Virtual Revolution : dernier avatar

Tout commence avec le film 2047 : Virtual Revolution, une dystopie policière relatant des luttes de pouvoir au sein d’un Néo-Paris où réalité et mondes virtuels se confondent. Guy-Roger Duvert en a signé le scénario, la réalisation, la musique et la production, il a également conçu la BD puis le roman qui en sont tirés. Aujourd’hui, il enfonce le clou, en se lançant le défi d’adapter son film en jeu de plateau. On ne s’étonnera pas que le dernier coup de marteau sur ce clou prenne un jour la forme d’un jeu vidéo, mais pour l’heure, enfilons notre casque de réalité virtuelle et attelons-nous à voir ce que ce jeu « expert light » a dans le ventre.

On ne manque pas de dystopies en 2023. Dans la littérature, le cinéma, les séries, et bien sûr les jeux vidéo, ainsi qu’une part non négligeable de nos jeux de société, le genre semble de plus en plus présent dans l’art, comme une façon de conjurer un futur au caractère anxiogène croissant. Virtual Revolution s’inscrit dans cette lignée, celle des romans d’Alain Damasio ou de la série Years and years, pour citer deux références que j’apprécie particulièrement. La vie des Parisiens est régie par des Serveurs informatiques qui génèrent en permanence des univers virtuels, appelés des Verses, drogues modernes dans lesquelles les citoyens trouvent refuge pour avoir l’illusion de s’affranchir d’une réalité trop pesante. On ne saurait contredire une telle prophétie qui, en 2023, semble déjà très largement réalisée, mais ceci est un autre sujet… Guy-Roger Duvert s’est attaché les services de Cyril Villalonga en tant que co-auteur du jeu, de Benjamin Sjöberg, déjà impliqué dans la BD éponyme qui signe les illustrations, et de Studio H pour l’édition.

N’ayant ni vu le film, ni lu la BD et le livre, j’ignore si l’adaptation ludique leur est fidèle. Si la sobriété du plateau ne laisse pas deviner à première vue le contexte dystopique, les illustrations des cartes, sombres et inquiétantes, rendent assez bien cette ambiance de futur peu désirable, mais pas si éloigné de nous.

La mécanique mêle une part importante de contrôle de territoires et une petite dose de construction de moteur et de chasse aux objectifs. Vous disposez au début de chacune des cinq manches de trois Directeurs, et vous devrez choisir à quel endroit de la map néo-parisienne (partagée en 7 Districts, eux-mêmes composés de 3 ou 4 Arrondissements) vous allez placer chacun d’entre eux : c’est la première étape de votre tour. Ces Directeurs vont vous permettre soit de nettoyer l’influence d’un autre joueur en retirant un jeton adverse, soit d’imposer la vôtre, en posant ou déplaçant un de vos jetons : c’est la deuxième étape, et elle vous vaudra souvent l’obligation de piocher une vicieuse carte Corruption, nous y reviendrons.

Un Néo-Paris austère et des personnages plus flamboyants

 

« Un vol ? Je préfère appeler ça une transaction unilatérale. »

Si le contrôle d’un Arrondissement peut se révéler important pour pouvoir y faire la pluie et le beau temps, celui d’un District l’est encore bien davantage car il vous rapportera des cartes Titre au double effet Kiss Cool : un pouvoir activable à chaque manche, et 10 points en fin de partie, qui peuvent s’avérer non négligeables. Seulement, vous n’êtes évidemment pas seul à les convoiter : si vous venez à perdre le contrôle d’un Arrondissement dans un District, rien ne se passe, mais au deuxième Arrondissement perdu, c’est votre carte Titre qui s’envole sous vos yeux consternés, et ses pouvoirs avec elle.

