À la loupe: Sherlock Holmes, Détective Conseil
221 Bis Baker Street Londres, 1888,
Pendant que des pluies diluviennes s’abattent sur la ville de Londres, nous sommes installés devant le Times, au 221 bis Baker Street, autour d’une tasse de thé.
Mr Holmes est plongé dans ses pensées, moulé dans son célèbre fauteuil, comme figé dans le temps. Seuls les bruits de mastication des jeunes Francs-Tireurs, ces gamins des rues réputés sales et déguenillés, mais source inestimable de renseignements, attablés devant des cookies fraîchement cuisinés par notre très estimée Mme Hudson, venaient troubler un silence pesant.
Soudain, Mr Holmes se redressa, et s’écria comme possédé par un démon : « Elémentaire mon cher Watson ! Il s’agit d’un jeu! ».
La scène de crime
Précisons tout d’abord que Détective Conseil est à l’origine un jeu édité en français par Descartes en 1985 (c’est cette version qui est d’ailleurs posée négligemment devant moi), et que Ystari a réalisé une nouvelle édition en 2011 en modifiant le design et en tenant compte de certains errata. Notons également qu’un stand alone sortira en fin d’année 2016: celui-ci nous emmènera (notamment) sur les traces de Jack l’éventreur, et sera édité par les Space Cowboys.
Nous nous pencherons ici plutôt sur la ré-édition Ystari. Prenez garde à bien rester derrière les bandes jaunes, et laissez la police faire son travail (Well listen, let the police do the job, comme dirait le commissaire Bialès dans le film La cité de la peur) : quels sont donc les éléments de la scène de crime ?
Détective Conseil nous propose d’enquêter sur des faits divers en partant à la chasse aux indices à travers différents paragraphes : c’est donc une expérience narrative qui nous est proposée. Si vous êtes allergique à la lecture, il vous faudra trouver un volontaire pour se charger de l’importante prose développée dans le jeu (navré, mais l’enregistrement vocal des textes n’a pas été prévu pour le moment, contrairement à la future sortie Watson and Holmes à venir chez Space Cowboys).
Sherlock Holmes est purement coopératif : tout le monde perd ensemble ou gagne ensemble contre le jeu. Dans ce cas, on lutte (cordialement) contre Mr Holmes dans une course à la résolution de l’enquête proposée. Jouable de 1 à 8 apprentis détectives, l’expérience est radicalement différente si elle est tentée en solo ou en groupe: préférez tout de même un groupe restreint (au-delà de 4 joueurs, certains pourraient se sentir exclus).
SHDC (pour les intimes) se situe aux frontières du jeu de rôle et des livres dont vous êtes le héros. Tout commence par une introduction donnant les grandes lignes de l’enquête : c’est une partie importante car c’est grâce à elle que vous obtiendrez vos premières informations et que vous pourrez orienter votre raisonnement. La plupart du temps, certains noms de personnes impliquées (ou non) et certains lieux sont évoqués et vous donneront probablement envie d’en savoir plus.
C’est bien joli tout ça, mais il n’y a personne pour répondre à nos questions. Heureusement, le moteur du jeu est là pour ça ! À chaque lieu, ou à chaque personnage correspond un quartier de la ville et un numéro de bâtiment. Grâce à ces informations, vous pourrez vous référer au paragraphe correspondant dans le livret d’enquête, et ainsi connaître les éléments liés à cet endroit ou à cet habitant. C’est comme cela que vous avancerez dans vos déductions, et que vous parviendrez (peut-être!) à dénouer les fils du mystère proposé.
À chaque fois que vous parcourez un nouveau paragraphe, vous décomptez une piste : c’est ce nombre de pistes qui influencera fortement votre score final (tout à fait facultatif ceci dit, prendre connaissance du déroulement de l’enquête se suffisant à lui-même). Un score ? Oui, car je vous rappelle que vous êtes en compétition avec Mr Holmes, qui fidèle à sa réputation, parvient toujours à solutionner l’enquête. Quand vous pensez avoir suffisamment progressé dans l’intrigue, et avoir les tenants et aboutissants du scénario, rendez-vous à Baker Street pour rendre vos conclusions. Des questions vous seront posées et permettront de savoir si vous êtes un véritable détective !
