Tindaya : Paradis perdu

Sur le papier, Tindaya de l’espagnol Lolo Gonzalez (dont c’est le premier jeu) a tout pour m’intéresser : que ça soit l’approche de la colonisation proche de l’excellent Spirit Island, mais aussi de par sa mécanique qui mixe de la gestion de ressources, de la pose d’ouvriers, et une sorte d’arbre de technologies. Chacune de nos tribus peut coopérer mais on peut aussi choisir de laisser flotter dans l’air un peu de compétition pour celles et ceux qui n’aiment pas la coopération puisque deux modes de jeu existent. Tindaya est issu d’un Kickstarter de l’éditeur Red Mojo, et il est arrivé en français via Funforge.

Nous partons en direction d’un paradis naturel, véritable havre de paix … enfin pas tout à fait : nos tribus doivent trouver de quoi subsister, mais aussi faire face à des menaces naturelles, tsunamis et autres éruptions volcaniques. Il nous faut aussi satisfaire Acoran et Moneiba, les deux divinités locales, sans quoi nos tribus risquent de subir leur violent courroux. Et comme si cela ne suffisait pas, des conquistadors colonisateurs viendront mettre leur grain de sel. Oui, finalement, pas si paradisiaque que ça 🙂

 

 

Auprès de mon arbre … (technologique)

On joue en plaçant des cubes sur notre plateau soit pour réaliser une action, soit pour apprendre de nouvelles connaissances et récupérer de nouveaux cubes actions. Cubes, mais aussi cylindres, ceux-ci permettent de doubler l’action, en revanche ils seront défaussés, contrairement aux cubes que l’on récupérera à la fin de la manche.

Tout le plaisir du jeu réside dans cet arbre : chaque tribu possède ses capacités, que l’on soit pêcheurs, fermiers, éleveurs de cochons ou de chèvres. Et chaque métier détient ses avantages si on développe ce savoir jusqu’au bout. Par exemple, notre pêcheur pourra utiliser le sel pour avoir du poisson séché, qui donnera plus de nourriture, mais aussi, se conservera beaucoup mieux.

Notre plateau technologie avec la carte tribu de départ

Avec nos chèvres nous pourrons produire du lait qui donnera du fromage, mais il sera aussi possible de les sacrifier pour avoir de la viande et des cornes qui serviront d’armes contre les conquistadors. Les cochons produisent du fumier utile pour faire du feu, mais également pour construire des murs contre certains événements climatiques (tornades entre autres).

 

La vie de nomade

On va ainsi récupérer de nouvelles ressources, découvrir de nouvelles technologies, se déplacer pour combattre les conquistadors, et sacrifier des ressources pour apaiser les dieux. On peut même sacrifier les conquistadors que l’on a capturés, ce qui peut avoir pour certains une saveur un peu amère. J’avoue sans honte qu’en tant que grand fan de Spirit Island, je n’ai aucune vergogne à envoyer ad patres ces colonisateurs qui détruisent nos chères ressources naturelles. On peut même sacrifier un de nos membres de tribu, mais ça, je n’ai jamais pu m’y résoudre ! et j’ai toujours eu des ressources ou des conquistadors sous la main 🙂

Dans Tindaya, on est régulièrement obligés de fuir notre atoll pour se rendre sur un autre parce qu’une catastrophe naturelle va dévaster le bout de terre où l’on réside. Mais petit à petit, il ne reste plus rien. Bref, on sent bien l’oppression de ce monde hostile.

 

le plateau nature avec la condition de victoire, le rappel des différentes phases, et les animaux présents dans la nature.

 

La nature est belle, mais dangereuse

Une fois la manche réalisée, on constate les dégâts : Une sécheresse a détruit nos champs, une tornade ravagé nos élevages de chèvres, les animaux sauvages anéanti toute vie animale sur une île … Le volcan (ou le tsunami) peut avoir de gros rayonnements également et détruire des îles entières – et évidemment au passage, calmer les invasions de conquistadors. Mais tout cela peut être prévisible si l’on a préalablement fait quelques dons aux deux voyantes de l’île. Pratique. D’ailleurs, sur la première manche, on sait tout ce qui va arriver et dans quel ordre, mais pour les suivantes, il faudra de nouveau faire des dons aux deux voyantes.