Pour la troisième étape de votre tour, vous allez choisir une des cinq actions possibles : travailler pour rapporter des Euro-crédits, recruter un Agent disponible pour s’attacher ses services, construire un Serveur dans un Arrondissement que vous contrôlez, créer un Verse en remplissant des conditions d’activation, ou faire un Don grâce auquel Interpol fermera peut-être les yeux sur vos manigances, bref ce n’est ni plus ni moins qu’un pot-de-vin. La construction de Serveurs ou la création de Verses vous coûteront assez cher en Euro-crédits si vous n’optimisez pas votre action, et elles vous octroieront également une carte Corruption. Même dans les mondes virtuels, l’argent est bien réel et rien n’est donné !

Néo-Paris Sud, district Denfert-Rochereau, ses Serveurs, ses Directeurs, ses Agents à recruter.

 

Incontournable pour la course aux Titres et la pose de Serveurs, la maîtrise des Arrondissements entre aussi en compte quand il s’agit de recruter un Agent, et cela doit se faire tôt dans la partie pour ne pas laisser échapper quelque action ou quelque argent. Vous ne pouvez en effet embaucher un sbire que si vous posez votre Directeur dans l’Arrondissement où il se trouve, ou dans un Arrondissement adjacent, ce qui risque de vous obliger à faire quelques compromis sur les jetons d’influence que vous voudrez répandre sur votre passage. Les Agents restants disparaissent à la fin de la manche et d’autres apparaissent mais jamais dans le même Arrondissement.

Pour plus de détails sur les règles, ça se passe par là, en vidéo.

« Je suis là pour discuter. Mes hommes sont là pour appuyer mes arguments. »

Puisque l’on parle des Agents, il s’agit de personnages du film que l’on retrouve sur les cartes du jeu et que l’on va pouvoir recruter. Chaque Agent apportera sa capacité que l’on pourra activer une fois par manche (rapporter des euro-crédits, poser de l’influence, retirer de l’influence adverse,…). Il sera également possible de vous en débarrasser, ce qui peut présenter deux avantages : vous libérez un emplacement pour placer un gaillard plus costaud, et bénéficier d’un effet de défausse. Vous pouvez mettre d’office un Agent en Retraite (souvent bien avant l’âge de 64 ans…), il vous offrira un bonus immédiat, comme vous débarrasser d’une carte Corruption. Vous pouvez également, pour un Agent de niveau 1, dont la capacité est souvent un peu faiblarde, le transformer en Boost en plaçant sa carte sous l’emplacement d’une action qui s’en trouvera alors bonifiée quand vous l’effectuerez.

La transformation d’un Agent en Boost n’est pas d’une très grande cohérence thématique. D’une façon générale, le thème peut d’ailleurs sembler un peu décousu. Le but du jeu étant présenté par « Prenez le contrôle de Néo-Paris et du marché des Verses », on s’étonne de ne trouver qu’un lien mécanique assez ténu entre l’implantation des Serveurs et la création desdits Verses (par certaines conditions de pose) ; leur lien thématique évident aurait pu permettre de les imbriquer davantage.

« Mon offre n’est ni négociable, ni refusable. »

Une fois que tous les Directeurs ont été placés, c’est la fin de la manche, et c’est souvent là que les ennuis commencent si vous n’avez pas assuré vos arrières. Deux calamités vont en effet vous tomber dessus. D’abord, les cartes Corruption, que vous avez eu l’imprudence d’accumuler vont se rappeler à votre bon souvenir, car vous aurez attiré l’attention des petits importuns d’Interpol (sauf si vous en avez moins de cinq). Vous devrez révéler ces cartes et chacune vous vaudra la perte d’un Agent, ou d’un jeton d’influence, ou d’Euro-crédits, ou de revenus, etc. Vous aurez cependant la possibilité d’obtenir des jetons-boucliers qui vous vaudront l’Immunité (qui a dit qu’Interpol était incorruptible ?). Vous pensiez en avoir fini avec les ennuis, mais non : vous allez maintenant subir l’attaque de pirates informatiques, les Nécromanciens, et ils seront d’autant plus agressifs que vos revenus seront élevés. À la fin de chaque manche, vous révélerez une carte Nécro qui touchera tout le monde (préparez-vous à subir d’autres pertes !), et on y ajoutera un petit bonus si vos revenus sont les plus faibles ou un gros malus s’ils sont les plus élevés. Là aussi, vous pouvez faire jouer l’Immunité en défaussant des jetons-boucliers, mais ce n’est pas toujours simple d’en réunir assez.

