Vanuatu : sauvé des eaux ?
L‘archipel des Vanuatu est constitué d’une pléiade d’îles situées à l’est de l’Australie, dans l’océan Pacifique. Connues pour leur situation géographique peu enviable au dessus de la ceinture de feu, ces îles sont également un symbole de l’urgence climatique, de part leur exposition aux cyclones qui s’abattent régulièrement sur ses habitants, et la montée des eaux qui érode les côtes. Malgré la pauvreté économique de l’archipel, les Vanuatu possèdent des richesses culturelles de premier plan, avec une inscription au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO.
Vous sentez vous prêt à parcourir ce lieu unique ?
Repêchage
Edité en 2012 par la défunte société Krok Nik Douil (KND), Vanuatu a sombré corps et âme dans les profondeurs du Pacifique. Son éditeur a déposé le bilan après de longues péripéties qui entraînèrent nombre de joueurs dans son sillage. En effet, les commandes passées sur son site internet, ainsi que les pledges réservés au cours d’une campagne participative pour un jeu à venir (Massilia pour ne pas le citer) n’ont jamais été envoyés à leurs « acheteurs » (oui, dans le cas du participatif, ce n’est pas véritablement un achat). KND, avec une communication inexistante et beaucoup d’incertitudes quant au devenir de Alain Epron son créateur, restera donc une plaie béante dans le cœur des joueurs.
Pourtant, est-ce que ces jeux étaient bons à jeter dans une coulée de lave ? Il semblerait que non, et c’est l’éditeur Quined Games qui se propose, après avoir donné vie à Massilia, de faire renaître de ses cendres le jeu Vanuatu. Ainsi, une campagne participative a été lancée sur kickstarter , le 3 Mai 2016.
Il est malheureusement trop tard pour prendre part à ce projet qui se terminait le 2 Juin 2016, mais nul doute que cette réédition se trouvera dans le circuit traditionnel d’ici la fin de l’année).
Le cœur du jeu reste identique et seul son habillage diffère. Il faut reconnaître que le parti pris artistique est radicalement différent du tirage d’origine. Certains stretch goals ont été débloqués et peuvent être des bonus intéressants. En tout état de cause, il s’agit là d’une seconde chance pour Vanuatu de rencontrer son public.
Les charmes du Pacifique
À l’ouverture de la boîte, on découvre un très joli matériel, de bonne qualité et prolifique. Les illustrations de Cédrick Le Bihan sont superbes et donnent du cachet à l’ensemble : ici, pas de couleurs criardes ou flashies. Et cela donne tout de suite le ton : on n’est pas venu dans les Vanuatu pour faire du tourisme ou pour profiter des paysages. Clairement pour moi, il s’agit du bon choix artistique qui tranche radicalement avec des jeux enclins à apporter de la bonne humeur autour de la table, comme Maka Bana par exemple, qui propose des dessins plus colorés. Du coup, je suis beaucoup moins enthousiaste quant au choix graphique de Quined Games pour la réédition du jeu : l’ensemble me paraît trop joyeux pour un jeu qui, comme nous le verrons par la suite, est diaboliquement méchant.
Les tuiles personnages.
Il y a un grand nombre de marqueurs en bois, même si on regrettera de ne pas avoir de meeples personnalisés en forme de poissons ou de trésors. La taille des plus petits disques posera des problèmes à nos amis aux longs appendices. On notera également un soucis de stabilité sur les pions qui représentent les touristes (attention à ne pas tout renverser malencontreusement). Les tuiles sont de bonne épaisseur et agréables à manipuler.
Aperçu du matériel.
Le livret de règles est bien illustré même si la mise en page est un peu dense et peut effrayer de prime abord. Il existe de nombreux exemples et mises en situation, et on retrouve facilement des précisions sur tel ou tel point de règles. La dernière page du fascicule propose un résumé des points principaux, ainsi que des capacités des différents personnages. Bref, pas grand chose à dire du côté du matériel !
La vie dans les îles
Vanuatu est un jeu de programmation dans lequel les joueurs vont tenter de prospérer (relativement) dans un archipel isolé au milieu de l’océan Pacifique. Pour cela, un certain nombre d’actions sont disponibles :
* Naviguer *
Le bateau du joueur peut être déplacé d’une à trois cases sur les tuiles de mer, pour un coût de un vatu par case.
* Construire *
Le joueur peut poser une cabane sur un emplacement constructible d’une île pour une somme modique de 3 vatus.
* Explorer *
Le joueur peut explorer une épave afin de récupérer un nombre de trésors dépendant du nombre de marqueurs présents sur la tuile de mer.
* Pêcher *
Le joueur peut pêcher du poisson de la même façon que pour l’action Explorer.
