Agemonia – L’aventure format brique

Agemonia. Quelque part, ça sentait un peu dans mon esprit comme un mauvais jeu de mots sur “Hegemonia” pour un jeu de gestion un peu dantesque. Qu’il est bon de se tromper. En effet, il s’agit plutôt d’un genre de dungeon crawler très narratif. Bon, ok, c’est dantesque quand même. Issu de Kickstarter et édité par lautapelit.fi, cet éditeur finlandais à qui l’on doit notamment Flamme Rouge ou Eclipse, excusez du peu. Côté auteur, il s’agit de Max Wikström, à qui l’on doit quelques obscurs titres. En effet, Agemonia est son magnum opus. Maître de jeu de rôles depuis très longtemps, Wikström travaille sur Agemonia depuis une dizaine d’années. Et cela se sent.

Un plateau joueur, quelques objets, et une pile de jetons pour l’endurance disponible.

 

Nous jouons sur une version anglaise. Très honnêtement, vu la quantité de texte impliquée, je serais extrêmement surpris qu’il arrive un jour en français. Mais on ne sait jamais. Je recommande un groupe complètement équipé pour de la lecture en anglais.

 

Dans une taverne…

On se rencontre comme tous bons aventuriers, dans une taverne. Et hop, une crue débarque et il va falloir sauver la veuve (le chat) et l’orphelin. Ainsi commence le didacticiel. Se rencontrer dans une taverne est certes un poncif éculé du jeu de rôles, et il fonctionne plutôt bien. Mais d’ores et déjà on sent l’expérience du maître de jeu / scénariste : pour assurer la cohésion du groupe on donne une cause commune et facilement identifiable au groupe de héros. Il est évident que nous n’allons pas tout de suite rencontrer de menace sinon l’eau et le temps qui défile inexorablement et rapidement.

Chaque tour, vous planifiez une action parmi celles disponibles. Et qu’est-ce qui est disponible, vous demanderez ? Eh bien au début de la campagne, une manœuvre supplémentaire ou de la concentration, permettant de lancer plus de dés en cas d’action en demandant. Bon, et c’est quoi les manœuvres ? Chaque tour, vous en avez une de disponible, et il s’agit d’une action standard pour se déplacer ou récupérer des points de vie ou de stamina. Mais comment on fait pour savoir qui agit en premier ? Eh bien un paquet d’initiative vient rythmer la partie, les actions étant typiquement organisées en trois couleurs (généralement dans l’ordre rouge, bleu puis vert pour les plus lentes). Et hop, on joue nos tours en séquence.

Les environnements sont colorés ! (et la mise en place est bien simplifiée par le plateau-livret)

 

 

Dès lors que vous êtes en vue d’un point d’intérêt, vous révélez une carte lui correspondant : cela vous donne un aperçu de ce qu’il y a à faire. Mais par contre, pour révéler la carte, il faudra souvent se trouver sur le point d’intérêt lui-même. Et peut-être réaliser un test. Pour ce faire, vous jetez des dés contenant tous un nombre de succès variable : un, deux, un critique donnant un dé supplémentaire ou des succès conditionnés à la dépense d’endurance. Aucune face avec un blanc. On comprend dès lors l’avantage de la concentration pour les actions complexes. Et il faut lire le plan : telle porte est fermée, mais je vois un point d’intérêt derrière, dans une fissure du mur… on pourrait passer par là ? Sûrement. 

Une fois que chaque joueur a joué, hop, on passe au temps qui défile : une carte destin qui aura d’autres applications plus tard dans la campagne, comme générer des monstres.

Selon vos réussites et vos échecs, vous aurez une certaine évaluation. Des hauts-faits pour n’être pas trop épuisés, pour avoir géré de façon pacifique. Pour avoir tout retourné, tout exploré. Pour avoir déniché un secret.

Le tout avec un brin de narration à chaque fois. On s’y croirait. Et voilà le premier didacticiel de passé, déjà.

