Interview de Mr Bruxelles 1893
Le sympathique Monsieur Etienne Espreman a bien voulu jouer le jeu de l’interview et nous parler de lui et de sa première création « Bruxelles 1893 » qui va sortir -chez Pearl Games s’il vous plait- pour Essen 2013.
La boite est d’ors et déjà hyper attendue par tous les férus de jeu à l’allemande.
Pour tout savoir sur ce nouveau jeu et la folle histoire de sa création, c’est ici que ça se passe ! Et ça commence par une présentation de l’auteur (même s’il ne se considère pas encore vraiment comme tel) belge, vous l’aurez sans doute deviné !
Il était une fois une fois
– Bonjour Etienne ! Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
« Bonjour, je m’appelle Etienne, je suis « belche, une fois !;-) », né à Liège mais bruxellois d’adoption depuis 1996. Je travaille à la Justice et suis passionné de jeux depuis longtemps. J’ai d’ailleurs été animateur-démonstrateur pour Asmodée Belgium pendant plusieurs années. »
– Quel joueur es-tu?
« Très mauvais ! Mais heureusement bon perdant ! Je suis plus amateur du jeu allemand que de l’améritrash ou même du jeu d’ambiance. Mais quel que soit le type de jeu, je suis sensible aux immersions fortes. Ceci dit, je touche à tout et suis toujours tenté face à un proto. »
– Peux-tu nous raconter comment tu es devenu auteur de jeu ?
« Franchement, je ne me considère pas comme un « auteur de jeu ». J’ai quelques vieux protos à dépoussiérer, c’est vrai, mais « Bruxelles 1893 » est mon premier édité. Ceci dit, j’espère qu’il y en aura d’autres. J’ai des projets en cours…
Pour répondre à ta question : comment ? Par un savant mélange de passion et de chance, je pense. Et pourquoi ? Mais pour devenir riche, bien sûr ! (« Comment ça, je n’ai pas choisi le bon créneau ! »).
Sérieusement, je ne pensais pas, en bricolant mon premier proto, qu’il sortirait un jour à Essen. Je suis d’ores et déjà un homme comblé. »
Des moules et puis des meeples
– Parlons donc de « Bruxelles 1893 » justement. Il s’agit d’un jeu de pose d’ouvriers, de majorité et d’enchères qui va bientôt sortir (pour Essen). D’après les premiers retours, le jeu est très riche en possibilités… Il commence à être très attendu par une partie de la communauté de joueurs, d’autant que Pearl Games nous a habitués à du très beau.
« Merci. Effectivement, « Bruxelles 1893″ est un jeu de pose d’ouvriers, de majorité et d’enchères. Mais sa particularité est qu’il mélange simultanément ces trois genres. Je veux dire par là qu’on ne choisit pas entre poser un ouvrier, participer à une enchère ou tenter une majorité : on réalise l’ensemble à chaque action. Ce système donne au jeu toute sa tension et chaque action peut être cruciale. »
– Pourquoi Bruxelles ?
« Après « Carcassonne », « Le Havre », « Saint-Pétersbourg », « London » et autres…, je me suis dit : « Pourquoi pas Bruxelles ? ». En fait, j’adore y vivre. Bruxelles a tout d’une capitale mais à petite échelle. Ca l’a rend très agréable à vivre. En outre, elle recèle nombre de trésors cachés. Je voulais donc faire un jeu en son honneur. Mais on peut dire bien des choses sur Bruxelles : entre la bière, le chocolat, la bd et les moules-frites ! Sans parler de la politique, mais là personne ni pigerait rien ! «
Réglé comme une horloge belge
– Quand est née l’idée du jeu ?
« Fin 2010, j’ai vu un reportage sur Arte (il m’arrive parfois de regarder des émissions instructives ) où l’on expliquait que le premier bâtiment « Art Nouveau » au monde était l’hôtel Tassel, dessiné par Victor Horta à Bruxelles. Moi qui adore l’architecture : j’avais mon sujet !