* Vendre *
Le joueur peut vendre ses poissons si son bateau est situé sur une case de mer adjacente à une case d’île où il possède une cabane.
* Acheter *
Il est possible d’acheter une denrée présente sur une case d’île adjacente au positionnement de son bateau, afin d’alimenter le marché extérieur et de gagner des points de prospérité.
* Dessiner *
Le joueur peut réaliser un dessin sur le sable d’une île qui présente un emplacement disponible pour gagner des points de prospérité.
* Transporter *
Un touriste peut être déposé sur une île adjacente à son bateau pour gagner un certain nombre de vatus (égal au nombre de cabanes présentes), ainsi que des points de prospérité calculés en fin de partie.
* Se reposer *
Le joueur peut choisir un jeton repos (l’un d’entre eux permet de devenir premier joueur au tour suivant, et cela n’est pas sans intérêt).
En début de partie, le paysage n’est constitué que d’une île et de trois cases de mer. Les bateaux de tous les joueurs sont placés sur la case de mer sans ressources.
Début de partie à trois joueurs.
Chaque joueur dispose de 5 marqueurs d’actions : en suivant le sens des aiguilles d’une montre, chacun va tout d’abord placer 2 de ses marqueurs sur une ou deux actions, puis à nouveau 2 marqueurs, et lors du dernier tour de table, le dernier marqueur. Ainsi, on peut renforcer son « envie de réaliser une action ». Une fois les marqueurs de tous les joueurs déposés sur le tableau des actions, on passe à la phase de résolution.
« Mais pourquoi est-il aussi méchant ?! »
Et c’est là que tout se gâte et qu’on prend conscience de la méchanceté et de la fourberie du jeu. En effet, pour avoir le droit de réaliser l’action choisie, le joueur doit être majoritaire sur la case correspondante (sachant qu’en cas d’égalité, c’est celui qui est le plus haut dans l’ordre du tour qui est prioritaire). Si à son tour, un joueur n’est majoritaire nul part, il lui faudra retirer des marqueurs sans faire d’actions… ça couine dur à ce moment là !
Lutte pour les actions au cours d’une partie à trois joueurs.
Du coup, devenir premier joueur est véritablement une action convoitée, d’autant plus qu’à chaque début de tour, c’est le premier joueur qui agrandit le paysage en plaçant, à sa convenance, deux tuiles supplémentaires. Cependant, il lui sera interdit de poser deux îles de manière adjacente (oui, j’ai bien vu que vous aviez pensé à enfermer vos amis dans des mers intérieures dépourvues de ressources!), ce qui limite tout de même la puissance de ce bonus. Il est toutefois souhaitable de tout faire pour éviter d’être trop éloigné dans l’ordre du tour sous peine de rapidement prendre du retard sur ses camarades, faute de pouvoir réaliser les actions souhaitées.
Afin de rendre le jeu un peu plus facile, il est du coup conseillé d’intégrer les tuiles personnages lors des parties à 4 et 5 joueurs. Celles-ci apportent des bonus qui renforcent la puissance d’une des actions ou qui donnent un petit plus intéressant (comme trancher une majorité par exemple). Rassurez vous, il ne sera pas possible pour un joueur de conserver son personnage préféré (désolé, mais Pikachu ne pourra demeurer éternellement dans votre pokeball) : au début de chaque tour, vous ferez votre choix parmi les tuiles disponibles (celles qui n’ont pas été choisies précédemment par un joueur) avant de réintégrer votre personnage dans cette pile (exception faite du premier tour où vous n’avez pas encore de personnage… sinon, c’est que vous avez déjà commencé à tricher), et de passer la nouvelle pile à vos camarades qui feront de même.
Toutefois, sélectionner un personnage ne vous donne pas automatiquement le bonus : il vous faudra tout de même placer des marqueurs pour réaliser l’action désirée (et donc bonifiée). Cela peut parfois se retourner contre vous, car ce choix de personnage donne des informations à vos adversaires sur vos intentions…
Un autre point important dans le jeu, c’est la notion de ressources épuisables. En effet, lorsqu’on place une nouvelle tuile en début de tour, il est indiqué le nombre de trésors ou de poissons disponibles à cet endroit. Ainsi, si un joueur entreprend une fouille (exploration ou pêche), il récupère un jeton du même nombre que le total de marqueurs de la tuile. Par contre, on retire ensuite un marqueur correspondant, ce qui affaiblit la quantité disponible pour les joueurs suivants. Ceci donne lieu à une lutte sur le terrain pour s’approprier les meilleurs emplacements, d’autant plus que les lieux pouvant accueillir des cabanes, des dessins ou des touristes sont également limités.
Plutôt que de lutter sur les emplacements les plus rentables, les joueurs ont décidé de partir chacun de leur côté.
