L’arbre, douceur printanière ?
Qu’est-ce qui caractérise le plus le printemps ? Spontanément, on pensera aux journées ensoleillées qui reviennent. À l’aiguille du thermomètre qui remonte. Aux manteaux chauds d’hivers qui sont remis au placard.
Mais s’il y a bien un phénomène qui annonce la venue la saison de l’amour, ce sont les arbres qui retrouvent leurs feuilles, les petits bourgeons qui pointent le bout de leur nez, pour très bientôt s’embellir un nuage de fleurs.
Oui, là, on sait que le printemps est revenu.
À défaut de pouvoir faire pousser un arbre sur le balcon de mon appartement citadin, et pouvoir m’émerveiller devant sa croissance (ne dit-on pas qu’il faut avoir planté au moins un arbre dans sa vie..?), une alternative nous est proposée avec le nouveau jeu d’Asynchron : L’arbre.
L’arbre est un jeu de Simon Havard, sorti lors du Festival international du jeu de Cannes 2017, quelques jours avant le 21 mars. Indubitablement, il y a des signes qui ne trompent pas, le festival cannois étant à l’année ludique ce que les hirondelles sont au printemps.
Avec un nom sobre et efficace comme celui-ci, impossible de se tromper, nous n’allons pas trucider du monstre dans un univers post-apocalytique. L’arbre va venir apporter un peu de douceur dans notre monde de machines. Enfin un peu d’apaisement ! Avant de se lancer dans le jeu, une sensation fraîche de « J’me poserais bien sous un arbre avec un bon livret de règles pour flâner un peu » nous envahit.
Ce qui marque d’emblée avant de commencer, c’est l’aspect visuel du jeu. Ici, pas de plateau de jeu rectangulaire, pas de meeples « bourgeons », …
Nous avons un arbre.
Pour peu que vous découvriez une partie en cours, il semble y avoir un arbre articulé sur la table, son tronc central disposant de branches feuillues, quoi qu’un peu dégarni. Impossible de se planter, c’est un arbre. Le premier point pour attirer le joueur est réussi, alors que la mode ludique actuelle est plutôt aux jeux en 3D.
Pour faire grandir l’arbre, il est préférable d’être plusieurs. 2 à 4 joueurs permettront de faire pousser votre feuillu commun. Car il ne s’agit pas de faire pousser votre arbre perso dans votre coin. Non, celui ci est partagé à tous les joueurs.
Le point de départ est donc un arbre jeune, avec un p’tit tronc, quelques rameaux. Une petite rivière coule pas très loin de l’arbre, avec quelques cartes qui transitent tranquillement, et qu’il faudra récupérer. Avec un peu d’attention, on distinguera un peu d’activité autour de l’arbre. Ce n’est pas le vent ou des animaux sauvages, mais les esprits-gardiens de la forêt, attentifs au devenir du magnifique arbre.
Chaque joueur va disposer d’un ensemble d’éléments de départ : quelques rameaux, feuilles, bourgeons et fleurs de sa couleur.
Les éléments rameaux et fleurs sont de la couleur du joueur, alors que les feuilles et bourgeons sont neutres.
Ces 4 éléments se retrouvent sur les cartes transitant dans la rivière. Ce n’est évidement pas une coïncidence. En plus des éléments, les cartes sont toutes rattachées à un esprit-gardien via une petite icône.
La nature a des règles assez strictes. Une sorte de cheminement de la vie. Pour pouvoir faire pousser une fleur, il faut nécessairement un bourgeon. Lui-même ne peut pousser que si une feuille est présente sur le rameau de l’arbre. Et comme la nature est plutôt bien faite, les fleurs de la couleur d’un joueur ne peuvent pousser que sur un rameau de la même couleur.
Exception faite à une fleur « Joker » que dispose chaque joueur et qui se placera sur n’importe quel bourgeon, quelle que soit la couleur du rameau.
Le jeu va se dérouler selon une suite de tours successifs où les joueurs vont pouvoir jouer des cartes ou en récupérer. Les actions suivantes seront donc à disposition :
- Récupérer 2 cartes dans la rivière, afin de compléter sa main.
- Agrandir le tronc : chaque joueur, une fois dans la partie, peut donner un coup de boost à l’arbre en faisant grandir le tronc, amenant quelques rameaux supplémentaires, et libérant un peu les branches du bas, pliant sous le poids des bourgeons.
- Jouer des cartes : il faut bien y aller à un moment, c’est maintenant qu’on fait pousser notre jeune arbre pour qu’il devienne le plus beau de la forêt. Le joueur va pouvoir jouer autant de cartes de sa main qu’il le souhaite, pour peu que cela soit d’un seul type (rameau/feuille/bourgeon/fleur). Il pourra compléter sa pose avec 2 cartes ayant le même symbole esprit-gardien et qui seront considérées comme le type de son choix. Et enfin, il doit utiliser les cartes visibles de la rivière du même type (et utiliser des tuiles neutres au besoin). Il pourra alors compléter l’arbre avec autant d’éléments de sa réserve personnelle, plus des éléments neutres si nécessaire.
