Tidal Blades 2 – Rise of the Unfolders – Plage-crawling
Tidal Blades, c’est d’abord un premier jeu de gestion mais avec des dés, Heroes of the Reef (image ci-dessous), où l’on développait son héros et on l’envoyait casser du monstre pour récupérer de la gloire. C’était très bien, très beau et très gros. On en parlait d’ailleurs dans l’un de nos tout premiers DLV. C’est aussi un jeu qui portait un univers bien à lui, léger, insouciant ou presque, rendu vivant par les illustrations du duo Mr. Cuddington (Lina Cossette, David Forest). On leur doit les illustrations de Radlands, Santorini, Survive the Island ou encore… Brass.
Tidal Blades: Heroes of the Reef (2020) et Rise of the Unfolders (2024), dont nous allons vous parler à quatre mains (Fouilloux et Umberling) aujourd’hui, sont aussi passés par leur pinceaux. Aux commandes et au game design on retrouve toujours les deux Eisner, Tim et Ben, à qui l’on doit Wonderland’s War, Leaf, Grimm Forest ou encore Canopy.
Tidal Blades: Rise of the Unfolders (TB:RotU) est un dungeon-crawler en campagne avec des personnages qui progressent, de la sélection d’action via des cartes et des dilemmes cornéliens. Damn it, un Gloomhaven à la plage. Et ne voyez pas ce succédané comme réducteur : bien au contraire.
Welcome to Naviri
Lorsque vous entamez une campagne, vous commencez par choisir votre personnage. Vous venez de passer l’épreuve vous donnant le nom de Tidal Blade : vous vous êtes bien entraînés, vous avez les compétences pour défendre la belle cité insulaire de Naviri. La défendre contre quoi, au juste ? Eh bien contre des monstres issus du Repli (the Fold), un vortex magique créé par d’anciens Tidal Blades. Sauf que le farniente s’arrête là. Vous dépliez alors deux livrets pour constituer la carte du scénario, vous placez quelques monstres dessus et hop, ça y est, vous êtes prêts à commencer.
Limpide comme l’océan
Comme Gloomhaven, Oathsworn et tant d’autres avant lui, Rise of the Unfolders fait le choix de vous faire sélectionner vos actions via un système de cartes. Dans ce titre, foin d’une main fixe qui descend au fur et à mesure de l’épuisement du groupe : une fois la mission lancée, vous piochez 4 cartes d’une pioche personnelle et, à chaque tour, vous en jouez une puis en repiochez une. Vous placez la carte choisie dans votre Nexus, un tableau de 3 par 3 avec des effets imprimés, et vous activez la ligne ou la colonne de votre carte dans l’ordre de votre choix… mais pas avant d’avoir mis à jour l’initiative de votre personnage, en fonction de la carte jouée.
U : Il y a beaucoup de choix ! Au tout début, je me disais que ça allait faire de petites actions, des tours peu satisfaisants. J’ai été largement détrompé : les cartes restant jusqu’à ce qu’on complète et active une ligne de trois, il y a de la marge. Il y a aussi les bonus imprimés sur le plateau qui, s’ils sont moins forts que les cartes, sont loin d’être anecdotiques. Gagner de la concentration ou de l’énergie peuvent être utiles, très largement. Je crois qu’en revanche, l’initiative me paraît toujours un peu pénible à faire : son élégance est un cran en-dessous du reste. Chaque personnage ayant son deck à lui, on ne joue pas du tout pareil et on voit les autres accomplir des actions inaccessibles pour nous (et classes). Cependant, épure de règles oblige, Tidal Blades s’avère un peu moins cinématographique qu’un Gloomhaven ou un Oathsworn, sacrifiant l’esbroufe sur l’autel de l’accessibilité.
F : Clairement, TB:RotU va être abondamment comparé à Gloomhaven, parce que les points communs sont nombreux. A priori il est plus accessible que lui, parce qu’en effet les effets de cartes sont plus simples : déplacement, attaque, concentration… Sauf que… pas tant que ça, en fait. Dans Gloomhaven, une fois les cartes choisies, on a certes une marche choix qui s’avère au final limitée. Dans TB:RotU, une fois la carte choisie, vous avez encore beaucoup de choix à faire. Tour 1, vous avez 8 possibilités de placement, chacune avec le choix d’activer une ligne ou une colonne, soit 16 possibilités ! Déjà c’est très agréable, car on peut ainsi plus facilement réagir à ce que font les ennemis et nos partenaires, ce qui est déjà appréciable. Mais surtout, on va vite se casser le cerveau pour savoir comment activer nos cartes et comment les faire combotter. Pour ce tour-ci, mais aussi pour les suivants ! Eh oui, aligner 3 cartes d’attaque ne sert à rien si on a pas prévu de se déplacer pour pouvoir porter les coups. Surtout que lorsqu’on active une ligne ou une colonne complètement remplie de cartes, il faudra les défausser ! Adieu donc notre carte super forte qu’on a pris plaisir à utiliser, ou notre “pouvoir” effet permanent qu’on a choisi en début de partie. Et puis, on va petit à petit enrichir notre deck de cartes, et on va y trouver des effets plus intéressants. La question se posera aussi parfois de multiplier les petites attaques, ou bien d’en faire une seule très puissante si les effets le permettent. Bref, le système est en réalité plus riche que prévu, et s’il est simple, il propose pourtant des choix vraiment intéressants.