Connaître l’ordre des événements permet de planifier sereinement nos actions. Par exemple, si vous savez que le tsunami interviendra sur l’île 4 et que vous n’avez ni construction ni tribu là-bas, vous vous débrouillez peut-être tout simplement pour ne pas finir la manche sur cette île-là.
À l’inverse, ne pas connaître les événements vous place dans une situation très inconfortable (pour ne pas dire en danger mortel).

 

 

Dans le cas présent, le volcan s’est déchaîné sur l’île. La bonne nouvelle, c’est que l’on peut récupérer plein d’obsidiennes – un matériau bien utile pour fabriquer certains objets, notamment des armes, utiles contre les conquistadors. Thématique. 

Dans notre partie, le volcan est intervenu après l’arrivée des colons. Bilan, il les a cramés avec le reste de l’île. Bon, ça c’est la bonne nouvelle ; la moins bonne, c’est que l’événement a rassemblé les îles 6, 7 et 8. Plus besoin de bateau pour se déplacer, chic mais les conquistadors auront eux aussi la vie plus facile pour s’épanouir et s’étendre. Or, c’est une des nombreuses façons de perdre la partie ! Si au terme de celle-ci, une trop forte présence de conquistadors est constatée (dépendant du nombre de joueurs), c’est l’échec.

On perd aussi la partie si l’on n’a pas accompli la mission piochée en début de partie, et si un des dieux est trop en colère (il explose de rage et c’est terminé).
Comment les mettre en colère ? Déjà, en les dédaignant et en ne réalisant pas les offrandes. Par ailleurs, si jamais on venait à ne pas nourrir nos villageois, Moneiba monterait d’un cran dans sa fâcherie. Il faut donc optimiser pour avoir de la nourriture, mais pas trop car on en viendrait à du gaspillage, et Acoran  n’apprécie pas cela du tout (et hop sa colère monte d’un cran). À ce stade là, on se dit que ce ne sont pas vraiment des alliés, et que c’est peut-être eux qu’il faudrait combattre ! 

 

La séquence des événements

 

Contrainte sur contrainte

Au final, on se retrouve dans une sorte de gros puzzle : comment avec nos cubes et nos cylindres va-t-on pouvoir tout optimiser pour avoir de la nourriture, mais pas trop … À moins qu’on ne trouve le moyen de la conserver ? On est constamment dans un équilibre précaire.

Cela vous semble trop simple ? Apprenez que chaque action (à l’exception du déplacement) ne peut être réalisée qu’une fois par manche. Là encore il vous faut planifier méticuleusement sans quoi vous n’aurez pas assez de cela, ou trop de ceci.

Certes, on peut faire du troc avec les autres tribus, mais seulement avec nos anciens, car oui, petite précision importante : on a deux types de bonhommes à disposition, les villageois, qui sont là pour travailler dans les différentes fermes, et nos anciens (les « nobles » dans la règle, mais je préfère dire les anciens car je trouve que ça fait plus sens), qui sont les seuls à pouvoir naviguer ou faire du troc (nos villageois n’ont pas l’air d’avoir inventé l’eau chaude !).
Comme au début on ne sait pas tout faire, le troc est vital mais ce n’est pas gagné pour autant. Contrainte un peu pénible : il faut terminer sur un lieu avec un autre membre de tribu. Etre déjà présent ne suffit pas (un élément que j’ai bien envie de “house ruler”, d’abord pour que ça soit plus logique thématiquement, mais aussi parce que je trouve dommage de devoir faire un déplacement juste pour troquer).