Il y a donc moyen de faire de beaux combos, avec pour objectif de maximiser le nombre d’éléments posés d’un même type en un tour.
Une course va alors se lancer pour poser l’ensemble de ses éléments. Car nous sommes bien dans une course. Pas de points de victoire pour avoir fait pousser les plus belles fleurs. Il faut simplement réussir à poser toutes les tuiles éléments de départ, plus les branches éventuellement récupérées en cours de partie.
Le premier qui n’aura plus rien devant lui mettra fin à la croissance de l’arbre et partira avec sa médaille de meilleur sylviculteur de la table de jeu.
Mais il ne suffit pas de lire une règle de jeu ou poser quelques cartes par ci par là, pour pouvoir prétendre avoir la main verte. Moi-même, arrivant à peine à faire pousser du basilic sur mon balcon, ne serais pas contre un petit coup de pouce. C’est là qu’intervienne les esprits-gardien de la forêt. Et eux, ils s’y connaissent en croissance arborifère.
Ils sont 4 mais un seul peut être activé par tour, sous réserve que son icône soit présente sur une des cartes jouées, et qu’il soit visible sur le plateau rivière. En effet, seule 2 cartes esprit-gardien sont disponibles sur la rivière. Activer un esprit-gardien revient à retourner sa carte, le désactivant et mettant à disposition l’autre esprit-gardien du recto de la carte.
Ces esprits sont d’une aide précieuse pour la poussée de l’arbre :
- La dryade permettra de faire pousser un élément de plus lors de son tour.
- Le faune permet de donner 2 rameaux neutres à un autre joueur, qu’il comptera dans les éléments qu’il doit poser. Cela le ralentira dans sa progression.
- La naïade permet de piocher une carte de la rivière (en la remplaçant par une de la pioche) pour compléter sa main.
- la pégée permet de piocher 3 cartes dans la pioche et en garder une.
Une giboulée de printemps
Au terme de la découverte du jeu l’arbre, ai-je complète satisfaction d’avoir franchi une étape de mon existence en ayant planté mon arbre ? Fort est de constater que ce n’est pas cet arbre qui fera de moi un jardinier convaincu.
L’arbre est un jeu familial, assez simple à appréhender. Son élément fort est un game design qui invite à prendre la boîte. L’illustration de cette dernière est par ailleurs fort réussie. Sans surprise, c’est un arbre, mais un bel arbre.
Le matériel sur la table provoque cette curiosité à vouloir participer à la croissance de l’arbre, de ses petits rameaux qui partent dans tous les sens. On dirait un puzzle participatif. Cela donne sur la table de jeu un bel effet « attire l’œil ». En tout cas, c’est clairement ce qui m’a incité à m’intéresser au jeu.
Dans sa mécanique, il n’y a aucune complexité particulière. Un rameau va sur l’arbre, une feuille sur le rameau, le bourgeon sur la feuille, et la fleur sur le bourgeon. Inutile d’avoir à CAP espace vert pour comprendre la logique. Le jeu pourra donc s’ouvrir à un public large. D’autant que le thème très bucolique n’est pas un frein. Avec seulement 4 éléments différents, les quelques cartes spéciales (carte joker et carte double Esprit-gardien) viendront compléter les possibilités de jeu.
De plus, la règle du jeu est illustrée de quelques exemples, toujours appréciable pour s’assurer de la bonne compréhension du lecteur.
Néanmoins, il manque un vent du sud pour venir secouer cet arbre. Dans la course qui se déroule pour faire grandir l’arbre, peu d’éléments perturbateurs viennent pimenter l’expérience. Ce ne sont pas les quelques rameaux qu’un joueur rajoutera, via le faune, au joueur le plus avancé, qui changeront le cours de la partie. Ni les tentatives de blocage via la fleur joker. Les joueurs avancent, grosso modo, au même rythme tout au long de la partie, pour terminer tous au même dernier tour. Dommage pour 45 minutes de jeu.
Trop peu d’éléments peuvent permettre à un joueur de prendre un avantage décisif à un moment de la partie. La rejouabilité est aussi assez limitée car l’avancement de la partie suit un rythme linéaire, avec peu de variation dans les stratégies, elles-même guidées par les cartes parcourant la rivière.
Concernant les illustrations, elles sont dans l’ensemble assez jolies et collent bien au thème. Mais quelques ombres viennent ternir le tableau :
Au niveau de l’arbre, même si celui ci en jette visuellement, il devient de plus en plus difficile, au fur et à mesure que celui ci grandit, de distinguer la couleur des rameaux de chaque joueur. On se surprend à aider son voisin à trouver un rameau disponible de sa couleur. Cela est accentué en fin de partie quand tous les joueurs n’ont plus que des feuilles et des bourgeons à poser (qui sont tous neutres). On ne sait alors plus trop quel rameau de l’arbre est à quel joueur, vu que plus rien ne rappelle la couleur de départ.