Une défense innovante
Parlons un peu des boucliers : lorsque vous vous défendez, vous gagnez des boucliers (disons trois pour l’exemple). Lorsque vous êtes attaqué par un monstre, vous perdez des points de vie (disons 4). Les boucliers en parent trois, vous perdez un bouclier : simple, efficace. Mais les boucliers restants au début de votre tour ? Ils vont dans une réserve de pouvoirs que vous ferez croître au cours de l’aventure, et cela permet de changer la façon dont les personnages fonctionnent.
U : Au stade de l’aventure où l’on en est (quatre parties), difficile de dire jusqu’où va cette customisation, mais une chose est sûre : c’est très intéressant. Thésauriser la défense sert, et certains personnages vont même se focaliser sur ce genre de stratégies. Les pouvoirs de base, à savoir regagner des ressources et relancer des dés, sont intéressants et basiques, mais on sent que le jeu en a sous le capot.
F : Oui, on est au début et on a envie de donner des pouvoirs à nos persos, qui sont thématiques : nos tidal blades manipulent le temps et peuvent donc faire pas mal de choses sur le papier. J’aime beaucoup le fait que la défense serve plus tard, car on enlève la frustration d’avoir perdu un tour à se défendre “pour rien”. Mais là aussi, ce sera surement propre à chaque personnage.
Dynamisme des systèmes
La santé des Tidal Blades se constitue de trois jauges, et à chaque jauge vidée, vous prenez une blessure occupant un emplacement sur le plateau Nexus. Et si vous en avez trop, hop une cicatrice qui rejoint votre deck. Vraiment le genre de truc dont on se passerait. Sauf qu’entre les scénarios, on peut augmenter son paquet, l’épurer, trouver des améliorations. En termes de monnaie, on trouvera des fruits, qui sont consommables pour des soins pendant les scénarios, mais qui sont utilisables si jamais vous ne craignez pas pour votre vie. Ce n’est pas tout : vous avez des objectifs en cours de partie qui vous permettent de progresser sur des voies vous donnant des pouvoirs supplémentaires, donnant aussi corps à votre personnage : allez-vous vous entêter et poursuivre la voie de la ténacité, ou lâcher prise et vous abandonner au flux de la vie ? Les compétences sont à l’avenant de ce genre de décision, et offrent un relief à de bêtes bonus. Tout bête, mais si intelligent.
F : Et puis, même si on a un objectif pour chaque voie à chaque partie, on devra quand même privilégier l’une de ces voies pour en optimiser les bonus. Là aussi du choix, avec plusieurs builds possibles pour les 6 personnages, ce qui donne déjà envie de refaire la campagne alors qu’on ne l’a même pas encore finie.
U : Il y a aussi une dédramatisation de la blessure derrière ça : le jeu se permet de vous en mettre plein la vue avec de grosses attaques, des effets adverses puissants. Les ajustements de difficulté en fonction du nombre de blessures subies en témoignent : le jeu s’attend à ce que vous en preniez plein la margoulette. Si l’on compare à Gloomhaven, puisque parenté évidente il y a, l’arc de tension augmente au lieu de descendre : dans Gloomhaven vous commencez avec toutes les ressources en main, avec la fraîcheur d’un cabri matinal, et le jeu a tendance à vous en mettre plein la vue sur la première salle pour vous faire ressentir une tension sur la fin avec cette érosion de vos ressources. Tidal Blades propose de se renforcer graduellement grâce aux charges de bouclier et au Nexus qui se peuple de cartes, mais rien n’est figé dans la pierre : votre plan de jeu est en perpétuel mouvement, avec le sentiment que vous avez des à-coups de force plutôt qu’une lente attrition vers les blessures.

Crédits : Alison P – BGG –
Un goût de Naviri
Difficile de parler de Rise of the Unfolders sans parler de l’univers. Les illustrations de Mr. Cuddington sont toujours très plaisantes, rappelant l’excellente ouvrage déjà réalisée sur le premier volet. Pour rappel, ce duo d’illustrateurs est spécialiste des couleurs vibrantes, et propose des DA façon comics respirant la positivité. Mais l’univers ne s’arrête pas aux illustrations, loin de là… et d’ailleurs, Mr. Cuddington est crédité pour la conception du monde !
