De l’autre côté du miroir : interview de l’auteur de T.I.M.E. Stories
L’ami Wraith revenait récemment sur le principe et l’historique du très attendu TIME Stories, et donnait ses impressions à chaud après une partie « teasing » dans son article À la poursuite du lapin blanc. Si vous souhaitez être parfaitement au taquet sur tout ce qu’il y a savoir sur le jeu, c’est ici que ça se passe. C’est donc pour compléter son travail que j’ai souhaité poser quelques questions à l’auteur lui-même, Manuel Rozoy. Questions sur le développement, le concept, la rejouabilité, le prix. Après la poursuite du lapin, passons de l’autre côté du miroir…
TIME Stories est un jeu ambitieux qui semble baigné d’inspirations ludiques très variées, à un carrefour entre les « livres dont vous êtes le héros » [article sur le sujet à venir bientôt sur le vox !], le jeu de rôle, le jeu vidéo…
« Je confirme. Time Stories est une passerelle vers ces univers qui emprunte à chacun sans jamais être complètement l’un d’entre eux. C’est un jeu nourri de toutes mes inspirations ludiques avec la volonté de les faire vivre aux joueurs. D’abord, ce sont « les livres dont vous est le héros » qui m’ont flanqué mes premières claques ludiques, et pour être précis : Le labyrinthe de la mort de Ian Livinsgston, en 1985. J’ai ensuite enchaîné les jeux de rôle, puis les G.N. en tant que joueur pour rapidement être organisateur. Puis il y a eu le jeu de société moderne, le tout toujours encadré par le jeu vidéo : des débuts sur Apple 2 aux consoles en tout genre. »
Beaucoup d’auteurs nous disent qu’ils créent les jeux qu’ils souhaitent jouer d’abord eux-même. Qu’est-ce qui t’a poussé à concevoir TIME Stories ? Une envie de jeu de rôle sans les contraintes ?
« Le jeu de rôle m’a accompagné pendant plus de 20 ans… Avec mon groupe d’amis, on jouait tout le temps, on séchait les cours pour jouer encore un peu plus. Chaque occasion était prétexte pour découvrir un nouvel univers, un nouveau système… Le jeu de rôle est et reste, selon moi, le jeu dans sa plus belle expression : une liberté absolue renforcée par un imaginaire sans limite. L’envie de retrouver cette sensation est la base de Time Stories.
Mon désir était de créer un jeu qui raconte une histoire préalablement écrite et auquel je pourrai jouer avec mes potes sans passer par la case préparation du JdR… Et surtout, sans maître de jeu – c’est là que l’aspect jeu de société entre en scène – afin que tous les joueurs soient sur un pied d’égalité et découvrent ensemble la trame scénaristique. »
Combien de temps a t-il fallu pour développer le système de jeu ? Qu’est-ce qui fut le plus compliqué ? Que t-ont apporté les Space Cow-boys et en particulier Sébastien Pauchon ?
« J’ai commencé à travailler sur Time Stories en décembre 2010 avec une idée qui avait germé quelques mois plus tôt. L’idée était simple : un deck de cartes = un scénario. De cette idée a émergé un proto que j’ai sorti la première fois aux Ludopathiques de Bruno Faidutti en juin 2011.
Les playtests se sont enchainés jusqu’à présenter le prototype à Sebastien Pauchon et Malcolm Braff de Gameworks à Essen en 2011. Après deux tours de jeu et 3 heures de discussion, un rendez-vous a été pris en novembre, en Suisse, pour bosser sur un prototype qui tienne la route (« switzland inside ») afin de l’envoyer aux éditeurs contactés auparavant. Je l’avais déjà présenté ici et là. Croc avait montré de l’intérêt pour le jeu mais avec l’impossibilité de le faire chez Asmodee car trop core/long en développement. Gabriel de Iello l’avait également découvert lors de la première partie de playtest aux Ludopathiques.
Après une semaine de fabrication de prototype avec Seb Pauchon, ce dernier m’affirme être aussi intéressé. Pour moi, c’était difficile à croire : la ligne éditoriale de Gameworks ne correspondait pas, à mon sens, avec le jeu. Sébastien étant un ami de longue date, c’est donc chez Gameworks que le jeu a été initialement signé. Nous sommes fin 2011 et pendant presque deux ans, ce fut un travail de développement mené de front avec « Le chirurgien de la mécanique du lac Leman ». Sans Seb, le jeu ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Ce fut long, certaines fois éprouvant, mais toujours passionnant et ô combien salvateur pour le jeu.
