Zombicide, The Night of the Living Dead
Huit années se sont écoulées depuis le tout premier Zombicide. Autant dire, une éternité dans le monde du jeu où, chaque mois, 45 nouveautés en poussent 45 autres. Et entre nous, qui aurait misé sur le fait que huit ans après sa sortie, on parlerait encore de Zombicide ? Ce n’est pas comme si on avait pas eu des vagues de jeux de zombies, ni des vagues de coopératifs figurinesques… parfois plus ou moins inspirés par Zombicide d’ailleurs. Car Zombicide, c’est avant tout un système de jeu. Et depuis 2012, ce système conçu par Raphaël Guiton, Jean-Baptiste Lullien et Nicolas Raoult a progressivement exploré de multiples modifications et univers, sans jamais renier son ADN premier de puzzle-game Ameritrash, et ce faisant, gardant la dragée haute.
Entre les Rue Morgue, les Black Plague, les Green horde, les Invader, sans oublier le petit saut opéré avec Massive Darkness… Difficile de tenir le compte de tous les membres de cette vaste famille aujourd’hui. C’est pourtant dans ce contexte que nous recevons le faire-part d’un petit dernier, un peu particulier. Seul Zombicide distribué par Funforge (et non Edge, qui conserve les droits sur les autres boîtes), ce rejeton exhibe une cover en noir et blanc qui dénote avec le reste de la gamme, connue pour sa direction artistique vive. Un regard noir nous scrute, aussi infantile que féroce. Karen. La petite fille de La Nuit des Morts Vivants.
Tel film tel jeu
Cette nouvelle boîte s’ouvre comme un hommage à Romero, nous accueillant même avec un mot des acteurs et des techniciens, émus que l’on puisse jouer à leur film, 52 ans après le tournage. « Jouer à leur film », voilà une tournure résumant bien la note d’intention de ce Zombicide, qui par ce truchement se détourne subtilement des sentiers tracés par les précédents opus. Et loin des jeux à licence à demi congestionnés par leur affiliation, celui-ci aura la légitimité pour clamer cette identité d’objet culturel indé devenu pop. C’est éditorialement très malin, d’autant que cela permet de s’ouvrir à tout un autre pan du public, dusse-t-on sans doute se plier à quelques efforts d’accessibilité.
Pour rappel, décédé il y a seulement trois ans, le réalisateur George A. Romero est célèbre pour avoir construit un genre à part entière qui lui survivra largement, et son acte fondateur fut The Night of the Living Dead réalisé en 1968 avec trois francs et six sous. Dans ce film subversif s’il en est, on aura toutes les bases que l’on retrouve dans Zombicide : les créatures à craindre sont désormais des hommes et des femmes (et des enfants…) étrangement proches, mais violemment décharnés, vidés de toute substances, certes lents mais dangereusement nombreux. Dès le premier Zombicide, les fatties et les runners représentaient cette incarnation horrifique de nos voisins de palier devenus infréquentables.
Zombicide: The Night of the Living Dead enfonce ce clou jusqu’au bout en ajoutant un nouveau type de zombies : les “Proches”. Un petit addenda narratif et mécanique apportant une nouvelle dimension, presque sentimentale, à ces monstres autrefois membres de notre famille. Quand un zombie de type “Proche” apparaît sur le plateau, tous les héros perdent leurs moyens. Un dispositif qui permet de ne jamais assurer la traditionnelle montée en puissance exponentielle des joueurs et de les garder sur la brèche, au moins au début.
Hommage, donc. À telle enseigne que dès l’ouverture du livret de règles, on nous questionne : à vous de revivre l’histoire de film et d’observer, si avec un peu plus de bienveillance et de confiance (n’est-ce pas Harry ?), votre équipe aurait fait mieux que celle des héros du film. Un point de départ un peu bravache mais challengeant, qui intrigue par la promesse narrative qu’elle peut contenir. “La coopération reste votre arme la plus efficace” nous dit-on. Vous allez donc endosser le rôle d’un personnage du film, revivre les scènes clefs, ou plus sûrement, les aborder de façon différente, et de mission en mission, vous progresserez dans l’histoire, avec des scénarios qui se suivent dans un vrai fonctionnement de campagne en 10 scènes.
Huis clos et champ de maïs
Dans les différentes itérations de Zombicide et précédentes explorations menées par CMON, on a pu observer que l’ajout de nouvelles actions allaient souvent de pair avec un peu plus de flamboyance mais au détriment de la maîtrise. Ici, si on revient à un game design sobre et maîtrisé, on peut constater un vrai travail de développement sur les scénarios et l’apport de quelques nouvelles idées plutôt bien senties (un certain Eric M. Lang était à la direction de la conception). Déjà, par l’ambition narrative, à vouloir retraduire le film d’aussi fidèle manière, mais aussi dans les finalités que l’on donne aux joueurs. Souvent, dans Zombicide, il s’agit d’aller chercher des jetons Objectif sur le plateau. Dans cette Nuit des Morts vivants, il faudra tenir la maison depuis l’intérieur façon tower defense, ou partir en exploration en découvrant les tuiles une à une. Des contextes renouvelés et bienvenus, même si on reste en terrain connu. Quoi que, en parlant terrain, deux nouveaux types de zones apparaissent : les champs de maïs où il n’y a aucune ligne de vue, et les bois où vous êtes bien cachés. De quoi habilement remanier les situations tactiques, une fois que les bases seront maîtrisées dans les premiers scénarios qui restent dans le huis clos de la maison.