 

 

Une fois rendu sur une case avec un jeton ressource, on peut prendre ledit jeton et le placer sur notre plateau. Youpi ! de l’argile, de la pierre, du bois, etc. Mais il y a une règle qu’il ne faut pas oublier (que l’on avait totalement zappée sur notre première partie !) : si on place ces jetons sur notre plateau, c’est parce qu’on n’a pas le droit d’en avoir plus d’un certain nombre (dépendant du nombre de joueurs et du niveau de difficulté de la partie). On ne peut pas épuiser une île, et thématiquement ça se tient très bien, mais pourquoi être limité dans nos possessions ? À part ajouter une contrainte supplémentaire qui alourdit le jeu ?

 

La table des lois de Tindaya

Sur votre première partie, vous allez régulièrement vous retrouver avec le livret de règles sur les genoux. On ne peut pas dire qu’elles soient mal faites, mais les 25 pages pourraient être plus disons avenantes. On cherche à tâtons régulièrement, certes il y a une aide de jeu, mais hum là encore on aurait pu faire un peu plus accueillant ! Voyez plutôt :

 

 

Je le disais, il existe une version compétitive, qui va se jouer comme la version coopérative, mais où nos tribus vont œuvrer pour le bien commun, mais aussi un peu pour eux-mêmes puisqu’on a des objectifs personnels à accomplir (le genre de choses qui peut amener un joueur à torpiller la partie parce qu’il sait qu’il perd).
L’aléatoire dans Tindaya est un ami, du moins en coopératif : vous vous rendez sur une zone de terre, vous avez trois obsidiennes, un autre joueur fait de même, il en obtient deux, ce n’est pas grave, on peut troquer. Mais en compétitif ? Voilà qui devient moins acceptable. Même chose pour les colères des dieux : en coopérant, on essaie ensemble de les apaiser, mais si je ne suis pas présent sur l’île où la colère divine va se déchaîner, pourquoi aurais-je envie de participer à son apaisement ?

 

Mise en route 

Je n’ai pas évoqué la mise en place, pourtant sachez que celle-ci est assez longue ; il faut placer les 8 grandes tuiles, puis les tuiles forêt, plage, montagne, etc. Enfin, un jeton ressource face cachée par tuile. Tout cela avant de se jeter dans la partie. Tindaya a une belle présence sur la table avec ses ressources, cochons et chèvres, nos meeples, les standees des dieux, les présentoirs qui soutiennent les cartes, etc. On peut aussi louer la belle direction artistique signée Javier González Cava (chaque carte est joliment travaillée). Ils nous proposent aussi plusieurs tribus avec un démarrage différent, un plus sympathique. On sent vraiment qu’ils ont voulu apporter le plus de soin possible à leu jeu et c’est très agréable. Il existe d’ailleurs des figurines pour les dieux et les bateaux en addon.

 

La montagne en travail enfante une souris

Clairement, l’auteur a travaillé son jeu sur l’axe thématique, on peut même dire qu’il a fait assez peu de concessions et au final c’est dommage, car Tindaya est intéressant sur le papier, mais beaucoup trop laborieux en réalité. On passe beaucoup de temps à optimiser, planifier, jeter un œil sur les règles, avec beaucoup de phases d’administration qu’il faut réaliser de manière séquentielle. On aurait vraiment envie de faire nos petites règles maison pour qu’il ne soit pas si corseté, que l’on gagne plus de liberté. 

Tindaya me promettait un jeu “expert” et il l’est (on se casse la tête à trouver des solutions), mais à l’opposé d’un Spirit Island, on ressent assez peu de satisfaction au bout du compte. Quel dommage, car il avait tout pour nous plaire ! On adore ce déchainement des éléments, le fait que le plateau évolue au fur et à mesure de la partie … mais c’est beaucoup trop long, trop fastidieux, trop procédural, et finalement trop peu amusant en l’état.

 

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1 Commentaire

  1. Meeple_Cam 24/02/2023
    Répondre

    Analyse partagé. J’avais des étoiles dans les yeux avant de l’essayer, qui se sont éteintes tant tout est fastidieux.

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