Le second temps du jeu, ce sont les Space Cowboys qui la créent. Ils se forment au début 2013 et ramènent Sébastien dans leur giron et Time Stories avec. Et là, c’est tout le professionnalisme des vieux briscards du jeu qui permet d’avoir un oeil avisé et bienveillant afin de permettre à Time Stories de voir le jour sous les meilleurs auspices. »
Le fait d’être des agents temporels permet de zapper d’univers d’un scénario à un autre. Tu préférais cela à l’expérience d’une campagne suivie ? Va t-il tout de même y avoir une dynamique sur le long terme avec une trame de fond qui perdure et évolue ?
« Impossible de répondre à cette question sans spoiler donc : no comment… »
Peux-tu nous dire qui sont Bob et Laura dans le jeu ? Est-ce une référence à Twin peaks ?
« Bob et Laura sont les deux personnages récurrents qui briefent les joueurs à chaque début de mission. C’est par leur biais que l’on comprend les objectifs du scénario et aussi les règles propres à cette aventure. Et oui, pour la référence, c’est bien Twin Peaks (et une unité de temps à gagner pour ceux qui trouvent une autre référence à la série de Lynch dans Time Stories…^^). »
Si j’ai bien compris, tu conçois ce système de jeu un peu comme un lecteur DVD dans lequel on peut insérer des nouveaux disques, qui sont ici de nouveaux scénarios. Quand un film est bon, on prend plaisir à le revoir… En sera-t-il de même avec les histoires de TIME Stories ? En gros : quelle rejouabilité ?
« Alors là, on touche le point sensible de Time Stories. La sacro-sainte rejouabilité… Un jeu de société se doit d’être rejouable sinon ce n’est pas un jeu de société. C’est la définition couramment admise, depuis les jeux antiques jusqu’à maintenant. Le seul problème avec la rejouabilité, c’est qu’il est très complexe d’obtenir une narration construite et immersive qui offre un récit destiné à tenir en haleine le joueur (attention, je parle uniquement des jeux où l’histoire est écrite préalablement et non des jeux où se sont les joueurs qui créent l’histoire tels Il était une fois ou Petits Meurtres & Faits divers…). L’OuLiPo avait déjà, dans les années 60, questionné cela avec la littérature combinatoire, créant des écrits avec une structure mathématiques, dont Cent mille milliards de poèmes de Queneau. Même si toutes ses oeuvres sont d’une qualité évidente, nous sommes encore loin, à mon goût, d’une narration construite destinée à procurer des sensations dramatiques fortes. Le parti-pris initial de Time Stories est de s’affranchir dans un premier temps de la rejouabilité pour ne se préoccuper que de l’expérience narrative.
Ce qui amène deux questions : le jeu de société peut-il utiliser les ficelles dramatiques classiques courantes dans l’écriture (cinéma, série, jeu vidéo ou même le jeu de rôle sur table ou grandeur nature) pour donner à jouer/voir un récit construit et maitrisé ? Est-ce que la force de l’expérience peut prendre le pas sur le fait qu’on connait le fin mot de l’histoire et qu’on ne rejouera pas de suite à un même scénario ? Seuls les joueurs en donneront la réponse… Lorsqu’on parle de « non-rejouabilitié », il ne faut pas négliger qu’on va jouer plusieurs parties avant de venir à bout du scénario – chaque partie offrant toujours des pistes et des points de vue différents. Et il est fort à parier que les prochains scénarios risquent d’apporter leur lot de variations avec une rejouabilitié plus grande. C’est déjà un peu le cas sur La Prophétie des Dragons.
Time Stories se veut être un nouveau format de jeu. Si le public suit, on devrait, à terme, avoir des scénarios avec une rejouabilité comme base mécanique du jeu mais sans jamais sacrifier la force du récit. Il faut voir Time Stories – et c’est effectivement comme cela qu’il a été conçu – comme une console de jeu avec la possibilité de changer de jeu avec des ambiances et des systèmes qui varient. Et, ce qui serait dommage, c’est que le joueur pense que seuls des scénarios comme celui de la boite de base soient possibles. Ça serait comme dire, toute proportion gardée bien sûr, que le jeu fourni dans le Bundle de la PS4 à sa sortie était le seul type de jeu possible sur PS4… »
Peux-tu nous parler des premiers scénarios disponibles sans trop spoiler ?