On peut également observer le retour du “zombivant” un peu repensé. Désormais, la coopération est votre arme la plus efficace, vous vous souvenez ? C’était à prendre au pied de la lettre. Vos héros débutent en mode “Romero”, c’est-à-dire comme dans le film, un peu nazes, pas tellement bâtis pour ce genre de situation catastrophe, et peu armés (avec des objets du quotidien, sauce system D, genre pieds de table). Cela dit, une vraie Winchester 94 traine quelque part dans la maison, bien visible de tous. Si quelqu’un l’a prend, et beh, il est juste vachement plus armé que ses potes. Mais ! Mais… S’il accepte de la refiler à un autre joueur, alors il retourne sa fiche de perso et entre en mode “Zombicide”. Là, on rigole plus. Son expérience lui donnera accès à beaucoup plus de capacités intéressantes… sans parler des armes (on accède aux objets du quotidien en mode normal, mais à des joujoux nettement plus explosifs en mode Zombicide) ! Bien sûr, bon bah là tout de suite, il n’a plus la carabine et doit se battre avec son démonte pneu. Mais l’idée derrière tout ça, c’est que la confiance du groupe doit se bâtir et vous donnera des ailes. Ainsi, tous les premiers scénarios suivent ce rouage, mais à partir du scénario 5, la confiance sera suffisamment solide pour que chaque joueur débute directement en mode Zombicide. C’est un peu la seule façon de voir évoluer votre groupe d’ailleurs, en dehors de ça les héros ne conservent pas l’XP des scénarios joués. Un choix qui pourra décevoir, mais force est de reconnaître que cela simplifie toujours les choses et permet de jouer les missions en One shot.
Attention, ce n’est pas parce que vous êtes en mode Zombicide qu’il vous faut croire invulnérable : si un mort vivant aux traits d’un Proche débarque (mais Karen, t’es pas encore au lit à cette heure ?), tout le monde rechute en mode “normal” tant que l’élément perturbateur n’aura pas été éliminé. Et oui, ça plombe un peu de devoir tuer quelqu’un qu’on aime, même s’il affiche une petite mine. Cela peut sembler un peu mécanique, voire bipolaire comme dispositif (nous sommes des grands tueurs de zombies ! Oh non un Proche, on pose tous nos armes ! Hey, c’est bon, on est de nouveau des grands tueurs de zombies !) mais ce gimmick a tout de même le mérite d’amener une petite rupture de rythme pas inintéressante, qui montre que nos héros ne sont que de faibles humains… pour le moment.
Transposition & simplification
Je le mentionnais, certains scénarios demandent de tenir les murs contre les hordes extérieures. On observe donc l’apparition d’un autre type de zomb : le Casseur (porteur d’une brique, l’un des premiers zombies que l’on peut voir dans le film), qui lui seul sera à même de briser vos barricades et vos portes fermées. L’ajout fait sens, et s’intègre très facilement au reste du panel, à savoir le Balèze (toujours 2 points de vie, et nécessitera 2 dégâts), et les zombies de base, aka les Rodeurs (1 point de vie) sans oublier les Proches susmentionnés. Pas de grosse figurine tape à l’œil, pas de runners… on s’adapte au propos. Mais nos figurines de héros sont joliment tirées des personnages du film, et c’est là une des forces immersives de cet opus, avec les illustrations des tuiles. Dans cet article on peut voir comment les auteurs du jeu ont regardé le film et maquetté les lieux avant de concevoir les décors dans lesquels on est plongés en tant que joueur. Du travail bluffant de transposition !
L’idée de cette boîte était sans doute d’être le Zombicide le plus grand public, sans perdre en challenge pour autant (à ce sujet, notez qu’il est toujours possible de corser ou d’abaisser le challenge d’un Zombicide en organisant les decks de zombies). La mise en route est fluidifiée, on a dégraissé tout ce qui alourdissait les manipulations et l’installation. Par exemple, exit les jetons Bruit qui apportaient un petit plus tactique situationnelle au dépend d’un surplus de manutention. Et comme c’était déjà le cas précédemment, quelque soit la configuration on jouera toujours les 6 héros, ce qui facilite grandement l’équilibrage des scénarios.
Chaque perso a toujours ses trois points d’action et là encore, c’est très simple : déplacement, combat aux dés, fouille, organiser son inventaire, et le reste dépendra du scénario en cours (poser une barricade, conduire la voiture…). Puis, une fois que tous les héros ont joué leurs trois actions, c’est au tour des morts de marcher selon une logique toute arithmétique. Enfin, on fait apparaître de nouvelles menaces en piochant les cartes Invasion, ce qui permet de voir venir pour le prochain tour. Pour les revêches au hasard, détournez le regard, l’issue des combats se tranche toujours sur l’arête des dés, et malgré tous vos efforts (belles armes rutilantes et chargeurs pleins) vous pourrez parfois vous casser le nez sur de mauvaises passes. Un héros meurt ? Vous avez tous perdu. On ne vous avait pas dit que la coopération était votre meilleure arme ?
Immortels zombies
Pas facile de faire simple ! Cette dernière occurrence démontre qu’en huit années de périples, Zombicide trouve finalement sa parfaite porte d’entrée avec une version réduite mais évoluée d’un concept devenu familier, non sans quelques idées un peu mécaniques, mais dans un game design accessible et sous la forme originale d’une déclaration d’amour au film de Roméro, l’immortel, sans qui Zombicide n’existerait pas.
Le film donnait envie de jouer, maintenant le jeu donne envie de voir le film. La boucle est bouclée. Et votre ceinture est-elle attachée ? Attention je crois que c’est Harry au volant…
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