Et là, c’est souvent le drame ! On se demande comment fait ce cher Holmes pour aboutir aussi rapidement à de telles conclusions… On pense que SA solution est radicalement meilleure et qu’il n’était pas possible de résoudre l’enquête aussi vite. Bref, on demeure un « petit scarabée », « une grenouille voulant devenir plus grosse que le boeuf », une simple « ceinture blanche de karaté »,… et on passe au scénario suivant, persuadé qu’on fera mieux. Et là, c’est le drame (se référer au début de ce paragraphe afin de rester confortablement installé dans cette boucle infinie !).
Oui, le jeu a la réputation d’être difficile, et il est diablement corsé. Il offre un véritable défi au commun des joueurs !
Autopsie du corps
Rendons nous sans attendre chez le légiste afin de disséquer tout ce contenu qui s’offre à nous : qu’est-ce qu’on a dans la boîte ?
Tout d’abord, on retrouve un magnifique plan de la ville de Londres très bien colorisé et truffé de bâtiments ornés de numéros se dressant au milieu de ruelles, de parcs, de gares, tout cela divisé en différents quartiers à travers lesquels s’écoule la Tamise, ce célèbre fleuve anglais. Quel bonheur que de pouvoir traquer les criminels et assassins notoires sur un tel terrain de chasse !
On trouve ensuite un annuaire de la capitale, comprenant nombre de personnalités connues ou inconnues, une infime partie de la masse grouillante des quatre millions d’âmes peuplant Londres, mais largement suffisamment pour pouvoir se perdre au milieu de la foule ! Tout est très fonctionnel, malgré une police d’écriture un peu petite (mais nécessaire au vue de la quantité des noms affichés), et on parcourt avec facilité ce bottin. Vous recherchez un avocat ? Rien de plus facile, il vous suffit de tourner les pages jusqu’à la lettre A, et vous pourrez choisir entre Charles Attard, Wilfrid Robarts, ou tant d’autres. Un livre rare vous tente ? Rendez-vous chez les bouquinistes à la lettre B. Tout cela est très bien conçu, et on prend plaisir à effectuer ses recherches.
Sont également mis à votre disposition des exemplaires du Times, ce journal grouillant d’informations et de détails capitaux pour vos enquêtes. Chaque numéro est daté: il faudra bien entendu faire attention à respecter la timeline et à ne prendre connaissance que des exemplaires parus au moment de l’enquête. Non, vous ne pouvez pas voyager dans le futur (le passé vous voulez dire !).
Pour finir, occultant volontairement le livret des règles du jeu (très simples au contraire des enquêtes !), la boîte de jeu contient dix enquêtes séparées dans différents fascicules. C’est véritablement le cœur du jeu, et vous y trouverez toute la partie narrative de Détective Conseil. La boite est donc bien remplie et pour une fois pas d’air comme souvent dans les sorties actuelles : un matériel impeccable donc !
Le matériel chez Ystari à gauche, et chez Descartes à droite : une remise au goût du jour.
Risquons nous à une petite comparaison du matériel des deux éditions. Tout d’abord, la carte a été revue et est beaucoup moins terne que dans sa première version, ce qui rend sa lecture plus agréable. Ensuite, on dispose désormais des exemplaires du Times dans des feuillets indépendants, ce qui permet aux différents joueurs de consulter les évènements des diverses dates en toute liberté, améliorant ainsi le confort de jeu. Pour terminer, les enquêtes ont été séparées dans des fascicules (à chaque fascicule son enquête), pour un accès plus facile aux différents paragraphes : on peut définitivement remiser l’imposant classeur blanc qui regroupait l’ensemble du matériel disponible.
Le travail éditorial de cette nouvelle édition est donc loin d’être anecdotique et ne se limite pas à une simple revisite graphique : c’est donc un « jobs done! » pour Ystari !
Les conclusions de Holmes
« Qu’en pensez-vous mon cher Watson ? ». Difficile de synthétiser mon enthousiasme et de le coucher par des mots sur le papier, tant j’ai apprécié de parcourir les livrets d’enquêtes proposés dans Détective Conseil (bon d’accord, j’en suis seulement à la cinquième…).