L’iconographie des esprits-gardiens sur les cartes n’est pas très claire. Un petit rappel des pouvoirs sur le plateau rivière aurait été apprécié pour éviter de se replonger dans la règle. De plus, j’ai fréquemment mélangé les 2 esprits-gardiens bleus, recto/verso d’une même carte. Une différence de couleur plus tranchée aurait aidé.
Dans l’ensemble, l’expérience de jeu n’est pas désagréable, mais pas transcendante non plus. La partie tire un peu en longueur, rallongée de manière frustrante par le pouvoir du faune. Mon petit doigt me dit (mais il lui arrive de se tromper, hein?) que L’arbre, tout en étant sympathique, n’est pas un jeu qui restera gravé dans les esprits. Il risque de de noyer dans la déferlante de nouveautés ludiques. Passé la surprise visuelle, il lui manque ce petit truc qui donne envie d’enchaîner les parties. Il nous restera alors un petit goût de sève au fond de la gorge.
Un jeu de Simon Havard
Edité par Asyncron Games
Distribué par Blackrock Editions
Pays d’origine : France
Langue et traductions : Français
Date de sortie : Cannes 2017
De 2 à 4 joueurs
A partir de 10 ans
Durée moyenne d’une partie : 45 minutes
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Simon 25/04/2017
Salut Meeple-Cam,
A la lecture d’un passage de ton article, je me suis demandé si un point de règle n’avait pas été mal compris :
« On se surprend à aider son voisin à trouver un rameau disponible de sa couleur. Cela est accentué en fin de partie quand tous les joueurs n’ont plus que des feuilles et des bourgeons à poser (qui sont tous neutres). On ne sait alors plus trop quel rameau de l’arbre est à quel joueur, vu que plus rien ne rappelle la couleur de départ. »
Les feuilles et les bourgeons sont neutres, comme tu le précises, ils peuvent donc être placés au bout d’un rameau de n’importe quelle couleur, et on peut tout à fait poser un bourgeon sur une feuille posée par un autre joueur.
La couleur des rameaux n’est nécessaire que pour la pose des fruits.
Si tous les joueurs ont déjà posé leur fruits et leur fleur d’or, ils n’ont plus à se préoccuper des couleurs des rameaux où ils les placent puisqu’ils ne risquent pas de favoriser la pose des fruits d’un autre joueur.
Ne tient pas compte de mon commentaire si vous avez effectivement joué votre (vos) partie(s) comme ça.
Sinon, vous êtes peut-être passés à coté d’une partie des dilemmes et de l’interaction du jeu.
Quoiqu’il en soit ça fait plaisir de voir parler de l’Arbre dans un article assez complet. Merci!
Meeple_Cam 25/04/2017
Effectivement, ma phrase est mal tournée et on a bien joué comme tu l’indiques. C’est vrai que j’ai assez peu vu la partie dilemme, et qu’elle se remarque peut être un peu plus avec plus de parties au compteur. En tout cas, ma p’tite boutique me dit que l’arbre plaît et se vend bien. C’est tout le mal que je lui souhaite :).
Simon 25/04/2017
Les dilemmes dont je parle sur la pose des éléments peuvent ressembler à ça :
« ..avec les cartes de la rivière je peux poser 4 feuilles d’un coup, le truc c’est que je n’ai qu’un rameau à moi en bout de branche, les autres places de feuilles sont au bout de rameaux de mes adversaires, est-ce que je pose le max de feuilles ce tour-là quitte à « sécuriser » des rameaux adverses et faciliter la pose de leurs fruits plus tard, ou est-ce que j’en garde sous le coude pour un tour où j’aurais plus de rameaux à moi dispo… pis si je joue trop de mes feuilles sur les rameaux des autres, je vais devoir espérer qu’il mettent les leurs sur les miens pour me faire des places de fruits.. ou sinon je vais devoir paumer des tours à chercher des feuilles dans le sous-bois… en même temps, 4 feuilles d’un coup en jouant une seule carte.. bon, je joue 2 rameaux, ça fait 3 avec la rivière et j’utilise le pouvoir de la dryade pour en faire un quatrième..
Je n’avais pas d’esprit à utiliser avec mes feuilles de toutes façons.. »
Mais peut-être ne se dévoilent-ils qu’au fil des parties et/ou ne correspondent pas à tes attentes de joueur.
Je pense que la vidéo de partie sur Tric-trac rend bien ça (ça se fait sur Ludovox de renvoyer vers Tric-trac?…).
Quoiqu’il en soit, c’est cool si il plait bien chez ton crémier!
Et encore merci pour l’article.