En fin de partie, en plus des points de prospérité déjà acquis, on ajoute :
→ 3 points pour celui qui possède le jeton premier joueur
→ 1 point par tranche de trois vatus encore disponibles
→ 2 points par trésor
→ 2 points par touriste où on possède une cabane à sa couleur
Ci contre, une fin de partie à trois joueurs.
Ton univers impitoya-a-bl-euh !
Vanuatu n’est clairement pas un jeu familial : si vous vous attendez à passer quelques instants magiques à lézarder sur la plage, passez votre chemin. Malgré le cadre paradisiaque, Vanuatu n’est pas un jeu où on se fait des amis : blocage, traîtrise, course aux ressources,… décidément ce jeu n’est pas de tout repos, et il vous sera impossible de perfectionner votre bronzage pendant les 1h30 à 2h00 de partie.
Préférez la configuration à 4 joueurs qui me paraît la plus équilibrée. En effet, à trois joueurs, il y a un risque important de kingmaking et le retrait des cartes personnages rend le jeu moins intéressant (même s’il fallait bien trouver une variable sur laquelle jouer, afin de ne pas rendre le jeu trop facile).
À cinq joueurs, on basculera vers un joyeux chaos tant il sera délicat de planifier ses actions sans se faire saborder par ses adversaires. Quant à la variante pour deux joueurs, très franchement même si elle fait le job, le jeu n’est pas du tout calibré pour cela.
Par ailleurs, je ne veux pas vous gâcher la surprise de la découverte, mais j’ai pu lire qu’une stratégie semblait être plus lucrative que les autres : la construction de cabanes afin d’attirer les touristes. En effet, sur l’ensemble des parties que j’ai joué, laisser quelqu’un avoir la main mise sur les emplacements de construction était systématiquement fatal lors du décompte final (les touristes rapportant énormément de points en fin de partie lorsqu’ils sont placés sur des îles où se dressent vos cabanes). Cependant, rien ne vous oblige à laisser vos adversaires se développer de la sorte en toute tranquillité !
Au final, Vanuatu n’est pas un jeu à mettre entre toutes les mains, tellement son côté méchant est présent et assumé : vous risquez de vous mettre à dos vos partenaires de tablée si vous décidez de jouer le jeu jusqu’au bout, et vous serez accusé d’être trop tendre avec certains si vous montrez la moindre pitié.
Son originalité quant aux blocages des actions disponibles lui permet de tirer son épingle du jeu.
Bref, c’est un bon jeu de programmation, avec une partie gestion à ne pas négliger (l’argent étant le nerf de la guerre), mais il n’aura pas sa place sur toutes les tables : à essayer avant d’acheter, sous peine de déchanter…
Merci à LSD graph pour les illustrations de l’article.
Un jeu de Alain Epron
Illustré par Cedrick Le Bihan
Edité par Krok Nik Douil
Langue et traductions : Anglais, Français, Allemand, Italien
Date de sortie : 2012
De 3 à 5 joueurs (variante à 2 joueurs)
A partir de 12 ans
Durée d’une partie 90 minutes
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atom 14/06/2016
Chouette Jp, j’ai le jeu sous les yeux un ami (coucou Dhjaz) me l’a prêté, c’est vrai qu’il a l’air bien méchant, par contre faire un tour de jeu a vide c’est pas trop frustrant ?pas de risque de win to win ? Du même auteur tu as essayé Massilia ?
Alendar 14/06/2016
Il y a peu de chances de faire un tour de jeu à vide en fait: si on est mal placé dans l’ordre du tour, on a tout intérêt à ne se fixer que deux actions ou à se réfugier sur l’option « se reposer » (tellement il est pénalisant de jouer tardivement). De toute façon, la pose du 5è marqueur peut faire la différence.
Win to win, pas tellement, vu que la phase d’ « enchères » du début de tour fait que tout est remis en permanence en question, et que même après un départ canon dans ton développement (vente de poissons au prix fort par exemple), tu peux te faire barrer la route par les autres.
Je n’ai pas essayé Massilia, mais j’ai pu voir que les retours parlaient d’un jeu déséquilibré aux pouvoirs trop puissants: à voir!
atom 15/06/2016
Merci oui je comprend, en gros si on fait un tour a vide c’est qu’on l’a un peu cherché c’est ça ? Pour Massilia j’ai lu aussi de mauvaises critiques, mais je me demande si c’est pas plus lié a l’affaire plus qu’au jeu lui même. Je l’ai acheté je me ferais mon idée moi même et si je suis motivé je ferais un Jp lol.
Grovast 15/06/2016
Assez en phase avec l’article en général et les conclusions en particulier.
Le fait de jouer dernier et donc de perdre toutes les égalités est quand même bien contrebalancé par le timing de pose avantageux.