustre, j’ai à cœur de tester le jeu. J’ai eu la chance de rencontrer les auteurs au Festival International des jeux de Cannes, et j’ai pu jouer à leur prototype qui m’a fait une excellente impression. Il tournait très bien, un jeu simple mais avec une vraie profondeur de gameplay.

Le proto du jeu.
Immersion dans le Jour des morts.
En tant que Français, mon rapport à cette période de l’année est façonné par la Toussaint et Halloween, avec son côté spooky que j’apprécie beaucoup. Mais pour illustrer Viva Catrina, il me fallait aller au-delà et plonger au cœur du Día de Muertos. Mon premier réflexe a donc été de faire des recherches, pour comprendre l’âme de cet événement avant même de toucher un crayon.
J’ai découvert une célébration qui se situe à l’opposé de notre vision occidentale. Loin d’être une commémoration sombre, le 2 novembre au Mexique est une explosion de couleurs, de musique et de saveurs. C’est une fête qui ne pleure pas les morts, mais qui célèbre leur vie et leur mémoire.
Bien sûr, des films comme Coco de Pixar ou La Légende de Manolo (The Book of Life) ont inconsciemment nourri mon imaginaire. Mais ma principale source d’inspiration, a été la réalité : je me suis immergé dans des centaines de photos de cette fête incroyable pour en capturer l’authenticité.

Mood Board pour se mettre dans l’ambiance.
La Catrina : L’Icône du Jour des Morts.
Au cœur de notre jeu se trouve un personnage emblématique : La Catrina. C’est elle que les joueurs devront honorer, en célébrant leurs défunts de la plus belle des manières afin de créer le plus beau village.
Figure incontournable de la culture populaire mexicaine, La Catrina est un squelette féminin vêtu de riches habits et coiffé d’un chapeau élégant. Son visage est devenu si iconique qu’il est aujourd’hui indissociable du Día de Muertos ; c’est la première image qui nous vient à l’esprit.
Cet univers m’était déjà familier, puisque j’avais eu l’occasion de réaliser une illustration dans cet esprit il y a quelques années :

Je me suis inspiré en partie de cette représentation pour celle du jeu.
Voici les étapes de création du jeton 1er joueur :

Éléments du jeu
Les habitants
Dans Viva Catrina, les habitants qui peuplent notre village nous rapportent des points. Bien que les personnages soient représentés petits sur les tuiles, ma déformation professionnelle de Character-designer m’a donné très envie d’apporter un soin particulier sur les détails de leurs costumes.
Mon intention était de représenter la diversité du cortège. J’ai donc choisi de dessiner trois générations, enfants, adultes et aînés, car le Día de Muertos est avant tout une fête qui se célèbre en famille. Chaque personnage raconte ainsi une petite histoire, même sur quelques millimètres carrés.

Étapes de création des personnages

Mise en page finale
Des Boutiques au Cœur de la Tradition.
Le prototype initial proposait déjà des boutiques : on y trouvait des chapeaux, des piñatas, des maracas, des guitarróns… Tout était très lié au Mexique, mais il manquait un ancrage spécifique au Día de Muertos.
Pour recentrer le thème, je me suis posé une question : quelles sont les offrandes que l’on dépose sur les autels des morts ? Ces autels, dédiés au culte des ancêtres, sont le cœur de la célébration. Les familles y disposent des objets précis autour du portrait du défunt.
C’est devenu ma ligne directrice. Je me suis inspiré de ce lieu emblématique pour réimaginer complètement ce que les échoppes du jeu allaient proposer, transformant des boutiques mexicaines en boutiques d’offrandes traditionnelles.
Voici une illustration de l’autel avec sa légende.

Illustration des échoppes avec references
D’abord les étapes
Sur l’illustration, il y a tous les éléments que fournissent les échoppes du jeu. Niveau gameplay, ce sont des multiplicateurs de points (exemple, tous les ballons bleus vous rapportent 1 point supplémentaire).
Emporté par mon désir d’authenticité, ma première version de l’autel était extrêmement détaillée. Je voulais reconstituer fidèlement chaque élément, chaque symbole. Le résultat était une illustration riche, mais qui s’est avérée beaucoup trop complexe pour être utilisée telle quelle sur une petite tuile de jeu.

Illustration de l’ autel
C’est un défi classique dans l’illustration de jeux : l’équilibre entre le détail et la lisibilité. J’ai donc dû entamer un travail de simplification, pour transformer cet autel réaliste en une icône claire et immédiatement reconnaissable. La seconde version, plus épurée, était née.

Les deux versions de l’autel
Alebrijes
Les mexicains font des parades, on peut y voir des Alebrijes – Créatures chimériques colorées qui représentent les créatures des rêves et du royaume des morts.
Ce sont les éléments que j’ai pris beaucoup de plaisir à illustrer. Je voulais apporter un maximum de diversité dans les couleurs et les formes des créatures. L’objectif était d’apporter beaucoup de satisfaction aux joueurs une fois qu’ils placent une chimère dans leur village.