U : Si la narration ressemble pour l’instant à un blockbuster lambda, l’univers futuriste mais primitif fait mouche sur moi. C’est un post-apo qui a réussi, et je me prends à rêvasser la vie à Naviri. Les textes narratifs de mission – encore une fois, calqués sur Gloomhaven, à savoir un briefing et un débriefing – font un peu forcés. Le narrateur se sent obligé de passer d’un personnage à l’autre pour les faire intervenir. Je crois que j’aurais préféré que quelques personnages seulement soient mis en lumière à chaque scénario, même si différents. Et j’ai noté que les personnages ne sont inclus à la narration pour l’instant que par leur titre de Tidal Blades, et pas impliqués personnellement. Ceci pourrait être amené à changer… sait-on jamais. Par contre, la narration s’intègre dans les mécanismes et ça, ça fonctionne bien : les voies que développent nos personnages sont des aspects de leur personnalité et de leur histoire qu’on aimerait voir avoir des conséquences narratives. Mais on n’a que quelques parties dans les pattes, peut-être que cela viendra ! 🙂
La progression se fait dans des interludes de l’histoire, avec des journées à passer en ville, à dépenser son expérience, panser ses plaies, le tout en rencontrant des personnages qui nous aideront d’une façon ou d’une autre. Là encore, malgré les difficultés vécues lors des missions, malgré les blessures qui cicatrisent d’une vilaine façon, on sent la lumière de l’univers. Le tout avec un côté pop tout à fait assumé, des touches d’humour ici et là, et un worldbuilding qu’on sent tout de même pas mal étoffé et bien pensé. L’intermède n’est pas non plus trop lourd, est joué rapidement et propose des choix intéressants à tous les joueurs.
F : Pour le coup la narration m’a fait assez rire à certains moments, et sans être révolutionnaire je la trouve vraiment bien menée. Pour continuer dans la comparaison avec Gloomhaven, je trouve les scénarios beauuuuuucoup plus intéressants : il s’y passe des choses, on n’est pas là juste pour se battre, il y a des surprises, des objectifs, des stratégies à réfléchir. Bref, sur cet aspect il me semble supérieur à un Gloomhaven qui se contente de nous dire souvent “tuer tout ce qui bouge… et ce qui ne bouge pas aussi”.
U : Alors juste le Gloomhaven de base. À partir de Forgotten Circles, il se passe plus de choses…
F : Par contre, le jeu ne fait pas d’efforts pour nous prendre par la main : on ne peut pas commencer la campagne en comprenant ce qui se passe. Pendant les campagnes kickstarter, surtout la première, l’histoire des personnages a été développée et on explique pourquoi ils sont là et quelles sont leurs motivations et où l’on voit beaucoup plus leur caractère. Le problème c’est que si on a pas suivi la campagne, le jeu ne nous apporte pas ces informations. Pire, il y fait explicitement référence (comme à d’autres éléments de l’univers), mais sans rien expliquer. Quand on a lu ce qu’il se passe avant, c’est très bien mais sinon, des pans de narration semblent plats… Je peux par exemple t’apprendre que le personnage que tu joues est à la recherche de sa femme disparue, et que celui de notre troisième joueuse est un des rares de son espèce à sortir de la tour où les autres étudient, ce qui en fait un personnage très particulier. De même, rien n’indique que ma Tidal Blade à moi vienne du désert au-delà de la cité.
C’est franchement dommage de ne pas avoir ajouté cela (même avec un lien vers l’histoire en virtuel) parce que cela apporte beaucoup. Et en effet, l’univers est très riche, au point qu’un jeu de rôle était accessible pendant la campagne KS, ce qui a totalement du sens. On a envie de jouer dans cet univers et d’aller plus loin. Bon par contre… un éditeur pour en faire une VF ? Siouplé ?
En bref…
U : Ben j’ai adoré. Le fait qu’on soit dans une structure un peu basique de dungeon crawler avec des aspects simplistes ne me dérange pas du tout, et le jeu distille son univers plein de bonne humeur tout en proposant un gameplay abordable sans manquer de profondeur. Une belle recommandation de ma part, en tout cas. (Et si vous trouvez un aller simple pour Naviri, vous me dites, je fonce là-bas dès que j’arrive à avoir un billet.)
F : Oui j’en redemande, j’ai vraiment envie de passer à la suite, de voir comment mon personnage va évoluer et où va nous mener l’histoire. Pendant longtemps, ma recommandation numéro 1 pour ce genre de jeu était Gloomhaven : les Mâchoires du Lion… eh bien, je pense que Tidal Blades 2 va lui ravir la place.
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