Il ne restait plus qu’à trouver la mécanique. Plus facile à dire qu’à faire… car je voulais qu’elle colle au thème. J’ai donc « pensé » architecture. »
– Concrètement, ça donne quoi quand on « pense architecture » pour créer un jeu ?
« En fait, assez vite, m’est venue la vision d’un plateau semblable aux tables à dessin des architectes, avec les deux règles qui se croisent. Je voulais donc un plateau de jeu avec règles coulissantes pour en déterminer les zones actives. Assez difficile à réaliser en proto pour quelqu’un qui, comme moi, a deux mains gauches ! J’ai donc opté pour un curseur en forme de croix, symbolisant les règles croisées. Ce curseur a ensuite évolué en forme d’équerre (autre outil d’architecte).
A ce propos, au début, la zone activable du plateau (qui est aujourd’hui définie par carte en fonction du nombre de joueurs) était à l’origine définie par le résultat de deux dés «4» pyramidaux (la pyramide étant, par excellence, symbole d’architecture).
C’est pour cela également que les matériaux de construction sont définis par les branches d’un compas (même si, aujourd’hui, ce compas ressemble plus à une horloge !;-)).
Enfin, qui dit « architecture », dit « mathématiques » : raison pour laquelle le « marché de l’art », comme le plateau, est représenté par un graphique « abscisse-ordonnées ». »
– Ha oui, tu as réellement créé la mécanique autour du thème…
« Oui, dans la même optique, j’ai voulu les cartes « Notable » car, en Belgique (qui doit être, au monde, le pays comptant le plus de ministres par habitant) croyez-moi, il est impossible d’échapper aux pots-de-vin et autres influences politiques pour réussir. Mais faites attention de ne pas en abuser car vous pourriez finir au Palais de Justice !
Quant à notre « Manneken-Pis » national, s’il représente le premier joueur, ce n’est pas un hasard non plus ! «
– Y a t-il eu des ajustements d’ordre mécanique ?
« Alors en février 2011, j’ai confectionné mon premier proto et j’ai commencé à le faire tester auprès de mes compagnons ludiques habituels (ils se reconnaitront). Croyez-le ou non, d’emblée le jeu a bien tourné. Au fil des mois, la mécanique n’a pas changé. J’ai juste donné quelques tours de tournevis ci et là (normal, pour un jeu sur la construction ) afin d’équilibrer l’ensemble.
– Bruxelles a participé ensuite au concours Europa-Ludi. Peux-tu nous raconter comment ça s’est passé ?
« En janvier 2012, je suis parti en Amérique Latine pendant 8 mois. Mais, avant mon départ, sur le conseil de mon ami Olivier Grégoire (qui, je le souligne avec plaisir, a vu son jeu « Les maîtres de la 6ème dimension » primé au concours Boulogne-Billancourt 2013), j’avais demandé à un ami d’envoyer deux prototypes de « Bruxelles 1893 » au concours Europa-Ludi.
Pour l’anecdote, je me souviens que le jour où je suis arrivé à Ushuaia, j’ai reçu par mail la confirmation que je faisais partie des 40 présélectionnés (sur 150 jeux !). J’étais ravi… mais tout de suite beaucoup moins quand les organisateurs m’ont demandé une version anglaise de mes règles… chose que je n’avais pas ! »
Voyage voyage
– Et… tu avais emmené Bruxelles en Argentine si j’ose dire ?!
« Et bien, oui heureusement, j’avais une copie de mes règles françaises dans ma boîte électronique. Je me suis dit qu’il « suffisait » de les traduire. Mais, en relisant ma version française, je me suis très vite rendu compte qu’elles étaient incompréhensibles. Ecrites en Word, mal rédigées, sans exemples ni mise en page : une vraie catastrophe ! Il s’agissait plus d’un aide-mémoire à mon usage que de véritables règles. J’ai donc décidé de les réécrire entièrement, avant même d’en faire une traduction.
