Tiletum : l’art du commerce stratégique
Simone Luciani et Daniele Tascini, qui avaient déjà collaboré pour réaliser l’illustre Tzolk’in, Les Voyages de Marco Polo et Marco Polo II, reviennent en force pour ajouter un nouveau jeu à la « série T » : Tiletum. Dans Tiletum – dont je vous avais déjà parlé à mon retour d’Essen – un à quatre joueurs incarnent chacun un marchand et un architecte de la Renaissance qui essayent d’étendre leur influence par le commerce et la construction de cathédrales.
Depuis Tiletum, l’actuelle ville de Thielt en Belgique, vous voyagez à travers l’Europe en essayant de faire fortune. Pour y arriver, il faudra optimiser la gestion de vos ressources et des dés que vous choisissez pour réaliser le plus grand nombre de points de victoire à la fin de la partie.
Pendant que vous chargez les marchandises dans votre charrette, je vous suggère de regarder le Ludochrono, pour éviter de voyager à l’aveugle 😉
Déterminer le bon itinéraire
Chaque joueur dispose d’un architecte et d’un marchand qu’il pourra déplacer à travers les routes d’Europe en dépensant des points d’action. À son tour, chaque joueur choisit un dé sur la roue du plateau central : de façon ingénieuse, la valeur du dé indique à la fois le type d’action à réaliser, les points d’action que nous pouvons dépenser, et le nombre de ressources à récupérer. La couleur du dé détermine le type de ressource que nous gagnons.
Parmi les possibilités offertes par le jeu, nous pourrons notamment construire des bâtiments (maisons, piliers, cathédrales…), récupérer des bonus et des contrats, recruter des nobles pour les installer dans des habitations, ou avancer sur la piste de la Faveur du roi. Nous pourrons dépenser nos points d’action trois fois par manche, et la partie prendra fin après la quatrième manche.
La fin de chaque manche est ponctuée par un décompte qui a lieu chaque fois dans une ville différente. Pour prendre part à cette foire, il faudra soit avoir construit une maison, soit que votre marchand soit présent dans la ville concernée. Cela a pour effet d’orienter la stratégie des joueurs, surtout lorsque les foires rapportent gros : certains joueurs essayeront de déplacer leur marchand rapidement pour occuper les emplacements disponibles en construisant des maisons, dont les emplacements sont limités. Ainsi, ils seront certains de participer à ces foires. D’autres préféreront déplacer leur marchand manche après manche, pour se concentrer sur les objectifs évalués durant des foires bien précises, dès le début de la partie.
Choisir parmi les possibles
Entre les contrats, la construction des cathédrales, les – trop nombreuses ? – tuiles, la construction de maisons ou encore la piste de la faveur du Roi, on ne peut pas dire que Tiletum soit un jeu dans lequel les actions sont limitées ou contraintes. La plupart du temps, les possibilités offertes restent ouvertes, la seule limitation résidant dans le hasard du jet de dés, et dans l’ordre du tour qui offre plus de choix au premier joueur.
Ce qui est en revanche limité – et vous obligera à réfléchir dès le début à votre stratégie en vous confrontant à des dilemmes – ce sont le nombre d’actions que vous pourrez effectuer à chaque manche. Avec seulement trois actions par manche – douze en tout au cours d’une partie -, on doit réfléchir à la fois aux actions nécessaires à la réalisation de notre stratégie, aux ressources dont on a besoin, et aux points attribués par les dés qui rendront votre action plus ou moins efficace.
Parmi ces possibles, il y a quelques constantes : en plus de débloquer des colonnes (action de l’architecte) permettant de participer à la construction des cathédrales, les contrats rapportent parfois un nombre considérable de points. Les points supplémentaires gagnés chaque fois qu’on remplit un contrat sont d’ailleurs directement proportionnels au nombre de contrats remplis.
Il en va de même pour les habitations sur votre plateau : celles-ci rapportent moins de points, mais les compléter permet de débloquer de nouvelles maisons à placer sur le plateau. On évitera enfin de négliger les foires, car on pourrait prendre du retard dans le score qui peut s’avérer difficile à rattraper. Quant à savoir si un joueur essaye de satisfaire les objectifs de chacune d’elle de la même façon, ou s’il préfère se concentrer sur certaines foires pour gagner beaucoup plus de points, cela dépendra de la stratégie de chacun, et des tuiles Foire piochées lors de la mise en place.