Les crayonnés

Les encrages

Les couleurs

Les alebrijes sur les tuiles
Les ballons
Ils apportent de la couleur au jeu, les ballons sont aussi une manière de remporter des points. On gagne des tuiles de majorité dès que l’on pose 3 ballons de la même couleur qui sont connectés à notre village. Je les ai imaginées avec une forme de crâne pour apporter davantage de diversité et d’originalité.

Visuels des ballons, et les tuiles.
Les Tuiles : Le Cœur Technique du Jeu.
Nous arrivons à l’étape la plus technique du projet, car les tuiles sont au centre du gameplay. À l’instar de Carcassonne, Viva Catrina est un jeu de placement où chaque tuile doit s’imbriquer parfaitement avec ses voisines. C’est un véritable puzzle pour l’illustrateur.
Le défi est double : non seulement les connexions doivent être logiques, mais l’information doit être d’une clarté absolue pour faciliter les décisions des joueurs. Chaque élément doit être visible au premier coup d’œil.
Pour l’ambiance, j’ai tout de suite imaginé une scène de nuit. Ma première proposition était donc baignée dans un bleu nuit profond. Mais après une première version, puis une seconde entièrement retravaillée, il est devenu évident que nous devions trouver une autre solution pour garantir une lisibilité parfaite.
Mes auteurs sont à l’origine de ce pivot en cours de production, pour aller vers cette version plus forte et moins sombre.
Voici les étapes de création des tuiles :

Étapes des tuiles
La Tuile de départ avec la fontaine de Catrina
Pour apporter une touche plus personnalisée des tuiles de départ, j’ai imaginé une fontaine à l’effigie de La Catrina.

Les étapes de la tuile de départ

La fontaine
Remplacer les Rails par un Chemin d’Âmes.
La mécanique de connexion du jeu d’origine reposait sur des rails et des trains. Pour l’intégrer pleinement dans l’univers du Día de Muertos, il fallait trouver une alternative plus thématique et poétique.
Mon choix s’est porté sur un élément central de la fête : le chemin de fleurs de cempasúchil. Ces pétales orange vif sont traditionnellement utilisés pour créer des sentiers qui guident les esprits des défunts depuis le cimetière jusqu’aux autels.
Pour symboliser le voyage de ces âmes, j’ai ajouté des papillons monarques volant au-dessus des fleurs. Ce n’est pas un hasard : au Mexique, ce papillon est célèbre pour ses migrations massives de septembre à novembre. Leur arrivée coïncide avec le Jour des Morts, et la croyance populaire veut qu’ils transportent les âmes des ancêtres. C’était une coïncidence thématique trop parfaite pour ne pas l’utiliser !

Photos des papillons monarques. Crédit Photo : © Luna sin estrellas/WikiCommons/CC BY 2.0
Pour l’anecdote j’étais en étroite collaboration avec l’éditeur car on se faisait des visio-conférences régulièrement pour trouver des solutions sur divers points du jeu. Celui qui a demandé un soin particulier, est l’idée de créer un « socle » pour accueillir les Alebrijes. Dans le proto de jeu, il fallait faire une « zone de pelouse ». Mais on était d’accord sur le fait que ce n’était pas le plus simple à distinguer.
L’illustration de Boîte + Logo
Depuis 11 ans que je travaille dans le jeu de société, je m’évertue à donner mon meilleur sur chaque illustration de boîte. J’ai envie de retransmettre l’histoire qu’il y a autour du jeu, attirer les joueurs dans un univers. Viva Catrina n’échappe pas à la règle. Il était évident que La Catrina, figure centrale et majestueuse, devait occuper le cœur de la couverture. Pour l’encadrer, j’ai composé une bordure richement décorée, une sorte de portail qui intègre et présente tous les éléments que les joueurs découvriront dans le jeu.

Les étapes

La couverture finale
Sur l’illustration de couverture, nous retrouvons tous les éléments qui composent le jeu !

Couverture avec les éléments.
Et voilà, ce carnet d’illustrateur touche à sa fin.

Jérémie Fleury avec la boite de jeu
J’espère que cette plongée dans les coulisses de la création de Viva Catrina vous a plu. Ce fut un réel plaisir de partager avec vous les secrets et les inspirations de cet univers. N’hésitez surtout pas à me laisser vos impressions en commentaire, j’ai toujours hâte de vous lire.
Et si on se rencontrait ? J’ai l’immense plaisir de vous annoncer que je serai au salon d’Essen les vendredi 24 et samedi 25 octobre pour dédicacer les boîtes du jeu ! Ne manquez pas cette occasion, ma dernière visite à Essen remonte à… neuf ans !
En attendant, si vous souhaitez essayer le jeu, sachez que Viva Catrina est déjà disponible gratuitement sur Board Game Arena (BGA).
Et sa sortie officielle en physique sera le 17 octobre.
Vous pouvez suivre toutes mes aventures artistiques et échanger avec moi sur Instagram / Threads et Facebook.
Merci pour votre lecture, et à très bientôt pour de nouvelles aventures ludiques et artistiques !

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