Le hic, c’est que je voyageais sac au dos, sans téléphone ni laptop, et que je changeais de lieux tous les trois jours. Ca m’a pris deux mois, en traversant l’Argentine, pour remplir cette tâche chaque fois que je trouvais un cybercafé plus ou moins fonctionnel. Mais j’y suis arrivé. Bolivie, Pérou,… »
– Puis… Le jeu est arrivé en final !
« En juillet j’ai reçu un mail m’invitant à participer à la finale qui se tenait, fin septembre, à Granollers, près de Barcelone. J’étais aux anges. Je me surprenais à rêver d’une victoire. Et le rêve est devenu réalité puisque « Bruxelles 1893 » a été primé.
Du coup, plusieurs éditeurs de renom se sont montrés intéressés mais j’avais déjà choisi celui que je voulais : Pearl Games. »
Rencontre avec l’éditeur
– Comment s’est déroulée la première rencontre avec Pearl Games ?
« Saignante !
Fin 2011, donc avant mon départ pour l’Amérique Latine, Sébastien Dujardin* m’avait reçu pour tester « Bruxelles ». Haha, je me souviens de sa tête quand il ouvert la porte : j’avais le front ouvert et je saignais. Je m’étais cogné le crâne contre une poutre en fer en allant chercher ma voiture au garage.
* Sébastien Dujardin est le gérant de cette maison d’édition, il donna naissance fin 2010 à son premier jeu : Troyes.
– Ah oui et il n’a pas pris peur ?!
« Non ! Et ce jour-là, il était avec un de ses amis, répondant également au doux nom d’Etienne. Je me souviens qu’ils testaient le dernier prototype, à l’époque, de Xavier Georges : Ginkgopolis.
D’emblée, Sébastien m’a dit qu’il n’avait pas beaucoup de temps mais qu’il voulait néanmoins que je lui explique le jeu dans les grandes lignes.
Plus les explications allaient, plus je voyais leur intérêt grandir. Sébastien m’a alors dit : « Bon, le temps, je le prends. On teste ! ». On a fait une partie entière. Ils ont beaucoup aimé car, à un moment, Etienne a dû s’absenter pour aller chercher son fils à l’école mais il est revenu avec lui pour terminer la partie. Finalement, je suis resté chez Sébastien jusqu’au soir. Il m’a demandé de lui envoyer un proto avant mon grand départ outre-Atlantique, chose que je n’ai pas faite, par manque de temps et (surtout, je l’avoue) d’organisation.
Un an plus tard, après ma victoire à l’Europa Ludi, Sébastien m’a recontacté et nous avons décidé de travailler ensemble. »
– Qu’est-ce que Pearl Games a apporté au jeu ?
« D’abord sa renommée : Pearl Games, ce n’est pas rien ! C’est gage de qualité ludique. Je suis fan de tous leurs jeux. S’il est vrai que cette maison d’édition n’a fait que 3 jeux* jusqu’à présent (« Bruxelles » étant le quatrième), c’est, ludiquement parlant, trois « sans faute ». Espérons que le mien ne fasse pas exception à la règle !
*Pearl Games c’est 3 jeux qui ont reçu un superbe accueil : Troyes, Tournay et Ginkgopolis.
Sébastien Dujardin, la belgitude brillante
« Ensuite, Sébastien a apporté nombre d’idées intéressantes. C’est un homme intelligent, prompt à voir les qualités et défauts de chaque élément. Nous avons réellement collaboré, nous avons échangé nombre de mails et je me suis rendu plusieurs fois chez lui. Il tenait compte de mes avis et/ou envies. Chacune de nos rencontres a porté ses fruits et enrichi le jeu.