Agents dessus, boosts dessous.

 

À l’issue de la partie, on débouche sur une petite salade de points (objectifs de fin de partie, points conditionnels sur les cartes Verse, zones contrôlées avec bonifications éventuelles, suites de points pour les Serveurs posés et les Agents recrutés,…), somme toute classique mais pas trop indigeste. L’équilibrage semble respecté, mais le papillonnage ou les changements de stratégie à mi-parcours risquent de se révéler punitifs. Si le recrutement d’Agents est primordial au moins de temps en temps, stratégiquement il faudra de préférence y aller à fond sur un axe (beaucoup d’Agents, ou de Serveurs ou de Verses) de façon à optimiser ses points de victoire plutôt que de chercher un compromis. De toute façon, deux cartes Objectif distribuées en début de partie (vous en sélectionnerez une seule à la fin) vous orienteront à coup sûr sur une stratégie. Elles sont incontournables car elles peuvent vous rapporter jusqu’à 30 points : cela laissera donc peu de place à la surprise et à l’improvisation : vous allez dérouler votre jeu dans cette direction et vous essayerez coûte que coûte de vous y tenir.

Les Verses ne porteraient-ils pas en eux certaines références ludiques ?

 

Les règles de Virtual Revolution sont claires, les effets des cartes sont tous détaillés, et le jeu est assez peu complexe, mais on a l’impression qu’il ne décolle jamais vraiment. À aucun moment notre instinct primitif de joueur n’est flatté par une montée en puissance promettant une apothéose : la partie traîne en longueur et finit plutôt à plat. J’ai trouvé plutôt poussif le moteur d’actions que l’on crée avec les Agents recyclés et les Boosts, et selon les choix stratégiques ou les circonstances de jeu, il peut arriver que ce moteur ne démarre pas. Si l’aspect contrôle de territoire peut prendre des tournures plaisantes, il sera bien entendu plus intense à 3 et surtout à 4 joueurs. Là où le bât blesse, c’est que la répartition en début de partie est aléatoire et que certains joueurs peuvent prendre un avantage de placement décisif dès le départ. Heureusement, les fins de manche constituent un des aspects les plus amusants du jeu : la résolution des cartes Corruption et Nécro donne souvent lieu à une poussée d’adrénaline (qu’est-ce qui va encore me tomber sur le coin de la pomme ?), et on se plaît à chambrer le joueur imprudent qui n’a pas su s’en prémunir et perd l’essentiel de ses actifs.

Visuellement inégal, le jeu est immersif par certains aspects, beaucoup plus froid par d’autres. J’ai trouvé le design du plateau central assez quelconque : puisqu’il n’y a quasiment aucune information à y lire, hormis le nom des Arrondissements, sa sobriété ne sert pas la lisibilité du jeu. J’aurais apprécié que l’illustrateur l’investisse avec le même talent que les cartes Agent, aux personnages inquiétants et expressifs, et les cartes Verse, dont les scènes bariolées sont joliment travaillées. Quant aux plateaux joueurs, je les trouve inutilement surproduits, avec leurs trous pour placer les jetons, et pas particulièrement ergonomiques pour y glisser les cartes Boost. L’iconographie sur ces plateaux et sur les cartes est assez austère et un peu trop petite, mais elle a le mérite d’être claire après quelques tours de jeu.

Virtual Revolution laisse donc un certain goût d’inachevé ; on peut se plaire à détailler les cartes qui apparaissent au fur et à mesure, on peut prendre du plaisir à jouer au chat et à la souris avec Interpol ou les Nécromanciens, ou à essayer de s’incruster aux bons endroits du plateau pour faire les actions escomptées, on peut se laisser happer par l’univers, mais c’est un peu pour tromper l’ennui ludique qui s’empare parfois de nous.

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