Des événements à déployer…

 

Les rangers du risque

Passé le premier scénario, on gagne une action pour frapper. D’ores et déjà les personnages ont leurs différences : dans notre groupe, nous avons par exemple deux personnages plutôt équilibrés mais spécialisés au corps à corps et un personnage un peu bêta, mais à quatre bras. Aussi, on apprend à utiliser des objets, à les équiper. Vraiment, le tuto nous prend presque pour des nouilles à ce stade, mais on s’amuse bien quand même. 

Et puis viennent les ennemis. Les ennemis apparaissent à intervalles réguliers, et surtout, agissent sur des créneaux précis des cartes initiative, avec trois comportements distincts, parfois modulés grâce à des symboles spéciaux qui déclenchent des ajouts au comportement – bonus ou ajout d’une action.

On sort du deuxième tuto avec l’impression que le jeu n’est pas dur, mais bon, tout de même, il peut y avoir un peu d’adversité. On en profite pour gagner un second level up avec une nouvelle compétence.

Et voilà venir la troisième partie du didacticiel. Le PNJ qu’on a sauvé en début de campagne nous propulse dans un autre genre d’aventure : finalement, les petits enjeux, c’est pas trop pour nous. On aura la lourde tâche de sauver le monde contre les esprits de la magie malveillante… un jour. Paf prophétie, c’est fait, fin du didacticiel trois. D’ailleurs on sort tout à fait du tuto.

Les vilains ont des bagues numérotées pour plus de facilité.

 

 

Par contre, sur ces trois parties, on aura pu éprouver le système central d’Agemonia : tout se joue avec notre Stamina, notre endurance, qui représente à la fois notre capacité d’action, propice à booster des dés, et qui sert aussi de compteur de vie : chaque blessure est un jeton épuisé et placé sur sa face blessure. Et il faudra dépenser des actions, de précieuses manœuvres, pour récupérer son endurance perdue (et qui défile à une vitesse folle !).

Si j’ai pris la peine de vous parler du didacticiel en détail, c’est qu’il représente une progression à la fois adéquate et parlante de ce qu’Agemonia tente d’offrir : une campagne de jeu de rôles dans un univers un tant soit peu unique… mais en utilisant des tropes pour faire passer la pilule.

Le plan s’augmente ou se modifie grâce à des cartes !

 

 

Même pas peur

Max Wikström n’a pas peur de vous proposer à chacun·e d’écouter une nouvelle sur votre personnage. Un audiobook d’une demi-heure. Même pas peur de proposer des thématiques disons… particulières. Mon personnage est intolérant notoire obsédé par la valeur travail, on peut incarner un capitaliste fan de censure ou un personnage n’ayant pas encore choisi son genre. Même pas peur de diffuser de la narration partout, dans chaque événement. Et encore : ce n’est pas fini.

On va certainement, au cours de la campagne, changer, faire bouger ses (mauvaises) valeurs (ou pas, paraît-il qu’on peut être vilain). Mais le personnage qu’on nous donne… ne fait pas envie : nous sommes intolérants, cupides parfois, dénués de bienveillance, voire xénophobes sur les bords… Globalement, sur les huit personnages, peu commencent dans un endroit enviable.

Mais ce parti-pris prend le contrepied des poncifs établis précédemment. Il nous perd. Mais à vrai dire, pourquoi pas ? Il se dégage de ce contraste un charme certain. La gravité n’est pas absente de l’aventure, mais on sent bien que malgré une structure classique, on pourrait avoir des surprises. Pas désagréable, cette touche de sérieux assez présente dans un scénario qui aurait pu se contenter du sauvetage de veuves et d’orphelins… mais je ne suis pas assez loin pour dire si je trouve cela convaincant.

Chaque joueur dispose également d’un livre de secrets à l’effigie de son personnage. Interactions personnelles, à partager ou non avec le groupe, visions et progression de votre personnage, on y passera parfois un peu de temps à décrypter et éclairer certains comportements, à explorer des quêtes personnelles. Du liant qui jointe l’immense background au gameplay plus terre à terre.

Le comportement des ennemis est défini par l’ouverture de l’oeil, et modifié par l’apparition de symboles (serpent, crâne).