Certes, il nous arrivait parfois de n’être pas d’accords ; nous discutions alors, argumentant l’un et l’autre, et avons toujours su trouver une solution satisfaisante aux deux. C’est un vrai plaisir de pouvoir collaborer entièrement jusqu’au terme du projet. Ce n’est faisable qu’avec un éditeur proche de ses auteurs et passionné par son travail. »
« En fait, l’idée globale est restée : le thème a été respecté et la mécanique générale n’a pas changé.
Toutefois, certains éléments ont évolué, toujours pour une meilleure jouabilité.
Par exemple, c’est Sébastien qui a voulu supprimer les deux dés « 4 » et mettre des cartes pour délimiter la zone du plateau. Il a eu raison : le lancer de dés, trop aléatoire, augmentait le risque de se retrouver trop souvent avec des petites zones, et donc peu d’actions réalisables, à 4 ou 5 joueurs. J’ai d’ailleurs reconnu tout de suite la pertinence des cartes.
C’est lui aussi qui a eu l’idée de mettre les bonus « colonne » en cartes (sur mon proto, chaque colonne avait son propre bonus) mais c’est moi qui ai eu l’idée de pouvoir glisser ces cartes sous le plateau individuel pour les bonus de fin de partie.
Par contre, il a eu d’autres idées avec lesquelles je n’étais pas d’accord et pour lesquelles il a fini par me donner gain de cause, comme la suppression des matériaux nobles. Thématiquement, il m’était impensable d’envisager un jeu basé sur la construction d’immeubles sans le bois, le fer et la pierre ! «
Arty belgian touch’ !
– Parlons du design si tu veux bien. L’illustrateur (Alexandre Roche) est un habitué de chez Pearl Games, comment avez-vous décidé de cette collaboration ?
« A un moment, j’avais proposé à Sébastien le nom de François Schuiten, un géant de la bande dessinée belge, dont je suis fan depuis longtemps et que j’avais rencontré en 2011. François Schuiten nous a reçus chez lui (moment inoubliable) et était d’accord pour nous accorder gratuitement les droits sur ses illustrations. Malheureusement, il n’avait pas dessiné tous les immeubles dont nous avions besoin pour illustrer le jeu.
Sébastien a donc décidé de remettre le travail entre les mains d’Alexandre Roche. Et je dois reconnaître que j’aime beaucoup le résultat. Je ne sais si c’est volontaire, mais le travail d’Alexandre a une indéniable « belgian touch’ » dans son effet « ligne claire ». C’est du moins mon avis. Je n’ai pas eu la chance de le rencontrer mais j’espère pouvoir lui serrer la main un jour. »
Le Messe
– Bon, et comment appréhendes-tu Essen ?
« Mais très bien ! A vrai dire, je trépigne d’impatience. C’est la première fois que je serai « de l’autre côté ». Je serai présent sur le stand Pearl Games du mercredi au dimanche. Même si je ne sais pas encore comment m’y rendre, car je n’ai plus de voiture. «
– Ah ! Je connais pas mal de gens qui se retrouveront là-bas, n’hésite pas à envoyer un message !
Quelque chose à ajouter avant de se quitter ?
« Merci ! C’est un petit mot mais si riche en signification Merci à vous pour cette interview ; merci à Sébastien pour sa confiance et son professionnalisme ; merci à Alexandre Roche pour son talent ; merci à tous mes amis qui m’ont soutenu dans ce projet… et merci d’avance à tous ceux qui achèteront « Bruxelles 1893 ».
Je ne souhaite qu’une chose : qu’il vous apporte autant de plaisir à y jouer que j’en ai eu à le créer. »
De rien !
Et merci à toi d’avoir pris de ton temps pour nous raconter tout ça, c’était très instructif !
Que l’aventure de Bruxelles, qui ne fait que commencer, soit longue et pleine de bonnes choses !
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Djinn42 10/01/2015
Du suspense, des rencontres, des blessures à la tête, des voyages.
Tout ça sous le vernis sobre d’un jeu sur l’Art Nouveau en Belgique, c’est vraiment marrant de découvrir l’histoire de ce jeu.