Point positif, on est rarement totalement bloqués dans notre raisonnement, mais il est impératif de bien aller au bout de chacune des pistes suivies. Le jeu peut cependant s’avérer être frustrant tellement son équilibre est millimétré : on est toujours si proche de la solution, et pourtant si éloigné. Il peut également dérouter s’il est pratiqué en dilettante car il est très exigeant : concentration et patience seront mises à rude épreuve !
On pourra lui reprocher son mauvais renouvellement : une fois une enquête résolue, elle sera difficilement rejouable. Cependant, en comptant environ deux heures par partie (c’est une fourchette vraiment basse, fonction du nombre de joueurs), le jeu propose près de 20h de bonheur (ou de calvaire diront certaines mauvaises langues), ce qui donne un très bon ratio qualité/prix.
On notera également qu’il existe des scénarios supplémentaires disponibles pour cinq euros pièces, ainsi que deux extensions (Carlton House et Queen’s Park) offrant des expériences encore différentes.
Ce serait donc un crime (!) de passer à côté de Détective Conseil tant son univers est riche, cohérent et incroyablement agréable à parcourir : assurément un incontournable du genre (qui est peu représenté, et c’est bien dommage).
► Sherlock Holmes Detective Conseil
Un jeu de Gary Grady, Raymond Edwards, Suzanne Goldberg
Illustré par Arnaud Demaegd, Neriac
Edité par Ystari Games, Space cowboys
Date de sortie : 01-12-2011
De 1 à 8 joueurs
A partir de 12 ans
Durée moyenne d’une partie : 120 minutes
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atom 01/04/2016
Tu as ranimé la flamme. Je les avais commencé avec mon amie et puis on s’est arrêté, il faudrait que l’on reprenne les investigations, surtout que l’on a deux amis qui je pense aime cela.
L’extension et Watson et Holmes ça sera chez Space cowboys ? J’avais compris Ystari, en tout cas c’est sur le stand Ystari que Watson et Holmes était présenté.
ReiXou 01/04/2016
Peu importe le label sous lequel cela sort, Cowboys et Ystari de fait travaillent ensemble sur leurs projets :
* pour profiter de l’expérience en développement de Thomas (qui a bossé sur Via Nebula par exemple) et Cyril (c’étati déjà le cas) chez SC
* pour profiter de la science « graphique » de SC chez Ystari
Shanouillette 01/04/2016
Oui d’après ce que j’ai compris, les space cow boys ont en fait racheté ystari, Cyril Demaegd étant dans les deux entités, c’est un peu kiffkiff.
fouilloux 01/04/2016
Clairement un jeu dans le top 3 de mes préférés. Et effectivement le temps de jeu proposé est en fait énorme.
TheGoodTheBadAndTheMeeple 01/04/2016
Ce jeu est excellent. Nous avons fini les 10 premieres recemment, ce sont des seances d’investigation a 4-6 qui dure souvent 4-5h. Quel bonheur, une vraie lecon de jeu EN societe.
Et oui le jeu est exigeant, mais tellement gratifiant quand on trouve !
Sgt Pépère 01/04/2016
Excellent jeu, nous venons de finir le deuxième jour de Queen’s Park qui donne encore plus de détails, de richesse et de frustration (pas le temps de tout faire) aux énigmes.
Après il n’y aura plus que la 20ème aventure et je me demande ce que les Space Cowboys vont proposer autour de ce jeu.
SleuthGames 08/04/2016
Une nouvelle boite de 10 enquêtes (Jack l’éventreur + West End Adventures qui n’avait jamais été traduit.) avec un plan étendu.
Et ensuite… t’inquiètes.
Sgt Pépère 08/04/2016
Excellente nouvelle. 🙂 Bon, on a fini le Queen’s Park, c’était vraiment trop riche comme enquête et les déplacements sont trop pénalisants pour l’ampleur de la tâche, je trouve.
Ceci étant, on s’est quand même bien amusés. 🙂
Babou78 01/04/2016
L’un des meilleurs jeux que je connaisse. On y joue à deux et on peut dire qu’on s’ennuie pas. J’ai meme commencé à faire du mindmapping en cours de jeux pour faciliter l’analyse 😀
Shanouillette 01/04/2016
La mindmap est très utile pour ce jeu oui !
Farid 04/04/2016
Nous avons même réécrit certaines enquêtes afin de les étoffer, les rendre plus vivantes.