 

 

Tous à bord

Nous avons utilisé le didacticiel pour apprendre à jouer… et grand bien nous en a pris : le livret de règles est cauchemardesque. Impossible d’y retrouver la moindre information que l’on cherche sans l’écumer en long, en large et en travers et pour le coup, c’est le livret interactif Dized qui fait le mieux le job… Et vraiment, sur ce genre de jeu, j’aurais bien aimé un livret correct.

Autant on ne peut pas se plaindre de l’onboarding proposé par les didacticiels, autant les règles sont à la fois longues, peu claires et labyrinthiques. Et sur un jeu de cette ampleur, rassemblant autant d’efforts, c’est un peu dommage de négliger cela.

Car une fois les didacticiels terminés, nous avons accès à la phase de ville. Décrite plusieurs fois mais jamais clairement, la phase de ville nous propose pour autant des mécanismes intéressants : on pourra rendre visite à des marchands, temples ou encore auberges, et chaque joueur aura accès à deux actions spécifiques à réaliser. Pour les marchands, on aurait préféré un index plus simple que la double page à aller chercher sur le carnet de campagne mais on comprend très vite que la ville va aussi progresser et on n’y trouvera pas les mêmes choses d’un moment à l’autre et que donc, pour ce faire, ce niveau de simulationnisme est requis. On aura également un événement à résoudre à chaque partie. Là aussi, on entend qu’il s’agit d’une façon d’épicer un peu les phases de ville mais aussi de donner conséquences à nos actes. Nous aurons également deux points d’action à dépenser. Pour travailler, pour progresser dans nos quêtes personnelles, pour bénéficier de soins au temple et effacer nos blessures…

Et c’est sans compter les level up : lorsque vous gagnez en niveau à force de quêtes, la ville mutera, avec plus d’objets à acheter, plus de quêtes à récupérer, votre destinée qui s’étoffe… Heureusement que ce n’est pas à chaque partie : vous redécouvrez un pan du jeu à chaque fois avec pas mal de manips à faire.

Toujours l’immersion : on évite les pièges du donjon, on appuie sur des boutons, on fait plein de bêtises.

 

 

Le jeu étant plutôt challengeant, on va aussi planifier l’identité de gameplay du groupe : comment répartit-on les armes dans le groupe, quoi acheter et prioriser… le nombre de petites problématiques à résoudre en ville est à la fois agréable et pas insurmontable, tout en proposant un grand nombre de possibilités. Va-t-on utiliser du matériel illicite, comme du poison et des kits de crochetage, ou se cantonne-t-on à jouer à la loyale ? Quelle factions influencer pour s’aligner avec nos besoins immédiats et notre éthique à long terme ? Le jeu nous renverra nos choix à la face, un jour. 

Je l’ai évoqué dans le paragraphe précédent, Agemonia n’hésite pas à challenger ses joueurs. La difficulté est directement relevée, dès le tuto. Ouais, il va peut-être falloir fuir ce monstre énorme plutôt que de le combattre à coups de pelle et de grappin. Et si on échoue ? Eh bien si on échoue… on va tout simplement avoir un système fail forward, c’est-à-dire que l’on avance quoi qu’il arrive. Ce qui permet à Agemonia de ne pas lésiner sur les situations difficiles. On est loin du “essaie encore” d’un Gloomhaven : l’échec fait partie de l’expérience tout autant que la réussite. C’est la façon qu’a le jeu de maîtriser l’expérience des joueurs : on finira bien par échouer un jour, et ce n’est pas la fin des haricots.

Une carte d’initiative (à gauche) à résoudre de haut en bas et un statut négatif (à droite)

 

 

L’expérience avant tout

Agemonia propose sous des dehors très classiques une expérience de dungeon crawling à la fois… très classique (oui, la lapalissade nous attend) et plutôt moderne, avec un côté vertigineux de ce contenu abyssal, avec une gestion intéressante de son énergie. Riche et généreux, le titre n’est pas pour autant un étouffe-chrétien ; dès lors qu’on a passé les règles mal fichues, on se lance à l’aventure avec un plaisir tout particulier, celui d’avoir un maître de jeu bienveillant à ses côtés. Et ce pour a priori trente cinq scénarios d’une grosse heure et demie, avec la gestion de ville entre les scénarios.

Et un petit souffle de fraîcheur dans la tignasse, un ! 

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