« Pour le moment, nous avons 3 scénarios prêts et en cours d’impression. Celui qui est dans la boite de base, – sortie prévue le 5 septembre 2015-, Asylum, qui se déroule en 1921, écrit par Peggy Chassenet et moi-même et illustré par Ben Carré et David Lecossu.
Puis vendus à part, The Marcy Case, qui se déroule en 1992, écrit par Nicolas Normandon et illustré par Looky : sortie le 5 septembre.
La Prophétie des Dragons, qui transporte les joueurs dans un univers parallèle purement médiéval fantastique, écrit par moi-même : sortie prévue cette fois en décembre.
Viendra ensuite un scénario écrit par Guillaume Montiage et moi-même, et illustré par Gaël Lannurien, à sortir début 2016. Et nous avons déjà d’autres scénarios en cours, mais c’est encore de l’ordre du Top Secret… »
Un mot sur la collaboration avec les illustrateurs ? Ont-ils joué au jeu pour créer les ambiances graphiques ?
« C’est clairement là aussi un autre point important du jeu. Contrairement à un Sherlock Holmes ou un jeu de rôle, la narration passe à 50% par les illustrations. C’est capital et c’est là qu’on se rapproche un peu de la BD. Mais une BD interactive où l’écriture et le design sont au service de ce que le joueur voit et ressent dans les illustrations proposés.
Sur les premiers scénarios, les illustrateurs ont fait un travail extraordinaire. Ils se sont investis pour prendre les bases d’un récit et amener leur patte et leur vision. C’est, à terme, ce qui m’amuserait dans Time Stories : qu’on puisse acheter un scénario parce qu’on aime le travail d’un illustrateur et/ou de son scénariste… Cette collaboration est essentielle et demeure à mes yeux une des plus excitantes de Time Stories.«
Enfin, très concrètement, à la sortie en boutique, on aura une boite (le système) et il faudra acheter un scénario en plus. Des packs sont-ils prévus ? À combien s’élèvera l’investissement ?
« 45€ la boite de base avec un scénario. 25€ pour un scénario classique, certains pouvant être plus longs et donc un peu plus couteux. J’entends ici ou là que la confrontation « rejouabilité/prix » demeure un frein pour certains joueurs. Ca peut se comprendre. Mais il faut avoir en tête que ce qui prime avant tout, c’est l’expérience partagée autour de la table. Est-ce qu’en achetant un Blue-Ray à 25€ ou une séance de cinéma à 12€ ; est-ce qu’en participant à un jeu de rôle grandeur nature (dans les 100€ sans compter les costumes, le déplacement, etc…), à un concert (autour de 40€) ou une Escape Room (30€ par personne), on se pose la question de la durée ? Non, ce qui fixe le prix c’est l’expérience que l’on en aura retirée… »
Merci à toi pour le temps consacré à cette interview !
Un jeu de Manuel Rozoy
Illustré par Ben Carre, David Lecossu, Pascal Quidault, Vincent Dutrait
Edité par Space Cowboy
Langue et traductions : Anglais, Francais
Date de sortie : 09/2015
De 2 à 4 joueurs
A partir de 12 ans
Durée moyenne d’une partie : 45 minutes
>> Le site des Space cowboys avec les règles du jeu
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Jiba 16/08/2015
« ce qui fixe le prix c’est l’expérience que l’on en aura retirée » : Bizarre bizarre, je pensais que la quantité de matériel et le temps de développement contribuait au prix d’un jeu… Mais c’est certain qu’un jeu comme « Love Letter », qui proposait une « expérience » minimaliste originale lors de sa sortie, doit se vendre à 50 E la boîte — expérience oblige ! 😉
Galuf 23/08/2015
Oui le cout du 1 scenard dans la boite est vraiment trop peut… Etant donné la rejoibilité je dit pourquoi pas si ont l’achete a 4 sa revient a moins cher, etant casiment irejouable ont sans fiche qui garde la boite. Neanmoins au meme prix ont a quand meme des boites avec des centaines d’heures de jeu, comparer a 3 ou 4H c’est assez limite. Apres forcement comparer a des activité dite « de sortie » comme ciné GN, et autre c’est pas cher, mais la on parle de rester chez soit devant une table avec des dés… le prix d’une carte utilisable 1 fois revient a cher quand meme, d’un autre coter ont trouvera plus facilement des proxie sur la toile…