Faire fortune avec des dés
Indépendamment des orientations stratégiques nécessaires à éviter de prendre du retard sur le score, chaque partie de Tiletum offre un nombre considérable de tuiles bonus et de choix stratégiques, tout en ne dépassant pas l’heure et demie (à deux ou trois joueurs) ou les deux heures (à quatre joueurs). C’est d’ailleurs l’un de ses points forts.
Une fois que j’ai réalisé que quelques actions étaient incontournables (participer aux foires, remplir quelques contrats, compléter des habitations…), chaque partie est devenue pour moi l’occasion de concentrer mes efforts sur certains éléments précis du jeu (les blasons, la piste du Roi, les cathédrales…) pour explorer de nouvelles possibilités.
Il est vrai que, en fonction du lancer de dés, des tuiles bonus en jeu et des objectifs des foires, toutes les stratégies ne vous rapporteront pas le même nombre de points. À mon avis, en jouant à Tiletum, il est inutile d’essayer de trouver la stratégie qui fonctionnera à chaque partie. Au lieu de s’entêter à suivre une seule et même stratégie définie à l’avance, il vaut mieux au contraire l’adapter à la partie et à la manche en cours, afin de tirer le meilleur parti des opportunités offertes par le jeu.
Mais Tiletum ne récompensera pas pour autant les joueurs qui papillonnent : si vous ne vous concentrez pas sur des éléments précis du jeu durant la partie, vous risquez en effet de gagner trop peu de points pour faire le poids contre vos adversaires. S’il ne faut pas hésiter à saisir les occasions qui se présentent manche après manche (ressources, points d’action, bonus des tuiles…), il faudra aussi veiller à rester cohérent et constant, car les récompenses augmentent le plus souvent de façon exponentielle à mesure que vous mettez en œuvre votre stratégie.
Complexité accessible
À la découverte du matériel pléthorique de Tiletum, on peut redouter des règles compliquées qui partiraient dans tous les sens. Il n’en est rien, car le jeu et les différentes actions sont cohérentes et peuvent être expliquées assez rapidement. Par son niveau de difficulté, il est destiné à un public de joueurs initiés-experts, dans la mesure où, pour prendre plaisir à une partie de Tiletum, il faudra probablement aimer et être familier de la réflexion stratégique et de l’optimisation.
En revanche Tiletum présente, au moins en apparence, moins de contraintes que certains gros jeux de gestion. Contrairement à Marco Polo II, par exemple, où le placement des dés peut être bloquant et les déplacements de la caravane peuvent coûter très cher, Tiletum offre une expérience de jeu plus ouverte en inversant la mécanique de gestion des dés (pour réaliser les actions, on les récupère au lieu de les placer).
C’est donc aux joueurs qu’il revient de choisir quelques unes parmi les possibilités offertes par le jeu et le nombre limité d’actions vous rappellera sans cesse que vous êtes en train de renoncer à tant d’autres options. C’est pour cela que vous aurez envie de revenir à ce jeu pour en essayer des nouvelles. Les foires et les critères des décomptes changent à chaque partie, ce qui fera varier vos parties et augmente la rejouabilité de Tiletum.
Le matériel est ergonomique et les couleurs pastel – que j’ai trouvées reposantes – améliorent la lisibilité. J’ai relevé tout de même quelques défauts qui peuvent être gênants, sans être rédhibitoires : les couleurs de certains dés (fer, pierre et laine) sont trop proches et on a tendance à les confondre ; deuxièmement, du fait du grand nombre de tuiles carrées, la mise en place prend du temps ; enfin, il manque – et, de façon criante, à mon sens – une aide de jeu qui récapitule les différentes actions. Ainsi, on aura besoin de revenir au livret de règles de temps à autre, et cela peut devenir pénible.
Pour éviter un temps de latence trop important, je déconseillerais les parties à quatre joueurs. Tiletum est en revanche très agréable – et tendu – à deux joueurs et les parties durent raisonnablement à trois joueurs. Il n’y a pas d’interactions « positives » à proprement parler, mais le choix de dés et la récupération de tuiles bonus ajoutent suffisamment de tension au jeu pour que les joueurs suivent la partie même en dehors de leur tour, au lieu de se distraire.
Pour la fluidité de l’expérience de jeu, la profondeur stratégique et la durée tout à fait raisonnable des parties, je joue à Tiletum régulièrement et je ne m’en lasse pas. Bien que Tiletum offre une expérience de jeu tendue – en ce sens, c’est proche du niveau expert – il ne faudra pas s’attendre à des parties radicalement différentes les unes des autres. Je n’ai pas eu l’occasion, en revanche, d’essayer le mode solo élaboré par David Turczi.
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